Le 1er juillet 2010, un arrêt de la cour d’appel de Limoges condamnait le Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane pour avoir injustement associé le constructeur Louis Renault à l’un des pires crimes perpétrés par les nazis sur le territoire national.
Ouvert au public en 1999, le Centre avait en effet présenté une photographie de Louis Renault aux côtés d’Hitler et de Göring – photographie prise à un salon de l’automobile de Berlin avant-guerre. A côté de la légende (« Louis Renault présente un prototype à Hitler et Göring à Berlin en 1938 »), figurait le commentaire suivant:
« L’occupant disposait de 400 millions de francs par jour aux termes de l’armistice. Il ajoutait une victoire économique à sa victoire militaire. « Pouvait-on faire autrement que de travailler avec eux ? ». La majorité du patronat de l’armement, aéronautique¸ chimie, automobile, haute-couture…collabora. Louis Renault, « Une seule chose compte : moi et mon usine », fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la Libération »(1) .
Pendant deux ans, les petits-enfants de Louis Renault tentèrent vainement de trouver une solution à l’amiable afin de faire cesser cette atteinte à la mémoire de leur grand-père ; ils soulignèrent qu’une photographie prise avant-guerre lors d’un salon automobile ne pouvait illustrer un crime de masse perpétré pendant l’Occupation, que les usines Renault n’avaient jamais fabriqué de chars pour les Allemands et qu’enfin la phrase « une seule chose compte pour moi, moi et mes usines », avait été attribuée à Louis Renault trente ans après les faits par un ingénieur de l’entreprise dont les témoignages n’avaient cessé de varier(2).
Après avoir constaté que les usines Renault n’avaient pas fabriqué de chars pendant l’Occupation, les juges de la Cour d’appel de Limoges ont précisé qu’il n’y avait pas de lien entre le rôle joué par Louis Renault « durant l’occupation et les cruautés dont furent victimes les habitants d’Oradour-sur-Glane ». Ainsi le Centre s’était-il rendu coupable « d’une véritable dénaturation des faits »(3) .
Défendus par Maître Thierry Lévy, les petits-enfants de Louis Renault déposèrent une assignation devant le tribunal de grande instance de Paris, le 9 mai, 2011. Leur but est d’obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation-sanction, qui a été prononcée à la Libération, le 16 janvier 1945, contre le constructeur automobile. Ils ont pu mener cette action grâce au nouveau droit ouvert par l’instauration, en mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet désormais de contester une disposition législative devant le juge constitutionnel. Les huit enfants du fils unique de Louis Renault, Jean-Louis, mort en 1982, firent valoir que l’ordonnance du 16 janvier 1945 porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels, dont le droit de propriété, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la personnalité des peines, la présomption d’innocence et les droits de la défense (4).
Le 11 janvier 2012, le tribunal de grande instance se déclarait incompétent. Selon Me Thierry Lévy, l’ordonnance du 16 janvier 1945 constituait une voie de fait, susceptible d’être attaquée devant les juridictions judiciaires et de donner lieu à une indemnisation. Mais le tribunal a jugé, qu’en «en l’absence de voie de fait établie», seules les juridictions administratives pouvaient être saisies.
(1) . Procès-verbal de constat du 11 octobre 2007.
(2). F. Picard, L’épopée Renault, Paris, 1976, p. 185. Le même Picard écrivait au moment des faits dans son Journal clandestin : « Devant l’évolution de la situation générale, la volonté de résistance du patron s’accroît chaque jour davantage. Il redresse la tête et hausse le ton. Il n’en est pas de même malheureusement de tous les industriels français ». F. Picard, « Journal clandestin », De Renault Frères à Renault, n° 15 décembre 1977, p. 109. Le témoignage de Picard n’est pas à rejeter a priori, mais il faut le confronter à d’autres sources tout en comparant systématiquement ses propos de l’Occupation avec ses écrits postérieurs.
(3). Les huit petits-enfants de Louis Renault furent défendus à cette occasion par Maître Thierry Lévy.
(4). Voir Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder, “Les héritiers Renault assignent l’Etat en justice”, Le Monde du 12 mai 2011.
(5). Le Figaro du 11 janvier 2012.