Source: Renault-Histoire n°9 – juin 1997
En publiant de larges notes bibliographiques extraites de la revue “Pionniers”, et que son fils Daniel Riffard nous a amimablement confiées, la Comission de Rédaction fait ainsi participer les lecteurs de “Renault Histoire” à un hommage qu’elle tient à rendre au grand Marcel Riffard.
L’homme a connu une carrière d’une exceptionnelle longévité : 70 années consacrées à l’aéronautique par l’aérodynamisme, domaine dans lequel il se révéla un génial précurseur. Notre sensibilité connaît un penchant naturel pour la période au cours de laquelle il devait contribuer à l’accession de l’équipe Caudron-Renault aux sommets des records de vitesse. Mais c’est pour l’ensemble de ses réalisations que la seule évocation de son nom éveille un sentiment général d’admiration :
Troisième d’une famille de cinq enfants, il est né en Argentine, de parents français, le 30 novembre 1886 ; son père, ingénieur chimiste expert et agent consulaire de la France, y construisait des Sucreries de canne à sucre ; en 1880, il fut le créateur du téléphone en Argentine et aussi celui de la monnaie papier. L’arrivée en France de Marcel Riffard date du 14 juillet 1893.
Après de brillantes études au lycée J. B. Dumas à Alès, où, au cours de l’épreuve de mathématiques du Concours général de 1903, il donne sept solutions à un problème auquel le grand mathématicien Henri Poincaré n’en avait trouvé que cinq, ce qui lui vaut la Grande Médaille d’Argent et le Prix de la Société Scientifique et Littéraire, et le 1er Prix aux Concours Généraux, Séction Mathématiques, il entre poursuivre des études supérieures et études spéciales (section préparation à l’Ecole Nationale des Mines de Saint-Etienne) au Lycée Carnot à Saint-Etienne. En même temps qu’il mène une vie studieuse, il cultive son corps en s’adonnant à l’athlétisme et met en pratique le vieil adage Mens sana in corpore sano ; à ce moment, il appartient à l’Union Sportive du Lycée de Saint-Etienne.
Désigné par le pouvoir sportif de l’époque comme représentant de la province, il est envoyé, en juillet 1905, à Paris pour y disputer le Critérium Interscolaire d’Athlétisme organisé par la Société Athlétique de Montrouge et disputé à Gentilly, ainsi que le Challenge Maurice Bousquet qui était un décathlon dont toutes les finales avaient lieu en une seule journée ! Marcel Riffard se classe finalement 3ème et, abandonnant la carrière d’ingénieur des Mines pour se consacrer à l’aviation naissante, il entre en tant que secrétaire technique, attaché au Directeur Général, à La Société des Pneumatiques Samson le 1er octobre 1905.
Le 10 octobre 1907, il doit quitter cette société pour son incorporation deux jours après au 38ème régiment d’artillerie de campagne et effectuer son service militaire à la 7ème batterie détachée en Corse, à Bastia ; le 28 septembre 1909, il est rendu à la vie civile. Sa première réalisation aéronautique date de l’année de ses 21 ans, en 1907, où il étudie et construit un modèle réduit d’avion, monoplan surbaissé, métallique, à hélice propulsive, dont la vitesse atteignait déjà 66 km/h ; nous pourrions le considérer comme le précurseur du vol circulaire et en tenir compte en écrivant une histoire détaillée et rigoureuse de l’aéromodélisme.
Le 1er janvier 1910, associé aux aviateurs Robert Martinet – brevet de pilote n°78 du 17.5.1910 – et Georges Legagneux – brevet de pilote n°55 du 19.4.1910 – il étudiait et réalisait le premier appareil de construction entièrement métallique, lui aussi monoplan, en acier embouti pour la structure, en aluminium pour le revêtement, moteur Gnome 7 cylindres, 50 CV, placé au maître-couple du fuselage, corps de moindre résistance à l’avancement , entièrement capoté, refroidissement par dépression – antériorité aux capots type N.A.C.A. – hélice propulsive commandée par arbre de transmission, commandes rigides des ailerons par tubes de torsion.
Cet appareil fut piloté par Robert Martinet, Georges Legagneux et Lucien Melzassard qui, bien que n’ayant pas encore son brevet de pilote – il l’obtint le 8 nivembre 1912 sous le n°1117 – dona au mois d’août 1912, à la demande de Marcel Riffard, son baptême de l’air à celui qui devait devenir quelques années plus tard le symbole des As français de la guerre aérienne, j’ai nommé le légendaire Georges Guynemer. Pour compléter et être précis, ce baptême fut donné à bord d’un biplace Henri Farman de 35 m2, moteur rotatif Gnome et Rhône de 50 CV, hélice Chauvière ; cet appareil avait un passé glorieux, il avait appartenu à Louis Paulhan – brevet de pilote n°10 du 17.10.1909 – et c’est avec cet aéroplane que celui-ci avait remporté le 27 avril 1910 le Grand Prix du Daily Mail, le mémorable Londres-Manchester, doté d’un premier prix de 10 000 livres sterling soit, à l’époque considérée, l’équivalent de 12 600 louis d’or.
En 1912, ce fut le premier avion sanitaire étudié et construit avec la collaboration pratique de Martinet et Legagneux.
En 1913, Marcel Riffard dessina le vélo-torpille Buneau-Varilla, avec lequel Marcel Berthet battit le record du monde de vitesse sur un kilomètre en 1’2”4/5, contre précédemment 1’10″3/5, et celui de 5 kilomètres en 6’4.
Rappelé le 2 août 1914 au 38ème régiment d’artillerie, il “fait” Verdun, l’Argonne, la Champagne, récoltant la Croix de Guerre avec étoile, deux citations et la proposition pour la Médaille Militaire pour faits de guerre ; il est blessé deux fois. Le 6 novembre 1916, après sept ans de fiançailles, au cours d’une permission, il épouse celle qui prendant près de 65 ans sera sa fidèle compagne et la mère de ses trois fils.
Cette même année 1916, il est versé au Groupe Aviation du Bourget puis aux Ateliers d’Aviation de Louis Bréguet à Villacoublay et, rayé des contrôles militaires, il devient directement, de 1917 à 1923, chef de bureau d’études de Bréguet à Vélizy. Sa carrière se dessine suivant ses voeux, il devient:
* Directeur des Technique des Etablissements Louis de Monge et Olivier à Levallois-Perret.
* En 1930-1931, il prendra la direction générale des Avions Marcel Bloch.
* Il retourne, de 1931 à 1932, à l’O.M.I., Omnium Métallurgique Industriel, où il essaie le premier moteur à cylindres inversés de 95 CV.
* Enfin, il devient Directeur Technique Ingénieur en Chef de la S.A. Avions Caudron-Renault, 52 rue Guynemer à Issy-les-Moulineaux, le 1er mars 1932.
A 45 ans, Marcel Riffard commence une phase de sa carrière au cours de laquelle le mathématicien et aérodynamicien expérimenté pourra donner tout son talent. En 1933, la Société Anonyme des Usines Renault achète Caudron. René Caudron dit alors à Marcel Riffard : “J’ai vendu l’usine à Renault et je vous ai vendu avec !!”(1). La firme Caudron-Renault prendra alors un élan considérable et, avec l’appui de l’excellente technicité des moteurs Renault (2), l’intuition et la solide expérience de Marcel Riffard, les réalisations se succédèrent à un rythme incroyable.
De 1934 à 1940, 73 prototypes de modèles différents ou dérivés virent le jour.
Quels sont les avions construits chez Caudron-Renault ? Avions de tourisme, de transport, de course, et à la fin de chasse.
L’Aiglon, le Rafale, le Simoun, le Goéland, le Typhon, le Cyclone et les appareils Coupe Deutsche de La Meurthe, C362, C450, C460, qui apportèrent à l’Aéro-Club de France la détention définitive de la Coupe Deutsch de La Meurthe.
En août 1934, Hélène Boucher, sur le C450, bat le record du monde sur base par catégories et toutes catégories sur 100 et 1000 km. ; mieux encore, en 1934, Raymond Delmotte bat le record du monde sur base pour avions terrestres à 505,808 km.
Le Simoun, le premier avion postal de jour à la compagnie Air Bleu permit à Maryse Bastié de réussir l’exploit de la traversée de l’Atlantique sud Dakar-Natal.
Le Goéland est le premier avion de transport postal de nuit à Air France, et, pour parachever cette oeuvre immense, Michel Detroyat, sur C460, en 1936, au cours des courses nationales américaines, remporte la Greve Trophy et la Thomson Trophy, devant les Américains pilotant des avions équipés de 1.100 CV contre un 330 CV.
L’automobile Renault n’est pas exempte, elle aussi, des conceptions de Marcel Riffard : du 3 au 5 avril 1934, une Nervasport (3) spécialement carrossée bat, sur la piste de Montlhéry, trois records du monde toutes catégories et neuf records internationaux en catégories 3 à 5 litres. Ces records s’effacent, un mois plus tard, au bénéfice d’une 6 cylindres Delahaye. Renault, ne pouvant rester indifférent à cet exploit, décide de prendre sa revanche et demande à Marcel Riffard la conception d’une carrosserie très profilée sur un châssis Vivasport (4). Il en résultera, deux mois plus tard, une splendide voiture dont l’inspiration est très nettement issue de la lignée des “Caudron” de course. Malheureusement un terrible accident mettra un terme à la tentative (5), ainsi qu’à la volonté de l’usine de battre des records, au moins pendant longtemps.
Or, l’influence des travaux de Marcel Riffard ne s’arrête pas aux lignes spécifiques de la voiture de record, car dès 1934, l’aérodynamisme éprouvé sur les Caudron-Renault s’appliquera sur la ligne des automobiles de série et l’on vit alors naître des lignes adoucies dénommées aérodynamiques, puis hyper-aérodynamiques par une accentuation de la fluidité des formes.
En outre la référence à l’aviation est constamment mise en évidence dans la publicité ; ne lit-on pas :
Promoteur de l’aérodynamisme, Renault en demeure le champion… l’aérodynamisme Renault, c’est l’économie mais c’est aussi l’élégance, parce que tout ce qui est rationnel tend vers la beauté naturelle !…
Marcel Riffard a ainsi imprimé, directement et indirectement, ses conceptions à une grande partie des productions Renault, et ceci jusqu’en 1940.
Du 1er août 1940 au 31 mai 1944, Marcel Riffard devient le fondateur et le directeur technique du Bureau Secret Clandestin à Boulogne-Billancourt et Société Rateau à La Courneuve.
C’est en 1942 que Marcel Riffard, non seulement préfigure l’avion transatlantique de 40 passagers, 700 km/h et 5 100 km, mais plus encore, Marcel Riffard a prouvé, au-delà de tout, son génie ; il prévoit, 39 ans avant, l’avion à décollage vertical avec deux moteurs en traction-verticale qui se transforme en traction horizontale par modifications architecturales des positions moteurs.
Après 1944, il sera ingénieur conseil à la Société Nationale Aéronautique du Centre, jusqu’en 1949, et de Rateau, pour finir comme conseiller technique de la S.N.I.A.S. en 1963.
C’est en 1953 que Marcel Riffard applique ses conceptions à la Panhard qui gagne les 24 Heures du Mans à l’indice de performance.
Mieux encore, en décembre 1954, Une Panhard de 744 cm3 (6) avec une carrosserie qu’il met au point en forme d’aile épaisse d’avion, remportera le prix B.P. d’un million pour la voiture réalisant plus de 200 km, à Montlhéry, en une heure (201, 88 km/h).
Toujours assoiffé d’activité autant que de servir, il a apporté une collaboration totale à l’Aéro-Club de France comme commissaire sportif, contrôlant les réglements des diverses compétitions, donnant les départs, enfin assurant, avec le Bureau Veritas, la régularité de tous les résultats.
Il fut membre du Conseil d’Aéro-Club de France, Président d’Honneur de la Commission Sportive de l’A.C.F., Président d’Honneur de la Commission d’Aviation. Membre des commissions de giraviation, de vol à voile, d’astronautique, il fut observateur de la France auprès de la Commission Aéronautique Internationale où il défendit, en toute connaissance de cause, devant les observateurs étrangers souvent étonnés de ses connaissances, de sa précision aussi bien que de ses idées novatrices, l’évolution de l’aviation moderne.
Le 9 juillet 1981, s’est éteint à Chaville, dans sa 95ème année, celui que l’on considère comme le “Père” de l’aviation moderne.
(1) Réflexion transmise par son fils, Daniel Riffard
(2) Voir “Renault Histoire” n°7 et n°8.
(3) Châssis à moteur 8 cylindres de 4827 cm3.
(4° Châssis à moteur 6 cylindres de 3619 cm3.
(5) Revue “De Renault Frères à Renault Régie Nationale”, tome 3, n°18 de juin 1979.
(6) Développant 75 CV à 5800 tr/mn, réalisation Pierre Chancel, pilote et garagiste parisien. Il a conçu l’amélioration aérodynamique d’un hélicoptère “Super Frelon” pour enlever 3 records mondiaux de vitesse, pour ce type d’appareil, en juillet 1963, il avait 77 ans.
Claude Le Maître