Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente, par Gilles Legroux, La Cliothèque, 31 août 2018

Laurent Dingli

Entreprises dans la tourmente: Renault, Peugeot (1936-1940)

Presses universitaires François Rabelais de Tours, 2018, 26 euros.

« Les entreprises françaises furent confrontées à trois grands défis au cours de cette période: les conséquences de la crise économique et financière mondiale qui débuta aux États-Unis en octobre 1929; les réformes imposées par les grèves et le Front populaire à partir de 1936; enfin, les exigences croissantes de la défense nationale, du milieu des années 30 à la défaite de juin 1940 ».
L. Dingli, Entreprises dans la tourmente, p. 34.

Les années 1936-1940 précédant les années noires de l’Occupation furent une période tourmentée. Dans son dernier ouvrage, Entreprises dans la tourmente, Laurent Dingli nous propose une étude de ces 4 années – du Front populaire à la débâcle de juin 40- à travers le prisme de l’analyse croisée des deux plus grandes entreprises industrielles françaises de l’automobile, Renault et Peugeot. Loin de se réduire à une histoire économique et industrielle qui pourrait rebuter le lecteur peu au fait de ces questions, l’étude de Renault et de Peugeot a évidemment une dimension sociale et politique du fait de l’importance de la population ouvrière employée par les deux constructeurs dans le contexte des réformes du Front populaire. Les deux entreprises automobiles – comme le furent aussi Citroën ou Berliet- participaient depuis la première guerre mondiale à la défense nationale par leurs productions destinées à l’armée française. A un moment où la France doit répondre à la menace hitlérienne et doit réarmer pour rattraper son retard sur l’Allemagne, Renault et Peugeot se retrouvent ainsi au cœur des enjeux et des débats de la défense nationale, puis de la mobilisation industrielle pendant la “drôle de guerre”. Ainsi, c’est bien de la France à un moment crucial de son histoire dont nous entretient Laurent Dingli et c’est tout l’intérêt de son ouvrage. On le sait, les quatre années qui ont précédé la défaite de juin 40 sont l’objet depuis cette date d’intenses débats historiographiques et idéologiques dominés par la question des responsabilités de “l’étrange défaite”. Sans être le sujet du livre, cette question est abordée à plusieurs reprises par l’auteur (…)

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GBM n° 125, Pages choisies, Entreprises dans la tourmente

En plus de l’aimable compte rendu sur mon dernier livre, “Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot 1936-1940”, les passionnés de Renault trouveront dans le dernier numéro de GBM la présentation du tome 1 de “Tous les Renault militaires” de François Vauvillier dont nous connaissons l’érudition et la rigueur. On notera également un dossier très complet sur le char R 40 de l’AMX.

GBM – Histoire de guerre, blindés & matériel, n° 125, juillet-août-septembre 2018

“Paris-Rambouillet : la course des centenaires”, par Jules Humbert, Le Figaro du 23 mai 2018

Première édition des 24 heures du mans en 1906 – Deux automobiles à l’arrêt © Collection F. Proust/Le Figaro

ÉVÉNEMENT – La 5ème édition de la course «Paris-Rambouillet» aura lieu le dimanche 10 juin, plus de 50 véhicules centenaires y sont attendus.

L’association rambolitaine des voitures anciennes «Renaissance Auto» organise, avec la complicité des clubs «Les Bielles de Jadis» et les «Teuf-Teuf» ainsi qu’avec le soutien de la Fédération française des véhicules d’époque (FFVE), la 5e édition du «Paris- Rambouillet», l’une des premières courses automobiles en France dont l’édition 1899 fut remportée par Louis et Marcel Renault.

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L’Aventure Automobile – L’histoire automobile du vingtième siècle n° 3, mai-juin-juillet 2018

L’Aventure Automobile -juin-juillet-août 2018

Entreprise dans la tourmente – Renault, Peugeot 1936-1940

Laurent Dingli, docteur en histoire, auteur en 2000 d’un portrait très complet de Louis Renault, (Flammarion), animateur du formidable site consacré au fondateur de la marque de Billancourt (louisrenault.com), publie en ce début d’année 2018 une nouvelle et passionnante étude. Durant quatre années Renault et Peugeot vivent des événements politiques et sociaux qui bouleversent leurs fonctionnements traditionnels de constructeur automobile, et les efforts à la mobilisation en faveur de la défense nationale. Sur ce dernier point, l’auteur détaille d’une façon extrêmement précise et documentée les différents acteurs présents, la terrible impréparation des entreprises, d’ailleurs très aidée sur ce point par les atermoiements du gouvernement, ainsi que les décideurs militaires face aux forces du Reich de plus en plus menaçantes. C’est aussi l’occasion de rappeler une nouvelle fois que si François Lehideux encourage l’activisme prôné par le Parti Populaire Français de Jacques Doriot et le Parti Social Français de François de La Rocque au sein de l’île Seguin, Louis Renault (1877-1944) maintient une position de légaliste républicain, en condamnant vivement ce militantisme d’extrême droite prôné par son neveu par alliance. Par ailleurs, contrairement à une idée trop répandue, c’est bien la déficience des sous-traitants qui va freiner son désir de fabriquer toujours plus de matériels de combats, et non le désir de continuer la production des Novaquatre ! Laurent Dingli met également en scène deux personnages importants pour le récit, Louis Renault, un pragmatique athée de Boulogne-Billancourt, et Jean-Pierre Peugeot (1896-1966) et ses proches, des luthériens provinciaux, qui forcément ne réagissent pas de la même façon dans une période aussi troublée. En lisant l’ouvrage on ressent, dans la narration des événements, une part plus conséquente consacrée au dossier Renault, mais cela ne doit pas être imputé à l’auteur. En effet, si les archives du constructeur au losange ont permis l’ouverture de 40 000 documents sur la période de l’Occupation, les responsables du Groupe PSA n’ont pas donné suite à cette demande sur les années 1939-1945, préférant la confier à quelques personnes travaillant avec le Fond de Dotation maison ! Par bonheur, Laurent Dingli a pu combler ce refus via d’autres archives, mais ce dernier ajoute non sans malice : “il s’agit manifestement d’une confusion entre histoire et communication d’entreprise”.

Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot 1936-1940, Presses Universitaires François-Rabelais, Collection Perspectives historiques

 

Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot (1936-1940), PUFR, 2018

Présentation de l’éditeur : Mai 1936 – Juin 1940 : rarement l’industrie française aura traversé une période aussi tumultueuse qu’au cours des années qui séparent la victoire du Front populaire de ” l’étrange défaite “. Pendant ces quatre années, les entreprises vécurent au rythme haletant des conflits politiques et sociaux, de la modernisation des usines, des grèves et des impératifs de la défense nationale. A travers le cas de deux grandes sociétés automobiles – Renault et Peugeot –, cet ouvrage d’histoire sociale et industrielle évoque la manière dont les entreprises françaises ont tenté de s’adapter aux réformes de 1936 tout en forgeant l’outil industriel capable de riposter à une agression nazie.
En abordant l’évolution de la condition ouvrière, les grands mouvements sociaux, le défi des quarante heures, la production d’armement et l’organisation de l’industrie de guerre, Laurent Dingli retrace l’histoire des deux entreprises de l’avènement du Front populaire à la défaite militaire de juin 1940.

Laurent Dingli, Entreprises dans la tourmente – Renault, Peugeot (1936-1940), Presses universitaires François Rabelais de Tours, 2018

Erratum : p. 318, lire “des milliers d’ouvriers” et non pas des “dizaines de milliers d’ouvriers”. Laurent Dingli, 25 mars 2018. Dernière mise à jour : 25 mars 2018.

Nota Bene : Les commentaires hors sujet ne seront pas publiés ici

The Automobilist, “Rétromobile 2018 : Renault célèbre ses 120 ans en beauté”

Crédit photos : The Automobilists – François M., Christian C., Celia H.

Renault fête ses 120 ans à Rétromobile

C’est peut-être le stand le plus fourni de tout Rétromobile, hors maisons de vente. C’est en tout cas le plus complet, le plus chronologique, le plus aéré, et ce pour fêter un événement majeur pour la marque au Losange : son 120ème anniversaire. De la Type A au Scénic, en passant par l’Alliance américaine et les utilitaires, il y avait beaucoup à dire, voyons tout cela !

Tout commence par la Renault Type A de 1898

Lire la suite de l’article sur la page de The Automobilist.

France 3, “Renault : la marque au losange souffle ses 120 bougies au salon Rétromobile”

Extrait du sujet de France 3 :

– Plusieurs blindés Renault sont bien en place grâce au Musée des Blindés de Saumur. Louis Renault a mis son usine au service de l’effort de guerre. Une automitrailleuse Renault AMR figure en bonne place sur le stand, de même qu’un Renault B1 Bis et un tracteur ravitaillement 36 R.

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Louis Renault, de l’inventeur de génie à l’artisan de la Victoire (1877-1918)

Patrick Deschamps, Willy Harold Williamson, Louis Renault, de l’inventeur de génie à l’artisan de la Victoire (1877-1918), Editions du Triomphe, à paraître.

Présentation de l’éditeur

Disponible fin décembre 2017 !

Le jeune bricoleur Louis Renault n’a que 14 ans lorsqu’il installe au fond du jardin de la maison familiale, à Boulogne-Billancourt, un atelier de mécanique. Là, il va dessiner, concevoir, modifier, multiplier les inventions et déposer ses premiers brevets. Nous découvrons l’inventivité incroyable d’un jeune homme puis le travail acharné du jeune chef d’entreprise à travers les yeux d’un de ses plus fidèles employés.

Le lecteur est plongé dans l’aventure automobile : à 21 ans, Louis construit sa première voiture, la Renault Type A, en modifiant un tricycle. Puis les événements s’accélèrent pour le jeune ingénieur : les courses, l’accident tragique et la mort de son frère, l’industrialisation de la production de voiture dans son usine. Août 1914, l’heure de la mobilisation générale a sonné. Dès septembre 1914, ce sont des taxis Renault qui acheminent en grande partie les 6 000 soldats vers la bataille de la Marne. Tout en mettant en œuvre une politique sociale innovante pour l’époque, ce sont d’abord des centaines de milliers d’obus, voitures et camions qui sortiront de ses usines. Puis ce sera le célèbre char d’assaut FT véritable fer de lance de la victoire de 1918. En mobilisant sa force industrielle au service de l’effort de guerre, Louis Renault fait entrer son histoire personnelle dans la grande Histoire.

Voir la présentation sur le site de l’éditeur.

La direction des usines Renault ou les prodromes de la rupture

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, « La direction des usines Renault : les prodromes de la rupture », louisrenault.com, juin 2017. Mise en ligne le 15 juin 2017. Dernière mise à jour le 15 juin 2017.

Après une vingtaine d’années de recherches succédant aux nombreux travaux publiés par mes prédécesseurs, il est très encourageant de pouvoir encore exhumer des documents de premier plan sur l’organisation de la direction des usines Renault. Ce fut le cas l’année dernière avec deux découvertes majeures. La première a été faite aux archives de la société d’Histoire du groupe Renault (désormais Renault-Histoire) grâce à deux de ses responsables et animateurs, Jean Bral et Marcel Haegelen auxquels j’adresse tous mes remerciements. Il s’agit d’un document manuscrit non signé et non daté intitulé « Conversation du 22 septembre 1937 avec M. L. R. ». Jean Bral pense que ce texte, adressé à François Lehideux, probablement à l’issue de l’entretien mentionné en titre, fut rédigé par le fondé de pouvoir de Louis Renault, Pierre Rochefort qui aurait donc servi d’intermédiaire. C’est tout à fait probable étant donné le sens du texte. Mais l’écriture est, sans conteste, celle de l’épouse de l’industriel, Christiane Renault, qui rédigeait parfois sous la dictée de son mari.

Quoi qu’il en soit, ce document revêt une importance particulière. En effet, jusqu’alors, personne n’avait imaginé que la rupture entre Louis Renault et François Lehideux avait été si précoce et si violente. Le fait que le patron de Billancourt menace d’abandonner son entreprise révèle la profondeur du désaccord qui l’oppose alors à son neveu par alliance. Certes, il faudra attendre deux ans et demi pour que le conflit atteigne son paroxysme. Mais l’essentiel de ce qui allait motiver la rupture finale – l’appel aux financements extérieurs et la manière de diriger l’entreprise –, était déjà clairement exprimé dans ce texte.

1937 est l’année où Renault connaît de graves difficultés de trésorerie et l’on doit toujours avoir à l’esprit cette situation lorsqu’on lit le premier de ces documents. Les réformes résultant des grèves de 1936, des lois sociales du Front populaires et des conventions collectives (augmentation des salaires, réduction du temps de travail à 40 heures, congés payés, etc.) provoquèrent une augmentation importante des prix de revient que Renault ne répercuta que partiellement sur les prix de vente à l’instar des ses concurrents les plus proches. Mais pour différentes raisons, la firme au losange résista moins bien en 1937 que Citroën ou Peugeot, entre autres parce que la plus grande diversité de ses fabrications l’obligeait à entretenir davantage d’ouvriers professionnels. Or la loi des 40 heures et les nationalisations accentuèrent le manque de spécialistes dont souffrait l’industrie française. Déjà handicapée par rapport à l’Allemagne en raison de sa démographie, la France se révéla incapable de stimuler suffisamment la formation professionnelle, carence d’autant plus grave que le IIIème Reich faisait peser des menaces croissantes sur la sécurité européenne, contraignant ainsi l’Angleterre et la France a effectuer un effort sans précédent en matière d’armement. Les difficultés de Renault sont aussi dues au manque de modernisation du département aéronautique de l’entreprise et ce, malgré l’effet stimulant qu’eut le Front populaire dans ce domaine.

Face à une telle crise, François Lehideux, diplômé de Sciences Politiques et fils de banquier, préconise de faire appel à l’emprunt, un recours dont Louis Renault, qui n’a pas oublié les leçons de l’après-guerre, et jaloux de son indépendance, ne veut pas entendre parler. S’il faut effectuer un apport de fonds pour sauver l‘entreprise, ce sera par financement interne. Pas question d’émettre des obligations. Le fondateur est d’autant plus méfiant qu’il voit son autorité ouvertement bafouée par François Lehideux.

Suivant Louis Renault, deux réformes majeures devraient permettre de lutter contre les pertes de l’année 1937 : une meilleure organisation interne de l’entreprise et une diminution des effectifs. C’est surtout dans le département aviation et, plus précisément, au niveau du bureau d’études, que le constructeur juge les licenciements indispensables. Les premiers concernés ne seraient donc ni les OS ni les OP mais les dessinateurs. Cela revient à remettre en cause implicitement une politique industrielle qui a trop souvent privilégié les études onéreuses de prototypes au détriment d’une production rationalisée. On notera enfin que l’incertitude liée aux marchés publics fut davantage ressentie en matière de construction aéronautique que dans le domaine automobile (secteur qui inclut le matériel blindé).

Ce document inédit confirme et nuance donc l’analyse effectuée par Patrick Fridenson il y a quarante-cinq ans : Si François Lehideux comptait effectivement débaucher une partie du personnel que la direction estimait en surnombre pour des raisons diverses (application des lois sociales, aléas des commandes de l’armée de l’Air, défauts d’organisation de l’entreprise, etc.), Louis Renault nourrissait les mêmes intentions. La seule différence est que le fondateur aurait voulu effectuer ces licenciements par « petites touches », afin de « diluer » l’opération dans le temps, plutôt que de réaliser un débauchage massif comme celui qui interviendra très opportunément à l’issue de la grève du 24 novembre 1938[1]. Notons à ce sujet qu’un certain nombre de militants communistes et leaders du mouvement appartenaient justement au département aviation, tel Henri Dupont, délégué ouvrier de l’usine FF et adjoint de Marceau Vigny[2].

Nous avons trouvé le second document dans les papiers Raoul Dautry, aux Archives nationales et, plus précisément, dans la partie du fonds qui concerne son activité à la tête du ministère de l’Armement. Le texte est agrafé à une feuille de présentation qui fait office de chemise et sur laquelle est noté : Lettre adressée à M. Lehideux, le 27 octobre 1939. Le document n’est pas signé mais sa lecture ne laisse pas le moindre doute sur sa paternité : il a été écrit ou dicté par Louis Renault en personne. Il est accompagné d’un texte explicatif et détaillé de quatre pages daté du 25 octobre qui évoque la réorganisation de la direction des usines Renault. On pourrait donc penser qu’il s’agit là, en quelque sorte, et à deux ans d’intervalle, d’une réponse au conflit de l’automne 1937. Et c’est bien le cas en effet. La présence de ce document au milieu de dossiers qui concernent des missions d’achat de l’Armement à l’étranger (Italie, Suisse, etc.) peut surprendre et c’est sans doute en raison de cette place incongrue qu’il est resté inédit pendant soixante-dix-sept ans.

Le texte confirme que Renault avait limité les pouvoirs de son neveu aux seules questions financières, ainsi qu’il le rappela lui-même en avril 1940, dans une lettre capitale trouvée en 2011 (papiers Rochefort). Là encore, il faut dire un mot du contexte. Depuis la fin du mois d’août 1939, précédant de quelques jours la mobilisation générale, François Lehideux avait rejoint son régiment stationné en Lorraine. Suivant la version que l’administrateur-délégué donnera plus tard des évènements, Louis Renault, meurtri par un départ qu’il aurait vécu comme une trahison, aurait supplié son neveu de rentrer à Billancourt. La réalité, on le verra, était bien différente : Louis Renault profita en fait du départ de Lehideux aux Armées pour réorganiser la direction de l’usine et limiter les prérogatives de son neveu aux seules questions financières. Cette réorganisation, engagée dès la crise de 1937, fut alors complétée et utilisée par Louis Renault, non sans matoiserie, pour faire accepter à Lehideux ce qui était en réalité une diminution de ses pouvoirs. Ce fut très probablement pour signifier la décision du patron que René de Peyrecave alla rencontrer François Lehideux en Lorraine. En effet, la version donnée par le neveu, suivant laquelle René de Peyrecave était porteur d’une lettre qu’il n’aurait finalement pas remise à son destinataire, n’est absolument pas crédible. Même Emmanuel Chadeau, pourtant très peu critique à l’égard des témoignages de Lehideux et toujours prompt à extrapoler, n’a pu totalement avaliser une telle affirmation[3]. En réalité, Lehideux connaissait très bien les intentions de son oncle par alliance depuis la fin octobre. Or c’est à partir de cette date que les attaques contre Louis Renault sur son prétendu manque d’entrain à l’égard de la défense nationale atteignirent leur paroxysme. Le 8 novembre, Renault dut même écrire une lettre au président du Conseil pour se justifier.

Ces deux documents complètent ainsi les découvertes récentes faites dans les archives privées. J’avais pu préciser à cette occasion les causes réelles de la rupture définitive intervenue entre Renault et Lehideux au début de l’Occupation. L’analyse des papiers Rochefort et Guillelmon, le recoupement avec d’autres sources analysées quinze ans plus tôt, avaient permis de remettre en cause la version des événements donnée par François Lehideux, seul protagoniste survivant de cet affrontement. Le jeune diplômé de Sciences Po n’était pas entré à Billancourt en 1930 à la demande de son oncle par alliance, comme il l’affirma sa vie durant, mais sur ses propres instances. Il ne fut pas davantage le patron social et réformateur qu’il prétendit être. Bien au contraire, il se signala par une gestion souvent brouillonne, parfois calamiteuse sur le plan industriel[4] et particulièrement agressive sur les plans politique et social, son passage à l’usine se traduisant non seulement par un militantisme très actif en faveur des mouvements de droite et d’extrême droite mais aussi par une judiciarisation des conflits sociaux[5]. A aucun moment, Renault ne le supplia de devenir son dauphin et d’être le mentor de son fils unique, Jean-Louis. Bien au contraire, il ne fit que restreindre ses prérogatives jusqu’à les limiter aux questions financières. Lehideux ne quitta pas davantage Renault de son propre chef en raison d’un différent sur la fabrication de chars pour les Allemands, en juillet-août 1940, fable qui devait lui conférer une auréole de vichysto-résistant ; en réalité, il fut chassé « comme un malpropre » de l’usine suivant la déposition de son propre secrétaire devant le juge d’instruction à la Libération. Dès le 22 juillet 1940, avant même de rentrer à Paris, Louis Renault demanda à François Lehideux de quitter ses fonctions au sein de l’entreprise. Cette décision, ignorée pendant près de 75 ans, explique la contre-offensive que lança François Lehideux dès juillet 1940 pour discréditer l’action de Louis Renault, opportunément accusé de vouloir céder aux exigences des Allemands et de revenir sur les acquis sociaux de 1936 : le fait qu’un patron de combat comme François Lehideux s’érige ainsi en défenseur du défunt Front populaire ne manque pas de sel. Ce qui est surprenant, ce n’est pas que l’ancien ministre de Vichy ait pu travestir à ce point la vérité, c’est qu’il eut tant d’oreilles complaisantes pour accréditer ses affirmations. Au-delà de la dimension humaine, ces conflits récurrents au sein de la direction des usines Renault, constituèrent certainement un handicap très lourd pour la firme au losange à un moment crucial de son histoire, handicap inconnu de ses plus proches concurrentes telles que Citroën et Peugeot.

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, « La direction des usines Renault : les prodromes de la rupture », louisrenault.com, juin 2017. Mise en ligne le 15 juin 2017. Dernière mise à jour le 15 juin 2017.

Pour compléter cet article, voir Laurent Dingli “Rejet de l’extrême droite et choix industriels. Une lettre inédite de Louis Renault à François Lehideux (13 avril 1940)”, louisrenault.com, janvier 2014 et Idem, “L’élimination de François Lehideux des usines Renault, juillet 1940”, louisrenault.com, février 2012 [cliquez sur les intitulés pour lire les articles].

[1]. P. Fridenson, Histoire des usines Renault, Paris, Seuil, 1972.

[2]. L. Dingli, Entreprises dans la tourmente, Renault, Peugeot (1936-1940), Presses universitaires François Rabelais, Tours, [à paraître début] 2018.

[3]. E. Chadeau, Louis Renault, Paris, Plon, 1998, p. 172.

[4]. Voir aussi le bilan de son passage chez Ford après la Libération dans T. Imlay, M. Horn, The Politics of industrial collaboration during World War II, Ford France, Vichy and Nazi Germany, Cambridge University Press, Cambridge, 2014.

[5]. Voir L. Dingli, op. cit., à paraître (début 2018).

Document n° 1 : Conversation du 22 septembre 1937 avec Mr Louis Renault [Source : Renault-Histoire (ARGR) 2 SC Z 1 6]. Document aimablement communiqué par Jean Bral.

Document n° 2 : Louis Renault à François Lehideux, 27 octobre 1939 et texte annexe du 25 octobre 1939 (Source : AN 307 AP 112).

NB : Toute utilisation et reproduction de ce texte, extrait d’archives privées (Fonds Raoul Dautry), est strictement interdite sans une autorisation préalable des Archives nationales (Je remercie Mmes Caroline Piketty et Virginie Grégoire des AN de m’avoir indiqué les démarches à suivre)