Maurice Ribet à Monsieur Martin, le 2 octobre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

Monsieur le Conseiller,

Je viens de recevoir d’une dame Bedez, 64 rue Dulong, une lettre qui vous est destinée et qu’elle m’a fait parvenir pour que je vous la communique. Cette lettre constitue un témoignage modeste sans doute mais intéressant.

Je vous serais reconnaissant de la verser à votre dossier et au besoin de vouloir bien entendre Madame Bedez comme témoin sur la foi du serment.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Conseiller, l’assurance de mes sentiments distingués.

Monsieur le Juge d’Instruction,

24 septembre 1944

J’apprends par la presse que M. Renault constructeur d’automobiles a été arrêté après l’interrogatoire que vous lui avait fait subir, hier samedi.

Je ne sais pas exactement quelles sont les charges qui pèsent contre cet industriel, mais je dois à la vérité de vous apporter ici le modeste témoignage de ce que je sais et de ce que j’ai entendu.

Depuis février 1943, je suis entrée comme secrétaire sténographe à la S.F.R.L. Ruhrstahl 7 et 9 bd Haussmann, société qui était chargée de la vente d’aciers spéciaux.

Dans mon bureau se trouvait une dactylographe autrichienne qui était la secrétaire de Monsieur Firk, Ingénieur allemand mobilisé, chargé du recrutement pour l’Allemagne des ouvriers français de la métallurgie. Je me souviens fort bien que, vers le mois de mars – avril 1943, cet Ingénieur a dicté à sa secrétaire une rapport destiné à Berlin sur les constatations qu’il avait pu faire aux usines Renault. Cette secrétaire, après son départ, m’a traduit son rapport. Il en résultait que cet ingénieur avait réclamé aux usines Renault le départ d’un certain nombre d’ouvriers pour l’Allemagne et que Monsieur Renault s’y était énergiquement opposé en disant qu’on lui en avait enlevé beaucoup trop. L’ingénieur proposait à ses supérieurs de ne pas insister sur le prélèvement de ces ouvriers, mais qu’en compensation il demandait que les usines Renault lui remettent les plans et dessins concernant, je crois, des chenillettes de chars, en tout cas il s’agissait de plans concernant du matériel de guerre. L’Ingénieur indiquait également dans son rapport qu’à cette demande M. Renault avait répondu que tous ces plans et dessins avaient été détruits lors d’un dernier bombardement. Quelques temps après, cet Ingénieur, qui parlait fort bien le Français, m’a dit dans mon bureau qu’il ne croyait pas, d’ailleurs, à cette histoire.

Je puis attester que, le jour où ce rapport m’a été traduit par la dactylo autrichienne, j’en ai parlé à un ouvrier de chez Renault, celui-ci m’a répondu que les plans et dessins en question n’étaient en réalité nullement détruits, mais que Monsieur Renault et ses Directeurs les avaient dissimulés et il eut même cette expression en parlant des Allemands : « ils marchent dessous tous les jours sans s’en douter ».

Je suis donc en droit de penser que M. Renault, que je ne connais d’ailleurs pas, n’a nullement collaboré avec les Allemands et c’est pourquoi je me décide à vous apporter mon modeste témoignage sur ce fait précis.

Veuillez agréer, Monsieur le Juge d’Instruction, mes sentiments respectueux.

Madame Ch. Bedez

64, rue Dulong Paris XVIII.

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