Les Renault Grand Sport, par Marc Griselhubert

L’auteur : Marc Griselhubert, 58 ans, professeur de mathématiques en classe préparatoire aux Grandes Ecoles au Prytanée National Militaire de La Flèche, a collectionné des voitures anciennes depuis 40 ans dont une dizaine de Grand Sport en divers états, et notamment quatre 8 cylindres. Il est l’un des auteurs de l’ouvrage Renault des automobiles de prestige, paru aux éditions E-T-A-I, en 2002.

LES PREMIERES RENAULT DE PRESTIGE

Il n’a jamais existé beaucoup de marques automobiles au monde pouvant prétendre posséder une gamme complète allant des modèles les plus populaires aux modèles les plus prestigieux. Un nom vient cependant immédiatement à l’esprit: Renault, le Renault d’avant-guerre, bien sûr. Les modèles courants de la marque restent bien connus aujourd’hui et font la joie de bien des collectionneurs, mais malheureusement rares sont les Renault de prestige qui ont survécu, et de ce fait elles sont trop méconnues. Nous voudrions ici évoquer plus particulièrement certaines d’entre elles: les “Grand Sport”, mais avant cela revenons rapidement sur les plus anciennes.

Un torpedo scaphandrier 40 CV par Kellner © Renault

Un torpedo scaphandrier 40 CV par Kellner © Renault

On peut dater l’arrivée de Renault sur le marché du prestige automobile au salon 1907 qui voit l’apparition de la première 6 cylindres de la marque: un énorme engin de 9,5 litres de cylindrée. Par la suite, avant puis après la Grande Guerre, cette 50HP, se mutera en 40HP et restera connue sous le nom de “40 CV Renault”. Très prisée de la plus riche clientèle, elle restera sans rivale durant les Années Folles, si l’on excepte l’Hispano-Suiza H6. A l’aube des années 30, la 40 CV est remplacée par la Reinastella, une 8 cylindres en ligne de 7,5 litres de cylindrée, plus moderne et qui adopte pour la première fois à Billancourt une calandre conventionnelle suite au passage du radiateur de l’arrière à l’avant du moteur.

Reinastella RM1 1931 – berline usine © Renault.

Reinastella RM1 1931 – berline usine © Renault.

La Reinastella est une voiture qui coûte fort cher et qui se situe encore au même niveau que les Hispano ou les Rolls-Royce. La crise de 1929, qui atteint l’Europe  peu après, oblige Renault comme ses concurrents à proposer à ses clients devenus moins fortunés, mais restant aussi exigeants, des voitures tout aussi bien finies mais nettement plus abordables. L’idée d’une gamme homogène de voitures de luxe est née et se concrétise par l’arrivée des “Stella”. Celles-ci sont des voitures de grand standing, très standardisées,  se déclinant en plusieurs modèles à 8 ou 6 cylindres. La nouveauté, qui permet également de baisser les prix, est l’apparition de carrosseries usine, tout en laissant la possibilité au client de préférer une carrosserie extérieure, comme au temps de la 40 CV.

Vivastella PG7 berline usine 1933 © Renault

Vivastella PG7 berline usine 1933 © Renault

A l’aube des années 30, la gamme “Stella” se compose de la Reinastella (8 cyl de 7,5 litres), la Nervastella (8 cyl de 4,2 litres), la Vivastella (6 cyl de 3,2 litres) et même de la petite Monastella (6 cyl de 1,5 litre). Toutes sont traitées avec le plus grand soin. D’autres modèles apparaitront aussi en complément ou en remplacement : Reinasport, Nervasport, Primastella, Vivasport au cours des années. Il faut savoir qu’en général le suffixe “Sport” s’applique à un modèle dérivé du modèle “Stella” correspondant mais établi sur un châssis plus court, lui conférant un tempérament plus sportif.

L’AERODYNAMIQUE

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Publicité pour une Panhard Dynamic

Le milieu des années 30 voit l’apparition d’une tendance technique, mais surtout esthétique en fait: l’aérodynamique. L’idée est qu’une voiture carénée correctement doit permettre une meilleure pénétration dans l’air et donc une plus grande vitesse associée à une moindre consommation. On connait en particulier la Chrysler Airflow, pionnière du genre, mais qui arrive sûrement trop tôt pour connaître un succès commercial. Bien d’autres voitures de l’époque se rallient aussi à cette tendance, pensons par exemple à la 402 Peugeot ou à la Panhard Dynamic. En tout cas, toutes les carrosseries subissent peu ou prou une évolution liée à cette mode vers le milieu des années 30, rendant à jamais obsolètes les marchepieds apparents et les caisses carrées.

Chez Renault, on est adepte depuis toujours des solutions techniques éprouvées, comme les moteurs latéraux ou les freins à câbles, ce qui sera d’ailleurs souvent reproché, aussi est-il étonnant que l’on étudie alors des carrosseries aérodynamiques aussi osées que celles qui allaient devenir les “Grand Sport”.

LES PROTOTYPES GRAND SPORT

Des études sont entreprises à Billancourt afin de présenter au salon d’octobre 1934 des voitures “hyperaérodynamiques” susceptibles de créer un choc sur la clientèle et de stimuler les commandes. L’ingénieur Marcel Riffard, qui vient de chez l’avionneur Caudron, est chargé de la réalisation. Les voitures dépassent en nouveauté tout ce que l’on avait pu voir jusqu’alors et font vraiment sensation au salon, même si elles peuvent choquer certains. La suppression des marchepieds donne aux voitures une habitabilité inhabituelle qui permet d’asseoir 3 passagers de front.

Deux moteurs sont prévus: Un 8 cylindres de 4,8 litres de cylindrée et un 6 cylindres de 3,6 litres, tous deux issus des modèles conventionnels précédents.

Les 8 cylindres sont appelées Nervastella Grand Sport et sont du type Mines ABM1 ou ABM2 suivant la longueur du châssis (ABM2 pour châssis long). Les ABM1 sont proposées en berline, cabriolet 3 places plus spider et en coach décapotable à 6 places sous capote. L’ABM2 est une conduite intérieure à 9 places. Les prix s’échelonnent de 50 à 56000 F (en comparaison une petite Celtaquatre coûte alors 16500 F au même moment). Seules 7 voitures sont construites en tout.

Cabriolet Nervastella Grand Sport ABM1 © Renault

Cabriolet Nervastella Grand Sport ABM1 © Renault

Les 6 cylindres sont d’aspect très semblable (standardisation oblige), elles sont juste plus courtes de 25 cm à l’avant pour cause de moteur plus compact. Elles sont appelées Vivastella Grand Sport et sont du type Mines ABX ou ABZ suivant la longueur du châssis (ABZ pour châssis long). Les carrosseries proposées suivent celles des 8 cylindres et les prix vont de 39 à 44000 F. Seules 13 voitures sont construites en tout.

Berline Vivastella Grand Sport ABX © Renault

Berline Vivastella Grand Sport ABX © Renault

Il est jugé que ces voitures sont esthétiquement perfectibles avant d’être commercialisées et aucune commande n’est acceptée au salon. Durant tout l’hiver 1934/35 les voitures restent à l’usine et servent de base aux futures séries que Riffard met au point. En mars 1935, tous les moteurs 8 et 6 cylindres Renault bénéficient d’un accroissement de cylindrée (passage de l’alésage de 80 à 85 mm) et les prototypes sont munis des nouveaux moteurs pour essais. Les nouveaux 8 cylindres  atteignent maintenant 5,4 litres, 31 CV fiscaux, et fournissent 110 ch permettant aux voitures d’atteindre 145 km/h (4 litres, 23 CV, 80 ch et 130 km/h pour les 6 cylindres).

On ne sait pas trop ce que deviennent les prototypes par la suite, on sait cependant que certains font des apparitions en concours d’élégance et que d’autres sont vendus à des collaborateurs de l’usine comme voitures d’occasion (pas de gaspillage chez Renault!)

LES GRAND SPORT EN SERIE : Exercice 1934/1935

Lors de l’hiver 1934/35 l’équipe de Riffard travaille sur une carrosserie moins rondouillarde, moins bulbeuse, destinée aux Grand Sport qui doivent enfin être produites en série. Le résultat est particulièrement réussi, et si on peut un peu regretter la forte impression de puissance et d’agressivité que dégageaient les prototypes, la nouvelle carrosserie est maintenant d’une rare élégance. Elle conserve une exceptionnelle habitabilité, grâce bien sûr à la suppression des marchepieds, mais aussi grâce à un ingénieux levier de vitesses coudé qui permet d’asseoir 3 passagers sur la banquette avant. Elle retrouve un classique pare-brise plat, ce qui permet qu’il soit rabattable sur les décapotables.

Les voitures entrent en production en mars 1935, équipées dès le début du nouveau moteur de 85 mm d’alésage. On retrouve les types de carrosseries d’usine qui étaient déjà prévus pour les prototypes: berline, cabriolet-spider et coach décapotable, cela  en version 8 cylindres (Nervastella Grand Sport, type Mines ABM3) ou 6 cylindres (Vivastella Grand Sport ACX1), mais les versions longues à 9 places sont provisoirement abandonnées.

Coach décapotable Nervastella Grand Sport ABM3, avec Louis Renault au volant © Renault

Coach décapotable Nervastella Grand Sport ABM3, avec Louis Renault au volant © Renault

Les voitures sont très bien accueillies par la clientèle et les commandes vont bon train: 118 ABM3 et 980 ACX1 sont construites en 6 mois avant le changement d’exercice. Les Grand Sport se voient fréquemment dans les concours d’élégance où elles obtiennent de nombreux prix. Malgré la possibilité de fournir des châssis nus pour être habillés hors de l’usine, extrêmement peu de clients des Grand Sport choisissent cette solution. Il serait sans doute bien difficile à un carrossier de faire mieux ou même aussi bien que les carrosseries “Stella” d’usine pour un prix du même ordre.
Notons enfin que durant l’exercice, et même le suivant, des Renault 8 et 6 cylindres à marchepieds continuent à être construites pour les clients qui rechignent encore devant la modernité, mais la production de ces dernières est en nette baisse malgré un prix inférieur à celui des Grand Sport de 10% environ.

Les concurrentes de la Nervastella Grand Sport (d’après un document Renault qui établit des comparaisons chiffrées) sont les Delage D8-85, Chrysler Impérial Airflow 8 cylindres, Panhard DS Spécial et Panhard 8 cylindres… Toutes ces voitures sont plus chères que la Renault et indiquent le niveau de la nouvelle voiture. La Vivastella Grand Sport se frotte aux Ford V8 48, Hotchkiss 620, Chenard Aigle 8… un cran en dessous évidemment. S’il est vrai que les solutions techniques employées par Renault sont classiques et même en voie d’être dépassées dès 1935, il faut reconnaître que les voitures ne manquent malgré tout pas de qualités dynamiques. L’accélération fournie par le gros moteur latéral est plus qu’excellente et la vitesse de pointe très honorable, des comparaisons faites à partir d’essais d’époque en attestent. Quant au freinage mécanique, souvent décrié, il s’avère de très bon niveau lorsque la voiture possède un servo-frein, mais est effectivement seulement moyen dans le cas contraire. Des comparaisons chiffrées ont également été effectuées à partir d’essais publiés à l’époque. Toutes les 8 cylindres Grand Sport possèdent un servo-frein mais il faudra attendre février 1937 pour que les 6 cylindres en soient toutes munies.

Chrysler Airflow © 1diecastmodel.com

Chrysler Airflow © 1diecastmodel.com

LA GRANDE ANNEE DES GRAND SPORT: Exercice 1935/1936

Pour le salon d’octobre 1935, les Grand Sport, qui sont bien lancées, évoluent peu. Elles changent toutefois de nom et adoptent officiellement  les appellations courtes  Nerva Grand Sport pour le nouveau type Mines ABM5 qui remplace l’ABM3, et Viva Grand Sport pour le type ACX2 qui remplace l’ACX1. La principale différence visible avec les voitures précédentes est le remplacement à l’avant comme à l’arrière du pare-chocs en deux parties par une grande lame cintrée unique.

Une nouveauté est l’apparition d’une carrosserie supplémentaire d’usine: le coupé-spider, qui s’inspire du cabriolet mais dont le toit est rigide. Cette nouvelle carrosserie, élégante mais qui a les défauts d’une décapotable sans en avoir les avantages, a peu de succès et sera tantôt proposée tantôt supprimée jusqu’à la guerre. La production s’établit à 130 ABM5 et 3752 ACX2. La carrosserie la plus vendue est bien entendu la berline (qui représente 70% des 6 cylindres, mais seulement moins de 50% des 8 cylindres, pour lesquelles les clients plus fortunés hésitent moins à commander une décapotable), puis vient le coach décapotable un peu mieux vendu que le cabriolet, car il est bien plus habitable, le coupé et les carrosseries extérieures sont les moins vendus.

Cabriolet Viva Grand Sport ACX2 © Renault

Cabriolet Viva Grand Sport ACX2 © Renault

Renault fait pourtant un effort tout particulier envers les grands carrossiers de Paris en leur commandant 5 ABM5 spéciales destinées à renforcer le prestige de la marque lors du salon. C’est ainsi que Letourneur et Marchand, Fernandez et Darrin, de Villars, Binder et Labourdette laissent leur signature sur les 5 premières ABM5 de la série. Ces voitures (des décapotables, sauf la de Villars) sont plus qu’élégantes et remplissent leur rôle au salon, mais leurs prix (entre 71500 et 92000 F) les rendent très difficiles à vendre alors qu’un coach décapotable d’usine s’affiche à 52000 F “seulement”. Le coût très élevé des carrosseries extérieures est évidemment la raison principale du déclin des carrossiers indépendants.

L’exercice voit également une nouveauté importante: l’apparition d’un châssis long en version Grand Sport, on avait prévu cela pour les prototypes, mais l’idée était en sommeil. Ces versions sont nommées Nervastella , comme d’anciennes séries à marchepieds, en 8 cylindres (type Mines ABM4) et Vivastella, comme d’anciennes séries à marchepieds également, en 6 cylindres (type ADB1). Dans les deux cas le châssis est rallongé de 17 cm, ce qui profite à l’habitacle. Dans les deux motorisations deux carrosseries sont disponibles, avec ou sans séparation-chauffeur: une berline longue à 4 glaces, ressemblant beaucoup à une berline à châssis court, et une limousine 6 glaces avec strapontins permettant d’asseoir 8 personnes face à la route. Ces nouvelles Grand Sport longues se vendent bien, et relativement plus en 8 cylindres, car les clients des hauts de gamme apprécient souvent les limousines et voitures longues. 121 ABM4 sont construites ainsi que 804 ADB1.

Limousine Nervastella ABM4 © Renault

Limousine Nervastella ABM4 © Renault

LE PREMIER CHANGEMENT DE STYLE ET LA FIN DES 8 CYLINDRES : Exercice 1936/1937

Un an et demi seulement après le lancement en série des Grand Sport, elles subissent toutes un premier bouleversement esthétique. Tout l’avant est remanié pour recevoir une nouvelle calandre trapézoïdale à la place de la large calandre chromée “en coeur” montée auparavant. Le carénage des phares est modifié, le capot et les ailes avant subissent aussi des transformations. On reconnait maintenant très facilement une 8 cylindres d’une 6 cylindres (ce qui n’était pas toujours évident avec les voitures précédentes) au nombre de sorties d’air sur le côté du capot: 6 sorties encadrées par 7 motifs verticaux chromés sur les 8 cylindres contre 5 sorties et 6 motifs sur les 6 cylindres au capot plus court. Les roues passent de dimensions centimétriques à des dimensions internationales en pouces plus modernes. Les berlines et les coaches décapotables reçoivent une malle arrière.

Les nouvelles 8 cylindres sont maintenant la Nerva Grand Sport ABM7, qui remplace l’ABM5, et la Nervastella ABM6 , qui remplace l’ABM4. Les carrosseries d’usine restent les mêmes sauf que la Nervastella n’est plus disponible en berline longue, mais seulement en limousine. La crise rend ces voitures de luxe de plus en plus difficiles à vendre malgré des prix en baisse, et l’usine ne fait plus beaucoup d’efforts pour les promouvoir. En particulier la photothèque Renault, très riche pour les années précédentes, ne contient aucune photographie d’une ABM6. Renault finit par abandonner la production des 8 cylindres à la fin de l’exercice en juillet 1937 après avoir produit 104 ABM7 et seulement 46 ABM6.

 

Cabriolet Nerva Grand Sport ABM7 et toute la gamme au hall d'exposition Renault des Champs Elysées © Renault

Cabriolet Nerva Grand Sport ABM7 et toute la gamme au hall d’exposition Renault des Champs Elysées © Renault

Les nouvelles 6 cylindres redessinées du salon d’octobre 1936 sont la Viva Grand Sport ACX3 et la Vivastella ADB2. Comme en 8 cylindres, la Vivastella n’est plus disponible qu’en limousine, sinon on retrouve les carrosseries habituelles. Pour tout compliquer, en cours d’exercice l’ACX3 devient la BCX1 en adoptant un servo-frein qu’avaient déjà les 8 cylindres et les 6 cylindres longues, et l’ADB2 devient l’ADB3 en en adoptant un plus puissant. La production  s’établit à 391 ACX3 et 2296 BCX1 pour les Viva Grand Sport, et 191 ADB2 et 192 ADB3 pour les Vivastella.

Berline Viva Grand Sport ACX3 © Renault

Berline Viva Grand Sport ACX3 © Renault

Les ventes étaient plus difficiles, Renault songe alors à proposer une version dépouillée de la Viva Grand Sport à un prix attractif (26900 F contre 32900 F). Ces voitures se reconnaissent en particulier à l’absence de malle arrière (la roue de secours est simplement posée sur le panneau arrière) et à l’absence des portes d’ailes arrière. La série est appelée Vivasport, comme une ancienne série à marchepieds, et est du type Mines BCT1 au salon, puis BCY1 en cours d’exercice lors du montage d’un servo-frein comme sur la Viva Grand Sport. La Vivasport n’a pas de succès, la production donne 82 BCT1 et 426 BCY1 seulement. On peut penser qu’un client prêt à acheter une 6 cylindres préfère a priori la version luxueuse plus valorisante. Certaines administrations commandent malgré tout des Vivasport.

A la fin de l’exercice, par force, la Viva Grand Sport est maintenant le haut de gamme Renault. La crise et l’incertitude internationale ne favorisent pas la vente des voitures de luxe. Toutes les marques subissent semblables revers.

L’ANNEE TROUBLE ET LE RETOUR DES 8 CYLINDRES : Exercice 1937/1938

Comme on vient de le voir, il n’y a plus de 8 cylindres sur le stand Renault du salon d’octobre 1937, bien que la berline Nerva Grand Sport ABM7 subsiste au catalogue pour épuiser quelques stocks. La Viva Grand Sport assume son nouveau rôle d’étendard de la gamme Renault en devenant le type Mines BCX2, qui succède à la BCX1. Il est facile de reconnaître une BCX2 car, comme une Vivasport, elle est dépourvue de portes d’ailes arrière (mais tout en gardant la malle des voitures les plus luxueuses, ce qui permet du premier coup d’oeil de ne pas la confondre avec une Vivasport). Il faut cependant croire que cette nouvelle disposition déplait à la clientèle car seulement 216 BCX2 sont construites et  le modèle est presque aussitôt remplacé par la BCX3 qui retrouve les portes d’ailes en question et subit quelques changements mineurs comme un nouveau type de pare-chocs plus fin. Cette fois le succès revient, mais la production avec 1132 voitures ne retrouve pas le chiffre de 1936. Décidément rien n’est simple, car en fin d’exercice la Viva Grand Sport subit un nouveau changement d’ordre esthétique, qui annonce déjà les modèles de l’exercice suivant, la calandre change ses fines barres verticales pour de larges barres horizontales chromées, et des déflecteurs apparaissent sur les portières avant. Ce nouveau type BCX4 est produit à 136 exemplaires.

La Vivastella (seulement des limousines 8 places à 6 glaces en carrosserie usine) subit des évolutions parallèles à celles de la Viva Grand Sport. L’ADB4 du salon n’a pas de portes d’ailes, l’ADB5 qui lui succède presque aussitôt les retrouve. Production: 30 et 269 voitures. Si l’ADB5 subit des changements identiques à ceux observés sur la BCX4 en fin d’exercice, il n’y a toutefois pas de changement de type Mines.

La Vivasport continue sa modeste carrière en devenant le type BCY2 au salon, sans changement par rapport au type BCY1 de l’exercice précédent. Après une production de 181 voitures, elle disparait définitivement en février 1938 dans l’indifférence générale.

Un événement autrement intéressant intervient toutefois dans le haut de gamme Renault au cours de l’année 1938: on décide de reprendre une petite production de 8 cylindres. Malgré un contexte extrêmement défavorable, on peut penser que Louis Renault lui-même intervient pour que sa marque retrouve un haut de gamme de grande classe et que « L’automobile de France » soit présente sur tous les segments du marché automobile, mission qu’il s’est attribuée. Pour marquer une certaine rupture avec la Nerva Grand Sport qui avait été abandonnée, on décide que cette voiture aura une nouvelle appellation commerciale, ce sera Suprastella.

La Suprastella est prévue en 2 types de châssis: un châssis normal de 3,21 m d’empattement directement repris de la défunte Nerva Grand Sport ABM7 sur lequel sont prévues des carrosseries d’usine en berline, cabriolet-spider, coach décapotable, et coupé-spider, et un châssis nouveau, extra long, de 3,72 m d’empattement, réservé à des limousines de dimensions gigantesques. Le châssis court correspond au nouveau type Mines ABM8, tandis que le long devient le type BDP1. L’ABM8 ressemble beaucoup à l’ancienne Nerva Grand Sport à de petits détails esthétiques près qui rappellent ceux des Viva Grand Sport BCX4 qui sortent au même moment, comme la calandre à grosses barres horizontales. Une nouvelle décoration du côté du capot, avec les motifs chromés qui deviennent horizontaux, est aussi adoptée, ceci permet de reconnaître une Suprastella immédiatement, car cette particularité ne sera reprise sur aucune autre série. La BDP1 est absolument remarquable au moins dans ses dimensions, c’est la plus gigantesque voiture sortie de Billancourt depuis la Reinastella. Le compartiment arrière est si vaste que les portes arrière sont parfaitement symétriques de celles de l’avant.  Au niveau mécanique il n’y a rien de bien nouveau, les deux types de Suprastella reprennent toute la mécanique Nerva Grand Sport, le 8 cylindres latéral de 5,4 litres donnant 110 ch, la boîte 3 vitesses, l’essieu avant rigide et les freins mécaniques assistés: que du classique. Les premières Suprastella sont construites en avril 1938, mais au cours de l’exercice aucune ne quitte l’usine. Malgré une grande similitude avec les modèles précédents qui étaient pourtant parfaitement au point, elles subissent d’interminables essais et transformations que l’on peut suivre presque jour par jour sur certains documents. Ceci reste assez inexplicable. 15 ABM8 (6 berlines, 3 cabriolets, 5 coaches décapotables et 1 coupé) et 20 BDP1 sont construites durant l’exercice, mais comme dit, aucune ne quitte l’usine.

Suprastella BDP1 © Renault

Suprastella BDP1 © Renault

LES DERNIERES GRAND SPORT : Exercice 1938/1939

Autant l’année précédente est troublée et les modèles nombreux, autant la dernière année de production des Grand Sport retrouve une certaine sérénité.

La Viva Grand Sport aborde le salon d’octobre 1938 en devenant le type BDV1. Celui-ci rappelle le dernier type BCX4 de l’exercice précédent avec quelques modifications comme de nouveaux petits phares rapportés sur les ailes qui remplacent les gros phares intégrés précédents, ou un nouveau compteur de vitesses rectangulaire remplaçant les 2 anciens cadrans octogonaux ou encore l’installation d’un chauffage de série. La Viva Grand Sport a atteint la maturité, c’est une voiture bourgeoise très confortable et extrêmement soignée. Ses performances restent très honorables malgré des solutions mécaniques conservatrices. Son prix (43000 F en berline) est très concurrentiel, et elle se vend encore bien puisque 1128 voitures sont construites durant l’exercice qui s’achèvera par la déclaration de guerre.

Dans le même temps la Vivastella devient le type BDZ1 au salon en subissant des évolutions parallèles. 358 voitures sont construites.

Berline Viva Grand Sport BDV 1 – © Renault

Berline Viva Grand Sport BDV 1 – © Renault

Enfin, on retrouve la Suprastella dans ses deux versions qui ne changent pas de type pour le changement d’exercice. En plus des voitures déjà construites 9 ABM8 (1 berline, 4 cabriolets, 3 coaches et une carrosserie extérieure par Saoutchick) et 10 limousines BDP1 sont fabriquées avec les caractéristiques propres aux modèles 1939 comme les petits phares. Comme toutes les voitures sont encore à l’usine durant l’hiver 1938/39 la plupart de celles de la première tranche sont d’ailleurs modifiées en modèle 1939. Enfin, au printemps les Suprastella sont livrées aux clients.

La déclaration de guerre met un terme à la production des 6 et 8 cylindres chez Renault, le temps n’étant plus aux voitures de luxe. Un dernier modèle Suprastella BDP1 sera cependant construit en 1942 à partir d’éléments en stock afin de fournir une limousine décapotable d’apparat au Maréchal Pétain, cette superbe voiture sera carrossée chez Franay et aura une vie officielle très longue car elle servira nos chefs d’Etat successifs jusqu’à la fin des années 50.

EN CONCLUSION

Les Grand Sport ont un succès mérité avec un total de 582  8 cylindres construites et 12661 6 cylindres (incluant quelques séries marginales, comme des séries destinées au marché Britannique non décrites ici) durant les 5 années de production. Elles permettent à Renault de conserver une place enviée sur le marché du luxe automobile durant la seconde moitié des années 30, d’autant que leurs prix sont concurrentiels. Ce sont d’excellentes voitures très fiables et très bien finies, d’une élégance indiscutable.  Leurs mécaniques classiques contrastent quelque peu avec le modernisme de leurs lignes et cela leur sera toujours reproché, mais Renault privilégie toujours la simplicité synonyme de robustesse aux solutions complexes ou hasardeuses, et l’on sait cependant que des évolutions techniques sont prévues pour 1940 (comme les freins hydrauliques), la guerre ne permet hélas pas ces changements. La clientèle des Grand Sport est surtout bourgeoise mais l’étude de celle des 8 cylindres fait apparaitre aussi les plus grands noms de l’époque: Présidence, ministres, diplomates, généraux, grands industriels, membres de la noblesse, artistes, et de nombreuses personnalités étrangères, car Renault exporte les Grand Sport dans presque tous les pays du monde. Pour diverses raisons (montage de gazogènes durant l’Occupation, une consommation d’essence jugée trop importante dans les années suivant la guerre, un certain dédain des premiers collectionneurs envers la marque du fait de ses productions plus populaires ou à cause du conservatisme technique) très peu de Renault de luxe, et en particulier très peu de Grand Sport ont survécu. Cette rareté ajoute à l’ignorance que le grand public en a aujourd’hui. Cependant les quelques modèles survivants sont maintenant très recherchés et commencent à atteindre des prix très respectables et les amateurs s’intéressent de plus en plus à ces belles voitures.

Coach décapotable Vivastella Grand Sport ACX1 1935 © Renault

Coach décapotable Vivastella Grand Sport ACX1 1935 © Renault

Aujourd’hui il est bien dommage de constater que le plus haut segment du marché automobile est abandonné aux marques étrangères et depuis longtemps. La triste Régie n’a jamais su renouer avec les voitures de luxe que savait si bien faire Louis Renault pour le plus grand renom de “L’automobile de France”. Quel gâchis.

2 réflexions sur « Les Renault Grand Sport, par Marc Griselhubert »

  1. Patrice Pimoulle

    Il serait interessant d’etudier la genese des voitures prevues pour l’apres-guerre et figurant sur un schema de 1943. On voit Renault passer du conservatisme a la modernite: roues avant independantes, ressorts helicoidaux, avec a nouveau de tres belles carrosseries. les seules innovations importantes furent la 4 CV, mais aussi, il faut le reconnaitre, la Fregate a roues arrieres independantes, tres en avance sur son temps. Anoter egalement, en Amerique, Une Chevrolet ‘Cadet” qui rappelle curieusement les travaux de la Regie. Enfin, ayant moi-meme roule en Renault, j’avais ete surpris de la qualite du personnel de la maison; visiblement “l’esprit” a perdure longtemps. Et encore, l’interet de Louis Renault pour l’automobile americaine, Buick et Chevrole; Il avait raison. Les Chevrolet et Cadillac sont encore tres innovantes et remarquables. On aimerait des Renault comparables. Mais aujourd’hui Renault est “par terre”, selon Carlos Ghosn. Voila oua mene la “nationalisation”.

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  2. John Mc Wilde

    superbe histoire sur Renault mais toutes ne sont quand même pas des Renault ?, si oui j’en connais aucune. Merci de montré tout cela.

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