Louis Renault, bienfaiteur de Chausey
Le constructeur Louis Renault était devenu Chausiais. Il aimait à se réfugier dans la citadelle.
Connaissez-vous Louis Renault ? “Cher monsieur, ne vous aventurez pas sur ce terrain-là, répondait à notre journal, il y a quelques années, une Chausiaise d’un âge respectable, c’est encore un sujet tabou.”
Aujourd’hui, certains n’hésitent plus à honorer la mémoire du constructeur automobile. “Comme pour Marin Marie, on devrait lui donner le nom d’une rue à Chausey”, confie Bernard Pichard. Au-delà de cette impertinence un tantinet irrévérencieuse, le Chausiais croit dur comme fer à l’innocence de Louis Renault. Pour lui, pas de doute, l’ingénieur n’est pas coupable de collaboration économique lors de la Seconde Guerre mondiale. “À la libération, on lui a cherché des poux dans la tête. Il a payé pour tous les autres industriels. Mais une chose est certaine : les camions de la marque tombaient souvent “mystérieusement” en panne sur le front russe.” À Chausey, Bernard Pichard n’est pas seul à défendre Louis Renault. “En octobre 1944, Louis Renault est décédé, écrit Jean-Michel Thévenin, auteur d’un ouvrage sur Chausey. Les détails de cette mort sont aussi sombres que sordides, liés à la vengeance d’individus louches dont le prétexte était de faire rendre gorge aux collabos. Louis Renault collabo ! C’était aussi ridicule que Charles de Gaulle déserteur et condamné à mort en 1940 comme général félon.”
Il dépensait sans compter pour son île
Naturellement, d’autres ne partagent pas cet avis. “Je ne veux pas en parler”, affirme un autre Chausiais, rangeant dans les oubliettes de l’histoire “ce triste personnage”.
En revanche, tous sont d’accord sur un point : “Haï ou adulé, Louis Renault était devenu Chausiais, rappelle Jean-Michel Thévenin. Il fut conquis par Chausey, ébloui et décida tout de suite d’acheter”. Dès lors, le constructeur passa beaucoup de son temps dans l’Archipel et y laissa son empreinte. “On lui doit beaucoup. Il a investi de l’argent dans l’archipel”, rappelle Jean-Michel Thévenin. Il restaura l’ancienne forteresse, édifia le hangar à bateaux sous le sémaphore (aujourd’hui à l’abandon), construisit les granges de la ferme et les petites maisons des Blainvillais. “Il était le bienfaiteur de Chausey, résume Bernard Pichard : mon grand-père a même profité d’une aide financière de sa part quand il s’est porté acquéreur de l’hôtel du Fort.”
Loin de Paris, le chef d’entreprise faisait preuve d’une prodigalité sans limite pour son île et ses habitants. “Il a aidé beaucoup de femmes de pêcheurs”, assure Jean- Michel Thévenin. “On dit aussi qu’il conçut le prototype de la 4 CV dans son atelier à Chausey”, confie Bernard Pichard. Il est toutefois difficile d’en apporter la preuve. En revanche, il est certain qu’il fut très proche du monde de la pêche. “Mon grand-père, Charles, transportait tout son matériel de Granville à Chausey, rapporte Philippe Letouzey, président des collectionneurs granvillais. C’était un homme qui n’était pas très mondain, mais qui emmenait mon aïeul en mer.”
Bien que proche du peintre Marin Marie, Louis Renault ne lui apporta aucune aide pour la motorisation de ses bateaux. En revanche, d’après le Granvillais Eugène Lecossois, il fut d’un grand secours pour les pêcheurs et leur bisquine. “Il installa un moteur sur le Gagne-Petit, une unité appartenant à mon oncle, se souvient Eugène Lecossois. C’était la première fois qu’un bateau de pêche à voiles était motorisé à Granville. C’était en 1921.” Un second navire fut aussi doté d’un engin Renault. “Cette fois-ci, ce fut mon père qui en bénéficia”, précise le Granvillais.
Décidément, Louis Renault était omniprésent pour Granville et plus encore pour l’archipel de Chausey.