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Action de résistance du groupe O.C.M. des Usines Renault au cours de l’Occupation (1944)

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Un membre des F.F.I. des usines Renault devant une barricade en 1944.® APR Droits réservés

Analyse sommaire du document : Le texte suivant est un compte rendu des activités de la résistance du groupe Renault de l’Organisation civile et militaire (O.C.M.). Ce document, non signé, fait partie d’un dossier sur la résistance rangé dans les papiers de Jean-Louis Renault. Le contenu indique qu’il a été composé par les résistants de l’O.C.M. à la fin de 1944. En plus du texte que nous publions aujourd’hui, le dossier contient plusieurs photos prises lors des bombardements des 3 mars 1942 (Annexe I du texte original) et 4 avril 1943 (Annexe II), ainsi que deux photos non légendées mais sur lesquels on reconnaît des membres des F.F.I. lors de l’insurrection d’août 1944. Le dossier contient encore un organigramme des membres du groupe Renault de l’O.C.M. (voir ci-dessous) ainsi que plusieurs comptes rendus individuels rédigés par des membres de la résistance dont certains sont manuscrits (Raymond Delmotte, Robert de Longcamp, Jean Dupuich, Bozzalla, Gaston Leroux, etc.).

Le texte sur l’activité de l’O.C.M. Renault est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord parce que nous pouvons le confronter au document rédigé au cours de la même période par la direction de l’entreprise afin de justifier ses actes de résistance passive ; le compte rendu de l’O.C.M. corrobore certaines données mentionnées dans le texte de la direction ou, plutôt, ce dernier s’est probablement inspiré du précédent. Rien d’étonnant à cela car les principaux membres de l’Organisation civile et militaire du groupe Renault avaient des responsabilités importantes au sein de l’entreprise et dirigeaient des services clés, tel Astolfi qui s’occupait du département « Moteurs », Riolfo qui avait la haute main sur les essais, Robert de Longcamp, ancien directeur des usines du Mans, en charge les tracteurs agricoles, ou encore Picard, l’un des animateurs du bureau d’études…  En raison de leurs fonctions, Riolfo et Astolfi furent directement mêlés à la réparation de chars pour le compte de la société Daimler Benz, sujet qui est rapidement traité dans ce compte rendu… Enfin, les membres de l’O.C.M. évoquent l’arrestation de Riolfo et de Courtes par la Gestapo en 1943, mais omettent de rappeler qu’ils furent libérés grâces aux instances pressantes de Louis Renault auprès de la police allemande. Ce n’est que trente ans plus tard, que Riolfo en fit le témoignage à Gilbert Hatry, alors que le dossier d’instruction des années 40 mentionnait déjà cette intervention décisive. Picard n’en dit rien dans ses mémoires, or il ne pouvait ignorer ce fait, étant donné la place qu’il occupait au sein de l’O.C.M.

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Photo du bombardement du 3 mars 1942 prise par un résistant de l’entreprise. © APR

Il n’y eut pas chez Renault d’actions spectaculaires comme chez Peugeot où les installations furent sabotées à partir de novembre 1943, ce qui coûta très chers aux dirigeants de l’entreprise. Si l’on comprend bien le compte rendu suivant, un projet de sabotage de l’usine serait resté sans suite, faute d’ordres reçus par l’Etat-Major de l’O.C.M . Les responsables ont peut-être estimé que, dans la perspective de la prochaine libération du territoire, mieux valait ne pas détruire ce qui restait d’un outil industriel de premier plan. Les usines Renault participèrent d’ailleurs à l’effort de guerre allié et à la reconstruction du pays dès l’automne 1944.

Action de résistance

Du groupe O.C.M. des Usines Renault

Au cours de l’Occupation

Source: APR Dossier Résistance

INTRODUCTION

C’est une tâche difficile que de vouloir retracer l’histoire de la résistance. Par sécurité, les principaux acteurs n’ont pu conserver aucun document susceptible d’apporter aujourd’hui les précisions nécessaires à un exposé rigoureux. Il nous faudra donc uniquement nous baser sur des souvenirs et faire confiance à tous ceux qui apporteront un témoignage.

Ces témoignages ont été faits sous la foi du serment. Nous connaissons les hommes qui les ont fait pour les avoir appréciés dans les moments difficiles et nous pensons pouvoir leur faire totalement confiance.

Nous chercherons le plus souvent possible à recouper les témoignages pour leur donner une valeur indiscutable.

Enfin, si au sein des USINES RENAULT aucun des membres de notre Groupe n’est resté dans les mains de la Gestapo, il nous faut songer à ceux avec qui nous étions en liaison à l’extérieur des Usines et qui sont actuellement déportés en Allemagne. Chaque fois que nous parlerons d’eux nous ne citerons pas leur nom, mais simplement le pseudonyme ou le matricule qu’ils avaient dans la résistance active. Quand les hostilités auront pris fin, nous pourrons, dans un additif à ce travail, préciser l’identité de ces meilleurs d’entre nous.

L’action de la résistance aux USINES RENAULT n’a, à aucun moment, pris un caractère violent ou direct. Elle fut toujours une résistance passive, une guerre de franc-tireur travaillant dans l’ombre, un sabotage perpétuel.

Nous examinerons d’abord quelle était l’organisation du Groupe O.C.M. des Usines ; nous relaterons les difficultés que nous avons pu rencontrer au contact des 300 agents de la Gestapo qui étaient chargés de surveiller l’activité du personnel des Usines, et nous verrons ensuite avec le maximum de détails quelle fut l’action de chacun au cours de ces quatre années.

(Il manque peut-être ici une page, ndr)

1° – De renseigner les Armées Alliées sur l’Activité des Usines et le résultat des bombardements effectués,

2° – De freiner au maximum la production au service de l’ennemi,

3° – De diminuer la qualité du matériel livré,

4° – De lutter contre les déportations en Allemagne et de favoriser, par tous les moyens en son pouvoir, la résistance au boche et à Vichy.

Renseignements

Les renseignements sur l’activité des Usines :

– programmes,

– chiffres de production,

– difficultés d’approvisionnement en matières premières,

Furent transmis le plus souvent possible par l’intermédiaire de :

– FELIX,

Qui en était saisi par WITENBERGER,

– DELMOTTE,

Qui était renseigné par PICARD,

– « …7575 »

Qui a chacun de ses voyages à Paris emportait un rapport de Picard sur la situation générale,

– WERTEMER,

Qui recevait les indications de HYACINTHE ;

Mais le principal travail de renseignements fut effectué après les bombardements des 3/3/1942 et 4/4/1943.

  1. a) Bombardement du 3/3/1942

SANÇON prit de nombreuses photos des dégâts causés aux Usines par la R.A.F. ; en annexe à ce rapport nous avons joint des épreuves de ces photographies. 18.000 photographies furent tirées et vendues parmi les membres du personnel de l’usine qui les diffusèrent à l’extérieur, ce qui permit de contrecarrer la propagande vichyssoise qui affirmait, par la presse et la radio, qu’aucun objectif militaire n’avait été atteint.

Sans doute l’une des nombreuses photos prises par Sançon dans la clandestinité © APR

Par différentes voies que nous n’avons pu identifier, certaines de ces collections de photographies parvinrent à LONDRES.

La Gestapo, alertée par les collections qui circulaient dans le public, fit des descentes chez les photographes de BOULOGNE-BILLANCOURT. Le Commissaire de Police rechercha activement les clichés. SANÇON, alerté à temps par :

– LAURENT, atelier 307,

Arrêta le tirage pendant un mois et mit en sécurité les clichés.

En même temps, RIOLFO avait pris lui aussi des photographies qui furent transmises par PICARD à « …7575 » qui, du Nord, avait un moyen de les faire parvenir en ANGLETERRE. Malheureusement, à la première tentative de passage, les photos tombèrent à la mer. De nouvelles épreuves furent envoyées par la même voie.

Photo clandestine – bombardement du 3 mars 1942 © APR

« …7575 » était venu spécialement à PARIS après le bombardement. PICARD lui avait facilité la visite des Usines afin qu’il établisse le rapport des dégâts causés.

HYACINTHE transmit à WERTEMER des rapports très complets qui lui furent remis par MORON sur les travaux de déblaiements et la remise en état des ateliers.

  1. b) Bombardement du 4/4/1943

Après le bombardement du 4/4/1943, SANÇON prit à nouveau de nombreuses photographies des dégâts. Ces documents furent vendus au nombre de 32.000. Ils furent également transmis à LONDRES par des voies qu’il est impossible d’identifier.

« …7575 » fit à nouveau un voyage à PARIS et remporta des renseignements précis sur les effets du bombardement.

WITENBERGER, de son côté, avait fait parvenir à l’Etat-Major Allié, par l’intermédiaire de l’O.C.M., des réductions photographiques du plan des points de chute dans les Usines et dans BOULOGNE-BILLANCOURT. Les mêmes plans furent transmis par HYACINTHE qui les avait reçus de BILQUET.

Peu après, un message fut transmis à WERTEMER. Ce message demandait à l’Etat-Major des Forces Alliées de renoncer aux raids, l’Usine étant gravement touchée et la population ayant cruellement souffert.

Afin d’éviter le retour de tels bombardements, il fut envisagé de saboter les deux centrales de l’Usine et le poste de jonction avec la centrale de GENNEVILLIERS. Nous reviendrons sur cette partie de l’activité dans le chapitre « Sabotage ».

Carte indiquant les points de chute – bombardement américain du 4 avril 1943 © APR

  1. c) Bombardement du 15/9/1943

Le même travail de renseignement fut fait après le bombardement du 15/9 sur l’Usine O. où étaient concentrées les fabrications d’aviation. Cette fois, « …7575 » ne put venir faire une enquête sur place ; il avait été arrêté par la Gestapo le 19 Mai 1943 et était alors en traitement à l’hôpital de LILLE, à la suite des tortures qui lui avaient été infligées au cours des interrogatoires.

Freinage de la Production

Le freinage de la production fut la partie la plus importante de l’action de notre Groupe au cours de l’occupation. Il prit des formes multiples à tous les échelons de la hiérarchie. L’action la plus efficace fut effectuée au point de départ même par l’effort combiné du Bureau d’Etudes et des Départements chargés de l’exécution du travail.

Nous exploitâmes au maximum, dans ce but, la complexité de la règlementation allemande. Chaque fois qu’une commande de pièces détachées destinées à du matériel allemand était envisagée, nous cherchions à reculer le moment où la commande effective serait passée par les services allemands, en prenant prétexte de la destruction des dossiers de dessin lors du bombardement du 3 Mars 1942, des règlementations en usage dans la Wehrmacht ( ?), de la pénurie de métaux non ferreux et d’aciers spéciaux.

Connaissant la répugnance de l’Allemand à prendre des responsabilités personnelles, nous avons toujours tenu à leur faire endosser celle du changement des matières premières ; dans les entrevues que nous avions avec eux, nous leur marquions la gravité des décisions qu’ils avaient à prendre, si bien que pour des affaires secondaires, des commissions de spécialistes furent envoyées de BERLIN à PARIS. Ceux-ci hésitaient à leur tour à prendre position.

Nous citerons quelques exemples de cette action de retardement.

Une commande urgente de pièces détachées pour réparation de chars R.35, pour laquelle la Direction des Usines fut vivement sollicitée début Octobre 1942, ne fut jamais passée. En Mars 1944, après de multiples voyages, discussions essais et atermoiements, nous fûmes avisé que le matériel était déclassé et que la commande envisagée était désormais sans objet. On trouvera en Annexe III l’historique détaillé de cette affaire.

Il en fut de même chaque fois que les spécialistes allemands firent des propositions pour économiser les matières premières rares. Sauf dans le cas où l’adoption d’une matière de remplacement amenait une baisse de qualité telle qu’elle entraînait la mise hors de service rapide du matériel, aucun changement de matière n’a été spécifié sans la demande d’essai d’endurance prolongée, qui en retardait sérieusement l’application.

Tous les motifs pour reculer l’exécution des pièces d’essai étaient invoqués, en particulier les destructions dues aux bombardements, les difficultés d’approvisionnement et de transport.

Nous insisterons notamment sur le cas de 3 commandes de matériel passées en 1941 et qui n’avaient subi, au moment de la Libération, qu’un début d’exécution :

Il s’agit de :

– 1000 Groupes marins de 150 CV, destinés primitivement à l’équipement de péniches de débarquement qui devaient être construites par les chantiers BLOHM & VOSS à HAMBOURG.

– 200 moteurs 300 CV. destinés à des groupes de D.C.A. qui devaient être construits par la Société SIEMENS.

La discussion de la commande des 1000 Groupes marins commença le 15 Septembre 1941. Les premiers de ces groupes devaient être livrés en Mars 1942, la totalité avant fin Mars 1943.

L’action de freinage décrite plus haut fut menée dans cette affaire parallèlement par PICARD du Bureau d’Etudes et ASTOLFI, Chef du Département Moteurs aidé de Leroux, Chef de fabrication.

Les discussions sur les substitutions de métaux et les caractéristiques techniques du matériel traînèrent d’abord en longueur, puis l’exécution des prototypes fut retardée sous le prétexte que le bombardement du 3 Mars 1942 avait détruit une grande partie des pièces en fabrication. En Mai 1942, se rendant compte des difficultés qu’elle avait pour obtenir un résultat des Usines, la Kriegsmarine réduisait la commande de 1000 à 300 unités.

Fin juillet de la même année, l’O.K.M. de Paris intervenait violemment auprès de la Direction des Usines pour que les essais du moteur prototype soient enfin entrepris. De nouveaux retards furent apportés sous prétexte du manque de gasoil et d’huile de graissage ; en fait, les stock de l’usine étaient suffisamment importants pour mener à bien ces essais.

Le moteur prototype ne fut mis à la disposition de la Kriegsmarine qu’en Octobre 1942.

Pour freiner la sortie de la série, ASTOLFI allégua le manque d’outillage, les destructions de pièces dues aux bombardements des 3 Mars 1942 et 4 Avril 1943. Il fit rebuter, pour des causes multiples, des pièces qui, en temps normal, eussent été utilisées ; si bien que, fin juillet 1944, 73 moteurs seulement avaient été livrés sur les 1000 commandés (Annexe IV).

La commande de 200 moteurs 300 CV. destinée aux péniches d’assaut subirent (sic) des retards du même ordre et pour les mêmes raisons. Les défauts du moteur, qui avaient été corrigés avant Mai 1940, réapparurent et les remèdes trouvés alors ne furent pas appliqués. Les contrôleurs allemands se désespéraient quand ils constataient que les segments des pistons étaient rayés. Aucune solution ne fut proposée. Sur les 200 moteurs commandés en Octobre 1941, 21 seulement furent livrés.

L’action de freinage de la production prit, dans les ateliers, des formes multiples quoique d’une efficacité moindre.

En 1941, au Service Décolletage, sous l’impulsion de BOZZALLA, il y eût de nombreux arrêts de machines par défaut de pièces de rechange, les commandes de ces pièces étant oubliées systématiquement ou retardées dans leur exécution. 60 tours GRIDLEY furent immobilisés par manque de pignons de rechange.

Au département Artillerie, des machines à rectifier R.P.V., des machines de vilebrequins EDELSTAHLWERKE furent sabotées par addition d’iode et de poudre d’émeri à l’huile de graissage.

Sabotage de la production

Le sabotage de la production fut mené, lui aussi, à tous les échelons de l’Usine. Il consista pour les Services Techniques, à n’appliquer aucune des modifications que l’expérience révélait indispensables pour assurer un bon usage du matériel, et à retarder au maximum celles que les services techniques allemands imposaient. Nous citerons encore quelques exemples.

Les véhicules étaient munis d’un silencieux d’aspiration qui était suffisant pour l’utilisation en Europe occidentale. Dès les premiers jours de l’emploi du matériel en Russie, des usures considérables de moteurs se révélèrent par défaut de filtrage de l’air aspiré. Les services techniques ne prirent aucune initiative et attendirent que les Allemands imposent un filtre à air de fabrication allemande. Le démarrage de la production de ce filtre durant plus d’un an, pendant tout ce délai les véhicules livrés continuèrent à s’user avec une rapidité déconcertante.

En Décembre 1942, la Wehrmacht demanda que tous les véhicules furent (sic) équipés, suivant un règlement qui prévoyait, sous le nom « d’équipement tropical », une étanchéité parfaite aux poussières de tout le matériel. Cette application fut retardée jusqu’en Novembre 1943, si bien que la campagne d’Afrique était terminée depuis longtemps quand les premiers véhicules entrèrent en service.

(note en marge du paragraphe précédent : « à revoir)

En Avril 1942, après la désastreuse campagne de Russie de 1941/1942, des missions vinrent à PARIS pour imposer aux constructeurs Français le montage, sur leurs camions, d’un équipement d’hiver destiné à faciliter la mise en route par grand froid. Cet équipement ne fut appliqué sur le matériel de série qu’en Mars 1943.

Enfin, en février 1943, l’O.K.H.exigea le montage, sur tous les camions 3,5 T., d’une réchauffage de cabine pour rendre le véhicule plus habitable pour la troupe. Après de multiples discussions, essais, cet appareillage ne fut monté en série qu’en Mai 1944.

De même, les défauts que révéla l’utilisation en tous terrains d’un matériel conçu et exécuter pour rouler sur bonne route, ne furent corrigés qu’après de très longs délais. Nous exploitâmes, dans ce but, la réglementation allemande qui exigeait que toutes les propositions de modification fussent approuvées par BERLIN.

Entre DUPUICH et PICARD, il avait été convenu un circuit d’arrivée et de départ des notes allemandes qui, sous prétexte d’organisation, compliquait et retardait considérablement la transmission. Les notes étaient rédigées de façon suffisamment vague pour que des compléments d’information soient toujours demandés, ce qui, étant donné les longs délais des courriers entre PARIS et BERLIN, retardait les décisions. Ensuite, tous les motifs étaient invoqués pour allonger les délais d’exécution des décisions prises.

C’est ainsi que des accidents de pont arrière qui se révélèrent dès l’automne 1941, ne furent jamais corrigés.

Nous prîmes prétexte de la mauvaise qualité des roulements à galets que l’on trouvait en France, pour demander que les roulements fussent commandés à SHEINWFURT. Les bombardements massifs de l’aviation américaine sur les usines de cette ville firent reculer les délais de livraison de façon telle que jamais aucun roulement ne parvint à BILLANCOURT.

Au Département Moteurs, en Octobre 1941, ASTOLFI fit utiliser pour la fabrication des ressorts de soupape, des couronnes de fil qui avait été attaqué par l’oxydation. Systématiquement ces ressorts cassèrent et nous reçûmes les plaintes les plus amères du Haut commandement allemand. Un grand nombre de véhicules, au cours de la retraite de Russie de l’hiver 1941/1942, furent abandonnés par la suite de cet incident (Annexe V).

De nombreux ouvriers sabotèrent leur travail, surtout les opérations de montage. Fréquemment de la limaille fut trouvée dans la graisse des roulements à bille et des moyeux. Des huiles de qualité non appropriée furent utilisées dans les boîtes de vitesse et les ponts arrière. L’exemple le plus marquant de ce sabotage fut, au printemps 1944, le graissage des coussinets de pompe à eau avec de l’huile fluide au lieu de graisse. Ce sabotage entraîna de graves difficultés pour le déplacement des divisions allemandes vers la Normandie au moment du débarquement de Juin. La Division SS. Von Belinchigen, partie de Paris avec 200 camions A.H.N. neufs, n’arriva à Thouars qu’avec 7 véhicules seulement. Les 193 autres restèrent en panne, soit par grippage des pompes à eau, soit par destruction des garnitures de frein qui avaient, elles aussi, été l’objet d’un sabotage.

Ce fut un des rôles les plus délicats du Service Techniques de l’Usine et de PICARD, de prouver aux autorités allemandes, chaque fois qu’un sabotage était découvert, qu’il s’agissait d’incidents dus à la baisse de qualité des matières premières et des lubrifiants utilisés. Le manque de compétence des officiers allemands chargés de ces enquêtes, permit, dans tous les cas, d’éviter des sanctions sur le personnel des Usines.

En Mars 1944, sous l’impulsion de BOZZALLA et de CASSAGNES, le sabotage de deux centrales électriques de BILLANCOURT, des transformateurs des ateliers annexes RENAULT de St-DENIS et de la S.A.P.R.A.R. fut préparé. Ce sabotage avait pour but d’éviter un nouveau bombardement de BILLANCOURT. Au cours de cette préparation, BOZZALLA fit visiter les abords de la centrale au Capitaine NEVERS, à FELIX et à Jean BERLIET. Jamais l’ordre ne fut confirmé d’opérer cette destruction.

4° – Lutte contre la déportation du personnel en Allemagne.

A partir de Septembre 1942, notre Section O.C.M. entreprit la lutte contre la déportation en Allemagne du personnel. Nous nous organisâmes pour :

– favoriser le départ en ANGLETERRE d’ouvriers spécialistes qui faisaient défaut,

– procurer des fausses cartes d’identité et de faux certificats de travail à tous ceux qui voulaient échapper aux recherches de la Gestapo,

– placer en province, chez des fermiers ou des garagistes, les ouvriers à qui la situation de famille ne permettait pas de prendre le maquis.

Cette action fut menée par tous les agents de notre organisation. Il est impossible de dénombrer aujourd’hui la quantité des fausses cartes d’identité et des faux certificats de travail qui furent délivrés. Ces pièces d’identité nous arrivèrent d’abord de l’extérieur de l’Usine par l’intermédiaire de WINTENBERGER, de LONGCAMP, JEAN, FELIX. Puis elles furent fabriquées à l’intérieur de l’Usine. Les timbres furent d’abord dessinés à la main jusqu’au jour où nous pûmes nous procurer des timbres caoutchouc.

Le passage en ANGLETERRE des spécialistes était opéré par l’organisation « BRANDY-NORD » avec qui nous fûmes mis en contact par DE LONGCAMP. ASTOLFI et LEROUX se chargèrent d’assurer la liaison entre l’Usine et cette organisation. En Février 1943, par cette voie, PICARD permit à FOUQUET, pilote de la Société CAUDRON, de passer en Afrique du Nord.

Ce fut de LONGCAMP qui se chargea de placer en province les réfractaires. Visitant par suite de sa fonction de Chef de Service des Tracteurs agricoles de nombreux agents et cultivateurs, il put mettre sur pied un réseau de dispersion du personnel à travers la campagne, qui fonctionna très efficacement de Septembre 1942 à Juillet 1943.

5° – Propagande et intensification de la résistance

Tous les membres de l’organisation entreprirent, par la parole, autant que les circonstances le permettaient, une active propagande contre l’Allemagne et la politique du Gouvernement de Vichy.

A partir de 1943, la distribution des journaux clandestins et des tracts fut organisée dans l’Usine par BOZZALLA et CASSAGNES. Mensuellement, 4000 numéros de « L’AVENIR » et 4000 de « L’EFFORT » furent distribués dans l’Usine par les différents agents O.C.M. Ces journaux étaient livrés à BOZZALLA et rentraient à l’Usine par Mesdames MOREL Hélène et TOUCHE marguerite.

En 1944, BOZZALLA, entra en rapport avec Claude DESJARDINS pour collaborer à la rédaction de L’AVENIR et de L’EFFORT.

REPRESSION

Au cours de ces quatre années de lutte, nous eûmes à nous garder contre l’action des 300 agents de la Gestapo disséminés parmi le personnel de l’Usine. La souplesse de notre organisation nous permit d’effectuer notre tâche avec le minimum de dommages.

Le 19 Mai 1943 :

– RIOLFO et

– COURTES

Furent arrêtés par la Gestapo et incarcérés à la prison militaire du Cherche-Midi. Ils avaient été inculpés de « reproduction et diffusion de tracts gaullistes ». Malgré les perquisitions faites à domicile et l’interrogatoire de la dactylo qui avait reproduit les tracts, la Gestapo ne put faire la preuve de l’accusation. La machine à écrire qui avait servi à cette opération avait été changée en temps voulu par les soins d’ASTOLFI. RIOLFO et COURTES furent relâchés le 3 juillet 1943[i].

Le 1er Avril 1944,

– BOZZALLA,

– DUCHEZ,

– MARESQUET,

– DELLETTRE,

– SANÇON,

– Madame MOREL,

Furent arrêtés pour infraction aux lois des 27 Octobre 1940 et 25 Octobre 1941.

Le service de sécurité de notre organisation ayant normalement joué, les preuves furent détruites avant les perquisitions et tous les inculpés furent mis en liberté surveillée après une détention à la Santé variant de 4 jours à 2 mois ½.

A aucun moment cette action répressive ne ralentit l’activité des agents O.C.M. On peut estimer qu’étant donné le travail effectué, nos difficultés avec la Gestapo et la police de Vichy furent réduites au minimum. Ce résultat remarquable fut obtenu grâce au cloisonnement de nos différentes cellules à l’intérieur de l’Usine. De nombreux agents travaillèrent côte à côte sans, à aucun moment, soupçonner quelle était leur action réciproque et qu’ils agissaient pour une organisation commune. Les réunions indispensables entre les membres de l’Etat-Major se faisaient dans le cadre de l’activité professionnelle, afin d’éviter tout soupçon de la part des agents ennemis.

PERIODE D’INSURRECTION

A l’approche de la période d’insurrection, l’O.C.M. étendit son réseau sur l’Usine. BOZZALLA donna pour mission à chaque chef de secteur de former 10 hommes, chacun de ceux-ci devant, à son tour, en recruter 10 autres.

Le déclenchement de l’insurrection, en pleine période de désorganisation de l’Usine par suite de l’ouverture de chantiers extérieurs, mise en congé du personnel au mois, difficultés de transport, et le manque d’armement ne permirent pas d’entreprendre à l’intérieur de l’Usine l’action qu’on aurait pu espérer.

Cependant, dès le 19 Août au matin, sur l’initiative d’ASTOLFI et du Capitaine BONHOMME, (barré et remplacé à la main par : « et sous-commandant du Lt Motte »), les portes de l’Usine furent ocupées par le corps-franc F.F.I. de l’O.C.M. de BOULOGNE-BILLANCOURT.

Au cours de cette période se distinguèrent brillamment :

le Capitaine BONHOMME,

– le Sergent Chef FELIX,

– le sergent GROS,

– le Caporal Chef Gougne.

Le détachement F.F.I. assura la police et la garde de l’Usine pendant toute l’insurrection, en liaison avec (« et sous le contrôle) des formations F.F.I. de BOULOGNE-BILLANCOURT.

Dans la nuit du 24 au 25 Août 1944, des Allemands en retraite s’étant infiltré dans l’Usine, un groupe composé de :

– Sergent Chef FELIX,

– Caporal Chef GOUGNE,

– Quartier Maître CARPENTIER,

– Sergent DURIN,

– 2ème Classe MINNE,

– 2ème Classe AUGER,

– 2ème Classe ALBERT,

– 2ème Classe Lhuillier,

Partit à leur recherche et parvint à les désarmer. 12 prisonniers furent faits dont un capitaine.

D’autres Allemands qui s’infiltrèrent par la suite furent à leur tour faits prisonniers après quelques coups de feu.

Au total, 21 soldats et un Capitaine furent faits prisonniers. 3 blessés furent pansés à l’infirmerie de l’Usine.

Les membres de notre organisation qui étaient éloignés de l’Usine par suite des circonstances, se mirent à la disposition des Unités F.F.I. de la région où ils se trouvaient.

CASSAGNES fut affecté par le Capitaine JACQUINOT du Sous-secteur n°8 de ROSAY-en-BRIE, au Groupe GOUSSARD de LUMIGNY d’où il rapporta la citation suivante :

Passé au Groupe Général F.F.I . de PARIS.

PEZARCHES (S. & M.) – Août 1944/Septembre 1944.

Période du 27 au 30 Août :

En patrouille dans les bois avec des soldats américains, dans la région de PEZARCHES (S. & M.), le F.F.I. Georges CASSAGNES (Groupe GOUSARD de ROSAY-en-BRIE), après un court engagement, fait 4 prisonniers, un blessé, un sous-officier tué.

Résultats de diverses patrouilles en collaboration : 103 prisonniers et blessés divers, internés à la Mairie de PEZARCHES ; gardés, soignés et évacués par l’Armée américaine.

Venant F.F.I. Groupe JEANNE D’ARC XIII, secteur sud.

Le 7 septembre 1944

Le Commandant S/Secteur n°8

Signé : JACQUINOT

Le Chef de Groupe :

Signé : GOUSSARD

Vu et conforme :

Le Maire : signé BOURGEOIS

De même, BOZZALLA qui après sa libération de la Santé, avait rejoint le maquis d’Auvergne (Section THIERS), agit dans cette région où il fut nommé Sous-lieutenant de la Milice Patriotique.

Le soldat DELLETTRE collabora avec les premiers chars alliés à l’action contre le centre de résistance allemand des INVALIDES.

En Annexe, nous avons joint les rapports établis par certains (la suite du texte est manquante, ndr).

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Organigramme du groupe O.C.M. La légende porte : les personnes dont le nom est ombré n’appartiennent pas aux usines Renault © APR

[i]. Pas un mot, nous l’avons dit, sur l’intervention de Louis Renault qui permit pourtant de libérer ses collaborateurs des griffes de la Gestapo.