Réhabiliter Louis Renault ?
Un procès de l’épuration
Soixante-six ans après la nationalisation, les héritiers Renault attaquent l’Etat en justice pour contester la nationalisation-sanction de 1945 de l’entreprise, taxée de collaboration, alors que ses usines avaient été réquisitionnées par la Wehrmacht. Huit héritiers du constructeur – les petits-enfants de Louis Renault – ont déposé une assignation devant le tribunal de grande Instance de Paris afin de contester l’ordonnance de confiscation du 16 janvier 1945, qui transforme l’entreprise familiale en une Régie nationale, sans que Louis Renault, décédé le 24 octobre 1944 à la prison de Fresnes, n’ait été jugé.
« On a décidé de remettre en cause la nationalisation-sanction, de façon à pouvoir enfin ouvrir le débat et pouvoir rétablir la vérité », déclare clairement Hélène Dingli-Renault.
L’ordonnance de confiscation « est contraire aux principes fondamentaux du droit de la propriété », souligne Me Thierry Lévy, qui a déposé une question prioritaire de constitutionnalité. Et si elle est inconstitutionnelle, le tribunal pourra dire que la nationalisation constituait une « voie de fait »…
Cette assignation est la conséquence du nouveau droit ouvert par l’instauration, en mars 2010, de cette question priorité de constitutionnalité, qui permet de contester devant le juge constitutionnel une disposition législative.
Leur plainte le précise, les héritiers de Louis Renault veulent voir « réparer le préjudice ayant résulté de la dépossession de l’ensemble des biens, droits et participations » de leur grand-père.
Cette indemnisation « sera utilisée, ma famille et moi-même sommes tout à fait d’accord, pour créer une fondation Louis-Renault, de façon à ce que ce nom ne soit plus honni comme il l’a été pendant soixante-dix ans », précise Hélène Dingli-Renault.
« Mon mari a eu accès à des archives inédites, le dossier de justice de Louis Renault qui est vide des faits dont on l’accusait. Il a eu accès aux dossiers de la préfecture de police de Paris, il a consulté les archives de l’entreprise, il a consulté les archives du parti communiste, et j’en passe. C’est un travail sérieux qui est inattaquable au niveau de la réalité historique », explique-t-elle, en soulignant que les détracteurs « ne peuvent absolument pas amener la preuve de la culpabilité de Louis Renault ».
En 1959, les héritiers avaient certes été déboutés d’une demande d’indemnisation par le tribunal administratif qui avait estimé que « le transfert de propriété » édicté par l’ordonnance de 1945 « ne permet(tait) pas aux héritiers d’invoquer un droit de propriété mais un simple droit de créances ». Le tribunal avait cependant précisé qu’il ne lui revenait pas d’apprécier « ni la constitutionnalité, ni l’opportunité » de l’ordonnance de 1945.
L’année dernière en revanche, la justice avait condamné le centre de (la) mémoire d’Oradour-sur-Glane à retirer une photo montrant Louis Renault entouré d’Adolf Hitler et de Hermann Göring au salon de l’auto de Berlin en 1939, avec une légende dénonçant la collaboration de l’entreprise.
La justice leur avait donné raison, d’abord parce que la photo, censée illustrer l’Occupation, avait été prise avant-guerre ; et ensuite parce que la légende imputait à Louis Renault « une inexacte activité de fabrication de chars » pendant la guerre.
Les héritiers soulignent encore que, dans une intervention en date du 19 février 1946, le garde des sceaux Pierre-Henri Teitgen soulignait que « la personnalité des peines, instituée par la Révolution de 1789, s’oppose à des confiscations post-mortem ». Autrement dit, en cas de décès de personnes poursuivies à la Libération pour intelligence avec l’ennemi (ce qui reste à démontrer dans le cas de Louis Renault), « aucune mesure de confiscation ne peut, selon la légalité républicaine, leur être appliquée ».
Me Lévy considère ainsi que la confiscation ne pouvait être prononcée qu’après un jugement de condamnation définitif. Et il dénonce une « irrégularité grossière » par laquelle l’Etat s’est attribué « l’ensemble des droits et des biens ayant un lien avec l’exploitation des usines Renault ».
Certains n’en commencent pas moins à crier au révisionnisme. Il est vrai que les communistes n’ont sans doute aucune envie d’apprendre comment se passaient les interrogatoires que les FTP ont fait subir à Louis Renault dans sa prison.
Il est vrai que si l’on commence à ouvrir les dossiers de la Libération qui sommeillent encore, certains vont trembler dans leurs braies.
En attendant, la dénonciation de l’Epuration de 1945 (au moins en ce qui concerne Louis Renault) au nom des principes de 1789 risque d’être un grand moment. Mon père aurait apprécié.