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Le Monde Magazine, 8 janvier 2011, par Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder

Capture d’écran 2015-12-28 à 11.18.42Renault.

La Justice révise les années noires, 8 janvier 2011

En 1944, Louis Renault mourait à la prison de Fresnes, accusé de collaboration. Ses petits enfants se battent pour réhabiliter le constructeur automobile.

“La collaboration politique et industrielle”, indique le bandeau. Dessous, quelques photos en noir et blanc. Sur la première, René Bousquet, secrétaire général à la police du gouvernement de Vichy, prête serment devant le maréchal Pétain en 1942. La deuxième ontre Bousquet conversant avec le général SS Karl Oberg, chargé des relations avec la police française sous l’Occupation. A la place de la troisième, un large cache noir.

Sur décision de Justice, le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) a dû retirer de son exposition permanente l’image où figuraient l’industriel Louis Renault et Adolf Hitler, prise au Salon de l’automobile de Berlin en 1939, ainsi que la légende qui l’accompagnait: “Louis Renault, “une seule chose compte : moi et mon usine”, fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la Libération.”

En juillet 2010, la cour d’appel de Limoges a donné raison aux petits-enfants de l’industriel, qui estimaient que cette photo, dans le contexte d ela visite du village martyr d’Oradour, portit atteinte à la vérité historique et constituait de ce fait un “trouble manifestement illicite”. Dans leur arrêt rendu en juillet, les juges de Limoges relèvent que “la présentation de Louis Renault comme l’incarnation de la collaboration industrielle” au moyen d’une photo anachronique et d’un commentaire lui attribuant une “inexacte activité de fabrication de chars (…) dans un contexte de préparation du visiteur à la découverte brutale des atrocités commises le 10 juin 1944 par les nazis de la division Waffen SS das Reich, ne peut manquer de créer un lien historiquement infondé entre le rôle de Louis Renault pendant l’Occupation et les cruautés dont furent victimes les habitants d’Oradour-sur-Glane”. Il s’agit, souligne l’arrêt, d’une “véritable dénaturation des faits”.

Au coeur de cette histoire, on trouve une femme chaleureuse, Hélène, et son demi-frère Louis, deux des huit enfants de Jean-Louis Renault, fils unique du fondateur de l’entreprise nationalisée à la Libération. Depuis dix ans, ces deux-là défendent la mémoire de ce grand-père qu’ils n’ont pas connu, mort à la prison de Fresnes, le 24 octobre 1944, sans avoir été jugé.

Héritage douloureux

“A la maison, on n’en parlait jamais”, dit Hélène. Une fois, se souvient-elle, sa mère a demandé à Jean-Louis Renault: “Mais pourquoi ne parles-tu jamais de ton père ? Il a fondu en larmes et la question n’a plus jamais été posée. Il a voulu nous préserver”. Jean-Louis est mort en 1982, laissant à ses quatre épouses et à ses huit enfants, aujourd’hui âgés de 66 à 32 ans, son silence en hértage.

Agé de 24 ans à la Libération, ce fils unique, destiné à prendre la succession paternelle, ne s’est jamais remis de l’opprobre jeté sur son nom… au point de ne jamais rouler en Renault. “Notre père, c’est l’errance”, dit Hélène. Ses enfants évoquent le parcours professionnel chaotique qui l’a mené d’une tentative industriel dans la “déshydratation de la luzerne” à l’organisation de croisières pour gens fortunés à bord du bateau familial.

“Jamais Louis Renault n’a accepté de fabriquer des chars pour les Allemands.”

Laurent Dingli, Historien

Pour ses enfants, l’héritage est lourd, douloureux. “Au lycée, j’apprenais que j’étais la petite-fille d’un collabo. Cela m’était insupportable, mais je n’avais pas de preuves du contraire”, raconte Hélène. Quelques années plus tard, elle rencontre un historien, Laurent Dingli, auteur d’une biographie de Colbert qu’elle convainc de s’intéresser à son grand-père. Il s’en suivra un mariage et une biographie très documentée de Louis Renault, que Laurent Dingli publie en 2000 chez Flammarion. Elle remet en cause le rôle joué par l’industriel sous l’Occupation. “Jamais, explique-t-il, Louis Renault n’a accepté de fabriquer ni de réparer des chars pour les Allemands. Il n’a pas cédé à l’ultimatum de la Wehrmacht en août 1940. Si des chars ont été réparés, c’était dans des ateliers réquisitionnés par l’occupant”.

Peu après la sortie du livre, Hélène Dingli et Louis Renault apprènnent qu’une photo de leur grand-père illustre l’exposition permanente d’Oradour, inauguré en 1999. Ils écrivent au directeur du centre. “On pensait que ça s’arrangerait à l’amiable, mais après avoir essuyé beaucoup de réponses dilatoires, on a décidé de recourir à la voie judiciaire.” Un premier procès en référé les oppose en octobre 2009 au Centre de la mémoire. “C’était comme si le mal s’attaquait au bien. On passait pour des révisionnistes”, se souvient Louis Renault. Leur demande est rejetée au motif que “la vérité historique contemporaine considère que les usines Louis Renault collaborèrent à l’effort de guerre du Reich”. Conseillé par l’avocat parisien Thierry Lévy, qui se passionne pour leur histoire, ils décident de faire appel et obtiennent gain de cause.

Ce combat pour la réhabilitation morale de Louis Renault est devenu le ciment d’une fratrie dispersée. Ils espèrent rouvrir le débat historique sur le rôle de leur grand-père, et donc sur la nationalisation-sanction prononcée par l’ordonnance du 16 janvier 1945 qui, dans son exposé des motifs, indiquait que Louis Renault avait mis “ses usines à la disposition de la puissance occupante”. Ils assurent que leur démarche n’est motivée par aucun intérêt financier. “Qu’on ait nationalisé, pourquoi pas ? Mais pas au mépris de la vérité historique, dit Louis. Si la réhabilitation doit passer par des poursuites contre l’Etat, eh bien, on attaquera l’Etat !” Les petits-enfants de l’industriel ont conscience que leur initiative bouscule la mémoire nationale. “Personne n’a intérêt à rouvrir ce débat,soupire Louis Renault, sauf nous.”

Controverse

Les historiens en désaccord

Le comportement de Louis Renault entre 1940 et 1944 divise les historiens. Certains auteurs, dont les travaux font par ailleurs autorité, sont formels. Dans La France sous l’Occupation, 1940-1944 (Flammarion, 2004), Julian Jackson écrit que Renault fait partie des industriels qui “se firent un plaisir de fournir tout ce que les Allemands désiraient”. Dans La France à l’heure allemande (Seuil, 1995), Philippe Burrin affirme que Renault, comme d’autres que lui, “décidés à faire tourner leur usine coûte que coûte”, a “offert” de “fabriquer du matériel militaire”. Il cite le témoignage de l’ancien ingénieur Fernand Picard dans son Epopée de Renault (Albin Michel, 1976) dont il extraie cette phrase qu’aurait prononcée l’industriel: “Une seule chose compte, moi et mon usine.” Dans sa biographie, Louis Renault (Flammarion, 2000), Laurent Dingli conteste l’authenticité de cette phrase. Sans faire de Renault “un grand résistant”, il souligne que l’industriel, à l’époque très affaibli physiquement, s’est heurté aux Allemands à plusieurs reprises. Autre biographe de Renault (Plon, 1998), Emmanuel Chadeau ne nie pas “les attitudes pour le moins ambiguës” de l’industriel et de son entourage sous l’Occupation, mais qualifie de “légende” l’affirmation selon laquelle il aurait proposé aux Allemands de fabriquer des chars à l’été 1940. Renault, selon lui, est “à mi-chemin entre l’industriel “collabo” frénétique (…) et celui qui préfère se saborder plutôt que de toucher un centime d’une fabrication destinée à l’occupant”.

Pascale Robert-Diard, Thomas Wieder

Le Monde, par Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder, 12 mai 2011

Les héritiers Renault assignent l’Etat en justice

monde_2Lundi 9 mai 2011, les huit petits-enfants de l’industriel Louis Renault ont déposé, devant le tribunal de grande instance de Paris, une assignation destinée à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation-sanction prononcée à la Libération contre le constructeur automobile, qui deviendra la Régie nationale des usines Renault.

Cette assignation est l’une des conséquences inattendues du nouveau droit ouvert par l’instauration, en mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet de contester devant le juge constitutionnel une disposition législative.

Les huit enfants du fils unique de Louis Renault, Jean-Louis, mort en 1982, font valoir que l’ordonnance du 16 janvier 1945 porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels, dont le droit de propriété, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la personnalité des peines, la présomption d’innocence et les droits de la défense.

Au lendemain de la libération de Paris, en septembre 1944, Louis Renault avait été arrêté et emprisonné à Fresnes sous l’accusation de “collaboration avec l’ennemi”. Malade, aphasique, l’industriel était mort en détention le 24 octobre sans avoir été jugé. Moins d’un mois plus tard, le 16 novembre, le projet d’ordonnance “portant confiscation et nationalisation des usines Renault” était soumis aux membres du gouvernement provisoire de la République française.

“IRRÉGULARITÉ GROSSIÈRE”

Les contestations des héritiers de l’industriel – son épouse et son fils – devant le tribunal administratif, en 1959, puis devant le Conseil d’Etat, avaient ensuite été rejetées au motif que l’ordonnance de 1945 ayant désormais statut législatif, elle ne pouvait être remise en cause ni par le juge administratif ni par le juge judiciaire. C’est ce verrou que vient de faire sauter la QPC.

Les petits-enfants de Louis Renault appuient leur démarche sur des documents dénichés dans les archives des débats de l’Assemblée nationale. Dans une intervention en date du 19 février 1946, le garde des sceaux de l’époque, Pierre-Henri Teitgen, soulignait que “la personnalité des peines, instituée par la Révolution de 1789, s’oppose à des confiscations post mortem”. En clair, en cas de décès des personnes poursuivies à la Libération pour intelligence avec l’ennemi, “aucune mesure de confiscation ne peut, selon la légalité républicaine, leur être appliquée”.

Photo de1899 montrant Louis Renault au volant de sa voiturette ® AFP/OFF

Photo de1899 montrant Louis Renault au volant de sa voiturette ® AFP/OFF

C’est l’argumentaire que reprend aujourd’hui Me Thierry Lévy, l’avocat des héritiers Renault. Dans son assignation, il considère que la confiscation ne pouvait être prononcée qu’après un jugement de condamnation définitif. Une “irrégularité grossière”, selon l’avocat, par laquelle l’Etat s’est attribué “l’ensemble des droits et des biens ayant un lien avec l’exploitation des usines Renault”, et qui ouvre droit à réparation du préjudice matériel et moral des héritiers.

Lire l’intégralité de l’article dans l’édition Abonnés du site et dans Le Monde daté du 13 mai 2011 disponible dans les kiosques ce jeudi.

Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder

 

Le Figaro du 14 décembre 2011, “Les héritiers Renault demandent réparation”, par Marie-Amélie Lombard

Capture d’écran 2015-12-28 à 11.05.47Sept petits-enfants de Louis Renault contestent la nationalisation de l’entreprise en 1945.

Les héritiers Renault demandent réparation

L’attitude de Renault pendant la guerre, les accusations de collaboration avec l’Allemagne nazie, sa nationalisation-sanction en 1945: c’est un large pan de cette histoire controversée qui va s’ouvrir aujourd’hui devant la justice. Les héritiers de Louis Renault contestent en effet la confiscation de l’entreprise en janvier 1945, qui aboutira à sa transformation en Régie nationale. Ils veulent obtenir réparation et ont assigné l’État devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Une démarche dénoncée comme «une falsification de l’histoire de l’Occupation» et une «tentative de réhabilitation» par leurs adversaires.

Les sept petits-enfants de Louis Renault, fondateur avec son frère de l’entreprise de Boulogne-Billancourt en 1898, attaquent l’ordonnance prise le 16 janvier 1945 par le gouvernement provisoire de la République française. Selon leur avocat, Me Thierry Lévy, ­cette «nationalisation a revêtu un caractère unique et sans précédent». «Aucune autre entreprise n’a fait l’objet d’un pareil traitement, même parmi celles dont les dirigeants ont été condamnés par la justice pour des faits de collaboration», poursuit Me Levy. Arrêté en septembre 1944, Louis Renault est mort un mois plus tard en prison. Sans avoir été jugé.

Avant que le fond ne soit abordé, plusieurs questions juridiques seront examinées. Selon les héritiers Renault, la confiscation en 1945 constitue une «voie de fait» en violant le droit de la propriété, droit constitutionnel. Ils se servent donc de la possibilité offerte par la récente question prioritaire de constitutionnalité pour la contester. Le TGI de Paris choisira de transmettre ou non la question à la Cour de cassation.

Sans chiffrer son éventuel préjudice, la famille Renault dresse la liste des biens confisqués sans aucune indemnisation. Le fondateur possédait 96,8% de sa société, qui, outre «les usines dites de Billancourt et du Point-du-Jour», comprenait des terrains et bâtiments en Savoie, des «brevets, licences d’exploitation, procédés de fabrication», une succursale à Vilvorde, en Belgique, des immeubles sis aux 51 et 53 avenue des Champs-Élysées et des usines au Mans, pour ne citer que les principaux biens.

Avant même que la justice ait tranché sur la légalité de la procédure, la question du comportement de Renault sous l’Occupation agite les historiens. Déjà, en 2010, les héritiers du constructeur avaient intenté une action en justice au Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, qui présentait une photo de Louis Renault en compagnie de Hitler et Göring au Salon de l’automobile de Berlin en 1939. La photo avait été retirée de l’exposition car n’ayant pas de lien direct avec le massacre perpétré en 1944 dans cette commune du Limousin.

Un sujet abordé avec prudence

Parmi les tenants de la thèse de la collaboration volontaire et active figure la CGT-métallurgie et une fédération d’anciens déportés, ainsi qu’une historienne, professeur à Paris-VII et connue pour son engagement communiste, Annie Lacroix-Riz. Au CNRS comme à l’École des hautes études en sciences sociales, le sujet est abordé avec prudence (lire ci-dessous). Ainsi, pour Henry Rousso, directeur de recherche au CNRS, «Renault a indéniablement fait l’objet d’un traitement particulier. C’est la seule nationalisation-sanction prononcée. Les autres répondaient à des motivations économiques ou ont donné lieu à des indemnisations». Henry Rousso rappelle «la dimension fortement symbolique de Renault», avec le Front populaire, la répression des grèves de 1938 puis l’Occupation. «Renault a travaillé pour l’économie de guerre allemande. Avec quel degré d’enthousiasme ou de contrainte? Cela reste largement à étudier», estime encore l’historien. Également directeur de recherche au CNRS, Denis Peschanski note cependant que «Peugeot et Michelin ont, eux, noué des contacts avec les Alliés et la Résistance intérieure, ont mis en place un sabotage intelligent, des actions clandestines et ont aussi négocié secrètement le non-bombardement de leurs usines. Ce que n’a absolument pas fait Renault».

La Manche Libre, avril 2011

Capture d’écran 2015-12-28 à 11.02.14Louis Renault, bienfaiteur de Chausey

Le constructeur Louis Renault était devenu Chausiais. Il aimait à se réfugier dans la citadelle.

Connaissez-vous Louis Renault ? “Cher monsieur, ne vous aventurez pas sur ce terrain-là, répondait à notre journal, il y a quelques années, une Chausiaise d’un âge respectable, c’est encore un sujet tabou.”

Aujourd’hui, certains n’hésitent plus à honorer la mémoire du constructeur automobile. “Comme pour Marin Marie, on devrait lui donner le nom d’une rue à Chausey”, confie Bernard Pichard. Au-delà de cette impertinence un tantinet irrévérencieuse, le Chausiais croit dur comme fer à l’innocence de Louis Renault. Pour lui, pas de doute, l’ingénieur n’est pas coupable de collaboration économique lors de la Seconde Guerre mondiale. “À la libération, on lui a cherché des poux dans la tête. Il a payé pour tous les autres industriels. Mais une chose est certaine : les camions de la marque tombaient souvent “mystérieusement” en panne sur le front russe.” À Chausey, Bernard Pichard n’est pas seul à défendre Louis Renault. “En octobre 1944, Louis Renault est décédé, écrit Jean-Michel Thévenin, auteur d’un ouvrage sur Chausey. Les détails de cette mort sont aussi sombres que sordides, liés à la vengeance d’individus louches dont le prétexte était de faire rendre gorge aux collabos. Louis Renault collabo ! C’était aussi ridicule que Charles de Gaulle déserteur et condamné à mort en 1940 comme général félon.”

Il dépensait sans compter pour son île

Naturellement, d’autres ne partagent pas cet avis. “Je ne veux pas en parler”, affirme un autre Chausiais, rangeant dans les oubliettes de l’histoire “ce triste personnage”.

En revanche, tous sont d’accord sur un point : “Haï ou adulé, Louis Renault était devenu Chausiais, rappelle Jean-Michel Thévenin. Il fut conquis par Chausey, ébloui et décida tout de suite d’acheter”. Dès lors, le constructeur passa beaucoup de son temps dans l’Archipel et y laissa son empreinte. “On lui doit beaucoup. Il a investi de l’argent dans l’archipel”, rappelle Jean-Michel Thévenin. Il restaura l’ancienne forteresse, édifia le hangar à bateaux sous le sémaphore (aujourd’hui à l’abandon), construisit les granges de la ferme et les petites maisons des Blainvillais. “Il était le bienfaiteur de Chausey, résume Bernard Pichard : mon grand-père a même profité d’une aide financière de sa part quand il s’est porté acquéreur de l’hôtel du Fort.”

Loin de Paris, le chef d’entreprise faisait preuve d’une prodigalité sans limite pour son île et ses habitants. “Il a aidé beaucoup de femmes de pêcheurs”, assure Jean- Michel Thévenin. “On dit aussi qu’il conçut le prototype de la 4 CV dans son atelier à Chausey”, confie Bernard Pichard. Il est toutefois difficile d’en apporter la preuve. En revanche, il est certain qu’il fut très proche du monde de la pêche. “Mon grand-père, Charles, transportait tout son matériel de Granville à Chausey, rapporte Philippe Letouzey, président des collectionneurs granvillais. C’était un homme qui n’était pas très mondain, mais qui emmenait mon aïeul en mer.”

Bien que proche du peintre Marin Marie, Louis Renault ne lui apporta aucune aide pour la motorisation de ses bateaux. En revanche, d’après le Granvillais Eugène Lecossois, il fut d’un grand secours pour les pêcheurs et leur bisquine. “Il installa un moteur sur le Gagne-Petit, une unité appartenant à mon oncle, se souvient Eugène Lecossois. C’était la première fois qu’un bateau de pêche à voiles était motorisé à Granville. C’était en 1921.” Un second navire fut aussi doté d’un engin Renault. “Cette fois-ci, ce fut mon père qui en bénéficia”, précise le Granvillais.

Décidément, Louis Renault était omniprésent pour Granville et plus encore pour l’archipel de Chausey.

L’Usine Nouvelle, par Thibaut de Jaegher, 13 mai 2011

usine_nouvelle_2Nationalisations de 1945 : Renault et tous les autres

Les héritiers de Louis Renault attaquent l’Etat français devant la justice. Ils contestent la nationalisation-sanction de Renault, en 1945, après la seconde guerre mondiale. L’occasion de se rappeler que le constructeur automobile n’a pas été le seul à passer sous le giron national.

Quelle est la différence entre nationalisation et spoliation ? Aucune, si l’on s’en tient à la thèse défendue par les héritiers de Louis Renault. Selon eux, leur grand-père aurait été dépossédé de manière indue de ses biens à la fin de la Seconde Guerre mondiale sur de fausses accusations de collaboration avec l’ennemi.

Ils viennent d’attaquer l’État français pour demander réparation. Mais il faut espérer, pour les finances de la France, que la demande achoppe. Car Renault est loin d’être la seule entreprise nationalisée par le Conseil national de la résistance au sortir de la guerre.

Dans l’aéronautique aussi, l’État a repris en main quelques industriels. Air France, société privée née de la fusion de quatre entreprises en 1933, est nationalisée en 1945. Partiellement privatisée en 1999, elle est aujourd’hui une entreprise privée. L’Etat ayant seulement gardé 15% du capital.

La Snecma, quant à elle, voit le jour à cette époque en récupérant les actifs du fabricant de moteurs et de motos, Gnome et Rhône. Pendant la guerre, ce dernier était devenu un sous-traitant de BMW, qui fabriquait des moteurs pour la Luftwaffe.

Dans les mines, l’intérêt commun s’impose. Des dizaines de houillères privées sont regroupées en 1946 pour donner naissance à l’entreprise d’État, Charbonnages de France. Objectif : relancer l’exploitation pour répondre aux besoins du pays.

Dans l’énergie, 1 450 sociétés françaises de production, transport et distribution d’électricité et de gaz sont nationalisées pour constituer EDF et GDF.

Pour le général de Gaulle, ces nationalisations n’étaient pas toutes des sanctions. Même s’il ne manquait jamais de rappeler aux patrons qu’il les avait peu vus à Londres, ces nationalisations constituaient pour lui le seul moyen de redresser l’économie française.

L’Usine Nouvelle, par Morgane Rémy, 13 mai 2011

Nationalisations de 1945 : Renault et tous les autres

usine_nouvelle_2“Il n’y a jamais eu de procès pour nationaliser Renault”.

Retour sur l’action en justice des héritiers de Louis Renault, qui contestent la nationalisation de l’entreprise familiale par l’Etat français en 1945. Une nationalisation ordonnée sans procès. Pour Jean-Claude Hazera, co-auteur du livre “Les patrons sous l’occupation”, un procès aujourd’hui serait l’occasion de faire la lumière sur cette décision sanction pas comme les autres.

L’Usine Nouvelle – Renault a été nationalisé le 16 janvier 1945. Pourquoi cette nationalisation semble différente des autres ?

Jean-Claude Hazera – Elle a été opérée en amont des autres épurations, avec une ambiance particulière. La Libération de la France est toute récente. En Europe, on est encore en guerre. Le gouvernement provisoire de De Gaulle est reconnu depuis le 22 octobre mais il a encore besoin de réaffirmer son autorité. Il y a encore de l’épuration sauvage et c’est dans ce cadre que Louis Renault est emprisonné. Il meurt alors dans des conditions encore troubles. Le fait qu’il soit mort rapidement a précipité l’opportunité de la confiscation de l’entreprise par l’Etat. Celle-ci s’est faite grâce à l’ordonnance de 1945 et il n’y a jamais eu de procès.

Le fait que les huit petits enfants de Louis Renault assignent l’Etat en justice est donc une bonne chose ?

D’un point vue historique, oui. Comme je le disais, il n’y a jamais eu de procès. Et puis, les plaignants peuvent légitimement dire que Louis Renault a été traité plus injustement que d’autres industriels. Ce n’était pas un idéologue, contrairement à George Claude, patron de Air Liquide à cette époque. Lui avait des sympathies exprimées et gênantes envers le régime pétainiste.

Alors qu’elle a été le rôle de Renault sous l’occupation ?

Il faut savoir qu’à l’époque la seule façon de ne pas collaborer était encore de fermer les usines. Quand on ne mettait pas la clé sous la portes, les Allemands ponctionnaient une parti. Cette contrepartie concernait tous les industriels.

Pourquoi Renault et pas d’autres alors ?

La différence est que Renault était plus exposé. Les Peugeot, qui comptaient aussi des résistants dans la famille, ont également donné une partie de leur production mais ils n’ont pas fait de réparation pour les Allemands. C’est Renault qui était chargé de réparer les chars. Louis Renault a été à plusieurs reprises en Allemagne pour affaires, ce qui a beaucoup marqué à l’époque. De plus, avant même la guerre, les relations avec la CGT étaient très tendues. Le syndicat, proche des communistes qui étaient puissant à l’époque, avait Renault dans le collimateur.

Renault a donc été le principal touché par cette vague d’épuration ?

Le secteur automobile était très concerné car leur collaboration était visible. Les Allemands conduisaient leurs voitures en France. Par exemple, Berliet a ainsi été mis sous séquestre plusieurs années. Mais, contrairement à Renault, cette fois-ci il y a eu procès et respect des formes légales.

L’Humanité, 18 juillet 2011

Tribunes

Droit de réponse

«Mis en cause dans un article intitulé “Louis Renault : la négation de l’histoire ne passe pas”, signé de M. Christophe Deroubaix et publié le 24 mai dernier dans vos colonnes, nous souhaitons y répondre en précisant plusieurs points.

Contrairement à ce qui est écrit dans votre article, nous tous avons engagé une action contre le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane et pas seulement, comme vous l’écrivez inexactement, “deux petits-enfants”. Notre but n’est pas de procéder à “une réécriture de l’histoire” mais de veiller au contraire à ce que les faits historiques ne soient pas réécrits. La cour d’appel de Limoges, dans son arrêt définitif du 13 juillet 2010, a considéré, d’une part, que la photographie de notre grand-père Louis Renault au Salon de l’automobile de Berlin, prise avant l’entrée en guerre de la France contre l’Allemagne, ne pouvait servir d’illustration à une exposition sur le massacre d’Oradour et, d’autre part, que la légende apposée à cette photographie selon laquelle des chars avaient été fabriqués dans ses usines pour l’ennemi nazi, accompagnée d’une citation cynique prêtée à Louis Renault, n’était pas conforme aux recherches des historiens les plus sérieux.

Enfin, pas plus cette action, validée par une cour d’appel, que celle engagée contre l’État aux fins de faire constater notre droit à indemnisation ne sauraient être assimilées à “une entreprise négationniste”, selon les propos que votre article attribue au député communiste André Gerin, ou encore à “une tentative d’extorsion de fonds de l’État”, selon un communiqué du PCF, également cité par vous. La comparaison des actions engagées par nous et soumises à l’appréciation des juridictions de la République avec les infractions de négationnisme et d’extorsion de fonds est intolérable.»

Annick Fabry, Hélène Dingli, Louis Renault, Henri Renault, Stéphane Renault, Olivier Renault, Emmanuelle Renault

Les héritiers de Louis Renault, par ce droit de réponse, ne contestent pas les faits que nous avons exposés mais notre point de vue qui demeure identique. Ils ont bien entrepris de réécrire l’histoire pour masquer le rôle que leur grand-père a joué en mettant ses usines au service de l’occupant nazi. Le général de Gaulle l’avait établi en ordonnant la nationalisation de l’entreprise, les résistants en ont témoigné et de nombreux historiens en ont fait la preuve.