Accusée d’avoir collaboré avec le régime nazi, l’entreprise de Louis Renault devient propriété de l’Etat en 1945….
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Accusée d’avoir collaboré avec le régime nazi, l’entreprise de Louis Renault devient propriété de l’Etat en 1945….
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Sur le plan industriel, Renault entre dans la crise avec des atouts certains : une intégration qu’il ne cesse de développer depuis la Grande Guerre, une assise financière solide, la diversification de ses fabrications, les commandes de l’Etat, et enfin la création d’installations ultra-modernes sur l’île Seguin. Dix années d’un travail colossal ont été nécessaires pour assurer le remblaiement de l’île (1923-1933), créer des ponts, enfoncer des pieux de 10 mètres de profondeur avec des massifs en ciment pour asseoir les fondations, mais aussi aménager des rues, une centrale électrique, des bâtiments gigantesques avec deux chaînes principales entièrement mécaniques de 220 mètres de longueur… L’inauguration officielle a lieu le jeudi 28 novembre 1929 devant une centaine de journalistes de la presse sportive et aéronautique.
Usine de Billancourt – vue aérienne © SHGR
Renault enregistre une progression sensible de sa production alors même que l’industrie automobile française est en déclin, passant du second au cinquième rang de la production mondiale. Il existe 90 constructeurs français en 1929 contre 28 en 1935. De nouveaux modèles comme la Celtaquatre permettent de résister à l’introduction de la très innovante Traction Avant de Citroën tandis que Renault progresse en matière de véhicules industriels malgré la régression générale du secteur et l’apparition de son concurrent de Javel sur le marché. Louis Renault se bat en outre avec une vivacité accrue pour défendre les exportations dans un contexte particulièrement difficile.
En matière économique et financière, il se prononce pour une relance par la consommation et une dévaluation qui servirait de prime à l’exportation, se démarquant ainsi des conceptions traditionnelles (le dogme du franc fort). Accaparé par son œuvre industrielle, Louis Renault refuse par ailleurs de devenir régent de la Banque de France, institution qui défend alors des positions orthodoxes sur la monnaie. Il dénonce aussi âprement la spéculation qui est depuis longtemps l’une de ses bêtes noires, comme tout ce qui lui paraît improductif et stérile.
A l’instar des autres constructeurs, Louis Renault s’oriente vers une baisse du prix de l’automobile – tout en différant la création d’une voiture populaire – politique de baisse des prix qu’il s’efforce d’appliquer aux autres secteurs industriels comme le ferroviaire. En 1933, il veut orienter le ministre des Travaux publics vers la construction, en très grandes séries, de petites automotrices capables de transporter une trentaine de personnes. L’industriel se met aussitôt à l’ouvrage, créant en quelques semaines des ateliers sur l’île Seguin, améliorant l’outillage et le rendement. Renault est le seul constructeur à étudier des moteurs de traction sans aucune licence étrangère. Il fabrique les meilleurs moteurs du monde dans la catégorie 265 et 300 cv. Sept modèles de la marque sont présents sur tous les réseaux français, mais aussi en Espagne, en Tunisie, en Indochine, bientôt en Algérie… C’est en toute logique qu’Edouard Daladier sollicite ses conseils pour renflouer les chemins de fer, lesquels enregistrent un déficit chronique, tandis que Léon Blum lui promet son soutien en 1936.
En matière d’aviation, Louis Renault fait l’impossible pour sauver de la faillite la célèbre compagnie Aéropostale, essayant de convaincre banquiers et responsables politiques de fournir un nouvel effort, mais en vain. Il participe ultérieurement au capital de la première compagnie nationale, Air France, et contribue au lancement d’Air Bleu. En 1933, il achète la société de construction aéronautique Caudron qui fait encore briller les ailes françaises et s’illustre lors de la coupe Deutsch de la Meurthe grâce au génie de l’ingénieur Marcel Riffard et à l’audace des pilotes d’essai dont les noms sont entrés dans la légende : Ludovic Arrachart, Raymond Delmotte, Maryse Hilsz, Maryse Bastié ou encore Hélène Boucher qui se tue sur l’aérodrome de Guyancourt à l’âge de 26 ans.
Hélène Boucher vers 1934 © APR/SHGR
Les usines Renault, ce sont avant tout plus de trente mille personnes qui mettent leur force de travail et leur capacité au service d’un développement industriel exceptionnel. Chefs de service, employés, ingénieurs, agents de maîtrise, ouvriers professionnels, manœuvres… Depuis la Grande Guerre et la modernisation des méthodes de travail, le nombre de ces derniers n’a fait qu’augmenter ; pour ces milliers d’hommes et de femmes sans qualification, il n’y a pas de sécurité de l’emploi et peu d’espérance d’ascension sociale ; certains d’entre eux effectuent en outre des travaux particulièrement pénibles et dangereux, comme les ouvriers (en majorité étrangers) employés à la fonderie. Et le travail dans certains ateliers n’est pas une sinécure comme en témoigne R. Linhart : « Je découvrais cette autre routine de l’usine : être constamment exposé à l’agression des objets, tous ces contacts désagréables, irritants, dangereux, avec les matériaux les plus divers : tôles coupantes, ferrailles poussiéreuses, caoutchoucs, mazouts, surfaces graisseuses, échardes, produits chimiques qui vous attaquent la peau et vous brûlent les bronches. On s’habitue souvent, on ne s’immunise jamais… ». Un ajusteur-outilleur de Citroën a décrit l’atmosphère des grandes entreprises automobiles : « Plus encore que l’insistance des chefs, l’énorme tam-tam des machines accélérait nos gestes, tendait notre volonté d’être rapides (…) J’arrivais au bout de mon rôle, du travail des gestes sociaux, fini, étourdi de fatigue. En poussant la porte de la chambre, l’amour, la vraie vie commençait, celle où je trouvais des raisons de supporter l’usine. J’étais sorti de la solitude ». Témoignage auquel fait écho celui d’une stagiaire de Renault en 1919 : « On est trop fatigué, trop las, trop abruti pour avoir la force de calculer, combiner même un plaisir ou un projet. Une jouissance brève, immédiate, et puis dormir, c’est tout ce que le corps demande … ».
Renault, c’est enfin une équipe dirigeante de qualité. Il y a tout d’abord les anciens collaborateurs, entrés à l’usine avant 1920 : Serre, Hugé, Guillelmon, Grillot… Ces hommes travaillent sans organigramme et assurent les diverses responsabilités qui leur sont imposées suivant les nécessités de la production. Il y a toutefois des champs d’intervention privilégiés : l’aviation est le domaine du juriste Paul Hugé ; le bureau d’études celui de Charles-Edmond Serre ; le département commercial est sous le contrôle de Samuel Guillelmon. Viennent ensuite les parents dont les compétences sont assez inégales : les Boullaire, les Lefèvre-Pontalis et enfin, l’un des derniers venus, François Lehideux, neveu par alliance de Louis Renault, un jeune homme très brillant et particulièrement ambitieux. Il faut encore citer René de Peyrecave, futur P-DG des usines Renault, un aristocrate d’origine gasconne, pilote émérite de la Grande Guerre, qui s’était illustré après l’Armistice dans la navigation commerciale du Rhin.
Comme la plupart des grandes entreprises automobiles, Renault parvient à surmonter la crise de 1929, en recourant à des baisses d’effectifs ponctuelles, au chômage partiel et à des réductions de salaires. Sa gestion prudente lui permettra en outre d’éviter la faillite retentissante de Citroën qui se révélera dramatique sur le plan social : deux lock-out en 1933 et environ 50% du personnel renvoyé lors de la réorganisation de l’entreprise par Michelin.
Timbre du syndicat des Métaux (Voiture et Aviation) 1926 – Archives Nationales F7/13780
L’entre-deux-guerres, nous l’avons dit, marque un ralentissement des œuvres sociales dont le maillage reste toutefois important. A cela, il existe plusieurs explications. Au lendemain des hostilités, alors que le marché connaît une importante contraction et que les commandes de l’Etat baissent de manière brutale, Louis Renault s’engage à maintenir l’effectif des usines et à lutter contre le chômage. Il est certain qu’entre 1918 et 1939, il s’est concentré sur la résorption des différentes crises et sur la modernisation de son outil industriel au détriment de nouvelles mesures sociales. Mais les crises n’expliquent pas tout. Alors qu’il avait soutenu d’importantes innovations pendant la Grande Guerre – il existait alors neuf associations chez Renault contre une seule chez Citroën – le patron de Billancourt est profondément découragé par la politisation croissante des luttes sociales et notamment par les grèves de 1918, 1919 et 1920. Le projet d’une grande cité ouvrière d’un million de mètres carrés, qui devait être établie près du Petit Clamart et reliée par autobus à l’usine, fut définitivement abandonné en 1920, Louis Renault étant « dégoûté » par la nouvelle grève, suivant l’aveu d’un employé. Ces conflits éclatent sur fond de rupture entre les courants réformistes et révolutionnaires du Parti Socialiste, la création du Parti Communiste (1920) et du syndicat qui lui est affilié, la C.G.T.U. (1922). Si, du côté ouvrier, les revendications corporatistes ne disparaissent jamais (elles se concentrent essentiellement sur les salaires et, dans une moindre mesure sur la réduction du temps de travail, souvent au détriment des questions d’hygiène et de sécurité), l’aspect purement politique et révolutionnaire du militantisme syndical contribue à radicaliser l’affrontement au sein des usines dans lesquelles le parti communiste est encore très peu implanté. Car il faut bien garder à l’esprit la violence des luttes sociales de cette période. D’une part, un patronat qui a trop facilement recours au lock-out pour se débarrasser des grévistes et dont l’argumentation se limite souvent à la thèse du complot communiste pour éviter de se remettre en cause ; de l’autre, un jeune parti, le PCF, et l’un de ses bras armés, le syndicat des Métaux (affilié à la C.G.T.U.) dont l’objectif est d’adopter le modèle soviétique, de détruire la classe patronale et le régime capitaliste, ce qui ne l’empêche pas de défendre des projets d’avant-garde comme l’établissement des congés payés. Pour le patronat, il est difficile de dialoguer avec un adversaire qui souhaite ouvertement sa destruction et conçoit les rapports sociaux en termes de guerre entre deux ennemis irréconciliables.
Funérailles des 8 victimes de l’explosion du Central électrique des usines Renault : M. Louis Renault dans le cortège, à la sortie de l’église / Agence Mondial © BNF (de droite à gauche : François Lehideux, Samuel Guillelmon et Louis Renault).
Renault est une entreprise de hauts salaires (dans les années vingt, les ouvriers professionnels y sont payés davantage que chez Citroën qui, cependant, rétribue mieux les « manœuvres spécialisés », nous dirions aujourd’hui les O.S.). En matière d’hygiène et de sécurité, Renault est, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, en retard sur Peugeot, comme en témoigne un compte-rendu du directeur de la firme sochalienne, Ernest Mattern, lors d’une visite à Billancourt en 1939. Il suffit d’ailleurs de regarder le film L’automobile de France (1934) pour constater à quel point les dispositifs de protection laissaient à désirer. On fait le même constat lorsqu’on visionne des séquences montrant les ateliers de l’usine de Javel. En 1926 cependant, Citroën met au point un système de pédales pour éviter les mutilations des doigts et des mains lors de l’utilisation de certaines machines particulièrement dangereuses. Dans l’usine de Billancourt, la création, en 1928, d’un Service médical d’embauche, à la demande expresse de Louis Renault, permet de diminuer de manière très significative le taux de fréquence et de gravité des accidents entre cette date et 1931, seule période pour laquelle nous disposons de données. Enfin, il faudrait retrouver les archives que les industriels envoyaient chaque mois à l’Union des industries métallurgiques et minières pour établir une comparaison statistique sérieuse sur les accidents du travail. Quoi qu’il en soit, Billancourt, où l’ouvrier pouvait disposer de hauts salaires, d’assurances sociales, de restaurants à bas coûts et de coopératives, était loin d’être le bagne décrit dans les colonnes de L’Humanité ; de même, Louis Renault, qui fut l’un des pères des allocations familiales en France et le promoteur d’importantes réformes, notamment en matière de formation professionnelle, ne correspondait pas à la caricature qu’en fit le journal communiste pendant plus de trente ans. Pour L’Humanité, Albert Thomas était un « social-chauvin », André Citroën un « affameur », et Louis Renault le saigneur, l’ogre, le patron-vampire, le sinistre forban de Billancourt. Louis Renault embauche-t-il des chômeurs ? C’est, selon L’Humanité, pour toucher des allocations et diminuer les salaires. Crée-t-il une coopérative ouvrière ? Il est « devenu marchand de vins, de macaronis et d’habits », pour « ruiner tous les commerçants de Boulogne-Billancourt ». Développe-t-il l’apprentissage ? C’est pour mieux exploiter la jeunesse : « Maltraités, pas payés, n’apprenant rien, brimés par toute une armée de mouchards et agents patronaux, les jeunes de chez Renault, véritables petits bagnards, s’usent et triment de longues journées pour le plus grand profit du sinistre forban de Billancourt… Alors que le forban Renault jongle avec les millions, les jeunes ouvriers crèvent de faim dans ses usines ».
Caricature de Louis Renault parue dans L’Humanité du 4 janvier 1932 © BNF
Le caractère secret d’un homme qui fuyait toute forme de publicité personnelle, ne lui permettait pas de lutter contre la légende noire dont il était parfois victime. Les mots que Michel Rocard a employés pour décrire Aristide Briand, conviennent aussi bien à Louis Renault, qui fut d’ailleurs l’ami de l’homme d’Etat français : « Ne serait-il pas juste, écrit Michel Rocard, qu’on se penche attentivement sur un homme qui affichait une constante modestie d’allure et une totale indifférence à son image, moins préoccupé de ce que l’histoire penserait de ses actes que de mener à bien ses entreprises ? Mais en histoire aussi on n’est jamais si bien servi que par soi-même… ». La modestie est l’un des principaux traits de caractère de Louis Renault, ce qui ne l’empêchait pas d’éprouver une réelle fierté lorsqu’on évoquait ses créations. Solitaire, il recherche avant tout une reconnaissance affective par le biais du travail. Bien au-delà des réalisations personnelles, c’est l’œuvre qui compte, et, aux yeux de Louis Renault, celle-ci est toujours collective. Lorsqu’il reçoit une distinction honorifique, il s’empresse d’y associer l’ensemble de ses collaborateurs et ouvriers. En 1935, c’est un homme d’expérience, âgé de 58 ans, qui déclare aux jeunes apprentis de son usine « Evidemment, je n’étais pas même de la valeur de la plupart d’entre vous ; je savais me débrouiller… ». Beaucoup de journalistes et d’écrivains ont tenté d’approcher Louis Renault pour lui arracher quelques confidences. Mais cet homme étrange « décourage la chronique », constatent Pierre Lazareff et Lazare Roger en 1930.
Louis Renault en 1939 © APR – Droits réservés
Louis Renault est aussi un homme généreux et fidèle en amitié. Il aida notamment la famille de son ami Albert Thomas qu’un banquier sans scrupules avait ruinée. La veuve de l’ancien député socialiste, Madeleine, écrit à Louis Renault en 1932 : « Il est beau que mon mari ait pu vous rejoindre dans la vie. Il est beau de voir deux hommes tous deux inscrits au Livre d’or de la France sur deux chapitres différents mettre leur intelligence ensemble pour que ces deux chapitres forment un tout harmonieux. Je sais, mieux que vous ne pourriez le supposer, la grande admiration et l’affection que mon mari avait pour vous. J’ai tenu à vous le dire… ».
Louis Renault est un homme de contraste. Secret, pudique et réservé, il est aussi autoritaire, possessif et emporté. Tous les témoignages concordent sur ce point. Ses colères sont devenues légendaires, et chacun tremble à son approche dans les couloirs de l’usine. Parfois injuste et maladroit en paroles, Louis Renault l’est rarement dans les actes. Après ses fréquents « coups de gueule », il se calme puis revient discrètement sur sa décision. Un ingénieur de l’usine, Paul Guillon, témoigne à ce sujet : « J’indique qu’il mettait les gens à la porte constamment et qu’on les retrouvait toujours dans l’usine, sauf deux cas très exceptionnels où véritablement les intéressés avaient bien mérité leur sort ». L’ingénieur évoque à ce sujet l’inauguration de la salle d’essai automatique qu’il avait installée à la demande de Louis Renault. « Ne sachant que dire, M. Renault vit dans un coin un paquet de chiffons sales qui n’aurait pas dû y être… il se mit à m’invectiver… dans un tel état de fureur (nous étions en train de monter les escaliers) qu’il m’empoigna par la cravate et se pendit à moi dans l’escalier. Pour ne pas être étranglé, je pris M. Renault entre mes deux bras, le soulevai du sol, ce qui donna à tout le monde l’impression d’une bataille. Bien entendu, il finit par lâcher ma cravate et moi, je le lâchai mais il écumait. Il me mit à la porte en me traitant de voyou devant tout le monde. Il partit de son côté et j’allai préparer mes affaires dans mon bureau pour quitter l’usine. Vers 20 heures, je reçus un coup de fil me disant : « Monsieur Renault vous demande dans son bureau ». Il me montra des images et des catalogues d’automobiles qu’il avait ramenés d’Amérique jusqu’à 22 heures. Je le raccompagnai à sa voiture au perron et il me dit : « A demain matin » ».
Avec de tels traits de caractère, Louis Renault ne pouvait être mondain. Rien ne l’insupporte davantage que les réceptions, les causeries de salon et les sorties en ville. Un ancien ami de son frère Marcel, Victor Breyer, témoigne à ce sujet : « Dans son entourage immédiat, notre héros passait pour un être renfermé, éternellement soucieux et quasi mélancolique. Il était l’ennemi déclaré de tout ce qui touchait au faste ou s’apparentait aux manifestations extérieures, et l’on ne pouvait lui jouer plus vilain tour que de l’obliger à prendre la parole en public ».
Rarement un couple n’aura semblé aussi mal assorti que celui de Christiane et de Louis Renault. Il recherche l’intimité et la simplicité ; elle aime le luxe et la représentation. Certes, il existe un contrat tacite entre ces deux personnalités profondément différentes. Christiane assume son rôle de maîtresse de maison, reçoit les personnalités du monde politique ou industriel, autant de relations que le constructeur souhaite entretenir. Louis subvient au grand train de son épouse et lui permet de jouer le rôle social auquel elle aspire. La correspondance privée indique que Louis Renault a été sincèrement amoureux de son épouse jusqu’à une date tardive. En 1935, il croit qu’une vie de famille est encore possible. Mais il est déjà trop tard. En janvier, Christiane a rencontré Pierre Drieu La Rochelle. « Je ne suis qu’un amant, un sale amant », déclare l’écrivain qui transpose sa relation tumultueuse dans le roman Beloukia, paru l’année suivante. Drieu La Rochelle, ancien combattant, écrivain de talent et zélateur du régime nazi, fait partager à sa maîtresse les errances de ses engagements politiques. Sous son influence, Christiane milite pour le PSF de Déat à Giens, écoute une conférence de Doriot en avril 1937 puis déjeune en compagnie de l’ancien militant communiste le 19 mai suivant. Drieu lui présente aussi Otto Abetz quelques jours plus tard. Et cette comédie politique est ponctuée d’une vie culturelle intense. Christiane Renault rencontre Picasso, écoute Furtwängler, lit Giraudoux, Nietzsche, Mauriac et Renan puis s’initie, grâce à son amant, à la mythologie grecque. Louis Renault débute alors une liaison extra-conjugale avec une jeune actrice, Andrée Servilange.
Au milieu de cet échec : un enfant, Jean-Louis, qui connaît une solitude bien plus grande que celle de Louis Renault au même âge, et ce, malgré la grande affection que son père lui témoigne. D’autant plus que le « petit prince » n’a pas le dérivatif d’une passion dévorante ni l’appui bienveillant d’un frère aîné comme Louis avait eu Marcel. Trop occupée par ses parties mondaines, Christiane, dont l’instinct maternel n’est pas la première vertu, abandonne souvent l’enfant à ses précepteurs ou à ses nourrices. Quant à Louis Renault, il tente de transmettre à son fils une passion et une œuvre exigeantes. Possessif, toujours obsédé par la perte de ses proches, il le surprotège et l’isole ainsi du monde extérieur. L’une des plus grandes maladresses du constructeur sera probablement d’emmener Jean-Louis aux Etats-Unis en 1940, alors que le jeune homme, âgé de 18 ans, avait tenu à devancer l’appel pour servir le pays et prouver qu’il serait peut-être un jour capable de succéder à son père.
Le père et le fils, très proches l’un de l’autre, avaient par ailleurs le même caractère facétieux. Au début du siècle, Louis Renault s’était amusé à percer les verres à champagne des compositeurs Maurice Ravel et Gabriel Fauré, pour que le liquide se répandît sur la table ; Véritable gamin, Louis Renault met parfois un mannequin dans les toilettes, pour tromper ses invités, ou prend plaisir à les asperger d’eau, ainsi qu’on le voit sur un film de famille. Bourru, il est aussi capable d’interrompre un dîner mondain, en bleu de travail, pour réparer une prise électrique, grognant entre les dents un bonjour à ses convives.
Louis et Jean-Louis Renault, à Herqueville vers 1925 et, ci-dessous, à Giens vers 1939 © APR Droits réservés
Le plus clair de son temps, Louis Renault le passe à travailler. Lors de ses rares moments de loisirs, il pratique le sport et se consacre à sa passion de toujours, la mécanique, mais aussi à la navigation. Dans ses propriétés de Chausey et d’Herqueville, c’est avec des gens simples et industrieux qu’il se sent bien et passe le plus clair de son temps : son menuisier Boulangeot, ses maçons Cargnelli et Chiosotto, son marin Le Mut.
Car le travail est le véritable refuge de Louis Renault. Herqueville n’est d’ailleurs pas seulement un lieu de villégiature ; au fil des années, avec persévérance, Louis Renault en a fait une exploitation agricole modèle. « Il était en avance de trente ans sur ses voisins les plus évolués », confie Gabriel Sarradon.
L’industriel se rend beaucoup plus rarement dans sa villa « l’Escampobar » située dans la presqu’île de Giens. La chaleur et l’oisiveté lui pèsent. Aux charmes du Midi, il préfère de loin la solitude majestueuse et sauvage de Chausey. C’est en 1919, à bord de son bateau le Chryséis que Louis Renault découvre cet archipel de la Manche et sa Grande-Ile. Le capitaine de la Bécasse – un gros dundee que Louis Renault utilisait pour la traversée – témoigne : « Tous les travaux les plus pénibles, il les choisissait pour lui. A son arrivée à Granville, il nous aidait à compléter le chargement et, dès notre arrivée à Chausey, il se trouvait encore en tête de tous les ouvriers pour le déchargement ». Interrogés par les touristes incrédules, le capitaine leur répondait : « M. Renault ne voit de bonheur que dans le travail, et c’est pour sa satisfaction personnelle qu’il travaille autant. Et encore, vous n’avez rien vu ; lorsque tous les ouvriers auront fini leur journée, vous n’aurez qu’à regarder un peu à gauche du château, vous y verrez une lumière jusqu’à minuit, même parfois plus tard, c’est l’atelier du patron, et c’est lui qui est là à travailler soit au tour soit à l’enclume, et demain il sera le premier levé pour prendre son bain dans la piscine, sans compter que, pendant la nuit, il aura travaillé dans son lit à faire une infinité de croquis. Le matin, quand on entre dans sa chambre, ce n’est que feuilles de bloc-notes avec croquis, étendues par-dessus tout son lit. Quelqu’un qui n’a pas été au service de M. Renault ne peut pas se faire la plus petite idée de l’endurance et du travail fourni par cet homme, chaque jour. Il représente le travail personnifié… ».
Louis et Jean-Louis Renault à Chausey au milieu des années trente © APR Droits réservés
Même en voyage, Louis Renault ne peut pas s’empêcher de réfléchir à des améliorations techniques. Lors d’un passage en Egypte, il demande à son agence du Caire de faire livrer gratuitement un tracteur à l’archéologue Henri Chevrier, chargé des fouilles de Karnak. La vue des fellahin en train de hisser de lourds blocs de pierre, presque comme au temps des Ramsès, l’avait fait bondir…
Cette capacité de travail et cette énergie exceptionnelles permirent à Louis Renault d’affronter les bouleversements majeurs qui jalonnèrent les dernières années de sa vie.
Lire la troisième partie de la Biographie de Louis Renault
* Dernière mise à jour : 5 janvier 2012
12 février: Naissance de Louis Renault, cadet des cinq enfants issus de l’union d’Alfred Renault et de Louise Berthe Magnien. Son père, un commerçant aisé d’origine saumuroise, exploite alors un négoce de draperie, place des Victoires, et une fabrique de boutons, place Laborde. “Je me rappelle”, confiera l’industriel en 1935, “, le temps où mon père avait sa petite fabrique de boutons où travaillaient une douzaine d’hommes. A cette époque, il n’y avait pas d’omnibus, un ou deux vagues omnibus à chevaux qui passaient par-ci par-là et ces douze hommes venaient à pied de Clichy ou de Saint-Ouen ; la journée était de treize heures et ces ouvriers vivaient bien pauvrement”.
Ci-contre: Louis Renault enfant avec sa soeur et sa mère dans la propriété familiale de Boulogne-Billancourt © SHGR et APR. Ci-dessous Léon Serpollet et Archdeacon.
Louis Renault se passionna très tôt pour la mécanique et les inventions techniques. A l’âge de huit ans, il installa déjà le courant électrique dans la maison familiale, à une époque où ce type d’éclairage était encore assez rare, et à dix ans, il fabriqua lui-même un appareil photographique. Il en avait douze quand fut inaugurée l’Exposition universelle de 1889 et n’était pas beaucoup plus âgé lorsqu’il fit la rencontre de l’industriel Léon Serpollet, inventeur d’une automobile à vapeur.
Louis Renault est un enfant solitaire et curieux. Son père, absorbé par son travail, est souvent absent, tandis que sa mère, meurtrie par la mort successive de deux de ses enfants, trouve refuge dans la religion. Il est probable que l’envie de captiver l’attention de son père ait joué un rôle dans l’engouement du petit Louis pour les créations techniques. Alfred Renault destinait son cadet au commerce, suivant la tradition familiale et l’exemple qu’avaient déjà suivi les deux aînés, Fernand et Marcel. Mais Louis est un élève médiocre qui ne s’intéresse qu’à la mécanique. Ainsi se cache-t-il un jour, gare Saint-Lazare, dans la locomotive du train Paris-Rouen, pour en étudier le mécanisme. Partagé entre l’appréhension et l’indulgence, son père lui confie la responsabilité des machines de sa fabrique de boutons et l’emmène avec lui lors d’un voyage d’affaires. La mort précoce d’Alfred Renault interrompt cet échange, alors que Louis n’a que quatorze ans. Ce dernier sera durement frappé par des deuils successifs au cours des années suivantes. A quarante ans, en 1917, il a ainsi perdu toute sa famille proche, ses parents, sa soeur, ses trois frères ainsi que son neveu Jean, mort au combat au cours de la Grande Guerre.
Alfred Renault © SHGR/APR.
Ces deuils successifs ont sans doute donné à Louis Renault la volonté d’accélérer le temps, comme il le suggère dans une note ultérieure : “Qu’est-ce qui pouvait, plus que l’automobile, répondre à ces deux caractéristiques: vitesse et indépendance ?… Nos jours sont comptés, notre vie est très courte, surtout étant donné les possibilités considérables de notre esprit. Il est donc humain de rechercher tout ce qui, dans le laps de temps qui nous est accordé, nous permet d’embrasser un horizon plus large, de connaître plus de choses, de voir plus de pays, de développer plus de pensées, d’acquérir plus de sensations, d’impressions ; en un mot, d’augmenter son expérience et de se créer, d’une façon en apparence fictive, une vie plus étendue et plus remplie… En donnant le goût de la vitesse, l’automobile a appris à connaître la valeur du temps”.
Fort heureusement, les deux aînés de Louis Renault ne cherchent pas à contrarier sa passion dévorante pour la mécanique et se contentent de l’inciter à poursuivre ses études ; après avoir fréquenté une institution religieuse, l’école Fénelon, puis le lycée Condorcet et celui de Passy, le jeune homme prépare le concours d’entrée à l’Ecole centrale, mais échoue. A la suite de cette déconvenue, il dépose son premier brevet: il n’a alors que vingt et un ans. Sa demande d’embauche rejetée par l’entreprise Panhard, Louis Renault entre chez Delaunay-Belleville comme dessinateur et passe l’examen d’ouvrier d’art. Il quitte ensuite cette maison pour effectuer son service militaire au 106ème régiment d’infanterie de Châlons-sur-Marne (30 octobre 1897). C’est dans l’atelier de l’armurerie qu’il élabore un système automatique pour la manoeuvre des cibles et crée différents appareils dont un pont démontable.
Louis Renault pendant son service militaire © Renault/APR.
Louis Renault au volant de sa voiturette © SHGR
24 décembre: Au cours de son service militaire, Louis Renault ébauche un système révolutionnaire, la prise directe, procédé qui consiste à transmettre le mouvement du moteur aux roues motrices, directement, par engrenages et joints au cardan, sans l’intermédiaire de chaînes ou de courroies. Le jeune homme a étudié dans les moindres détails les défauts du tricycle à moteur de Dion-Bouton dont il avait fait précédemment l’acquisition et qu’il comptait bien améliorer. La suite fait partie de la légende : grâce à l’appui financier de ses frères et à l’aide d’Edward Richet, un camarade de régiment, Louis Renault construit sa première voiturette dans le petit atelier de la propriété familiale, à Boulogne-Billancourt ; elle est munie d’un moteur de Dion-Bouton et surtout du nouveau système de transmission qui la rend silencieuse et légère. “Tout a été fait par nous”, écrira Louis Renault,“… entre le 2 octobre et le 25 décembre, nous avons sorti une voiture terminée, y compris la carrosserie”. Juché sur cette petite auto, il part réveillonner à Montmartre avec son frère Marcel et des amis, Georges Grus, Louis Cabarrus, Emile Duc, Paul Hugé… Les convives évoquent bien entendu la création de Louis au cours du repas : une voiture sans chevaux capable de gravir de fortes pentes ? Certains affichent leur scepticisme, sans doute par forme de défi. On décide de l’essayer sur-le-champ en remontant la rue Lepic avec Louis Renault au volant. C’est l’enthousiasme général et, à l’issue de cette soirée mémorable, une douzaine de commandes fermes est passée au “petit mécano”, lui-même interloqué par le succès soudain de sa création.
Louis Renault se met immédiatement à l’ouvrage et parvient à construire 70 voiturettes en 1899 avec ses amis Serre, Richet et quelques autres. Début février, il dépose le brevet de la prise directe et, à la fin du mois, ses aînés créent la société Renault frères, qui est dotée d’un capital modeste ; l’acte notarié, passé à cette occasion, ne mentionne même pas le nom de Louis. C’est pourtant le début officiel de ce qui deviendra, quelques années plus tard, la grande entreprise Renault
Marcel Renault pendant la course Paris-Vienne en 1902 © SHGR
A l’orée du siècle, le meilleur moyen de faire la promotion d’une marque naissante est de participer aux courses automobiles. Il faut s’imaginer ce que représente un course en 1900. Dans des véhicules, qui atteignent parfois les 100 km/h mais qui n’ont encore aucun dispositif de sécurité, le pilote, harnaché de fourrure et de cuir, les yeux cerclés de grosses lunettes, doit supporter le vent, le froid et la pluie à l’intérieur de son habitacle ouvert. Les routes ne sont pas encore goudronnées et il faut rouler sur des chemins de diligence remplis de pièges mortels : boue, crevasses, nids-de-poule, ornières, cailloux, sans oublier la poussière qui enveloppe et aveugle chaque coureur lorsqu’il talonne un concurrent. Pour piloter un de ces engins, il faut être à la fois un mécanicien professionnel, un conducteur émérite et un fou furieux ! A cause de la rupture d’une pièce, Louis Renault effectue la course Paris-Toulouse en conduisant d’une main et en graissant de l’autre son moteur avec une petite cuiller. Après avoir changé huit fois de pneus et fait redresser son essieu chez un forgeron, il s’approche enfin de l’étape finale. Malheureusement, il fait nuit, et le “petit mécano”, qui pensait arriver plus tôt, n’a pas installé de phares sur son véhicule. Il roule à l’aveugle, s’encastre dans la voiture d’un charretier, tombe sur la tête et perd connaissance. Une heure plus tard, il reprend ses esprits, réussit à mettre son engin de 400 kg sur le bas-côté et achève la course à pied, accablé de fatigue. Mais l’obstination et la témérité portent leurs fruits : Louis et son frère Marcel remportent victoires sur victoires : entre autres Paris-Ostende (1899), Paris-Toulouse (1900), Paris-Berlin (1901), Paris-Vienne (1902)…
Fernand Renault annonçant à Louis l’accident de leur frère Marcel, l’année suivante © SHGR
De tels succès vont coûter très cher à la famille Renault, car Marcel, le frère chéri de Louis, se tue en 1903 lors de la course Paris-Madrid, à la hauteur de Couhé-Vérac. Dès qu’il apprend l’accident, lors d’une étape, Louis se précipite au chevet de son frère, mais celui-ci décède au petit matin. Louis Renault ne s’en remettra jamais vraiment. On peut imaginer la peine et la culpabilité de ce jeune homme qui avait entraîné son aîné, jusqu’alors commerçant posé et sérieux, dans l’aventure des courses automobiles. Louis fera placer le buste de Marcel aux portes de l’usine ; c’est ce buste que l’on peut voir encore aujourd’hui dans le jardin de la Société d’Histoire du Groupe Renault, à Boulogne-Billancourt. Marcel Renault avait 31 ans.
Louis trouve refuge non seulement dans le travail mais aussi dans la relation amoureuse qu’il entretient avec la chanteuse lyrique, Jeanne Hatto. Entrée à l’Opéra à l’âge de vingt ans, en décembre 1899, cette soprano de talent se fait rapidement remarquer par ses interprétations des œuvres de Reyer, Saint-Saëns, Wagner, Gounod, Mozart, ou Leroux. Dès 1901, elle est sollicitée par la société Pathé-Céleste-Phono-Cinéma pour enregistrer quelques airs célèbres comme “Ô toi qui prolongeas mes jours”, extrait d’Iphigénie en Tauride de Gluck.
La voiturette de Louis Renault aurait croisé la calèche de Jeanne Hatto au Bois de Boulogne par une belle journée d’été. Louis est un homme timide qui, de surcroît, s’exprime assez mal. Pour faire sa cour à Jeanne, il se contente de lui envoyer des fleurs de manière anonyme. Suivant la légende, la cantatrice, intriguée par les énormes bouquets qu’elle recevait chaque jour dans sa loge, aurait finalement découvert le nom de son admirateur en interrogeant le fleuriste. Au premier abord, une telle rencontre paraît improbable, même si les idylles avec des chanteuses ou des comédiennes en vogue faisaient partie du rite social de l’élite bourgeoise de la IIIème République. D’une part, une jeune artiste, qui évolue dans un milieu culturel brillant et fréquente les plus grands compositeurs français de son temps ; de l’autre, un industriel aux mains noires qui préfère de loin se rendre dans les ateliers pollués et bruyants de l’usine plutôt qu’au théâtre ou à l’Opéra. Mais il ne faut pas forcer le trait, car si Louis Renault est avant tout un manuel, il a été élevé par une mère pianiste et mélomane.
Le couple s’installe dans la propriété de Villiers-le-Bâcle, près de Gif-sur-Yvette. En 1905, alors qu’il effectue avec Jeanne une croisière sur la Seine à bord du « Chryseis » – un yacht de 18 mètres qu’il a lui-même conçu et aménagé – Louis Renault découvre le château de la Batellerie à Herqueville. Il est aussitôt séduit par le calme et la beauté d’un site qui lui permettra bientôt d’échapper aux tumultes et aux soucis de l’usine. A Herqueville, grâce à Jeanne Hatto, Louis Renault reçoit les compositeurs Maurice Ravel et Gabriel Fauré, ainsi que le dessinateur humoristique Abel Faivre et le sculpteur Pierre Félix-Masseau, dit Fix-Masseau, avec lequel il entretient rapidement une relation amicale. Le couple invite aussi des industriels et des hommes politiques tels Louis Breguet, les frères Farman ou encore le socialiste indépendant Aristide Briand.
Aristide Briand et Louis Renault sur le bateau de ce dernier à Herqueville © APR-SHGR
Louis Renault et Jeanne Hatto se séparent probablement à la veille de la Première Guerre mondiale. Suivant une tradition, le fait que le couple n’eut pas d’enfants fut un motif de rupture. On affirme aussi que Louis Renault exigeait de sa compagne qu’elle abandonnât sa carrière, ce à quoi la cantatrice ne voulait pas se résoudre. Cette dernière hypothèse est plausible dans la mesure où Louis Renault est un homme très possessif, jusqu’à devenir parfois étouffant voire tyrannique. La lettre que l’industriel écrit à Jeanne en 1911 est assez éloquente sur ce point :
« – Absente d’Herqueville le dimanche 18 mai 1911. Rentrée le lundi sans fournir d’emploi du temps.
« – Partie chanter à Strasbourg au lieu de passer le dimanche 19 septembre à Herqueville, comme tous les amis qui tiennent à moi.
« – Reçu dans ta loge untel et untel, sans ma permission.
« – M’as interrompu pour parler théâtre avec Briand quand je racontais les débuts de mon petit atelier.
« – es venue à l’usine sans permission le 14 décembre. Je ne veux pas de femmes à l’usine… ».
Quel tyran ! Profondément marqué par les deuils, hanté par la mort et la séparation, Louis Renault veut que ses proches restent auprès de lui. Il faut toutefois préciser que son caractère possessif est, pour ainsi dire, contrebalancé par une grande générosité et une véritable fidélité dans les sentiments. Non seulement, Louis Renault subviendra sa vie durant aux besoins de Jeanne Hatto, mais les anciens amants conserveront une grande complicité jusqu’à la disparition de l’industriel.
Préparation d’une copie en bronze du buste de Louis Renault sculpté par Pierre Félix-Masseau, dit Fix-Masseau – Atelier Landowski – © Laurent Dingli
Après la mort de Fernand, en 1908, Louis Renault reste le seul maître de l’usine. Au cours de cette période, la part de l’entreprise dans la production automobile française augmente considérablement, passant de 3,7% en 1900 à plus de 14% en 1908. Cette montée en puissance est renforcée par un grand dynamisme à l’exportation : profitant de l’expérience commerciale de son frère Fernand, Louis constitue un réseau d’agents en Angleterre, aux Etats-Unis, en Allemagne, en Suisse, en Autriche ; il crée des filiales à Londres, Berlin, New-York, puis à Moscou à la veille de la Grande Guerre. En 1909, deux tiers des taxis parisiens et la moitié des cabs londoniens sont des Renault. Le constructeur peut aussi s’appuyer sur des collaborateurs de talent, tels son beau-frère, Charles Richardière, qui s’occupe des brevets puis de l’administration au sein de l’équipe dirigeante ; son camarade Charles-Edmond Serre, animateur du bureau d’études ; ou encore l’ingénieur Paul Viet, débauché de l’entreprise du marquis de Dion, chargé des fabrications à partir de 1901.
Autre moteur du développement, l’introduction du taylorisme. C’est en 1911 que Louis Renault rencontre aux Etats-Unis le constructeur Henry Ford et l’ingénieur Frederick Winslow Taylor, le père de l’organisation scientifique du travail. Le patron de Billancourt en revient conquis par les méthodes américaines qui permettent un gain de productivité significatif.
Henry Ford en 1919 © Fred Hartsook – Library of Congress – Washington DC
Dans une lettre adressée à Albert Thomas, Louis Renault définit ainsi la rationalisation du travail et, plus particulièrement le chronométrage : « Le système Taylor part de l’idée que la main-d’œuvre est aussi perfectible que la machine, que par ses méthodes rigoureusement établies, par la détermination et la limitation au maximum des mouvements utiles pour l’usinage d’une pièce quelconque, on peut arriver à augmenter dans des proportions considérables le rendement et la production. C’est pour arriver à la détermination rigoureuse du temps nécessaire pour la fabrication d’une pièce quelconque que des ouvriers types, dénommés chronométreurs, ont été formés, qu’on a chronométré leur temps d’exécution, en décomposant leurs mouvements réduits et simplifiés au minimum. Tel est – grosso modo – le principe de la méthode de Taylor, dont les résultats immédiats sont la production plus rapide, moins coûteuse et moins fatigante que par les méthodes d’autrefois… ».
Frederick Winslow Taylor © Inconnu
Mais la méthode, appliquée trop brutalement par Louis Renault, et de manière incomplète, fut rapidement rejetée par une partie du personnel de l’usine, surtout par les ouvriers professionnels, inquiets de voir leurs qualifications remises en cause par la rationalisation. Renault tenta pourtant de les convaincre que le nouveau système permettait de réduire le temps de travail et d’augmenter les salaires. Tout dépendait en réalité des modalités d’application et, notamment, de l’amélioration de l’outillage ainsi que l’ingénieur de Ram le rappela fermement à Louis Renault. A l’issue de la grève de décembre 1912, des négociations entre la direction et les ouvriers débouchèrent sur un accord important : Renault institua la représentation ouvrière (qui, à une exception près, n’existait pas à cette époque dans les usines) tandis que les ouvriers acceptaient le principe du chronométrage. Quelques mois plus tard cependant, les modalités d’application du système firent l’objet d’un nouveau conflit : les délégués ouvriers exigèrent le renvoi de deux chronométreurs puis dénoncèrent l’accord de décembre, réclamant la suppression pure et simple du chronométrage. Louis Renault refusa de céder.
Ce n’était pas le premier mouvement de grève à Billancourt, les usines ayant débrayé lors du mouvement national de 1906. Toutefois, le conflit de 1912-1913 avait une valeur emblématique dans la mesure où la grève se cristallisait sur les méthodes modernes de travail que Renault et Berliet étaient les premiers à introduire en France de manière encore embryonnaire il est vrai.
La Bataille syndicaliste : carte postale publicitaire pour le quotidien officieux de la CGT © BNF/CEDIAS
La politique menée en 1912-1913 consacre l’introduction du taylorisme, c’est-à-dire la déqualification des professionnels, la déshumanisation des tâches, bientôt le travail à la chaîne avec son labeur abrutissant qui fut si bien caricaturé par Charlie Chaplin dans Les Temps modernes. Pour le patron de Billancourt – qui dénonçait au passage le malthusianisme de l’aristocratie ouvrière (chefs d’équipe et contremaîtres) – le taylorisme offrait la perspective d’une journée plus courte et des salaires plus élevés. Ce fut un bouleversement majeur, qui, un an plus tard, allait imposer progressivement les nouvelles méthodes de production : la Première Guerre mondiale.
Les contemporains prévoyaient une guerre courte et aucune mobilisation industrielle n’avait été réellement envisagée. Les autorités réalisèrent progressivement, dans le feu de l’action, quel formidable potentiel représentaient les transports modernes et l’industrie automobile. C’est toutefois en raison de ses fabrications aéronautiques que Louis Renault, ainsi que certains ouvriers et collaborateurs, furent mis en sursis d’appel au début du conflit. Le patron de Billancourt – on l’ignore souvent – s’imposa, dès le début du XXème siècle, comme l’un des pionniers de l’industrie aéronautique. En 1907, il assista avec enthousiasme au premier vol du Brésilien Santos-Dumont sur la pelouse de Bagatelle et, dès la fin de l’année, il fabriquait ses premiers moteurs d’aviation. Le 7 mars 1911, un biplan Farman-Renault se posait au sommet du Puy-de-Dôme tandis qu’en 1912 et 1913 un appareil du même type pulvérisait le record du monde de distance et de durée sans escale.
Le pionnier de l’aviation, Alberto Santos-Dumont en 1898 © inconnu
Les autorités firent rapidement appel au savoir-faire de Louis Renault pour répondre aux besoins énormes de l’armée. Effectuant constamment la navette entre Paris et Bordeaux où le gouvernement s’était replié, Louis Renault collabora étroitement avec les pouvoirs publics pour soutenir l’effort de guerre ; il commença par résoudre le problème de la fabrication en masse d’obus à Billancourt tandis que les taxis Renault – les fameux taxis de la Marne – contribuaient à stopper l’avance allemande vers Paris.
Le célèbre avion Bréguet XIV fut souvent équipé d’un moteur Renault © Jim Alley
Les usines fabriquèrent toute sorte de matériel : autos, camions, obus, fusils, avions et, bientôt, un engin révolutionnaire qui allait participer à la contre-offensive victorieuse de 1918, le char léger FT-17. Pour imposer ce matériel à une administration souvent frileuse, le général Estienne et Louis Renault durent mener un combat de tous les instants. Véritable symbole de la résistance française à l’invasion allemande, le char léger, appelé dès lors le char de la Victoire, participa au défilé du 14 juillet 1919 sur les Champs-Elysées.
Louis Renault réparant le moteur du char FT-17 © SHGR
La Grande Guerre – on le conçoit aisément – entraîna des transformations majeures au niveau de l’entreprise. Tout d’abord sur le plan social avec l’introduction massive de la main-d’œuvre féminine, étrangère et coloniale.
Ouvrière portant des obus, 1917 © SHGR
Bien que les ouvriers de la région parisienne fussent alors parmi les mieux payés de France, leurs conditions de travail restaient particulièrement difficiles. Jusqu’en 1917, chez Renault, ils travaillaient en moyenne onze heures par jour, sept jours sur sept. Les accidents étaient nombreux. En juin 1917, l’effondrement d’un atelier provoqua la mort de 26 personnes. Des progrès sensibles furent cependant enregistrés au cours du conflit sur le plan social, tout d’abord en raison de la mobilisation ouvrière des usines lors des grèves, surtout à partir de 1917, mais aussi grâce à l’étroite collaboration entre le ministre socialiste de l’Armement, Albert Thomas, et Louis Renault qui présidait alors la chambre syndicale des constructeurs d’automobiles : mise en place d’une grande coopérative ouvrière, institution des délégués d’ateliers élus, établissement d’un salaire minimum… les innovations de cette période furent nombreuses. Les usines Renault avaient déjà, avant-guerre, un système d’allocations familiales et d’assurances sociales dont bénéficiait une partie du personnel. Louis Renault caressa en outre de nombreux projets à la fin de la Grande Guerre, dont certains paraissent d’avant-garde, comme la décentralisation des institutions politiques et sociales, la création de commissions paritaires ouvrières et patronales, l’instauration de crédits pour permettre à l’ouvrier d’accéder à la propriété, la mise en place de cités-jardins désenclavées par des trains régionaux à grande vitesse … Des carences n’en demeuraient pas moins manifestes, tant sur le plan de la sécurité que de l’hygiène, et le formidable élan impulsé pendant le conflit allait s’essouffler au cours de la période suivante.
Albert Thomas, ministre de l’Armement © George Grantham Bain Collection (Library of Congress)
Enfin, la guerre augmenta considérablement le potentiel et la superficie de l’usine, Renault accédant dès lors au rang de la très grande entreprise. Le patron de Billancourt profita souvent du contexte de guerre pour agrandir l’usine sans pour autant s’encombrer des formes, construisant des rues de manière illégale, s’appropriant la voie publique.
Il faut dire que l’industriel devait répondre, dans l’urgence, aux besoins gigantesques de l’Armée avant d’assurer la reconversion de ses usines à l’économie de paix, un exercice particulièrement difficile.
Louis Renault épouse en septembre la fille d’un notaire parisien, Christiane Boullaire, qui lui donne un fils, Jean-Louis, en 1920. Les futurs mariés se sont rencontrés sur un cours de tennis, présentés par les Fix-Masseau. Comme beaucoup de jeunes femmes de son milieu, Christiane a été infirmière pendant la guerre. Elégante, belle et enjouée, elle s’adapte très vite à son rôle, celui de l’épouse de l’un des plus grands patrons de France, recevant écrivains, industriels, aviateurs de renom, députés et ministres dans l’immeuble de l’avenue Foch ou en Normandie, dans la propriété d’Herqueville.
Le mariage de Christiane et Louis Renault – 1918 © APR/SHGR
Véritable bourreau de travail, Louis Renault ne prend qu’un seul jour de congé pour son mariage, retrouvant son poste à l’usine dès le lendemain matin à six heures. La tâche qui l’attend est colossale. Il lui faut continuer de produire de manière intensive pour les dernières semaines de guerre, mais aussi préparer le relèvement du pays. Car la France est exsangue. Elle a perdu plus de 10% de sa population active, une partie de son territoire a été totalement dévastée et elle sort du conflit très endettée, notamment auprès des Anglo-saxons. Louis Renault a d’ailleurs mesuré depuis longtemps la menace économique que constituent les Etats-Unis pour l’Europe en général, et pour la France en particulier. Il sait que l’Amérique du Nord dispose de matières premières en abondance, que les transports, les coûts de production y sont bien moins élevés que dans le vieux continent et, qu’enfin, l’Allié d’Outre-Atlantique inonde déjà le marché de ses produits. Le combat semble perdu d’avance, mais Louis Renault est un lutteur. Il aime relever les défis les plus difficiles. Et celui-ci, comme le seront les crises économiques, et comme le fut la Grande Guerre, était à sa mesure. Il décide donc de convaincre les acteurs politiques, économiques et sociaux de l’absolu nécessité dans laquelle se trouve la France de moderniser rapidement son économie et d’intensifier la production : il faut adopter, répète-t-il en 1925, « les méthodes nécessaires pour obtenir le maximum de rendement avec le minimum d’efforts dans le minimum de temps ». Totalement étranger aux querelles partisanes, Louis Renault cherche à convaincre les décideurs du moment, quelle que soit leur sensibilité : ainsi Edouard Herriot, principal animateur du cartel des gauches, qu’il souhaite rencontrer grâce à l’entremise de son ami Albert Thomas, directeur du Bureau International du Travail (B.I.T.), ainsi Léon Blum qu’il invite à visiter l’usine dès 1930.
Ci-dessus : Affiche d’Abel Faivre – 1915 © Musée de l’Armée et ci-contre : Edouard Herriot – Library of Congress Washington DC
Dans l’esprit de Louis Renault il n’existe pas de véritable hiatus entre la défense de son entreprise, celle de sa corporation – l’industrie automobile – et la défense de l’économie nationale : en effet, celle-ci doit être assurée par une constante recherche d’indépendance. C’est pour cette raison qu’il accentue après la guerre la diversification de ses fabrications et la concentration verticale de l’entreprise. Renault construit des voitures, mais aussi des véhicules industriels, des tracteurs agricoles, des automotrices, des moteurs pour l’aviation et la marine, enfin des avions après le rachat de Caudron, en 1933. Assurer la qualité française, faire baisser le coût des transports, sont les maîtres mots de cette politique industrielle qui doit permettre à la France de se relever des ruines de la guerre et de soutenir la concurrence internationale. L’entreprise, mais aussi l’industrie automobile française dans son ensemble, doivent produire elles-mêmes le maximum d’éléments nécessaires à la fabrication d’une automobile, d’un avion, d’une automotrice. Ainsi pourra-t-on mieux contrôler les prix de revient et la qualité des produits sans dépendre exagérément des fournisseurs et de l’étranger. Dès 1912, Renault crée dans cette optique la Société d’Eclairage électrique des véhicules (S.E.V.) – société à laquelle il associe d’autres constructeurs tels Berliet, Delaunay-Belleville et Panhard. Après la guerre, il met sur pied l’Union des consommateurs de produits métallurgiques et miniers (U.C.P.M.I.) qui regroupera près de 400 entreprises françaises en 1932, tout en faisant de l’aciérie lorraine d’Hagondange l’une des plus modernes d’Europe. Et Louis Renault poursuit cette politique sans relâche : à l’acier s’ajoutent le bois, la ouate, les pneumatiques… Billancourt devient une ville dans la ville avec son système de ravitaillement interne, ses restaurants, ses coopératives, ses écoles, ses dispensaires, ses moyens de transports, son propre système de crédit (la D.I.A.C.), ses filiales et ses succursales, ses machines-outils et ses forêts…
Concours de motoculture de Senlis – Renault/ Agence Meurisse – 1919 © BNF
Louis Renault a donc fait un choix industriel radicalement opposé à celui de son principal concurrent, André Citroën : s’inspirant de la réussite d’Henry Ford, le patron de Javel élabore la première chaîne de montage moderne en France et s’oriente pendant un temps vers la production d’un modèle automobile unique. La lutte devient rapidement acharnée : à la célèbre croisière noire de Citroën, répond le raid africain des six roues motrices Renault avant que le patron de Javel ne lance la croisière jaune. On lutte pied à pied pour obtenir les commandes de l’Etat et la desserte par autocar des grandes lignes de province. Les nouvelles installations de l’île Seguin poussent Citroën à moderniser son usine de Javel. Et les innovations introduites par André Citroën sont une source d’émulation et de progrès constants pour le maître de Billancourt. « Il m’a fait travailler », dira Louis Renault de Citroën, après la disparition tragique de ce dernier en 1935.
1926 – Imp. Françaises Réunies, Paris – Illustrateur : B. Schoukhaexx. (Femme Mangbetou) © http://oncle-archibald-posters.blogspot.com.
A l’instar de ses plus proches concurrents, le patron de Billancourt veut démocratiser l’automobile (notamment avec la 6 CV présentée en 1922), mais il souhaite en même temps conserver des modèles intermédiaires et haut de gamme. La voiture, qui demeure un objet de demi-luxe, a une fonction utilitaire, mais elle est aussi une vitrine de l’entreprise et de la France. Le président de la République Gaston Doumergue, l’auteur et acteur Sacha Guitry ou encore la comédienne Arletty, effectuent leurs déplacements dans des automobiles 40 CV Renault tandis que le président Lebrun roule en Reinastella. Et les concours d’élégance féminine, qui fleurissent à partir de 1925, associent de manière profitable les deux industries françaises que sont l’automobile et la haute-couture. Avec cela, Renault fabrique toute sorte de véhicules particuliers ou industriels, du camion de pompier, à la voiture-balayeuse en passant par l’ambulance. Enfin, la mise au point de voitures puissantes permet à la marque d’emporter des épreuves aussi différentes que le rallye du Maroc ou le rallye de Monte-Carlo.
Dès l’Armistice, les services de Renault et du PLM étudient ensemble la question des automotrices. L’objectif : mettre au point des transports plus rapides et plus économiques. Il faudra dix ans de travail à Louis Renault et à ses collègues pour réaliser des progrès suffisants en matière de moteurs Diesel, domaine dans lequel la France enregistrait un retard important. En janvier 1931, le patron de Billancourt est le premier à lancer des autorails légers équipés de moteurs à huile lourde..
Pendant ce temps, Louis Renault continue de contribuer activement au développement de l’aviation, mettant au point des moteurs de plus en plus puissants et endurants avec lesquels les As de la Grande Guerre et de célèbres pilotes tels que Mermoz ou Saint-Exupéry battent des records intercontinentaux et participent à l’épopée de l’Aéropostale.
Compétent dans les domaines financier, juridique et commercial, Louis Renault reste avant tout un génie de la mécanique. Il fait partie de ces rares élus qui, tel Ettore Bugatti, étaient capables de dessiner dans une chambre d’hôtel, en quelques heures et à main levée, une ébauche de moteur d’avion. Mais, comme son ami de Molsheim, le patron de Billancourt commettait parfois des erreurs de jugement, et cela davantage par entêtement qu’en raison d’une mauvaise évaluation technique.
Louis Renault considérait en effet le bureau d’études dont il avait confié la direction à l’un de ses plus vieux collaborateurs et amis, Charles-Edmond Serre, comme son domaine réservé. Particulièrement chatouilleux sur ce point, il admettait difficilement les critiques. « Il avait un sens inné de la mécanique et de la matière, rappelle François Lehideux, lorsqu’un villebrequin cassait, il voyait immédiatement le point de rupture. Tous les calculs des ingénieurs n’y étaient pas parvenus, et c’est lui qui avait raison ». Mais lorsqu’il lui arrivait de se tromper, il avait du mal à le reconnaître. Il pensait que l’intuition qui l’avait toujours guidé et si souvent servi ne pouvait lui faire défaut. Et ce trait de caractère conduisait parfois l’industriel à commettre des erreurs. Ainsi, jusqu’en 1939, refusa-t-il obstinément d’adapter le freinage hydraulique sur ses véhicules, alors qu’il s’agissait d’un système d’avenir. « M. Renault, rapporte Paul Guillon, ne tolérait pas la résistance de la mécanique, la résistance de la physique, la résistance des hommes à ses idées et à ses désirs ». C’était le revers de cette foi en l’intuition, de ce désir de forcer la réalité, qui lui avaient permis de lutter avec succès contre l’inondation de 1910, de réaliser le char d’assaut et de surmonter la crise économique des années trente. Sanguin et coléreux, Louis Renault savait aussi se montrer généreux et sensible. Ses plus proches collaborateurs comprirent, pour la plupart d’entre eux, les raisons de ce contraste apparent : craignant la foule, souffrant d’une réelle timidité qu’aggravaient ses difficultés d’élocution, Louis Renault se trouvait souvent désemparé devant un auditoire. Pour compenser ce malaise, il avait besoin de réaffirmer constamment son autorité et de manifester une assurance qui lui faisait en réalité défaut. On pouvait pourtant lui tenir tête et entretenir avec lui des relations de respect mutuel à condition d’avoir beaucoup d’assurance et d’importantes compétences techniques. Après un temps de maturation, Louis Renault s’inclinait, parfois de mauvais gré, parfois en souriant, mais il s’inclinait. Mis à part certains éclats, écrit Jean Hubert, « où la colère, l’orgueil et l’incompréhension déclenchaient un réflexe bien maladroit ou bien mauvais, Louis Renault murissait ses décisions. Il tâtait le terrain, en parlait à l’un ou à l’autre… affinait son projet et réglait son cap ».
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Dernière mise à jour : le 2 janvier 2012
Dès le 18 juin 1940, les autorités allemandes prononcent la réquisition des usines Renault. Des affiches apposées aux portes de l’usine annoncent la saisie provisoire des ateliers et des stocks. L’entrée n’est désormais permise qu’à des personnes munies d’une autorisation du gouverneur militaire de la région de Paris. Trois commissaires allemands, issus de la société Daimler-Benz, s’installent à l’usine. Alors que Louis Renault n’est pas encore rentré en France, la volonté de rouvrir les entreprises est générale : elle émane tout d’abord du gouvernement, installé à Vichy, qui dès le 30 juin décide “que la direction Renault devait rester sur place et diriger la fabrication du matériel automobile demandé par l’Allemagne pour les besoins de la région parisienne“. François Lehideux se chargera de cette tâche avec la bénédiction de Pierre Laval. Michelin est déjà entré en contact avec les autorités allemandes afin d’obtenir l’acheminement des fournitures nécessaires à ses fabrications et sans même en référer aux autorités françaises. Quant au contrôleur allemand de Citroën, il adresse une fin de non-recevoir à la direction de l’entreprise qui pense pouvoir limiter sa production à des fabrications civiles. Ce désir de rouvrir les usines est aussi partagé par le PCF (officellement dissous depuis 1939). Les communistes, qui négocient en secret avec les nazis pour faire reparaître légalement L’Humanité, appellent les ouvriers à travailler sous la botte allemande, dès le 4 juillet 1940, et à fraterniser avec les soldats de la Wehrmacht (nous sommes à l’époque du pacte germano-soviétique) :
Ainsi, le journal communiste juge-t-il particulièrement “réconfortant, en ces temps de malheurs, de voir de nombreux travailleurs parisiens s’entretenir amicalement avec des soldats allemands, soit sur la rue, soit au bistrot du coin. Bravo, camarades, continuez, même si cela ne plaît pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants. La fraternité ne sera pas toujours une espérance, elle deviendra une réalité vivante“.
On peut encore lire dans le même journal à la date du 13 juillet : “Les conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient. Nous en sommes heureux. Apprenons à nous connaître, et quand on dit aux soldats allemands que les députés communistes ont été jetés en prison pour avoir défendu la paix (…) on travaille pour la fraternité franco-allemande“. Et le 24 juillet 1940, L’Humanité lançait un appel en faveur de la réouverture des usines sous occupation allemande et sans la présence des patrons :
“Il faut organiser la reprise du travail et, pour ce faire, nous recommandons aux ouvriers :
“1. De s’assembler d’urgence à la porte de l’entreprise dans laquelle ils travaillent ;
“2. De s’organiser en comités populaires d’entreprise ;
“3. De prendre tout de suite les mesures nécessaires pour faire fonctionner les entreprises en désignant un comité de direction parmi le personnel de chacune d’elles.
“Devant la carence et le mauvais vouloir des capitalistes, les ouvriers ont le devoir d’agir, de procéder à l’ouverture des usines et de les faire fonctionner“.
Louis Renault, qui a prolongé sa mission au Canada, réussit à prendre l’avion du retour le 22 juin et franchit la frontière à Port-Bou, le 3 juillet. Il se rend ensuite chez le marquis de Fayolle à Tocane-Saint-Apre en Dordogne où il est rejoint par son secrétaire particulier et fondé de pouvoir, Pierre Rochefort. Il se renseigne sur la situation auprès de ses collaborateurs. René de Peyrecave ainsi que plusieurs ministres estiment qu’un retour immédiat de l’industriel à Paris n’est pas opportun. Le 14 juillet, Louis Renault se rend à Vichy pour rendre compte de sa mission aux Etats-Unis, après avoir visité les services de l’Armement repliés à Clermont et à La Bourboule. Six jours plus tard, il repart pour la Dordogne avant de regagner finalement Paris le 23 juillet.
Le lendemain, Louis Renault rencontre l’un des trois commissaires allemands qui occupent l’usine de Billancourt, Karl Schippert, et un spécialiste du matériel blindé, Sieburg. Ce dernier exige que l’entreprise prenne en charge la réparation des chars français saisis par la Wehrmacht pendant la bataille de France. Louis Renault se retranche derrière les décisions du gouvernement français : un décret-loi interdit la fabrication de matériel de guerre pendant toute la durée de l’Armistice. Pour le reste, c’est-à-dire la fourniture de pièces détachées, Louis Renault temporise afin d’obtenir des instructions officielles. D’après une source allemande, Hotchkiss a déjà réparé six chars français le 26 juillet. Or la même source constate que Renault et Panhard refusent de collaborer, entraînant ainsi les réticences des autres entreprises. Les autorités d’occupation souhaitent que Billancourt se charge du montage complet des chars d’assaut, et non pas seulement des réparations. Car si Renault cède sur ce point, c’est toute l’industrie française qui cédera. Louis Renault est donc convoqué par le général allemand Zuckertort le 31 juillet, mais il répète “que tout arrangement à intervenir devrait être agréé par le gouvernement français“. Les Allemands sont à bout de patience. Le lendemain, 1er août, Louis Renault est une nouvelle fois convoqué par le général qui lui remet une lettre-ultimatum : “Vous êtes invité à confirmer par écrit, sans aucune restriction, et jusqu’au 2 août, que vous êtes disposé à faire des travaux de réparation de chars et la fabrication des pièces de rechange“. Il s’agit d’une lettre-type envoyée aux autres constructeurs. Dès le lendemain, Panhard cède à l’ultimatum, tandis que Louis Renault réclame un délai de 10 jours. En l’absence de Léon Noël, représentant du gouvernement français à Paris, il s’entretient avec son fondé de pouvoir qui invite l’industriel à “trouver un accord” et à entreprendre “un simulacre de fabrication“. Ce simulacre, Louis Renault envisage de le faire loin de Billancourt, dans l’usine de Pontlieue, mais seulement “si le gouvernement français donnait son accord“. Renault rencontre enfin Léon Noël le 2 août 1940. Voulant éviter le pillage en cours de l’industrie française, ce dernier déclare qu’il est licite de réparer des chars (mais pas d’effectuer le montage et la finition), ainsi qu’il l’écrit le jour même au maréchal Pétain et contrairement à ce qu’il affirmera devant la Haute Cour de justice après la Libération. Renault ne signe toujours pas l’ultimatum. Alors qu’il s’est rendu à Herqueville, il est convoqué à l’hôtel Majestic par le Dr Elmar Michel qui dirige la section économique du commandement militaire allemand en France. Louis Renault décline cette convocation expresse d’un émissaire d’Hitler qui avait le rang de ministre. L’entrevue a finalement lieu au Majestic, le 4 août, entre le Dr Michel, le baron Petiet, président de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles et François Lehideux, administrateur-délégué des usines Renault. A l’issue de cette réunion, il est décidé que les autorités allemandes prendraient directement en charge la réparation des chars français avec des ingénieurs allemands et du personnel recruté par eux. Il est intéressant de constater que, pour un tel compromis, François Lehideux fut félicité à la fois par les autorités allemandes et par… Alexandre Parodi qui allait bientôt devenir l’une des plus éminentes figures de la Résistance française !
François Lehideux profite de cette période troublée pour tenter d’évincer son oncle par alliance de l’entreprise. Il déclare à qui veut bien l’entendre que Louis Renault est un homme vieilli et malade, incapable de diriger. Pire, il va jusqu’à prétendre devant Léon Noël, Alexandre Parodi et plusieurs ministres que Louis Renault avait accepté de réparer des chars pour les Allemands et souhaitait revenir sur la mensualisation de la maîtrise. Informé par Alexandre Parodi qu’il est convoqué à Vichy, Louis Renault se rend auprès du maréchal Pétain pour plaider sa cause et conserver la direction de l’usine. Mais, à la suite de ce nouvel incident, François Lehideux, ainsi que son alter ego, Bonnefon-Craponne, et son secrétaire Armand, sont renvoyés des usines Renault. La brouille sera définitive. Lehideux entame alors une carrière à Vichy : Directeur du comité d’organisation de l’automobile (COA), délégué à l’Equipement national, commissaire au Chômage et secrétaire d’Etat à la Production industrielle dans le gouvernement Darlan. En application de la loi du 26 novembre 1940, René de Peyrecave, qui est un ami du maréchal Pétain, devient le premier P-DG des usines Renault.
Pour l’entreprise, la difficulté consiste à répondre aux multiples demandes d’embauche du personnel revenu de l’exode tout en employant ces effectifs pléthoriques à des fabrications civiles. “Dans les divers centres d’hébergement de nos ouvriers repliés en province, constate Louis Renault le 14 août 1940, nous avons fait une propagande très active pour les engager le plus possible à s’embaucher sur place et à s’aiguiller sur divers travaux possibles en province. Mais nous avons rencontré chez tous les ouvriers parisiens un désir réel de retourner à Paris”. Reprendre le travail, oui, mais pour quelle production ? Tenaces, Louis Renault et son directeur A. Mégret, parviennent à récupérer des ateliers réquisitionnés au Mans par Junkers afin de pouvoir y fabriquer du matériel agricole. Mais la réaction des Allemands est rapide et brutale. Le commandant de la Ortskommandantur du Mans investit avec ses hommes les usines d’Arnage puis de Pontlieue. Les sentinelles en armes bloquent toutes les issues tandis que les cadres sont consignés dans leurs bureaux. Le téléphone est coupé, les armoires fracturées, “tous les documents intéressant les fabrications de guerre… systématiquement déménagés, y compris la correspondance générale et tout ce qui concerne les inventaires“. Le directeur refuse de quitter l’usine malgré l’injonction des feldgendarmes.
La situation est similaire à Billancourt où, fin août, les Allemands exigent que tous les véhicules industriels produits par l’entreprise soient destinés à l’armée d’occupation. Louis Renault refuse pourtant d’abandonner ses fabrications civiles. Il rédige une demi-douzaine de notes sur le sujet au cours des quinze derniers jours de septembre, en vain. Fin novembre, il réclame encore l’autorisation de pouvoir fabriquer des véhicules de 6 et 14 cv. Mais le le major Schippert s’en tient au programme fixé par Berlin. De même, le 9 juin 1941, Louis Renault apprend qu’il lui est “interdit de monter des voitures de tourisme” et “que la part de ses constructions réservées au secteur civil serait, à la suite des plaintes de la société Citroën, réduite de façon assez importante“. Un mois plus tard, le programme fixé par le Reich ne comporte plus un seul véhicule de tourisme.
Quelle attitude adopter vis-à-vis des commandes allemandes ? Dans une note composée le 9 septembre 1944 et remise au juge Martin, Louis Renault et René de Peyrecave résument la politique suivie par la direction : celle-ci consistait à décliner toutes les demandes de fabrication d’armes et de munitions (bombes aériennes, grenades, éléments de fusée, culasses de canons légers, et de mitrailleuses…) mais aussi celles qui ne relevaient pas de la construction automobile (pièce d’aviation à tolérances spéciales, pièces destinées à la marine, outillage de précision…). Enfin, lorsqu’une commande n’avait pu être éludée, l’entreprise s’appliquait à en retarder au maximum l’étude et la réalisation sous divers prétextes (bombardements, difficultés d’approvisionnement, déportation de la main-d’oeuvre…). Les documents contemporains des faits confirment les affirmations de cette note rédigée après la Libération. Renault refuse ainsi de réparer les blindés R35 saisis par une compagnie de Panzer à Gien, de construire des gazogènes pour la Kriegsmarine, des pièces de rechange pour char, des plaques de blindages, des douilles, des jeux de fusées, des carters d’aviation… Le 6 juin 1941 encore, une dizaine de commandes allemandes est déclinée sous divers prétextes (non conformité technique, absence de précision, absence de fournitures…). L’année suivante, les autorités d’occupation exigent que des collaborateurs de l’usine se rendent en Allemagne pour y étudier des fabrications militaires. La direction de Renault s’y oppose.
Contrairement à Renault et à Citroën, des entreprises françaises se proposent de fabriquer des munitions pour le Reich : ainsi la société Brandt accepte-t-elle un commande allemande de trois cent mille coups de 25 mm pour canon d’artillerie (licence délivrée le 15 décembre 1940) ; les établissements Luchaire se réservent la fourniture de quatre cent mille douilles (licence du 17 mai 1941) et Alsthom de quatre-vingt-dix mille corps d’obus (munition de 75 modèle 28 DCA). Avant même d’avoir reçu une autorisation officielle, la société Billant (ateliers d’estampage de la Vence) commence la fabrication de trois cent dix mille corps d’obus de 75 DCA tandis que Delaunay-Belleville sollicite du COA, dès l’été 1941, l’autorisation de produire vingt mille têtes de gaînes pour obus de 75. Pendant ce temps, les Allemands se fournissent en Suisse et continuent, jusqu’en mai 1941, à placer des commandes soviétiques auprès des constructeurs français.
Pendant l’Occupation, la réparation de chars Renault fut réalisée directement par les sociétés allemandes Daimler-Benz et M.A.N. dans deux centres distincts : l’atelier d’Issy-les-Moulineaux, nationalisé par le Front populaire en 1936 – qui n’avait donc plus aucun lien avec Renault – et les ateliers Fiat et Astra, situés au Pont-de-Sèvres, eux aussi réquisitionnés par l’armée allemande et sous le contrôle direct de la firme Daimler-Benz. Lorsque l’on voit une photographie des chars Renault utilisés par des troupes allemandes, non seulement cela ne signifie rien sur l’origine de leur réparation, qui pouvait être assurée par divers ateliers réquisitionnés appartenant à l’Etat avant-guerre (AMX, Rueil, Bourges, Roanne, Tarbes), mais cela en dit encore moins sur la fabrication de ces chars français que les Allemands eux-mêmes n’ont jamais effectuée à notre connaissance dans leur totalité. La dénomination exacte du service allemand qui dirigeait les ateliers du Pont-de-Sèvres est Instandsetzungs kommando, ce qui veut dire commando de réparation et non pas de fabrication. Les Allemands procédèrent toutefois à des modifications de matériel dans l’atelier AMX, notamment pour transformer des chenillettes Renault UE en canons automoteurs. En 1939, dix mois avant que l’Allemagne ne s’empare du matériel blindé français, la Wehrmacht avait déjà saisi les chars Renault R35 et FT-17 appartenant à l’armée polonaise. Les vieux chars Renault de la Grande Guerre (FT-17) furent utilisés pour l’essentiel à la garde des aéroports de la Luftwaffe.
Les usines Renault ont passé au banc d’essai et réparé des moteurs de chars FT-17, B1 et R35 ; elles ont en outre fabriqué des pièces détachées pour matériel blindé (Panzers et semi-chenillés), à l’instar de Peugeot et de Citroën. Aucune fabrication ni montage de chars complet n’a été effectué par leurs soins. Le commissaire du gouvernement constate à la Libération que « toutes les commandes (de pièces et organes pour chars et chenillettes, ndla) n’ont été satisfaites qu’après de très longs retards ; bon nombre n’ont pu être exécutées et durent être annulées ».
Il était plus difficile de décliner ou de retarder les fabrications de véhicules industriels pour lesquelles l’usine était parfaitement outillée. Pourtant, le 6 juin 1941, alors que la Wehrmacht s’apprêtait à envahir l’Union soviétique, Louis Renault écrivait à Raoul Dautry : “Vous savez sans doute que nous faisons des camions dont les deux tiers sont réquisitionnés par l’armée d’occupation et un tiers destinés aux besoins civils ; nous travaillons à environ 40% de nos moyens, avec dix-huit mille ouvriers travaillant 35 heures“.
Lire la 5ème partie de la biographie de Louis Renault
Dernière mise à jour : 19 décembre 2012
Renault : les héritiers de Louis Renault contestant la nationalisation en 1945 arrêtés dans leur élan judiciaire
La Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente, ce mercredi, pour juger de la requête des héritiers de Louis Renault. Ceux-ci demandaient réparation pour la nationalisation-sanction de la firme automobile en 1945.
Sur le même sujetLes héritiers du constructeur Louis Renault ont perdu leur bataille. La Cour d’appel de Paris s’est déclarée incompétente, ce mercredi, pour juger de leur requête, alors qu’ils demandaient réparation pour la nationalisation-sanction de la firme en 1945. La Cour, statuant au civil, a confirmé la décision prononcée en janvier dernier en première instance. “Nous allons très probablement déposer un pourvoi en cassation”, ont toutefois déclaré Maîtres Louis-Marie de Roux et Laurent Schrameck, associés de Maître Thierry Lévy, avocat des petits-enfants de l’industriel, accusé de collaboration avec l’occupant allemand à la Libération.
Pas de question de constitutionnalité
Les petits-enfants de Louis Renault auraient souhaité que la Cour d’appel transmette au Conseil constitutionnel une “question prioritaire de constitutionnalité” (QPC) contestant la validité de l’ordonnance de confiscation prise le 16 janvier 1945 par le gouvernement provoire du général De Gaulle. A l’audience, le 18 septembre, Maître Lévy avait estimé que cette confiscation sans indemnisation constituait une “voie de fait”, relevant donc des juridictions judiciaires et non administratives. Mais la Cour lui a donné tort et, par voie de conséquence, a jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la QPC.
Historiens divisés
Les historiens restent divisés sur les faits reprochés à Louis Renault, mort dans des conditions douteuses en détention. A la Libération, un mandat a été délivré contre lui, le 19 septembre 1944, pour “atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat”. Le 23 septembre 1944, malade, il se rend librement à la convocation d’un juge qui l’inculpe et le fait incarcérer à Fresnes. Mis au secret et battu à maintes reprises, le fondateur de Renault voit sa santé déjà chancelante (insuffisance rénale grave) se dégrader rapidement. Il décède le 24 octobre 1944 à l’âge de 67 ans, un mois après son incarcération.
Taxis de la Marne
C’est en 1898, à l’âge de 21 ans, que Louis Renault avait construit sa première voiturette, en modifiant un tricycle De-Dion-Bouton. Ce sera la Type A. L’année suivante, la société Renault Frères est fondée. La société reçoit sa première grosse commande de 250 taxis en 1905. Louis Renault devient en 1909, à 32 ans, seul héritier de la fortune familiale et unique maître de sa société. Deux ans plus tard, il fait un voyage aux Etats-Unis où il est séduit par les méthodes de production de Ford. En 1914, 1.200 taxis Renault sont réquisitionnés. Les fameux “Taxis de la Marne” propulseront Renault au sommet de la popularité. Pendant les quatre ans de guerre, Louis Renault participe à l’effort de la guerre. En plus des voitures, camions, tracteurs, obus et fusées, il construit des éléments de fusils et de canons, des moteurs d’avion et même des appareils de reconnaissance.
Luttes sociales
L’empire Renault se développe après la Première guerre mondiale, avec une filière complète comprenant fonderies, forges, carrières, scierie, aciers, carton, caoutchouc, huiles, lubrifiants, matériel électrique… En 1929, il démarre la production dans ce qui deviendra l’usine historique de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt. Le site sera le symbole du progrès mais aussi des luttes sociales, qui culmineront en 1936. Patron autoritaire, Louis Renault restera aux yeux des syndicats le patron à abattre, symbole du capitalisme. A la déclaration de guerre en 1939, la firme devient le fournisseur de l’armée française.
Contraint de réparer les chars allemands
En mai 1940, Louis Renault part aux États-Unis. Il y rencontre notamment le président Franklin Roosevelt ainsi que plusieurs industriels et généraux américains. Mais, entretemps, la défaite face à la Wehrmacht a entraîné l’occupation des deux-tiers de la France. Ses usines sont réquisitionnées par l’armée d’occupation allemande. Renault est alors contraint de réparer des chars de combat. Les usines Renault sont en effet passées sous administration allemande. Le groupe tourne au ralenti. Les ateliers manquent de matières premières, et subissent de nombreux bombardements anglo-saxons. La production des usines Renault pendant toute l’Occupation représentera environ 60% de la production de la seule année 1939.
Les héritiers de Louis Renault réclament réparation pour la nationalisation de Renault
Alain-Gabriel Verdevoye
Les héritiers de Louis Renault, fondateur et patron emblématique de la firme automobile, ont demandé mardi, à la cour d’appel de Paris, réparation pour la nationalisation-sanction de 1945 par le gouvernement provisoire du général de Gaulle. La cour doit s’exprimer le 21 novembre.
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Renault, longtemps symbole de l’industrie française, n’arrive décidément pas à être une entreprise comme les autres. Son histoire la rattrappe toujours. Les héritiers de Louis Renault, fondateur et longtemps patron de la firme automobile, ont demandé mardi, à la cour d’appel de Paris, réparation pour la nationalisation-sanction de 1945 par le gouvernement provisoire du général de Gaulle. La cour doit s’exprimer le 21 novembre sur sa compétence pour trancher un dossier, sur lequel le TGI avait refusé en janvier dernier de se prononcer. Elle dira le cas échéant si elle juge opportun de transmettre au Conseil constitutionnel une “question prioritaire de constitutionnalité” (QPC) déposée par les héritiers de l’industriel français.
Action initiée par les petits-enfants
L’action a été initiée par sept petits-enfants de Louis Renault (1877-1944) qui contestent la validité de l’ordonnance de confiscation du 16 janvier 1945 ayant transformé Renault en Régie nationale des usines Renault, pour faits de collaboration avec l’occupant allemand. L’avocat des héritiers Renault, Maître Thierry Lévy, a estimé que cette confiscation sans indemnisation avait constitué une “voie de fait”, relevant donc des juridictions judiciaires et non administratives. Une ” théorie totalement impossible”, avait répliqué l’avocat de l’Etat, Maître Xavier Normand-Bodard, affirmant que l’ordonnance concernée avait “valeur législative”.
Historiens divisés
Les historiens restent divisés sur les faits reprochés à Louis Renault, mort en détention. A la Libération, un mandat a été délivré contre lui, le 19 septembre 1944, pour “atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat”. Le 23 septembre 1944, malade, il se rend librement à la convocation d’un juge qui l’inculpe et le fait incarcérer à Fresnes. Mis au secret et battu à maintes reprises, il voit sa santé déjà chancelante (insuffisance rénale grave) se dégrader rapidement. Il décède le 24 octobre 1944 à l’âge de 67 ans, un mois après son incarcération.
Taxis de la Marne
C’est en 1898, à l’âge de 21 ans, que Louis Renault avait construit sa première voiturette, en modifiant un tricycle De-Dion-Bouton. Ce sera la Type A. L’année suivante, la société Renault Frères est fondée. La société reçoit sa première grosse commande de 250 taxis en 1905. Louis Renault devient en 1909, à 32 ans, seul héritier de la fortune familiale et unique maître de sa société. Deux ans plus tard, il fait un voyage aux Etats-Unis où il est séduit par les méthodes de production de Ford. En 1914, 1.200 taxis Renault sont réquisitionnés. Les fameux “Taxis de la Marne” propulseront Renault au sommet de la popularité. Pendant les quatre ans de guerre, Louis Renault participe à l’effort de la guerre. En plus des voitures, camions, tracteurs, obus et fusées, il construit des éléments de fusils et de canons, des moteurs d’avion et même des appareils de reconnaissance.
Luttes sociales
L’empire Renault se développe après la Première guerre mondiale, avec une filière complète comprenant fonderies, forges, carrières, scierie, aciers, carton, caoutchouc, huiles, lubrifiants, matériel électrique… En 1929, il démarre la production dans ce qui deviendra l’usine historique de l’île Seguin à Boulogne-Billancourt. Le site sera le symbole du progrès mais aussi des luttes sociales, qui culmineront en 1936. Patron autoritaire, Louis Renault restera aux yeux des syndicats le patron à abattre, symbole du capitalisme. A la déclaration de guerre en 1939, la firme devient le fournisseur de l’armée française.
Contraint de réparer les chars allemands
En mai 1940, Louis Renault part aux États-Unis. Il y rencontre notamment le président Franklin Roosevelt ainsi que plusieurs industriels et généraux américains. Mais, entretemps, la défaite face à la Wehrmacht a entraîné l’occupation des deux-tiers de la France. Ses usines sont réquisitionnées par l’armée d’occupation allemande. Renault est alors contraint de réparer des chars de combat. Les usines Renault sont en effet passées sous administration allemande. Le groupe tourne au ralenti. Les ateliers manquent de matières premières, et subissent de nombreux bombardements anglo-saxons. La production des usines Renault pendant l’Occupation représentera environ 60% de la production de la seule année 1939.
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