Le parcours de Roger Vacher constitue un cas exemplaire de mobilité et de réussite sociales au sein d’une grande entreprise. Issu d’un milieu modeste, entré chez Renault comme apprenti de l’école professionnelle, en 1940, il achève sa carrière en tant que directeur de Billancourt, en 1985, après quarante-cinq ans d’une carrière exceptionnelle.
Histoire Renault – Entretien avec Roger Vacher 1 par Boulogne-Billancourt
Entretien 1ère partie
Roger Vacher est né le 24 avril 1925, à Paris, de parents d’origine bourguignonne. Sa mère, Henriette Vadrot, est la fille de cultivateurs qui exploitent une ferme de dix hectares dans le Morvan. Le père de Roger, Lazare, né en 1897, orphelin de père à l’âge de 12 ans, travaillait comme ouvrier agricole depuis qu’il avait obtenu son certificat d’études [1]. Mobilisé en 1916, il effectua près de trois ans de service actif. Roger Vacher se souvient d’un père au naturel jovial qui, bien qu’ayant été gazé au combat, évoquait toujours la guerre avec humour.
Après le conflit, sa mère monta à Paris où elle exerça de petits métiers tandis que son père était ouvrier métallurgiste chez Schneider au Creusot. En 1922, le couple s’installa à Paris où il occupa la fonction de concierge, rue de Sèvre, puis avenue Gambetta. Leurs trois enfants, Juliette, Roger et Michel, naquirent dans la capitale.
Neuf ans plus tard, Lazare fut embauché par la Société des Transports en commun de la région parisienne (STCRP), la future RATP. Alors que la crise sévissait, il obtint une relative sécurité de l’emploi et bénéficia d’un mois de vacances plusieurs années avant que la loi sur les congés payés fût promulguée. Conducteur de tramway et de bus, il termina sa carrière dans les années cinquante comme chauffeur particulier d’un dirigeant de la RATP. A la même date, la famille se vit attribuer un appartement dans les nouvelles Habitations à bon marché (HBM) de la porte de Bagnolet. Lazare Vacher était un homme de gauche qui lisait L’humanité mais aussi Paris-Soir afin de varier ses sources d’informations. Son fils Roger s’est très tôt intéressé aux questions sociales, notamment aux conflits dont on parlait beaucoup dans la presse au cours de son enfance. Agé de onze ans en 1936, il se souvient surtout des grandes manifestations, de l’aspect « folklorique » du Front populaire.
Histoire Renault – Entretien avec Roger Vacher 2 par Boulogne-Billancourt
Entretien 2ème partie
« La jeunesse de Roger Vacher, écrit Aimée Moutet, n’a en soi rien d’exceptionnel, mais elle est révélatrice d’une personnalité forte. Elle a surtout été incongrue par rapport à sa carrière future, ce dont il a su faire un atout irremplaçable. Vacher, c’est un gamin de la « zone » (…) Sa vie s’est donc partagée entre l’école communale du quartier, la rue où il se bagarrait avec les copains et le sport – le vélo – , auquel son père, grand sportif lui-même, l’a initié ».
Il passe son certificat d’études primaires à l’école Henri-Chevreau, situé près de la gare de petite ceinture de Ménilmontant. Après le cours supérieur A, il suit pendant deux ans un cours d’enseignement complémentaire dit « industriel », puis intègre l’école professionnelle de la rue Friant, dans le XIVème arrondissement, afin de préparer le CAP et le brevet technique ; son objectif était d’entrer à l’Ecole nationale des Arts et Métiers. Mais, toujours aussi chahuteur, et sans doute victime du climat « d’ordre moral » qui régnait en France depuis la défaite de 1940, Roger Vacher fut renvoyé de l’école au mois de novembre. A quinze ans, sans diplômes, il dut se tourner vers la formation interne que délivraient les grandes entreprises. Sur la recommandation d’un cousin de la famille, un ancien de Schneider employé chez Renault comme contremaître à la fonderie « BB », il intégra l’école professionnelle de la firme au losange. Grâce à d’autres témoins tels qu’Alcide Alizard pour l’Aisne, ou encore Robert Desmond pour la Dordogne, nous avons entrevu le rôle joué par les réseaux régionaux dans le recrutement de l’entreprise. Notons avec Roger Vacher qu’une partie non négligeable de l’encadrement de Renault était occupé par des Bourguignons [2], dont beaucoup étaient d’anciens Schneider.
Histoire Renault – Entretien avec Roger Vacher 3 par Boulogne-Billancourt
Entretien 3ème partie
En entrant chez Renault, Roger Vacher n’a pas vraiment le moral : ses parents le destinaient à une grande école et il se retrouve à l’usine. Car l’Ecole professionnelle Renault, c’est tout au plus une heure trente de cours magistraux, délivrés le matin, dans les locaux de l’Ecole professionnelle située près du métro Billancourt, mais six heures et demie de cours pratiques en atelier. Alors qu’un grand nombre de ses condisciples étaient affectés dans des ateliers de la « grande usine » ou usine A (elle comprenait l’île Seguin, le Bas-Meudon et ce qu’on appellera le « trapèze ») – Roger Vacher effectua son apprentissage dans l’usine O, située près de la Porte de Saint-Cloud, en bord de Seine, dans l’atelier de tôlerie-chaudronnerie ; le jeune homme, qui avait fait deux ans de collège technique et devait passer son CAP d’ajusteur-mécanicien, avait « le sentiment de déchoir ». Mais il s’adapta assez vite grâce à son tempérament, au contact qu’il entretenait avec les ouvriers et à l’exemple que lui donnait un ancien de l’école professionnelle, Valentin de Luca, féru de course à pied. Car Roger Vacher, qui jouait au football à Montreuil en cadet, est un passionné de sport. C’était d’ailleurs un domaine cher à Louis Renault, qui avait institué le club olympique dès la fin de la Grande Guerre, et pratiquait lui-même la natation, le tennis et l’aviron. Valentin de Luca était un des meilleurs coureurs de cross-country en catégorie cadet et figurait parmi les lauréats de Paris-Soir. Grâce à lui, Roger et un autre de leurs amis purent intégrer le Club olympique de Billancourt (COB). La pratique du sport aida le jeune homme à retrouver l’équilibre et le moral. « C’était très important pour moi », explique-t-il. Etant cadet,
« j’ai eu la chance de connaître Monsieur El Ouafi, qui avait été, sous les couleurs du CO de Billancourt, champion du marathon en 1928 ».
A cette époque, Roger Vacher n’avait pas une vue d’ensemble de l’usine et ne faisait pas le tour des ateliers, comme cela pouvait se pratiquer parmi les apprentis mécaniciens. « Je n’avais aucune idée de ce qu’était la « grande usine ». L’essentiel de la production était alors situé dans l’usine A et il fallut attendre 1943 pour qu’une chaîne de montage de petits camions à cabine avancée, destinés au Front de l’Est, fût installée dans l’usine O. Le jeune homme n’en était pas moins en contact direct avec le personnel ouvrier. Pendant l’Occupation, il constata que les choses se passaient très tranquillement, c’est-à-dire qu’ouvriers et maîtrise étaient loin de forcer les cadences. Le patriotisme n’était pas le seul facteur de ralentissement. L’hiver 1941-1942 fut particulièrement rigoureux, rappelle Roger Vacher – la Seine charriait alors des blocs de glace – et les ateliers n’étaient pas chauffés. L’encadrement, pas trop regardant sur le rendement, laissait volontiers les ouvriers prendre le temps de se réchauffer à un braséro afin qu’ils pussent continuer le travail. « A l’usine O, l’encadrement ne poussait absolument pas à la roue ». A cela, il faut bien sûr ajouter les carences alimentaires. Beaucoup d’ouvriers étaient probablement satisfaits d’être employés sur place plutôt que de devoir partir en Allemagne. « Il y avait une très bonne ambiance ».
Bien que le grand patron se rendît plus souvent dans la « grande usine » où se trouvaient les ateliers de mécanique, Roger Vacher eut l’occasion de voir Louis Renault à deux reprises. « J’ai vu Monsieur Renault de près, se souvient-il, car j’étais assis aux premiers rangs lors de la distribution annuelle des prix – en 1942 ou 1943 ». A cette occasion, Roger Vacher découvrit un homme très diminué, qui avait beaucoup de mal à s’exprimer en raison de l’aphasie dont il souffrait. Louis Renault était accompagné de son beau-frère, Roger Boullaire, directeur de l’usine O.
Roger Vacher se souvient parfaitement des attaques aériennes qui frappèrent les usines Renault, notamment du bombardement du 4 avril 1943, au cours duquel il perdit un de ses camarades de l’école professionnelle, et de celui du 15 septembre 1943, qui toucha directement l’usine O. Pendant le mois de fermeture de l’usine, il fut envoyé faire des vendanges.
C’est à l’approche de ses 19 ans, en janvier 1944, que Roger Vacher entra dans la Résistance. Il commença par distribuer des tracts. Puis, en mars, alors que ses amis et lui se réunissaient le soir métro Pelleport, au mépris du couvre-feu, ils furent violemment pris à partie par une escouade de la milice, échauffourée au cours de laquelle un de ses camarades fut tué. Cet évènement tragique poussa Lazare Vacher et le père d’un ami de Roger à éloigner leurs fils de la capitale en les faisant recruter par la Compagnie générale des fours, à Digoin, en Saône-et-Loire. Roger y fut employé à l’entretien. Un jour, son hôtelier vint le prévenir qu’il ne devait pas rentrer car la Gestapo d’Autun le recherchait. N’ayant pas encore vraiment participé à des actions de résistance, Roger, surpris mais prudent, partit aussitôt se réfugier chez ses grands-parents maternels dans le Bas-Morvan. Après quelque temps, il y rencontra un ami entré dans la Résistance et rejoignit avec lui le maquis Louis avant le débarquement allié en Normandie. « Je n’ai jamais été un héros, mais j’étais résistant, j’étais maquisard », remarque-t-il avec modestie.
Il songea un moment à s’engager dans l’armée de De Lattre de Tassigny qui, remontant depuis le sud, libéra la région en septembre ; mais il rentra finalement à Paris sur l’avis de ses parents, tout en espérant s’engager dans l’armée du général Leclerc. Comme les communications étaient coupées, il ne parvint à rejoindre la capitale que fin octobre 1944.
Roger Vacher ne fut pas choqué outre mesure par l’arrestation de Louis Renault, en septembre 1944, mais il estimait que la disparition du fondateur de l’entreprise, survenue un mois plus tard, n’était peut-être pas tout à fait naturelle. Surtout, il ne comprenait pas qu’on pût condamner un homme sans le juger.
Lorsqu’il réintégra finalement l’usine, Roger Vacher ne savait toujours pas dans quel domaine il pouvait s’orienter. Le nouveau directeur de l’Ecole professionnel, un intellectuel de l’Action française, qui avait été précepteur de Jean-Louis Renault, André Conquet, l’orienta vers une formation d’aide-chimiste. Le jeune homme fut tout de suite enthousiasmé par cette proposition. Placé en stage pendant quelques semaines au laboratoire central, adjoint à Gassner, qui avait été sélectionné pour le lancer de javelot aux Jeux Olympiques, douze ans plus tôt, il fut affecté comme aide-chimiste au département 32, sur l’île Seguin, côté Meudon. Il y occupait les fonctions d’aide-chimiste dans le laboratoire des traitements électrolytiques (ces opérations étaient faites en vue du chromage des pare-chocs et d’autres éléments). Le secteur avait été créé en 1930 par l’ingénieur E. Longchamp qui en conservait la direction. En plus de son travail à l’usine, Roger Vacher suivit les cours de la Maison de la Chimie puis la formation du prestigieux Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM).
Histoire Renault – Entretien avec Roger Vacher 4 par Boulogne-Billancourt
Entretien 4ème partie
Ci-dessus : En 1945, dans le laboratoire des traitements électrolytiques de l’île Seguin © Roger Vacher – Tous droits réservés.
Histoire Renault – Entretien avec Roger Vacher 5 par Boulogne-Billancourt
Entretien 5ème partie
L’objet de du site louisrenault.com n’est pas d’évoquer la période postérieure à 1945 et, pourtant, il serait dommage de ne pas mentionner, même très brièvement, l’étonnante carrière de Roger Vacher. Grâce à son caractère volontaire, à sa connaissance des hommes et à sa grande capacité de travail, il parvint à occuper des fonctions de premier plan au sein de l’entreprise. En 1949, le voici chef du laboratoire de traitements électrolytiques, fonction qu’il remplit pendant dix ans, avant de devenir chef adjoint du département 32 dont il prend la direction en 1964. Deux ans plus tard, il est nommé chef du département de montage de l’île Seguin, (n°74), « le plus gros ensemble de production de Billancourt » [3], alors que la France s’apprête à connaître un mouvement de grèves sans précédent. Sa gestion des questions sociales, de l’organisation de la fabrication, enfin son regard critique sur les rouages de la direction, le distinguent au sein des cadres de l’entreprise. Fort de ses compétences, il assure la direction de l’usine de Billancourt, pendant douze ans, de 1974 à 1986.
Pour toute référence à ce document, merci de préciser : Laurent Dingli, “Entretien filmé avec Roger Vacher, 21 mars 2012”, louisrenault.com, février 2013.
Dernière mise à jour : 13 février 2013
[1]. A. Moutet, Roger Vacher, De l’Ecole professionnelle Renault à la Direction de l’usine de Billancourt 1940-1985, Société d’Histoire du Groupe Renault, Boulogne-Billancourt, 2003.
[2]. C’était notamment le cas d’Alphonse Grillot.
[3]. A. Moutet, op. cit., p. 32.
Bonjour,
Je fais des recherches généalogiques et il apparaît qu’une HUDE aurait été mariée avec un des administrateurs de Louis Renault.
Malheureusement je n’ai pas de traces et à quelle époque aurait vécu cet administrateur, je ne le sais pas.
Auriez-vous une idée de l’organisme qui pourrait avoir une liste de ces administrateurs ?
Cordialement,
Richard HUDE
Bonjour,
je pense que les légendes des photos de la fin de cet entretien sont inversées pour l’avant-avant dernière et la dernière.
Et concernant la dernière, il ne s’agit pas de Roger Vacher mais de René BERLAND mon père, qui était un ami et proche collaborateur de Roger Vacher. (il était d’ailleurs de la mission au Japon)
Cordialement
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