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Ordonnance du juge Martin du 29 septembre 1944 et rapport médical du 3 octobre 1944

Source : Archives Nationales Z 6NL 9

Ordonnance du juge Martin du 29 septembre 1944

(…) Commettons MM. les docteurs Heuyère, Genil Perrin et Abély, médecins experts au tribunal de la Seine à l’effet de… procéder à l’examen mental de l’inculpé Renault Louis et dire :
1°) Si sa responsabilité est entière, atténuée ou inexistante. Préciser le cas échéant les anomalies psychiques ou mentales qui sont de nature à atténuer sa responsabilité ou à faire considérer l’inculpé comme en état de démence au sens de l’art. 64 du code pénal à l’époque des faits qui lui sont reprochés.
2°) si l’inculpé doit, au cas où il serait reconnu en état de démence, être interné (1) …

Rapport médical du 3 octobre 1944

M. Louis Renault a été examiné par nous en collaboration avec deux de nos collègues, sur ordonnance de M. le Juge d’Instruction Martin en date du 23 septembre et, dans un rapport en date du 27 septembre, nous avions conclu que M. Renault présentait une aphasie sensorielle avec apraxie et agnosie, pouvant laisser suspecter  un début de démence sénile, vraisemblablement à forme de maladie d’Alzheimer, que son état était incompatible avec son maintien en détention, et qu’il était nécessaire qu’il soit placé dans un hôpital psychiatrique pour qu’il y soit mis en observation et que soit précisée la mesure qui devra être prise à son égard (2).

Les médecins soussignés, Experts auprès des tribunaux, Docteur Genil-Perrin, Médecin Directeur de l’Hôpital Henri-Rousselle, Docteur P. Abély, Médecin chef de l’Hôpital psychiatrique de Villejuif, Docteur G. Heuyer, Médecin des Hôpitaux, Médecin chef de l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police (…)
M. Renault que nous avons examiné à l’Infirmerie Centrale de Fresnes est un homme de 67 ans. Dès le premier abord, il est manifeste qu’on est en présence d’un grand malade.
Il nous accueille avec une certaine euphorie, un peu d’excitation et un sourire mal approprié aux circonstances.
Il a de très graves troubles de la parole.
Il est aphasique, ou plus exactement paraphrasique (3). Quand nous l’interrogeons sur son âge, il ne peut le dire exactement. Quand nous lui demandons sa date de naissance, il répond : « je crois 70, non 67 (deux fois) ». Par contre, quand nous lui demandons de donner par écrit son âge, avec beaucoup d’excitation, d’une écriture non tremblée, il donne un chiffre exact : « 67 ». Il écrit de même sa date de naissance : « 1877 ».
Interrogé sur la date, il ne peut la donner. Il nous dit : « ce doit être plus tard… je cherche… » Mais à l’un de nous qui l’a examiné alors qu’il venait de dormir et qu’il était tout à fait reposé, il a pu donner par écrit la date du 3 octobre. Mais une heure après, il ne pouvait plus l’écrire, il écrivait 2 et quelques lettres incompréhensibles. Il était incapable de donner l’année.
Au sujet de ses antécédents, il nous dit que son père est mort à 62 (sic). De quoi ? – je ne sais pas… j’étais tout jeune.
Au sujet de sa mère, il nous dit : -« Après le jour où il y a eu… entre… ».
Il a eu 5 frères et sœurs. Avec beaucoup de peine, il dit les noms de trois d’entre eux. Georges, mort vraisemblablement d’une typhoïde (A ce sujet il se livre à toutes sortes de circonlocutions pour faire comprendre qu’il s’agissait d’une maladie infectieuse gagnée en buvant de l’eau sale)… Fernand, Marcel… au sujet duquel il déclare : « Il est tombé… ».
Il rappelle ainsi l’accident célèbre où son frère Marcel a été tué à Couhé-Vérac, pendant la course Paris-Madrid.
Au sujet de ses antécédents, il nous dit qu’il n’a pas eu de maladie importante. Quand nous lui demandons s’il a eu la syphilis, il répond : « On a cru, qu’on a cru que…j’avais… Il n’y en n’avait pas ». Il nous dit qu’il a été soigné pour appendicite. De plus, il nous fait comprendre, surtout par gestes, qu’il y a 10 ans, il a eu un accident avec traumatisme crânien, et il nous montre à la région pariétale supérieure, une légère dépression osseuse. Il ne peut donner le nom du chirurgien qui l’a soigné.
Au sujet de ses antécédents d’études, il nous dit : « J’ai passé… dans la… qui avait… je suis entré tout de suite pour un an… sur le centre O.S… et puis je suis revenu…(toutes ces explications sont incompréhensibles). Quand nous l’interrogeons au sujet de son service militaire, il répond : « oui… un an… ».
D. – où ?
R. – La 3… 6, ça m’ennuie de ne pas pouvoir dire ce que je pense.
(Ainsi de temps en temps, il peut donner une phrase logique et bien composée).
D. – Depuis quand travaillez-vous à l’usine ?
R. – Plus beaucoup… et puis après… avant et avec mes autres pensées… Je travaille dans l’usine… ça allait très bien… ».
D. – Quand avez-vous monté votre usine ?
R. – En sortant du… Je vais vous dire… Je devais rentrer dans la maison… où j’avais autrefois… Comme j’avais été très bon… bon si vous voulez… je n’ai fait que ce qu’on faisait en ce temps-là… »
D. – Où êtes-vous ici ?
R. – Je ne sais pas exactement… On m’a dit qu’il fallait aller…
Et Monsieur Renault nous fait comprendre qu’il est dans un hôpital pour se soigner.
Il est tout à fait inconscient de son état morbide et il nous assure par gestes être bien portant…
D. – Vous êtes en prison, savez-vous pourquoi ?
R. – On m’a dit que j’avais fait des choses contre… Mais j’ai tout fait cela… Je peux vous le dire…
D. – Avez-vous collaboré avec les Allemands ?
R. – Au contraire… Vous savez que 10-12 jours… On avait peur qu’il fallait voir… des chars… Alors on m’a dit : il faut partir immédiatement avec votre fils (4) … Je parle bien anglais… Ma femme aussi… Alors on a dit : Partez tous les trois… Alors… (A ce moment, il s’exprime avec une série de mots ou de sons absolument incompréhensibles). Voilà ce qui m’a été dit… Je vous dis cela comme de tout en ce moment… ».
« Alors M. Briand… m’a envoyé dans les fermes… (sic). Alors, on a regardé deux à trois fois à quatre fois… et on a vu immédiatement que c’était fini… Voilà ce que c’est… ».
« Alors on m’a demandé… Vous voyez ce que j’ai été… Il n’y avait plus rien à faire… Je suis parti immédiatement avec mon fils et ma femme… Je pouvais rester… Je suis allé immédiatement… Je suis retourné pour savoir ce que sont… à faire… vous comprenez – N’est-ce pas mon devoir ? J’ai pensé qu’il faudrait voir… On a fait ce qu’on a pu… On a donné tout ce qu’on pouvait d’argent… Il y en a qui sont restés d’un côté, d’autres d’un autre… Alors je suis arrivé. Je suis rentré et j’ai vu là… Il y avait fermé avec deux ou trois Allemands qui prenaient la place… alors… alors… j’avais su qu’on voulait que je donne les portes de nos… Il y en avait trois (5) … alors je les avais… et ça n’a tenu qu’à huit heures… un mois… et je les ai rapportés.
« Le Dimanche (6),  je me souviens… alors, on est venu… On a dit : Vous avez les plans… Nous le savons… Il faut faire de ces corps… j’ai dit non. Alors le Général m’a dit : alors nous prendrons l’usine… J’ai dit : vous le ferez si vous le voulez… Mais non, je veux que vous montiez (7) … faire marcher… Alors, j’ai dit que non… Je ne l’ai pas fait… Alors on a dit : Eh bien, vous ne voulez pas ? Bon, vous avez des parties (8). Nous les prenons et nous les prendrons avec nos hommes… Ils l’ont prise et alors je n’avais plus rien à dire… Puisque c’était eux qui étaient… Alors pendant tout le temps, je n’ai jamais fait rien d’autre que le travail de l’usine, c’est-à-dire personne… Je n’ai jamais demandé de faire quelque chose pour les Allemands… J’y allais voir… Mais les hommes qui étaient là ne me parlaient pas… Ils avaient un bureau et quand ils me voyaient, ils faisaient comme cela (Il fait le geste du salut militaire). Ils ne me disaient rien. »
A un autre moment, quand nous demandons à Monsieur Renault s’il a travaillé pour les Allemands, il répond : « On a dit que j’avais travaillé avec les Allemands. Eh bien non. Ils ont dit, les Allemands : si vous ne faites pas ce que… c’est-à-dire des tanks… »
Et il ne peut continuer davantage (…)
Ses réponses sont d’ailleurs très variables : Quand il est fatigué, il est incapable de désigner le nom des objets et il paraît beaucoup plus profondément agnosique qu’il ne l’est lorsqu’il est reposé au début de l’examen.
Il en est de même pour les épreuves destinées à mettre en évidence l’apraxie.
Il dément avoir travaillé pour les Allemands… il ne sait pas comment a commencé la guerre.
Il ne donne aucune réponse exacte sur la table de multiplication. Il est incapable de résoudre un petit problème de pourcentages…
Spontanément il fait des erreurs d’habillage. Il oublie de mettre une manche de son pull-over. Très difficilement, il fait le nœud de sa robe de chambre ; il le renouvelle avec une persévération telle qu’il finit par faire plusieurs nœuds. Avec une grande difficulté et une très grande lenteur, il arrive à remettre ses chaussettes et ses chaussures, mais en se trompant à maintes reprises avant de réussir.
Quand nous lui demandons de fermer les yeux, il ouvre la bouche. Il se reprend plusieurs fois avant de faire le salut militaire, qu’il ne réussit d’ailleurs pas correctement, du moins à la française.
Quand nous lui demandons de répéter un certain nombre de gestes habituels, il ne peut en exécuter que quelques-uns correctement. Il peut tracer une ligne droite avec une règle mais est incapable de faire un angle. Il ne peut faire spontanément un losange et ne peut le copier que très difficilement. Il allume une bougie correctement après des hésitations.
Toutes ces épreuves et d’autres encore, destinées à mettre en évidence l’apraxie, sont, comme les précédentes, destinées à apprécier son agnosie, réalisée d’une façon très variable (…) Néanmoins, à plusieurs reprises, nous avons essayé de lui faire réussir l’épreuve des trois papiers de Pierre Marie. Il lui a été impossible de réussir cette épreuve.
Nous avons cherché à obtenir sa signature. Il nous l’a donné sans aucune difficulté, sans chercher à savoir ce que nous lui faisions signer, montrant ainsi une suggestibilité anormale (…) A l’examen physique, il n’existe pas de lésion nerveuse en foyer. Il n’y a pas de paralysie. Il n’existe aucun des petits signes d’une maladie organique. Nous n’avons pas trouvé non plus, d’une façon nette, de signe de Babinski à droite ni à gauche. Les pupilles sont un peu en myosis, mais réagissant normalement. Il n’y a pas de signe d’une lésion viscérale. Physiquement même, Monsieur Renault paraît un vieillard bien conservé. Ainsi il ne lui manque aucune dent.
La tension artérielle est un peu élevé : TA = 20 – 9. Elle est d’ailleurs variable car, 5 jours après, elle n’était plus que de 18 – 11.
Pièces communiquées
Lettre du Docteur de Gennes adressée à l’un des Experts, en date du 2 octobre 1944 :
« Mon cher ami,
Je vois que vous êtes appelé à donner votre avis sur Monsieur Renault Louis. Je l’ai soigné depuis 4 ans avec Alajouanine et nous avions fait le diagnostic de maladie de Pick. Cette affection n’a pu que s’aggraver depuis 4 ans (…)

Discussion

Il est évident que Monsieur Renault est un grand malade. Il a des troubles aphasiques indiscutables. Il est incapable d’évoquer les mots et les phrases. Il a une amnésie verbale, et ce trouble de la parole si particulier qu’on appelle paraphrasie. Il déforme les mots, et surtout, il substitue les mots les uns aux autres. Il lui arrive d’ailleurs de s’en apercevoir. Il s’arrête et fait quelquefois effort pour arriver à une expression plus correcte. Il est remarquable qu’il a relativement peu de surdité verbale. Il semble comprendre à peu près les paroles qu’on prononce devant lui. Nous disons qu’il semble les comprendre à peu près. En réalité, les réponses qu’il donne sont souvent absurdes, et il est difficile de dire qu’il ne comprend pas la question posée ou s’il ne peut pas répondre à cause de la paraphrasie qu’il présente.
De même il a peu de cécité verbale. Nous lui avons fait lire des articles de journaux dans lesquels il est pris à partie. Avec beaucoup de difficultés, très lentement, il a fini par les lire et il les a compris dans l’ensemble, car il s’est mis en colère. Toutefois, quelques minutes après, il lui était impossible de relire les mêmes articles. Il suivait les lettres avec son stylo et ne comprenait manifestement plus l’ensemble de la phrase. Il répétait toujours la même syllabe avec la persévération si spéciale des paraphrasiques (…)
Surtout Monsieur Renault est tout à fait inconscient de son état morbide. Il est euphorique, satisfait, ne souffre pas de sa situation. Il est indifférent à son sort (9) (…)
Quand nous l’interrogeons au sujet de ses rapports avec les Allemands, il comprend dans l’ensemble ce qui lui est reproché. Il se défend et dans ses propos, que nous avons rapportés d’une façon textuelle, on peut voir, malgré l’apparente absurdité des mots, une certaine intention de se défendre et le désir de montrer qu’il n’a obéit qu’à la force.
Il n’en reste pas moins vrai que… Monsieur Renault présente un affaiblissement intellectuel profond qui entre dans le cadre de la démence sénile.
Au point de vue du diagnostic précis, on peut discuter entre la maladie d’Alzheimer et la maladie de Pick. Il semble qu’il s’agisse davantage de la maladie d’Alzheimer qui survient également entre 50 et 60 ans, avec une déficience intellectuelle lente au cours de laquelle la mémoire et l’activité mentale s’affaiblissent en quelques années. Les troubles du langage sont capitaux (…)
Les symptômes d’affaiblissement sont moins diffus dans la maladie de Pick. Les signes donnent davantage l’aspect d’une lésion en foyer. Il faut dire d’ailleurs que le diagnostic entre ces deux maladies est extrêmement difficile. Ce n’est souvent qu’un diagnostic qui se fait à l’autopsie. Les lésions d’atrophie cérébrale de la maladie d’Alzheimer sont diffus, ceux de la maladie de Pick, plus localisés.
Quoi qu’il en soit, ce sont là deux formes d’une démence très voisine l’une de l’autre et dont le caractère essentiel est d’être une démence prématurément sénile.
Ce qui est important, c’est que l’une et l’autre comportent un état démentiel d’affaiblissement intellectuel. Elles sont l’une et l’autre chroniques, progressives et incurables (…)
Ainsi, il y a 4 ans, à la fin de 1940, M. Renault avait déjà des signes démentiels aussi bien du point de vue psychiatrique qu’au point de vue médico-légal. Il était alors en état de démence au moment de l’acte, au sens de l’article 64 du Code Pénal.
Pendant toute la période des 4 années qui viennent de s’écouler, la maladie n’a pu que progresser pour arriver à la période actuelle où M. Renault n’a pas conscience de son état morbide et est capable de faire ses besoins au milieu de sa chambre, montrant ainsi un gâtisme profondément démentiel (10).
Il est totalement irresponsable de ses actes.
Il peut paraître surprenant et quelque peu invraisemblable que, pendant 4 années, un dément comme M. Renault ait pu rester à la tête d’une des usines les plus importantes de l’industrie française. Il ne nous appartient pas de l’expliquer.
Ce qu’il nous appartient de dire, c’est que M. Renault est totalement incapable, de surveiller son usine, de donner valablement une signature, de vérifier des comptes, de diriger personnellement son affaire. D’après les renseignements recueillis, cet état remonte à 4 ans environ.
De plus, actuellement, Monsieur Renault est très suggestible. Il accepte tout ce qu’on lui dit. Il signe tout ce qu’on veut bien lui donner à signer. Il est évident qu’il ne peut être laissé libre et sans surveillance.
C’est un grand malade. Il a montré que par son incapacité intellectuelle, sa suggestibilité, il pouvait être entraîné à commettre des actes dangereux pour lui-même et la sécurité des personnes. Il est donc nécessaire qu’il soit interné d’office dans un hôpital psychiatrique sous le couvert de la loi de 1938 (…)

Conclusion

1/ M. Renault est atteint de démence sénile prématurée, à forme d’atrophie cérébrale diffuse qui constitue, au point de vue psychiatrique comme au point de vue médico-légal, l’état de démence au moment de l’acte, au sens de l’article 64 du Code Pénal.
2/D’après les renseignements obtenus, cet état démentiel remonte à l’année 1940. Il n’a pu que s’aggraver progressivement. M. Renault doit être considéré, pour toute cette période, comme ayant été entièrement irresponsable de ses actes…
Il doit être interné dans un hôpital psychiatrique, sous le couvert de la loi de 1938.
Cette mesure d’internement devra être suivie d’une mesure de protection légale sous la forme d’une interdiction, conforme à l’article 489 du Code Civil.

Notes sur le document (Laurent Dingli)

(1) Le rapport médical ne sera déposé au juge que le 14 octobre 1944, soit onze jours après sa rédaction, ce qui n’empêchera pas le transfert de Louis Renault, dès le 5 octobre, à l’hôpital psychiatrique de Neuilly-sur-Marne (Ville-Evrard).

(2) Le rapport médical du 27 septembre précisait en effet que Louis Renault présentait « une aphasie sensorielle avec apraxie et agnosie dont l’ensemble, au point de vue psychiatrique, réalise un début de démence sénile vraisemblablement à forme de maladie d’Alzheimer. Du fait de ses troubles, de son gâtisme, des troubles cardio-vasculaires qu’il présente, cet état est incompatible avec son maintien en détention. Il est nécessaire que Monsieur Renault reçoive des soins, et qu’il soit mis en observation au point de vue psychiatrique dans un hôpital psychiatrique tel que l’hôpital Henri-Rousselle, pour préciser la mesure qui devra être prise ultérieurement ».

(3) La paraphrasie est l’impossibilité de former des phrases correctes complètes

(4) Louis Renault évoque ici avec difficulté sa mission aux Etats-Unis de juin 1940.

(5) Les trois commissaires allemands de Daimler-Benz qui contrôlaient l’usine Renault : le prince Von Urach, Karl Schippert et Alfred Vischer.

(6) Louis Renault confond ici le dimanche 4 août 1940, lorsque s’est tenue la réunion au Majestic à laquelle il a refusé de se rendre, avec le jeudi 1er août, jour où il a reçu l’ultimatum du général allemand Zuckertort.

(7) Nous avons noté que la paraphrasie signifiait l’impossibilité d’achever ses phrases. Le terme employé par Louis Renault – « monté » – n’en demeure pas moins approprié, puisqu’en août 1940 les Allemands réclamaient non pas seulement la réparation des chars français saisis par la Wehrmacht mais aussi leur montage complet par l’industrie française.

(8) Des « parties » de l’usine, en clair, les ateliers Fiat et Astra du Pont de Sèvres que les Allemands allaient réquisitionner définitivement le 5 août 1940.

(9) Et pourtant, les médecins venaient eux-mêmes de constater que Louis Renault se mettait en colère à la lecture des articles qui l’attaquaient.

(10) Louis Renault, qui souffrait de graves crises d’urémie, avait en réalité besoin d’être sondé.

P. Marion à Maître Ribet, Neuilly-sur-Marne, le 16 octobre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

Mon cher Maître,

Je viens de revoir votre client monsieur Louis Renault. Son état a gravement empiré depuis samedi. Et malgré les conditions défavorables où il se trouve j’ai été obligé de le sonder. J’ai évacué un résidu franchement sanglant. Donc il y a grande urgence à transporter ce malade dans une maison de santé urologique où il pourra recevoir les soins nécessités par son état. Ceci est le point de vue médical – mais du point de vue humanitaire il est inadmissible de laisser souffrir un homme que l’on pourrait aisément soulager par un traitement approprié.

Je conçois très bien que l’on hésite, vu la personnalité du malade, à donner l’autorisation de transport, mais alors que l’on provoque au plus tôt une expertise pour accorder cette autorisation.

Croyez, mon cher Maître, à mes sentiments les meilleurs.

Marion

Préfecture de Police – Cabinet de M. Perez y Jorba 30 septembre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

Audition de M. C***, Yves, né le 6 mars 1922 à Issy-les-Moulineaux… secrétaire administratif de la société des Avions Caudron.

Il déclare :

J’ai appris par un représentant de la Milice patriotique, de garde à l’immeuble du 88 avenue Foch, domicile de M. Renault, que des inspecteurs sont venus demander M. Renault, sa femme a demandé avant toute conversation, qu’on lui accorde un délai afin de pouvoir s’habiller.

Pendant ce temps, Mme Renault (a fait) transférer des dossiers par son fils, dans un immeuble situé Lord Byron, appartenant au groupe Caudron-Renault, et où est établi un bureau d’études.

Ces dossiers sont actuellement renfermés dans une pièce dissimulée près du corps de garde.

Après lecture faite persiste et signe.

Le Commissaire de Police

(Après perquisition, on ne trouve dans les 9 caisses numérotées “des pièces d’argenterie, à l’exclusion de tout dossier, ou document quelconque”, ndr).

Préfecture de Police. Déposition de René de Peyrecave du 18 septembre 1944 à 15 heures devant le commissaire Perez y Jorba.

Source : A.N. Z 6NL 9

(…) En ce qui concerne mon activité dans la Société des Usines Renault, je suis en tant que Directeur Général chargé de la Direction courante de la Société, par suite d’une délégation accordée par mon Président, M. Renault. En dernier ressort, tous les ordres viennent de moi. En principe je puis prendre seul toute décision de gestion courante.

En l’absence de M. Renault parti aux Etats-Unis le 27 mai 1940, sur ordre du gouvernement, chargé de mission, je possédais, par délégation, la direction des Usines Renault avec M. Lehideux, autre Administrateur Délégué. Etant le plus ancien dans cette fonction, c’est moi seul qui assurait en fait la Direction (…)

Le 25 juin, j’étais nommé membre de la commission d’armistice avec ordre de rejoindre immédiatement.

Je passais donc à Paris le 27 juin, et en me rendant aux usines, j’y trouvais un directeur de la maison Daimler Benz et deux ingénieurs allemands, qui me présentaient leur pouvoir (…)

(* René de Peyrecave précise ensuite les détournements de matières premières effectués à l’usine ainsi que le nombre de commandes réellement effectuées pour le compte des Allemands, ndr).

Je signale par ailleurs que les commandes qui nous étaient à l’origine passées par la Direction des commandes allemandes au Ministère de la Production industrielle, nous étaient transmises à partir du 8 novembre 1940 par le Comité d’Organisation de l’Automobile, qui les discutait avec les Allemands et les répartissait entre les différents constructeurs, sans que nous ayons en aucune façon à intervenir (…)

D – Veuillez nous indiquer votre situation de fortune actuelle, si cette fortune a augmenté depuis 1939 ?

R – Je gagne annuellement à la Société Renault y compris traitement et revenus, 700.000 frs, et dans chacune des Sociétés Caudron et SMRA, 150.000 frs. En 1939, je gagnais environ 700.000 frs pour ces trois sociétés réunies (…)

Procès-verbal d’interrogatoire et de confrontation , le 23 septembre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

Demandé : A votre retour d’Amérique avez-vous pris contact avec les Allemands et que s’est-il passé entre vous. Les Allemands, d’après M. Lehideux, auraient compris que vous accepteriez de travailler pour eux ?

Réponse : Non ; les Allemands m’ont demandé de travailler pour eux, j’ai refusé, ou tout au moins je n’ai pas répondu. Ils m’ont dit qu’ils s’établiraient sur un terrain à côté m’appartenant.

S.I. : Je ne me souviens plus de la date de mon retour d’Amérique et j’ai dû mettre huit à dix jours pour cela ; quand je suis arrivé à Paris, les commissaires allemands avaient pris possession de l’usine.

Demandé : D’après la note de l’Expert, on constate que fin 1940, début 1941, vous avez réclamé, estimant être défavorisé dans la répartition des programmes destinés à l’Industrie française de l’automobile, ce qui était de nature, si cette réclamation a été admise, à augmenter l’importance de votre production, aussi bien pour les Allemands que pour le secteur français. On constate d’ailleurs une disproportion énorme entre le chiffre des camions fabriqués – surtout en 1941-1942 pour les besoins allemands et ceux fabriqués pour les besoins français.

Réponse : La réclamation avait trait à la fabrication des voitures de tourisme ; or, les Allemands n’en demandaient pour ainsi dire pas. On avait surtout développé l’usine du Mans avant l’occupation, sur la demande des autorités françaises, mais elle n’a plus guère travaillé pendant l’occupation. On y fabriquait des axes arrière de camion et des tracteurs agricoles (1).

S.I. : Je n’ai caché ou détruit aucune note ou correspondance. J’avais surtout des rapports verbaux avec mes Directeurs et mon personnel. Je n’ai eu aucun rapport, pour la marche de l’usine avec les contrôleurs allemands quand le travail a été repris (2).

Je n’ai jamais pris de repas ou consommé avec des sujets ennemis.

Mentionnons que l’audition de M. Renault, qui s’exprime très difficilement, a été très pénible. Par conséquent, nous arrêtons cet interrogatoire et y joignons une note que nous dépose Me Ribet.

Sur la demande de Me Ribet, nous mentionnons la remarque suivante faite par lui :

Pour l’année 1940 le bénéfice net… a été de 62 millions, remarque faite que les usines ont travaillé à plein pendant les cinq premiers mois pour l’industrie de l’Armement français. En 1941, le même bénéfice n’a été que de 18 millions et en 1942, il a été nul, aucune dividende n’a été distribué pour l’exercice 1942. Les bombardements ont de plus occasionnés aux usines une perte de douze cents millions, qui n’a été prise en charge par l’Etat qu’à concurrence de cinq cents millions.

Nous avisons l’inculpé que nous le plaçons sous mandat de dépôt.

Lecture faite persiste et signe

Ribet – Martin – Renault

(1) Et des maillons de chenillette, ndr.

(2) En revanche, il a été convoqué par différents responsables des autorités d’occupation, notamment par le Baurat Kummer pour l’extension des installations du Mans, ndr.

Procès-verbal d’interrogatoire et de confrontation de René de Peyrecave, 6 octobre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

L’inculpé déclare :

(…) J’étais administrateur-délégué des usines Renault depuis septembre 1939. Précédemment, j’étais administrateur directeur depuis 1936. Je m’occupais spécialement de la branche commerciale, des relations avec les Services Publics et les Chambres Commerciales, car il y avait trois autres administrateurs-délégués ; M. Samuel Guillelmon qui l’était depuis le début et s’occupait de la partie immobilière et de l’apprentissage. M. Paul Hugé, mort en 1941, qui s’occupait de la partie administrative et financière ; et M. François Lehideux qui s’occupait des fabrications et qui, après avoir été mobilisé, fut de retour aux usines en novembre 1939.

Je suis resté dans cette situation jusqu’en décembre 1940, époque à laquelle l’assemblée générale, tenue en exécution de la nouvelle loi sur les sociétés me nomma Directeur général. M. Louis Renault, Président Directeur Général me donna une délégation générale des pouvoirs pour la direction générale des usines.

Nous avions fait depuis la guerre un très gros effort pour l’armement du pays, puisque pendant le mois de mai 1940, nous avions sorti 2434 camions, 498 chars ou engins blindés (…)

(Louis Renault) a regagné le territoire français (…) Pour lui éviter les pénibles impressions de voir ses usines occupées on lui demanda de rester en Périgord, mais vers la fin de juillet, il estima de son devoir de passer outre aux conseils qui lui étaient donnés et il revint prendre la direction de ses usines.

– pièces remises par l’inculpé de Peyrecave le 16 octobre 1944 – scellés n°50 à 56…

Procès-verbal de première comparution (18 septembre 1944)

Source : A.N. Z 6NL 9

Tribunal de première instance

du département de la Seine

Procès-verbal de première comparution

Nom : Renault

Prénom : Louis

Profession : Industriel (…)

fils de Alfred

et de Louise Berthe Magnien (…)

grand-croix de la Légion d’Honneur, membre du conseil de l’ordre de la légion d’honneur, démissionné d’office par le gouvernement de Vichy (…) informé qu’il est, aux terme du réquisitoire de M. le Procureur de la République du 2 septembre 1944 inculpé de faits prévus par les articles 75 et suivants du Code Pénal modifiés par les décrets-lois  des 29 juillet 1939 et 9 avril 1940 (…)

L’inculpé déclare. Je choisis comme conseil Maître Ribet, 17 Quai Voltaire. Je n’ai aucune déclaration à faire aujourd’hui, sauf que je proteste contre l’inculpation d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat dont je suis extrêmement surpris. Toute mon activité proteste contre une telle suspicion. Tant au cours de la guerre 1914-1918, après laquelle mes usines ont été citées à l’ordre de la nation, qu’au cours de la guerre 1939-1940 et après l’armistice, je n’ai pensé qu’à l’intérêt national. J’ajoute que mes usines ont ét citées à nouveau à l’ordre du ministère de l’armement par M. Dautry, au cours de la guerre actuelle.

Depuis l’armistice j’ai été contraint de travailler pour les Allemands, mais je me (suis) toujours efforcé de freiner la production ainsi que vos expertises pourront le vérifier et ainsi que je vous l’établirai par une note.

Lecture faite persiste et signe

Martin, L. Renault et signature illisible (greffier ?)

Procès-verbal de première comparution (de René de Peyrecave devant le juge Martin) le 23 septembre 1944

Source : A.N. Z 6NL 9

(…) D’ores et déjà, je tiens à protester contre cette inculpation infamante que rien ne justifie. Tout mon passé, au contraire, témoigne de mes sentiments nationaux. Je suis Lieutenant-Colonel de l’Armée de l’Air, Commandeur de la Légion d’honneur au titre militaire ; huit citations, trois blessures. Deux de mes fils ont été tués à la dernière guerre ; un troisième est Lieutenant pilote dans l’Armée Française du Sud ; un quatrième vient de s’évader d’Allemagne. Je suis tuteur d’un petit-fils orphelin de père et de mère, dont le père a été tué à la guerre.

Réflexion faite, je prends d’ores et déjà comme Conseil, maître Ribet.

Lecture faite persiste et signe