Louis Renault : la négation de l’histoire ne passe pas
Les descendants du collaborateur demandent une indemnisation pour préjudice moral et matériel. Le député communiste André Gerin organise ce soir une rencontre à l’Assemblée nationale «contre la falsification de l’histoire de l’Occupation».
L’opération de réhabilitation de Louis Renault a pris une autre dimension ces dernières semaines. Le 9 mai, ses huit petits-enfants ont en effet déposé, devant le tribunal de grande instance de Paris, une assignation destinée à réhabiliter l’industriel et à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation intervenue à la Libération. Leur demande a été rendue possible par l’instauration, en mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui permet de contester, devant le juge constitutionnel, une disposition législative. Le juge est donc sollicité pour réécrire l’histoire, ce qui ne saurait en aucun cas être son rôle.
Photo de l’industriel interdite d’exposition
Dans ce dossier, de plus, la lumière a été faite depuis bien longtemps. Dès l’été 1940, les usines Renault réparent les chars allemands. Pendant toute la période de la guerre, la quasi-totalité de la production est destinée au Reich. Arrêté en septembre 1944 pour collaboration avec l’occupant nazi et incarcéré à la prison de Fresnes, Louis Renault y décède en octobre de la même année. Le 1er janvier 1945, une ordonnance du gouvernement provisoire de la République française, présidé par le général de Gaulle, prononce la dissolution de la société Renault et sa nationalisation sous le nom de Régie nationale des usines Renault (Rnur). Dans cette ordonnance, on peut lire : « Alors que les livraisons fournies par la société Renault à l’armée française s’étaient montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont précédé la guerre, les prestations à l’armée allemande ont, durant l’Occupation, été particulièrement importantes et ne se sont trouvées freinées que par les bombardements de l’aviation alliée des usines du Mans et de Billancourt.»
La famille Renault n’accepta jamais la mesure. C’est une chose. Le plus inquiétant est qu’elle a récemment trouvé des points d’appui. Ainsi, le 13 juillet 2010, la cour d’appel de Limoges, saisie par deux petits-enfants, a condamné le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane à retirer de l’exposition permanente une photo de l’industriel, entouré d’Hitler et de Göring, avec une légende mentionnant : « Louis Renault fabriqua des chars pour la Wehrmacht. »
Outrage aux patriotes morts pour la France
C’est pour faire pièce à cette réécriture de l’histoire que le député communiste du Rhône, André Gerin, a pris l’initiative avec des syndicalistes de Renault, des résistants, des historiens, d’une rencontre à l’Assemblée nationale, ce mardi 24 mai intitulée : Contre la falsification de l’histoire de l’Occupation (lire ci-dessous). Cette opération constitue, pour André Gerin, « un outrage à la mémoire de tous les patriotes morts pour la France, de tous les salariés de Renault arrêtés, torturés, fusillés pour faits de résistance à l’intérieur comme à l’extérieur. L’engagement de Louis Renault avant la guerre aux côtés des ligues factieuses antirépublicaines repose sur des faits établis, de même que sa collaboration avec l’Allemagne nazie sous l’Occupation », dénonce-t-il. L’élu ajoute : « L’entreprise négationniste en cours qui vise à remettre en cause les choix du général de Gaulle, du Conseil national de la Résistance et du gouvernement provisoire ne saurait rester sans riposte appropriée. »
Dans un communiqué publié le 13 mai, le PCF avait prévenu qu’il « s’opposera à toute tentative de réhabilitation de Louis Renault. Le détour par la guérilla juridique qui se double d’une tentative d’extorsion de fonds de l’État n’y changera rien ».
Conférence, ce soir, à l’assemblée nationale
Le 9 mai, les petits-enfants de l’industriel déposaient une assignation destinée à réhabiliter leur grand-père et à obtenir l’indemnisation du préjudice causé par la nationalisation de Renault prononcée à la Libération, s’appuyant sur une « question prioritaire de constitutionnalité ». « Nous sommes face à une tentative inacceptable de réécriture de l’histoire », estime André Gerin, député PCF du Rhône, à l’initiative d’une rencontre à l’Assemblée nationale ce soir (1). « La tache sur le patronat français demeure et elle est indélébile », écrit de son côté le PCF. Car face à cette entreprise de réhabilitation, estime Jean-Jacques Candelier, député PCF du Nord, « il est urgent de restaurer l’autorité de l’État et le sens de l’intérêt général, de lutter contre l’égoïsme et la vérité historique ».
(1) À 17 heures, entrée 126, rue de l’Université, salle 6403. Se munir d’une pièce d’identité. Avec Michel Certano, ex-CGT Renault, et l’historienne Annie Lacroix-Riz.
Christophe Deroubaix
Histoire Collaboration
Annie Lacroix-Riz « L’épuration économique a été sabotée »
historienne.
« On dispose d’énormément de sources sur la nature de la collaboration de Louis Renault, si on ne se limite pas, comme le font ses héritiers, aux seuls éléments à décharge d’une décision de justice de classement. On a des comptes rendus trouvés dans les scellés du Comité d’organisation de l’automobile dirigé par un proche, François Lehideux. Et une énorme documentation du BCRA, le service de renseignement de De Gaulle. Laquelle a servi alors à justifier les bombardements alliés des usines Renault, pour freiner l’armement allemand. Renault n’a pas été réquisitionné contre son gré ; dès août 1940, Lehideux demande aux Allemands d’assurer la direction des ateliers, pour soustraire Renault à sa responsabilité juridique écrasante d’avoir accepté la réparation de chars saisis par les Allemands. Fabriquer des pièces de chars ou fabriquer des chars a la même signification ; en 1941, Renault vante la réalisation intégrale dans ses ateliers plutôt que l’assemblage de sous-traitants pratiqué outre-Rhin. Pourquoi Renault, seulement, quand toute l’automobile quasiment a collaboré ? Les héritiers mettent l’accent sur une réalité : chez Renault, les forces résistantes et communistes furent intenses, au point qu’il était impossible de reprendre la production après guerre sans sanction de la direction. Il s’est fait une sorte de compromis pour frapper fort, et ça ne pouvait être que Renault. Ce fut pareil pour la banque d’affaires, dont une seule a été sanctionnée. L’épuration économique a été sabotée. Il y a chez l’historien Laurent Dingli, qui conteste mes thèses, deux silences éclairants. D’abord, l’orientation de Renault, dès 1933, vers la nécessité d’entrer dans un cartel essentiellement franco-allemand, qui le fait entrer dans la collaboration de second niveau, de long terme. L’autre silence, ce sont les usines souterraines projetées en région parisienne en 1944, où Renault est en pointe. Il serait curieux qu’une cour de justice donne satisfaction à un historien (époux de l’une des héritières Renault – NDLR) qui a un intérêt financier direct à ce que Louis Renault, une fois réhabilité, fasse l’objet d’une indemnisation. Les petits-enfants de Renault violent ainsi un accord de 1947 passé avec la Régie, où toute la fortune personnelle leur a été restituée, et alors que toute une série de dettes a été effacée. »
Annie Lacroix-Riz