Réponse à A. Lacroix-Riz

Réponse à l’historienne Annie Lacroix-Riz sur son texte

« Louis Renault et “la fabrication de chars pour la Wehrmacht” ».

par Laurent Dingli, docteur en Histoire

Le 1er juillet 2010, un arrêt de la cour d’appel de Limoges condamnait le Centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane pour avoir injustement associé le constructeur Louis Renault à l’un des pires crimes perpétrés par les nazis sur le territoire national.

Ouvert au public en 1999, le Centre avait en effet présenté une photographie de Louis Renault aux côtés d’Hitler et de Göring – photographie prise à un salon de l’automobile de Berlin avant-guerre. A côté de la légende (« Louis Renault présente un prototype à Hitler et Göring à Berlin en 1938 »), figurait le commentaire suivant :

« L’occupant disposait de 400 millions de francs par jour aux termes de l’armistice. Il ajoutait une victoire économique à sa victoire militaire. « Pouvait-on faire autrement que de travailler avec eux ? ». La majorité du patronat de l’armement, aéronautique¸ chimie, automobile, haute-couture…collabora. Louis Renault, « Une seule chose compte : moi et mon usine », fabriqua des chars pour la Wehrmacht. Renault sera nationalisé à la Libération » (1).

Pendant deux ans, les petits-enfants de Louis Renault tentèrent vainement de trouver une solution à l’amiable afin de faire cesser cette atteinte à la mémoire de leur grand-père ; ils soulignèrent qu’une photographie prise avant-guerre lors d’un salon automobile ne pouvait illustrer un crime de masse perpétré pendant l’Occupation, que les usines Renault n’avaient jamais fabriqué de chars pour les Allemands et qu’enfin la phrase « une seule chose compte pour moi, moi et mes usines », avait été attribuée à Louis Renault trente ans après les faits par un ingénieur de l’entreprise dont les témoignages n’avaient cessé de varier (2).

Après avoir constaté que les usines Renault n’avaient pas fabriqué de chars pendant l’Occupation, les juges de la Cour d’appel de Limoges ont précisé qu’il n’y avait pas de lien entre le rôle joué par Louis Renault « durant l’occupation et les cruautés dont furent victimes les habitants d’Oradour-sur-Glane ». Ainsi le Centre s’était-il rendu coupable « d’une véritable dénaturation des faits » (3) .

Au cours des mois suivants, la presse se fit l’écho de la décision de la Cour d’Appel de Limoges. En janvier 2011, un dossier fut consacré à l’affaire dans le Monde magazine par la chroniqueuse judiciaire Pascale Robert-Diard et l’historien Thomas Wieder, sous le titre, « Renault. La justice révise les années noires ». Environ deux mois plus tard, un reportage de Gérard Grizbec et de Didier Dahan, diffusé dans le journal télévisé de France 2 de David Pujadas, posait la question : « Louis Renault a-t-il collaboré ? » (4).

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Logo du Pôle de Renaissance communiste en France. Crédit Mirouf

En réaction à cette décision de justice et aux échos que celle-ci a eus dans les médias, l’historienne Annie Lacroix-Riz a diffusé sur internet un texte intitulé « Louis Renault et “la fabrication de chars pour la Wehrmacht” ». Associée à trois anciens syndicalistes de la CGT de l’entreprise Renault, Madame Lacroix-Riz, qui est par ailleurs militante du Pôle de renaissance communiste en France (5), a organisé une conférence de presse et une campagne au cours de laquelle la démarche des descendants de Louis Renault a été qualifiée d’entreprise révisionniste et négationniste (6).

Nous allons démontrer que le texte d’Annie Lacroix-Riz est constellé d’amalgames et d’erreurs historiques majeures.

Selon cette historienne militante, le procès Renault s’inscrirait dans une volonté plus générale de réhabiliter le patronat français (7). Cette remarque, effectuée dès le préambule, indique que nous nous situons davantage dans le champ idéologique que dans une perspective historique. L’auteure puise en effet dans le registre de la lutte des classes afin d’alimenter la thèse de la revanche patronale, c’est-à-dire celle de la trahison des trusts – les 200 familles – qui se seraient ruées dans la collaboration pour se venger du Front populaire. C’est le dogme du Parti communiste français depuis 70 ans (8). Or, pour lui donner de la vraisemblance, il faut à tout prix que l’un des symboles de ce patronat honni, Louis Renault, fût d’extrême droite. Selon Annie Lacroix-Riz, fervente adepte de la théorie du complot, la défaite de 1940 correspondrait à une stratégie des classes dirigeantes, stratégie sur laquelle, affirme-t-elle « on nous interdit résolument de nous pencher » (9) . Cette théorie de la revanche patronale et du complot, par sa généralisation et ses excès, est tout aussi discutable que la thèse traditionnelle de l’extrême droite suivant laquelle le sabotage des ouvriers communistes et les lois du Front populaire seraient responsables de la défaite de 1940 (10). Plutôt que d’entrer dans un débat idéologique et de généraliser sur une classe sociale, bornons-nous à relever les faits concernant le seul Louis Renault.

Louis Renault d’extrême droite ?

Pour servir la thèse de la trahison patronale et du complot des élites, Annie Lacroix-Riz affirme, sans fournir le moindre élément, que Louis Renault était d’extrême droite. Elle l’accuse même, sans plus de fondement, d’avoir financé un groupuscule terroriste, le C.S.A.R., appelé plus communément la Cagoule. Il est d’ailleurs dans la tradition du parti communiste, depuis plus de soixante-dix ans, de qualifier tous ses « ennemis de classe » – pour employer la terminologie du parti – ou plus simplement, ses contradicteurs, de fascistes, de nazis ou de « cagoulards ».

Quels sont les éléments dont nous disposons ?

A aucun moment de sa vie, que ce soit à titre privé ou public, Louis Renault n’a financé ou soutenu le moindre parti politique, a fortiori de mouvement terroriste (11) . Profondément républicain, ami intime des socialistes Aristide Briand et Albert Thomas (12), le constructeur automobile était attaché au libéralisme économique dans le cadre des institutions démocratiques de la IIIème République (13). Si au cours des années trente, l’entreprise a enregistré un retard conséquent au plan social, si les rapports ont été fréquemment tendus et parfois violents dans l’entreprise (grève du chronométrage de 1913, lock-out de 1938), Louis Renault a cependant relevé le défi des réformes imposées par les grèves et le Front populaire (recrutement massif, investissement pour améliorer l’hygiène, la sécurité, l’outillage et la formation professionnelle) ; l’historien Jean-Charles Asselain a montré que l’opposition à la loi des quarante heures venait moins du patronat, assez prudent sur cette question, que des milieux politiques de droite et du centre[14], l’historien Denis Phan précisant pour sa part :

« La loi « des quarante heures » a incité Louis Renault à moderniser son entreprise et à réorganiser la production. Il n’a pas hésité à investir pour faire face au défi qui lui était jeté. Il semble bien difficile dans ce cas de parler de « mauvaise volonté patronale ». Au contraire, la montée des commandes à la fin de l’année 1936 l’a poussé a embauché massivement »(15) .

Dans la période précédente, Louis Renault fut souvent à l’avant-garde des questions sociales notamment pendant la Grande Guerre dans le cadre de sa collaboration avec le ministre socialiste de l’Armement, Albert Thomas ; ensemble, ils mirent en place la première forme de représentation ouvrière dans les usines de guerre ; l’historien Patrick Fridenson a rappelé en outre que Louis Renault fut l’un des pères des allocations familiales en France(16) .

Il faut mal connaître la vie et à l’oeuvre du constructeur pour prétendre qu’il a pu financer un groupuscule terroriste qui posait des bombes, commettait des assassinats et dont le but était de renverser la République. Cette accusation se contente de reprendre les violentes campagnes de diffamation orchestrée par L’Humanité au cours des années trente.

En effet, c’est en 1938 que Renault a été accusé pour la première fois de financer la Cagoule par un représentant du Syndicat des métaux, Charles Pioline, accusation largement relayée dans les colonnes de L’Humanité. Nous sommes alors dans un contexte de tension extrême entre le Parti communiste et la Fédération des métaux d’une part, le gouvernement Daladier et la direction de l’entreprise de l’autre (grève d’avril, lock-out de novembre).

Seul François Lehideux, l’un des directeurs des usines Renault et neveu par alliance du constructeur, a été entendu par le juge Pierre Beteille en 1938 après qu’un chèque signé de sa main en faveur de Marcel Mouget s’est retrouvé dans les caisses de l’organisation terroriste par le biais d’endossements successifs. François Lehideux, s’étant justifié sur ce point, il ne fut pas poursuivi(17) ; quant à Marcel Mouget, le destinataire du chèque, il sera acquitté, dix ans plus tard, le 26 novembre 1948, par la Cour d’assise de la Seine(18) . L’accusateur de Renault, Charles Pioline, fut en revanche condamné, le 17 janvier 1939, pour diffamation à payer une amende de 200 francs et à verser un franc de dommages et intérêts à la société des usines Renault(19) .

Louis Renault a-t-il financé les Croix de Feu du colonel de La Rocque, comme l’affirme encore Madame Lacroix-Riz, toujours sans citer le moindre élément factuel ? A notre connaissance, une seule source émanant des archives de la Préfecture de police se fait l’écho d’une rumeur dont le colonel Guillaume, directeur de l’hebdomadaire de droite « Choc », fut à l’origine (20) ; Un autre document du même dossier affirme que René Giraud, l’un des responsables de la publicité chez Renault, fut le secrétaire de l’association « La légion de France », filiale des « Camarades du Feu » en 1937 et 1938 (deux documents non cités par A. Lacroix-Riz) (21) .

Rien de plus.

Et alors que l’extrême gauche reprochait à Louis Renault de financer la Cagoule, l’extrême droite lui faisait grief de financer le Front populaire ! Ainsi, fut-il accusé en octobre 1936 par le journal Candide de soutenir le gouvernement de gauche et d’être « aux petits soins pour les organes du Front Populaire ». Le journal ajoutant : « Est-ce que dans son numéro du 9 octobre, le Popu de Blum n’avait pas une page de publicité émanant de la grande firme de Boulogne-Billancourt ? M. Renault passait naguère pour un patron de combat ! Il n’y paraît plus aujourd’hui quand on le voit travailler sous la coupe de M. Jouhaux (secrétaire général de la CGT, ndla) et graisser la patte à Blum ! » (22) .

S’étant toujours désintéressé des luttes partisanes, Louis Renault s’efforça de s’associer à toutes les sensibilités politiques pour défendre l’industrie automobile et l’économie nationale. C’est dans cette optique qu’il rencontra Léon Blum à diverses reprises dès 1930 et qu’il insista pour lui faire visiter ses usines. Il lui écrivit à l’époque du Front Populaire : « Vous comprendrez, j’en suis certain, les raisons d’intérêt national qui m’ont poussé à intervenir directement auprès de vous ; ce n’est pas seulement le constructeur d’automobiles qui vous écrit, mais le français passionnément attaché à la puissance et au développement de son pays » (23) .

N’ayant aucune preuve de ce qu’elle avance, l’historienne militante insinue que le dossier Renault de la Préfecture de police de Paris a été littéralement vidé (par qui ?) – ce qui est absolument inexact ; nous invitons d’ailleurs tous les chercheurs à se rendre rue de la Montagne-Sainte-Geneviève pour le constater. Ainsi donc, si les textes existaient, ils prouveraient bien évidemment que Louis Renault était d’extrême droite et qu’il finançait une organisation terroriste telle que la Cagoule, mais, comme ils n’existent pas, il faut croire Madame Lacroix-Riz sur parole… Chacun pourra mesurer la faiblesse, pour ne pas dire l’inanité d’une telle allégation.

Sans apporter davantage de preuves ni citer la moindre source à ce sujet, Annie Lacroix-Riz affirme que Louis Renault « aimait » (sic) Mussolini… Aucun document, pas une seule ligne d’archive, ne vient étayer cette nouvelle spéculation. Dans les milliers de notes et de lettres dont les chercheurs disposent, il n’existe même pas une simple allusion à cette prétendue admiration qu’aurait eue l’industriel pour le dictateur italien. Les seuls documents dont nous disposons sont un compte rendu sur l’organisation de l’Italie fasciste composée à l’attention de Louis Renault par l’une de ses amies, Carla Bouillet-Borcetti, en 1926, et la lettre que cette dernière écrivit à l’industriel en janvier 1938 :

« J’ai beaucoup de mal à garder mon optimisme traditionnel, nous sommes entourés par des gens catastrophés. Mon coeur d’Italienne de plus en plus antifasciste est souvent bien éprouvé » (24) .

Louis Renault et la mobilisation industrielle

Pour noircir encore le personnage et forcer la caricature, Annie Lacroix-Riz ressort la vieille légende du patron égoïste qui aurait refusé de mobiliser ses usines en prévision de la lutte contre l’Allemagne nazie, alors que les usines Renault s’imposèrent comme l’un des premiers fournisseurs de l’armée française et furent citées à l’ordre de l’Armement le 3 juin 1940. Reprenant à peu près tous les slogans de L’Humanité de cette période, l’historienne affirme ainsi :

« Avant le 10 mai 1940, Renault livra la guerre au seul ennemi intérieur, la conduisit avec acharnement contre ses propres ouvriers et opta pour la politique des bras croisés envers l’ennemi extérieur – le Reich et l’Axe Rome-Berlin. Il prépara, comme ses pairs, un plan de liquidation du régime républicain en finançant les ligues fascistes (parmi lesquelles les Croix de Feu du colonel de la Rocque) puis la Cagoule qui unit les factieux depuis 1935-1936. Il mit son veto à tout effort de guerre et prôna l’« entente » franco-allemande entre gens de bonne volonté, Hitler en tête. Il afficha un pacifisme antagonique avec son fort rentable allant « patriotique » de la Première Guerre mondiale et clama qu’on ne pouvait plus gagner d’argent qu’en fabriquant des véhicules de tourisme : « les programmes de guerre ne correspondaient pas aux possibilités de nos usines et […] les changements fréquents de ces programmes ne permettent pas de faire un travail sérieux », écrivit-il au président du Conseil (Daladier), le 8 novembre 1939 » (25) .

Il n’est pas possible d’aborder ici en détail une question essentielle et complexe à laquelle j’ai consacré une soixantaine de pages appuyées sur divers fonds d’archives (26) , question qu’Annie Lacroix-Riz, qui n’a jamais travaillé sur le sujet, résume à une citation très opportunément tronquée et à deux sources indirectes, la biographie de Gilbert Hatry et celle d’Emmanuel Chadeau qu’elle qualifie par ailleurs d’hagiographie (27) …

Il est toujours facile de citer le passage d’une lettre afin de faire dire au document ce que l’on veut. Voici, à titre de contre-exemple, la conclusion de cette même lettre signée de la main de Louis Renault :

« Rien ne doit être fait qui risque de priver nos usines des ressources en hommes et en matériel dont elles ont besoin pour assurer les nouvelles fabrications que l’on a bien voulu leur confier. Ce serait priver la Défense nationale d’un concours important que je suis tout à fait décidé à lui fournir sans réserve » (28) .

Tel ou tel extrait de la correspondance n’a aucune signification en soi, c’est l’étude d’ensemble et fouillé du dossier complexe de la mobilisation industrielle qui peut suggérer quelques pistes de réflexion : insuffisance de l’effort financier des différents gouvernements avant 1936, manque de spécialistes dû à l’application incomplète ou trop brutale des lois sociales du Front populaire, mobilisation de la main d’oeuvre spécialisée qui aurait dû être affectée aux usines – Renault perd ainsi la moitié de son personnel à la mobilisation – changements permanents des commandes émanant des pouvoirs publics et méconnaissance des réalités industrielles, etc (29).

Nous avons rappelé que les usines Renault furent citées à l’ordre de l’Armement, le 3 juin 1940, pour l’excellence des résultats acquis en faveur de la mobilisation industrielle. En 1939, alors que l’entreprise était l’un des principaux fournisseurs de l’armée française, Citroën et Peugeot continuaient de privilégier le secteur civil, profitant même de la mobilisation des usines Renault pour démarcher les clients de l’entreprise (30) … La mobilisation industrielle, écrit F. Vauvillier, « entraîne, en principe, l’arrêt complet de la production de voitures de tourisme chez tous les constructeurs. Mais, en fait, seul Renault a effectivement joué le jeu, dès septembre 1939… » (31) . A cela, il faut ajouter que Renault prêtait de l’argent à l’Etat pour les marchés de guerre et que l’entreprise avait consacré des efforts financiers conséquents, en pure perte, afin de répondre aux demandes des différents Ministres de l’Air (32) . Dès le mois d’avril 1939, Louis Renault et Henry Potez furent les deux seuls industriels à s’envoler pour Londres en compagnie du ministre de l’Air et de plusieurs officiers de l’état-major afin de préparer la production de guerre et l’unité de commandement aéronautique franco-britannique (33) . Et en mai 1940, il fut encore le seul industriel français à être envoyé aux Etats-Unis pour accélérer la fabrication de chars en faveur de l’armée française. A cette date, il travaillait personnellement depuis des mois avec le ministre de l’Armement, Raoul Dautry, afin d’améliorer la production de matériel de guerre (34) . Etrange dévouement pour un patron égoïste…

Les rencontres Renault/Hitler

A propos des rencontres Renault/Hitler, il nous paraît essentiel de rappeler le contexte pour éviter les manipulations et les anachronismes volontaires.

Louis Renault a rencontré trois fois le chancelier du Reich avant-guerre, la première rencontre, en 1935, a débouché sur un entretien d’environ deux heures dont nous connaissons aujourd’hui le contenu grâce aux recherches effectuées par Patrick Fridenson dans les archives allemandes (35). Les deux autres rencontres ont eu lieu aux salons automobiles de Berlin de février 1938 et de février 1939, Hitler ayant effectué une visite protocolaire du stand Renault pendant quelques minutes (un échange total de deux phrases et une photographie publiée dans la presse) (36) .

Louis Renault au salon automobile de Berlin, le 17 février 1939.

Louis Renault au salon automobile de Berlin, le 17 février 1939.

Conformément à l’adage selon lequel on ne lutte pas contre ses concurrents en restant chez soi, Louis Renault profita de sa présence au salon automobile de Berlin pour étudier la KDF de Ferdinand Porsche, la future Volkswagen, qui servit de modèle à la 4 CV, première voiture populaire de l’après-guerre dont le prototype fut étudié clandestinement pendant l’Occupation. Louis Renault s’était déjà inspiré de l’Opel Kadett pour créer la Juvaquatre. Au cours de ses séjours en Allemagne, l’industriel fit en outre espionner les fabrications militaires du Reich, transmettant les informations recueillies aux services compétents de la Défense nationale. Le général Denain, ministre de l’Air, écrivit ainsi à Louis Renault, le 12 mars 1935 :

« J’ai pris connaissance avec le plus vif intérêt des renseignements que vous m’avez transmis le 5 mars, à la suite de votre récent voyage à Berlin. Je les ai immédiatement communiqués à la direction des constructions aériennes et à l’état-major général pour exploitation… » (37) .

Louis Renault avait en effet profité de sa présence au Salon de Berlin pour envoyer une mission en Allemagne afin d’étudier, non seulement les constructions aéronautiques du Reich, mais aussi la fabrication d’obus. De même, en 1937, un collaborateur de Renault parvint à recueillir de multiples renseignements auprès du plus grand laboratoire de recherche aéronautique berlinois – malgré la surveillance étroite des services de Göring. L’année suivante encore, Jacques Pomey et plusieurs ingénieurs de Billancourt réussirent à pénétrer dans l’usine Bayer de Leverkusen et obtinrent des informations sur la mise au point du caoutchouc synthétique. Enfin, trois jours seulement avant l’ouverture du salon de février 1939, Louis Renault envoya une nouvelle mission en Allemagne pour étudier la fabrication des rivets explosifs aux usines Heinkel de Rostock et les fabrications de l’usine Krupp d’Essen(38).

En février 1939, les Français sont encore hantés par le souvenir de la Grande Guerre. Beaucoup sont convaincus que les récents accords de Munich pourront éviter un nouveau conflit mondial et tout le monde connaît le « lâche soulagement » mêlé de honte exprimé par Léon Blum avant la signature des accords des 30 septembre et 1er octobre 1938(39).

Industriels et responsables du gouvernement français, qui savent la paix très fragile, croient encore que l’intensification des échanges économiques avec l’ennemi d’hier pourra empêcher une guerre. Ainsi, en mars 1939, Hervé Alphand, futur compagnon de route du général de Gaulle, dirige-t-il des négociations à Berlin « en vue d’accroître le volume des échanges et d’aboutir à un accord de tourisme » (40). L’avenant signé le 10 mars 1939 entre Alphand et Wiehl légalise les échanges franco-allemands dans le territoire des Sudètes. Cinq jours plus tard, la Tchécoslovaquie est rayée de la carte, les négociations sont rompues et Alphand quitte précipitamment Berlin.

Pour donner quelque vraisemblance à la thèse de la collaboration active, Annie Lacroix-Riz se réfère plus particulièrement à la conversation Renault-Hitler de 1935 au cours de laquelle Louis Renault, soucieux d’entraîner son interlocuteur sur le chemin de la paix, évoque la nécessité d’une union économique européenne pour soutenir la concurrence américaine. L’historienne se fonde essentiellement sur un article de Patrick Fridenson daté de 1999 (41). Désireux d’établir un lien de causalité entre l’attitude de Louis Renault pendant l’Occupation et celle qui fut la sienne avant-guerre, Patrick Fridenson avait alors commis un contresens. A partir d’une documentation lacunaire, il s’était en effet persuadé que Louis Renault souhaitait promouvoir des Etats-Unis d’Europe dominés par le couple franco-allemand. Et il en avait conclu, un peu rapidement, que l’industriel en était venu « à absolutiser… la société de consommation au détriment du combat pour l’indépendance nationale » (42). Cette explication déterministe est remise en cause par les notes inédites de Louis Renault que j’ai publiées l’année suivante, lesquelles montrent qu’en 1936, l’industriel était favorable à une union entre l’Allemagne et l’URSS, et que son projet d’Union européenne ne comportait aucune exclusive d’ordre politique, social ou religieux.

Dans un projet de note du 20 mars 1936, il affirmait ainsi qu’une « Fédération européenne » était le seul remède à la crise que traversait le continent :

« Avec l’économie de l’Europe totale, tout est possible. On vous dit que la Russie ne peut être un exutoire pour les produits occidentaux, car elle n’a pas de besoin. On peut aider la Russie à s’organiser, faire des routes, organiser ses terres, etc. Pourquoi le refuserait-elle ?… La France, sans désarmer avant les autres, doit essayer cette Fédération économique… » (43) .

Dans un projet de note composé le lendemain, le constructeur insistait à nouveau sur la complémentarité économique qui permettrait d’associer pacifiquement l’Allemagne et l’URSS au sein d’une communauté européenne. Il précisait en guise de conclusion :

« Il faut que la fédération économique des pays d’Europe soit faite en dehors de toute idée de nation ; dans un but purement humanitaire et social ; que tous les partis y adhèrent sans esprit de lutte, de passion politique ou religieuse… » (44).

Prôner la création d’une Fédération économique européenne « en dehors de toute idée de nation » n’est pas à proprement parler une référence d’extrême droite, ni dans les années trente, ni même aujourd’hui.

A cette date, ce n’est d’ailleurs pas avec l’Allemagne nazie que le groupe Caudron-Renault organise un partenariat commercial, concernant du matériel civil et militaire, mais avec l’URSS de Staline (45) …

Dans ses diverses interventions, Patrick Fridenson n’a pas non plus cité une note essentielle de Louis Renault, intitulée Trois Réformes, qui est en consultation libre à la Société d’Histoire du Groupe Renault depuis sa fondation, et dans laquelle l’industriel condamnait clairement les aventures fascistes et communistes :

« Rien ne tient longtemps de ce qui est injuste et démesuré, écrit-il en 1937. Mais pour réaliser des réformes justes et mesurées, la violence et la hâte ne sont guère indiquées. Et qu’attendre de durable et de bon d’un bouleversement, d’une révolution de droite ou de gauche puisqu’on en voit maintenant ailleurs les résultats ?

« Avec beaucoup de misère et de sang versé, la liberté perdue, une révolution fasciste ne change rien qu’en surface, une révolution socialiste, après avoir paru tout changer, revient à ce qui s’est toujours fait » (46).

Voilà ce qu’écrivait l’homme accusé d’être un terroriste d’extrême droite et ce, à une époque où tant de contemporains se laissèrent séduire par les extrêmes.

Lorsqu’en 1937, Louis Renault projette de créer un Comité d’études, de diffusion et de réalisations sociales, il précise dans le préambule : « Il est entendu qu’aucune question politique, de religion ou de parti ne devra être au programme » (47).

Enfin, au mois de février 1935, date de l’entretien avec le chancelier Hitler, l’Allemagne n’a pas ouvertement réarmé et la Rhénanie ne sera remilitarisée que l’année suivante. Le fait d’utiliser un échange de 1935 pour jeter la suspicion sur la position de Louis Renault pendant l’Occupation est aussi anachronique et tendancieux que de placer au centre de la Mémoire d’Oradour-sur-Glane une photo prise avant-guerre au salon automobile de Berlin pour illustrer un massacre de masse.

Mais restons-en au contexte des années trente. Voici, à titre de comparaison, ce que Maurice Thorez, dirigeant du PCF, déclarait devant les militants communistes des usines Renault, le 2 septembre 1936, c’est-à-dire un an et demi après la rencontre Renault/Hitler, et au moment même où le IIIème Reich réarmait :

« Il faut s’entendre avec l’Italie… en dépit de la dictature fasciste » et « même avec l’Allemagne de Hitler » : « Je suis prêt moi-même à parler avec Hitler, si ce dernier offre enfin la garantie que ses paroles de paix ne sont pas destinés à voiler ses actes de guerre » (48).

Le dirigeant communiste profita de l’occasion pour renouveler sa profession de foi pacifiste, soulignant qu’il était hors de question de suivre « Hitler sur le terrain où il veut engager l’Europe : la course aux armements et à la guerre » (49).

Léon Blum déclarait quant à lui devant le Sénat, le 23 juin 1936 : « Le chancelier Hitler a eu plus d’une fois l’occasion d’exprimer son désir de parvenir à un accord avec la France. Nous n’avons pas l’intention de mettre en doute la parole d’un ancien soldat qui a connu pendant quatre ans la misère des tranchées » (50).

Annie Lacroix-Riz fonde enfin sa thèse sur une anecdote, émanant d’un ancien plumitif de la Révolution nationale, Marc Augier, rédacteur en chef du journal collaborationniste La Gerbe, qui, sous le pseudonyme de Saint-Loup, a consacré une biographie au constructeur automobile à la demande de sa veuve (51). D’après ce biographe, la formule “Hitler m’a dit”, aurait servi à baptiser Louis Renault à la fin des années trente, formule piteuse colportée non seulement par Saint-Loup, mais aussi par François Lehideux, ancien ministre de Pétain et neveu par alliance de l’industriel, dont le témoignage douteux est souvent retenu à charge contre Louis Renault (52). Voici donc une militante communiste qui, pour servir sa thèse idéologique anti-patronale, appelle à la rescousse le témoignage suspect d’un ancien membre de la Waffen SS….

Louis Renault et la collaboration : la manipulation par l’amalgame

Aux affirmations sans preuves et aux citations tronquées, s’ajoute le procédé bien connu de l’amalgame, Annie Lacroix-Riz utilisant la carrière suivie par François Lehideux sous l’Occupation pour tenter d’impliquer Louis Renault dans la politique collaborationniste de Vichy ; l’auteure se livre ainsi à une longue et fastidieuse digression sur l’action de François Lehideux, directeur de l’Equipement national, ministre de la Production industrielle et président du Comité d’organisation de l’automobile (C.O.A.), action qu’elle tente de relier à celle de Louis Renault (avec lequel Lehideux était pourtant définitivement brouillé) en martelant inlassablement des questions du type : Louis Renault était-il en désaccord avec Lehideux ? – comme si ces questions inlassablement répétées faisaient office de preuves et pouvaient remplacer de solides arguments.

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Mais surtout, l’amalgame entre Lehideux et Renault pendant l’Occupation, amalgame sur lequel Annie Lacroix-Riz construit l’essentiel de son argumentation, est fondé sur une erreur grossière commise dans un compte rendu des renseignements généraux de Vichy, lesquels indiquent à tort que François Lehideux faisait partie du Conseil d’Administration des usines Renault en 1942. Les historiens biographes de Louis Renault et les spécialistes de l’entreprise qui, contrairement à Annie Lacroix-Riz, ont travaillé sur des sources directes – affirment tous, textes à l’appui, que François Lehideux avait quitté définitivement les usines Renault suite à une brouille intervenue avec son oncle par alliance au cours de l’été 1940. J’ai pour ma part versé de nouvelles pièces au dossier, pièces que Patrick Fridenson, a bien voulu mentionner dans l’un de ses articles récents (53). Je produis ici la preuve que François Lehideux avait bien quitté les usines Renault dès 1940 suite à la rupture définitive intervenue au cours de l’été et officialisée le 27 décembre. Il s’agit tout simplement du procès-verbal du conseil d’administration de la SAUR (Société anonyme des usines Renault) qui prend acte de la démission de François Lehideux en 1940 dans sa cinquième résolution (54). Nous tenons bien évidemment la pièce originale à la disposition de toute personne désireuse de la consulter. Voici donc la preuve irréfutable que l’information sur laquelle Madame Lacroix-Riz a construit l’essentiel de son pamphlet est erronée.

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En fait, Louis Renault s’est séparé volontairement de François Lehideux suite aux différentes manoeuvres de ce dernier visant à discréditer l’action de son oncle par alliance (dès la mobilisation industrielle en 1939, puis pendant les affaires de la réparation des chars et de la mensualisation de la maîtrise au cours de l’été 1940) ; François Lehideux tenta même d’entraîner plusieurs collaborateurs de Renault jusqu’à Vichy afin qu’ils témoignent contre leur patron. Et c’est encore sur la dénonciation d’un ami du père de François Lehideux qu’une instruction fut lancée par l’avocat du Parti communiste contre Louis Renault à la Libération !

Si Madame Lacroix-Riz maîtrisait un peu plus le sujet, elle aurait toute de suite remarqué que le dossier des Renseignements Généraux concernant François Lehideux aux Archives de la Préfecture de Police de Paris était truffé d’erreurs biographiques grossières, ainsi que je l’avais déjà noté, il y a plus de dix ans. On lit notamment dans le document cité par l’historienne que Louis Renault est né le 15 février 1877, au lieu du 12 février, que François Lehideux était l’époux de la soeur du constructeur, (on le dit même celui de sa fille dans un autre texte), alors qu’il était celui de sa nièce et que Louis Renault n’a jamais eu de fille ; les RG font encore de Lehideux l’ancien secrétaire d’Etat à la Production industrielle du gouvernement Laval alors qu’il l’était du gouvernement Darlan ; ils affirment même que Lehideux avait repris du service aux usines Renault à la Libération, en novembre 1945 ! alors qu’à cette époque il était incarcéré à Fresnes, inculpé d’intelligence avec l’ennemi… Il faudra un mois aux services pour corriger cette énormité (55) !!!!

Plutôt donc que de qualifier sans preuve tous les membres de la direction de Renault de « cagoulards », l’historienne militante serait bien mieux inspirée d’approfondir la critique des sources, travail élémentaire de l’historien. Nous allons constater que la méthode de Madame Lacroix-Riz est tout aussi déficiente en ce qui concerne la production des usines Renault pendant l’Occupation et qu’elle prend pour argent comptant des informations particulièrement fantaisistes émanant des services de renseignements gaullistes, faute de recouper les sources et d’avoir approfondi la question.

La reprise du travail sous l’occupation : une volonté presque unanime.

La volonté de rouvrir les usines et de reprendre le travail était quasiment unanime au début de l’Occupation : gouvernement de Vichy, industriels, mais aussi parti communiste et ouvriers, quelle que fût par ailleurs la sensibilité politique de ces derniers. Ce que l’historienne Annie Lacroix-Riz oublie en effet de rappeler, c’est que les communistes, qui négociaient secrètement avec les nazis pour faire reparaître légalement L’Humanité (56), appelaient les ouvriers à travailler sous la botte allemande, dès le 4 juillet 1940, et à fraterniser avec les soldats de la Wehrmacht (nous sommes à l’époque du pacte germano-soviétique), alors même que Louis Renault rentrait à peine de sa mission aux Etats-Unis où il s’était rendu pour lutter contre l’Allemagne (il ne sera de retour à Paris que trois semaines plus tard) :

Ainsi, le journal communiste jugeait-il particulièrement « réconfortant, en ces temps de malheurs, de voir de nombreux travailleurs parisiens s’entretenir amicalement avec des soldats allemands, soit sur la rue, soit au bistrot du coin. Bravo, camarades, continuez, même si cela ne plaît pas à certains bourgeois aussi stupides que malfaisants. La fraternité ne sera pas toujours une espérance, elle deviendra une réalité vivante » (57).

On peut encore lire dans le même journal à la date du 13 juillet : « Les conversations amicales entre travailleurs parisiens et soldats allemands se multiplient. Nous en sommes heureux. Apprenons à nous connaître, et quand on dit aux soldats allemands que les députés communistes ont été jetés en prison pour avoir défendu la paix (…) on travaille pour la fraternité franco-allemande ».

Et le 24 juillet 1940, L’Humanité lançait un appel en faveur de la réouverture des usines sous occupation allemande et sans la présence des patrons :

« Il faut organiser la reprise du travail et, pour ce faire, nous recommandons aux ouvriers :
« 1. De s’assembler d’urgence à la porte de l’entreprise dans laquelle ils travaillent ;
« 2. De s’organiser en comités populaires d’entreprise ;
« 3. De prendre tout de suite les mesures nécessaires pour faire fonctionner les entreprises en désignant un comité de direction parmi le personnel de chacune d’elles.
« Devant la carence et le mauvais vouloir des capitalistes, les ouvriers ont le devoir d’agir, de procéder à l’ouverture des usines et de les faire fonctionner » (58).

Là encore il faut restituer le contexte afin d’éviter les relectures trop partisanes et les amnésies volontaires. En septembre 1939, le PCF a été dissous par le gouvernement Daladier et les députés communistes déchus, en raison de leur pacifisme et de leur refus de désavouer le pacte germano-soviétique. Nous savons aujourd’hui que les clauses secrètes du pacte Molotov-Ribbentrop préparèrent le dépeçage de la Pologne et que le travail en commun du NKVD et de la Gestapo permit d’opérer arrestations et déportations. En juin 1940, le PCF clandestin est très affaibli, ses cadres sont dispersés (Maurice Thorez a déserté pour se rendre à Moscou), un certain nombre de militants sont arrêtés ou mobilisés ; d’autres ont démissionné pour protester contre l’alliance avec le Troisième Reich. L’attitude officielle du parti ne préjuge d’ailleurs en rien de l’attitude individuelle des militants dont certains sont rentrés très tôt dans la Résistance.

huma_barbarossaUne fois la défaite de la France consommée, le Parti s’efforça de reconquérir l’opinion. Dans les milliers de tracts, journaux clandestins, qui furent alors diffusés, les communistes se concentrèrent sur trois objectifs principaux : 1. la libération de leurs anciens élus arrêtés par le gouvernement Daladier et la restitution de leurs fonctions ; 2. la réouverture des usines et la lutte contre le chômage ; 3. le châtiment des traitres – ce que les autorités de Vichy accompliront avec zèle (et parfois contre les mêmes personnalités accusés par le PCF tels qu’Edouard Daladier, le « juif Mandel » et Léon Blum) (59).

L’ennemi de classe n’était pas oublié et, dès le 4 juillet, L’Humanité titrait « sus aux ploutocrates ». L’invasion de l’Union soviétique, en juin 1941, bouleversera bien entendu la stratégie du parti.

Les insinuations d’Annie Lacroix-Riz suivant lesquelles l’industrie automobile et Renault en particulier auraient volontairement collaboré avec l’Allemagne nazie dans la perspective de l’invasion de l’URSS (toujours les ennemis de classes alliés objectifs des nazis), ne manque pas de saveur lorsqu’on sait que les Allemands continuèrent à placer des commandes soviétiques auprès des constructeurs français jusqu’en mai 1941 ! (60)…

Des fabrications de guerre qui n’ont jamais existé

Je passe sur les longues envolées concernant la synarchie – vaste théorie du complot, commune à l’extrême droite et à l’extrême gauche (61) – et autres divagations digressives dont le seul but est de masquer l’ignorance de l’auteure sur le fond du sujet: l’attitude de Louis Renault et l’activité de l’entreprise sous l’Occupation.

Annie Lacroix-Riz a consacré une partie importante de son développement à la prétendue fabrication de chars des usines Renault pour la Wehrmacht (c’est d’ailleurs le titre accrocheur de son texte). Ne nous attardons pas sur les erreurs mineures comme celle évoquant le général “Tuckertort” (sic) – au lieu de Zuckertort (62) – et tentons de résumer une affaire compliquée à laquelle les historiens-biographes de Louis Renault ont consacré un chapitre, lui-même étayé par des dizaines d’archives (63).

Première erreur grave : il n’a jamais été question de fabrication de chars pour les Allemands, mais de réparations de chars français saisis par la Wehrmacht pendant la débâcle de mai-juin 1940 (voir le détail infra) (64).

Seconde erreur grave, dans une citation non sourcée, Annie Lacroix-Riz affirme que « revenu début juillet des États-Unis, (Louis Renault) discuta avec les Allemands pendant « trois semaines […] sur la question de la réparation des chars (sic) ».

Louis Renault n’est revenu à Paris que le 23 juillet, et n’a donc pas pu s’entretenir « pendant trois semaines » avec les Allemands. Annie Lacroix-Riz ayant à peine survolé le sujet confond en effet François Lehideux et Louis Renault !!! C’est le premier qui a été en contact avec les Allemands depuis qu’il a fait rouvrir les usines de sa propre initiative et avec l’accord de Pierre Laval (65). Quant à Louis Renault, il ne se passe en réalité que onze jours, entre son retour à Paris (23 juillet) et sa dernière entrevue avec un commissaire allemand (3 août).

Lors de la réquisition, puis de la saisie provisoire de ses usines par l’armée allemande, les 18 et 24 juin 1940, Louis Renault n’était pas encore rentré de sa mission aux Etats-Unis où le gouvernement de Paul Reynaud l’avait envoyé afin d’accélérer la production de chars destinés à l’armée française. Il rencontra à cette occasion le président Franklin D. Roosevelt à la Maison blanche ainsi que plusieurs industriels et officiers supérieurs américains.

Pendant les trois premières semaines de juillet 1940, François Lehideux est le seul responsable de la direction présent à Billancourt. Lorsque Louis Renault est convoqué par le général Zuckertort, le 31 juillet, les Allemands ont déjà visité des ateliers dans lesquelles ils comptent faire réparer des chars français par l’entreprise (66). Le constructeur cherche vainement à rencontrer un représentant du gouvernement ; en effet, il veut faire partir les Allemands de Billancourt et gagner du temps afin de recevoir des instructions officielles précises. Fin juillet, début août, il ne s’agit pas de savoir si Renault peut réparer du matériel de guerre, puisque cette opération est considérée comme licite par le représentant du gouvernement français, Léon Noël, contrairement à ce qu’il prétendra après la Libération (67) : Hotchkiss et SOMUA se sont déjà mis au travail, Panhard, vient de céder (68). Seul Renault résiste encore. Pressé par l’ultimatum du général Zuckertort, il réclame un délai de dix jours. L’ingénieur allemand Sieburg accepte ce délai à condition que la réparation commence le lendemain pour deux chars. Louis Renault, à qui un membre du gouvernement français a demandé de mettre en place « un simulacre de fabrication », propose donc de réparer le matériel au Mans (où des ateliers sont déjà réquisitionnés par Junkers) sous réserve que le gouvernement français donne son accord. Après sa visite à Léon Noël, représentant de Vichy en zone occupée, il retire sa proposition effectuée sous condition, quitte Paris et décline la convocation du Dr Elmar Michel, ministre du Reich, ce que peu de Français auraient osé faire à cette époque. Convoqué le 4 août 1940 au Majestic avec le baron Charles Petiet, François Lehideux en revient au statu quo ante : les chars français ne seront pas réparés sous la responsabilité des usines Renault mais dans des ateliers réquisitionnés par les Allemands sous la direction de leurs ingénieurs et avec du personnel recruté directement par eux.

En effet, la production et la réparation de chars furent réalisées directement par les sociétés allemandes Daimler-Benz et M.A.N. dans deux centres distincts : l’atelier d’Issy-les-Moulineaux, nationalisé par le Front populaire en 1936 – qui n’avait donc plus aucun lien avec Renault – et les ateliers Fiat et Astra, situés au Pont-de-Sèvres (69) (en bas, à gauche sur le plan ci-dessous), eux aussi réquisitionnés par l’armée allemande et sous le contrôle direct de la firme Daimler-Benz.

Pendant l’Occupation, l’intervention des usines Renault s’est bornée à passer au banc d’essai et à réparer des moteurs de chars FT-17, B1 et R35. Aucune fabrication ni montage de chars n’a été effectué par leurs soins.

Après la Libération, en 1949, en se fondant sur le travail des experts du tribunal de la Seine, le commissaire du gouvernement a confirmé que les usines Renault n’avaient pas fabriqué de chars pour la Wehrmacht, mais que, dès le début de l’Occupation, elles avaient été contraintes de réparer du matériel de guerre pour l’occupant, ce qu’elles firent sans zèle (70).

Si Louis Renault avait voulu donner des instructions pour la réparation des chars, la réunion du Majestic eût été sans objet et on ne voit pas très bien pourquoi l’ingénieur allemand Sieburg se fût précipité jusqu’à Herqueville pour convoquer Louis Renault… d’ailleurs en vain.

Le procès-verbal de la réunion du 4 août 1940 ne fait donc nullement « litière du “bluff” allemand resté sans trace écrite » comme le prétend A. Lacroix-Riz, il le confirme au contraire puisque les Allemands furent incapables de produire la moindre acceptation écrite de Louis Renault lors de la réunion au Majestic. En fait, il n’y a jamais eu d’accord du 1er août signé par Renault comme l’écrit l’historienne qui ignore totalement le dossier : dans un projet de note adressé à Léon Noël, le 2 août, Louis Renault écrivit au contraire : « nous ne pouvons pas accepter la lettre reçue (l’ultimatum allemand du 1er août, ndla) et nous vous avons demandé de ne pas répondre et d’obtenir un délai de huit ou dix jours » (71).

Non contente d’évoquer des pseudo-fabrications de chars pour l’armée allemande, Annie Lacroix-Riz cite diverses informations mentionnant la production de canons antichars ou de bombes incendiaires par Renault. Notons à ce sujet l’absence de sources directes sur l’entreprise, l’historienne allant puiser dans le fond qu’elle avait déjà exploité, celui des renseignements de la Résistance, sans rien apporter de nouveau sur la production, et multipliant au contraire les erreurs de fait. Or nous savons que ces comptes rendus sont souvent erronés et que, pour le moins, aucun historien sérieux ne se fonderait uniquement sur de telles sources pour traiter de la collaboration économique.

Prenons en exemple l’une des erreurs les plus grossières citées dans les documents d’A. Lacroix-Riz qui évoquent (note 39), des « tanks » Renault et des tanks Citroën (sic) ! Il faut être d’une grande ignorance en matière d’histoire automobile et industrielle pour se fier à une source qui évoque des chars Citroën, une fabrication que l’entreprise (alors contrôlée par Michelin) n’a jamais engagée, ni avant, ni pendant, ni après la guerre (72). Il en va ainsi des canons antichars dont Renault n’a pas fabriqué le moindre exemplaire. Quant aux bombes incendiaires faites avec des pots d’échappement Renault (sic), autant inculper les producteurs du vignoble français pour avoir fourni aux Allemands des bouteilles de cocktails Molotov ! La seule chose que l’on puisse remarquer, c’est que les renseignements gaullistes de Londres étaient parfois aussi mal informés que l’est aujourd’hui Annie Lacroix-Riz.

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Le Citroën P103, automitrailleuse de 1935 demeurée à l’état de prototype. © char-francais.fr

Les erreurs de certains services de la Résistance sur la production de chars Renault sont toutefois compréhensibles dans la mesure où le tissu industriel était très dense sur toute la partie ouest de la banlieue parisienne (ce qui n’exclut pas des informations volontairement erronées dans un but de propagande). Mais, soucieux de vérifier les sources de Madame Lacroix-Riz, nous avons trouvé récemment des éléments supplémentaires corroborant les affirmations de la justice de 1949. En effet, dans un dossier des Archives nationales de la série F1a, consacré à l’industrie automobile dans le département de la Seine, dossier que, curieusement, Annie Lacroix-Riz a omis de citer, se trouve une note essentielle émanant des services de la Résistance, laquelle stipule clairement que les chars ne sont ni construits ni réparés par Renault mais par la société allemande Daimler-Benz, à Issy-les-Moulineaux et dans les ateliers Fiat et Astra du Pont de Sèvres (intégralité de cette pièce originale en annexe 2).

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La propagande gaulliste, qui attaquait pourtant violemment Renault sur les ondes de Radio-Alger, spécifia encore le 23 juillet 1943 que l’entreprise ne prenait pas en charge le montage des chars. Citant une émission précédente dans laquelle était interviewé un ingénieur de l’entreprise, le speaker affirma que les Allemands « proposèrent à M. Renault de reprendre la direction de son usine (sic) et de l’exploiter avec son personnel, à l’exception de quelques ateliers consacrés au montage de chars… »(73).

A l’instar de ces sources gaullistes, la police de Vichy considérait, elle aussi, deux ans plus tôt, que le montage des chars s’effectuait dans des ateliers exploités uniquement par les Allemands (Voir pièce intégrale en annexe 1).

Char Renault FT-17 utilisé pour la surveillance de la base aérienne allemande de Dijon et char R-35 saisi par les Allemands. © Coll Gilberti Dan - Site ba102.fr et char-francais.net

Char Renault FT-17 utilisé pour la surveillance de la base aérienne allemande de Dijon © Coll Gilberti Dan – Site ba102.fr

Ainsi, non seulement les services de Vichy, mais encore une partie de ceux de la Résistance eux-mêmes, stipulaient bien que le matériel militaire (chars, autocanons de 75 mn antichars de différentes marques), étaient produits, non par Renault, mais par Daimler-Benz (74).

Lorsque l’on voit une photographie des chars Renault utilisés par des troupes allemandes, non seulement cela ne signifie rien sur l’origine de leur réparation, qui pouvait être assurée par divers ateliers réquisitionnés appartenant à l’Etat avant-guerre (AMX, Rueil, Bourges, Roanne, Tarbes), mais cela en dit encore moins sur la fabrication de ces chars français que les Allemands eux-mêmes n’ont jamais effectuée à notre connaissance dans leur totalité. La dénomination exacte du service allemand qui dirigeait les ateliers du Pont-de-Sèvres est Instandsetzungs kommando, ce qui veut dire commando de réparation et non pas de fabrication. Les Allemands procédèrent toutefois à des modifications de matériel dans l’atelier AMX, notamment pour transformer des chenillettes Renault UE en canons automoteurs. En 1939, dix mois avant que l’Allemagne ne s’empare du matériel blindé français, la Wehrmacht avait déjà saisi les chars Renault R35 et FT-17 appartenant à l’armée polonaise (75). Les vieux chars Renault de la Grande Guerre (FT-17) furent utilisés pour l’essentiel à la garde des aéroports de la Luftwaffe.

char R-35 saisi par les Allemands charsfrancais.net

char R-35 saisi par les Allemands © charsfrancais.net

Dernier point, Annie Lacroix-Riz, en se fondant sur un document unique de la Résistance (novembre 1942), affirme que la direction de Renault alimenta avec zèle la Relève et le Service du Travail obligatoire (STO) imposés par Vichy et les Allemands ; le texte affirme en effet que sur « 200 désignés », il n’y eut que 18 manquants…

Non seulement, il est totalement fantaisiste de résumer une telle question à un seul texte et à deux chiffres concernant une période d’un mois sur quatre années de guerre, mais toute la documentation dont nous disposons indique exactement le contraire de ce que prétend Mme Lacroix-Riz. Dès le mois de décembre 1941, bien avant la mise en place de la Relève, Louis Renault se prononça clairement contre le départ des ouvriers pour l’Allemagne : « Il faudra donc faire comprendre à ceux qui partent qu’ils travaillent contre leur pays », assure-t-il lors d’une réunion tenue à Billancourt devant les principaux responsables de l’usine (76). Six jours avant la publication de la loi sur le STO, le 10 février 1943, Louis Renault s’adresse personnellement au général allemand Weigand afin d’empêcher le départ des ouvriers en Allemagne (77). Le 21 février 1943, les autorités occupantes se font menaçantes devant la mauvaise volonté de Renault (78). Et pour citer les comptes rendus de la Résistance qu’affectionne Annie Lacroix-Riz, l’un d’eux, stipulait : « Sur vingt mille ouvriers (de Billancourt, ndla), quatre mille cinq cents sont partis pour la relève. Ceux qui ne se présentaient pas avaient pu jusqu’ici être repris par Renault, mais les Boches ont inauguré un contrôle qui empêche cette mesure » (79). Le 3 mars 1943 lors d’une entrevue avec l’Oberbaurat Kummer, Louis Renault réclama qu’aucun prélèvement de main-d’oeuvre supplémentaire ne fût opéré au cours de l’année 1943, tout en refusant de livrer les plans de l’usine du Mans et en demandant le retour des ingénieurs expédiés de force en Allemagne (80).

L’historienne militante préfère donc se fier à des informations incomplètes ou douteuses plutôt que de confronter les sources aux expertises réclamées par le tribunal de la Seine à la Libération, expertises qui doivent bien entendu être soumises à un examen critique comme tout document historique. Elle ne dit rien sur les ordonnances de non-lieu obtenues par les PD-G des usines Renault et Caudron, rien sur les chiffres réels de production connus et publiés dès la Libération, si ce n’est pour dénigrer le travail des experts auprès des tribunaux en leur opposant les informations fantaisistes susmentionnées !

Et comme l’auteure n’a rien de sérieux pour accuser Renault, elle brandit une invitation au Ritz où l’industriel ne s’est jamais rendu (81) (alors que, nous l’avons vu, il a décliné la convocation d’un ministre du Reich)…

Un travail sérieux d’historien eût consisté à recouper et à confronter les différentes sources dont nous disposons sur le sujet, contrairement à ce qu’a fait Annie Lacroix-Riz : les 2 km d’archives de l’entreprise Renault (série 91 AQ), jamais citées ; le dossier d’instruction concernant Louis Renault aux Archives Nationales (Z6 NL9), jamais cité ; les Archives du service historique de l’armée de terre (SHAT), jamais citées ; les milliers d’archives de la Société d’Histoire du Groupe Renault – jamais citées, exceptée une seule lettre communiquée par un ancien syndicaliste CGT de Renault, Michel Certano et qui, nous l’avons vu, a été tronquée et dénaturée.

Voilà en quoi consiste le travail de Madame Annie Lacroix-Riz.

Dans les faits, la production des usines Renault pendant les 4 ans d’Occupation correspond environ à 50% de la production de la seule année 1939 pour la France et à moins de 30% de celle du seul mois de mai 1940 pour l’armée française (81 bis).

La baisse d’effectif, l’effet des bombardements, les pénuries d’énergie et de matières premières survenues pendant l’Occupation, qui ont eu un impact évident, ne suffisent pas toutefois à rendre compte d’un tel contraste.

Les usines Renault faisaient partie de la cinquantaine d’entreprises clés qui travaillaient sous le contrôle direct des Allemands. Dès le mois de juin 1940, Renault se voyait imposer la présence dans l’usine de trois contrôleurs de la société Daimler-Benz. A la Libération, les autorités reconnurent que la mainmise de l’occupant s’était particulièrement appesantie sur ces industries-clés (aéronautique et automobile) (82). Il y avait en effet peu de rapports entre une société travaillant sous la coupe directe des Allemands, sans aucun zèle, et une autre qui devançait leurs demandes, parfois même depuis la zone libre.

L’essentiel de la production des usines Renault pendant l’Occupation a été consacrée à du matériel roulant, Renault ayant fabriqué moins de véhicules que Citroën, tout en employant, en moyenne, deux fois plus de personnel ; de même Renault a produit un peu plus que Peugeot qui employait pourtant, toujours en moyenne, trois fois moins de personnel(83)

Au total, sur les cent quatre commandes enregistrées par Renault pendant l’Occupation, une seule a été livrée dans les délais prévus, trente avec un retard de plus de six mois, une autre trentaine n’étaient pas achevée dix jours avant la Libération de Paris (dont vingt-deux avec un retard de six mois), enfin, à la même date, dix-sept commandes n’ont même pas reçu un début de réalisation (84).

La situation est similaire pour Caudron-Renault et la Société des moteurs Renault pour l’Aviation. Les fabrications réelles ont porté sur 220 appareils Goélands et 1290 moteurs Argus 411 (moteur Renault 6Q modifié) (85). A la fin de janvier 1942, précise l’ordonnance de non-lieu, c’est-à-dire avant le premier bombardement allié, « le nombre des avions pris en charge par les Allemands n’était que de 99 alors que selon le programme imposé, il aurait dû être de 220 ». Le commissaire du gouvernement estime que les dirigeants des deux sociétés ont travaillé sans zèle pour l’occupant (86).

Il a été reproché à Louis Renault d’avoir reconstruit l’usine de Billancourt après le bombardement britannique du 3 mars 1942. L’expertise effectuée à la Libération révéla non seulement que l’ensemble du personnel y était favorable, mais que le danger du départ forcé des ouvriers en Allemagne et du démantèlement de l’usine était bien réel. Même le représentant de la CGT, Jacques Chonion, témoigna dans ce sens devant l’inspecteur de police judiciaire à la Libération (87). Le personnel et la direction profitèrent d’ailleurs du bombardement pour décliner des commandes ou ralentir la production alors que les ateliers utilisés pour les Allemands avaient peu souffert.

Certains opposent la volonté de reconstruire de Renault à l’attitude de Peugeot et de Citroën, mais oublient de préciser que ces deux entreprises n’ont été frappées que tardivement, les usines de Sochaux le 16 juillet 1943 et les usines Citroën à partir de septembre 1943 (88). A cette date, Renault mène une politique de décentralisation qui a pour effet de réduire la production comme le constate un document allemand intercepté par les services gaullistes (89). Les trois industriels reconstruisirent partiellement leurs installations après les bombardements de 1943. Comme Renault, Citroën fut d’ailleurs en mesure de reprendre son activité dès la Libération, contrairement à Peugeot dont les usines de Sochaux furent démantelées par les Allemands.

On reproche enfin à Louis Renault de ne pas avoir financé la Résistance et de ne pas avoir envoyé son fils unique rejoindre la France Libre, ce qui est rigoureusement exact, mais ce qui ne fait pas de lui pour autant un collaborateur (90). Louis Renault est par ailleurs intervenu personnellement auprès de la Gestapo pour obtenir la liberté provisoire d’un ingénieur, d’un chef de service et d’un chef d’atelier, ainsi que celle de Jean Riolfo, résistant de l’Organisation civile et militaire (OCM), et de plusieurs personnes arrêtées par les Allemands le 19 mai 1943 (91).

Au total, la politique des trois grands constructeurs automobiles français a été à peu près la même jusqu’en 1943 : freiner les cadences tout en évitant la déportation du personnel et le démantèlement des usines (92). La position de la France Libre reflète d’ailleurs elle-même ce tiraillement. En effet, si elle estime qu’il faut bombarder les usines contrôlées par l’ennemi, afin de freiner la production, elle est consciente qu’il lui faudra bientôt disposer d’un outil pour continuer la lutte aux côtés des Alliés à la Libération tout en reconstruisant la France exsangue (93).

Louis Renault fut condamné post-mortem, une grande première dans un Etat de droit, la nationalisation-sanction du 16 janvier 1945 prononçant la confiscation de ses biens, environ trois mois après son décès et sans qu’il ait pu être jugé.

Le P-DG des usines Renault, René de Peyrecave, responsable de l’entreprise pendant l’Occupation et Eugène Asselot, dirigeant de Caudron, bénéficièrent d’un non-lieu en avril 1949.

Nous pouvons rejoindre Annie Lacroix-Riz sur un seul point : ce n’est certainement pas à la Justice de dire l’Histoire, mais les historiens n’ont pas davantage à se muer en procureurs, qui plus est, lorsque leur réquisitoire est fondé sur des éléments aussi fantaisistes et une méthode aussi indigente.

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser : Laurent Dingli, “Réponse à l’historienne Annie Lacroix-Riz sur son texte « Louis Renault et “la fabrication de chars pour la Wehrmacht” », avril 2011. Dernière mise à jour: 22 février 2012

Voir annexes ci-dessous :

Annexe 1 : la note de la préfecture de police du 10 septembre 1941. Dossier Louis Renault APP BA 2136.

Annexe 2 : production des ateliers Daimler-Benz : A. N. F1a 3963

(1) . Procès-verbal de constat du 11 octobre 2007.

(2). F. Picard, L’épopée Renault, Paris, 1976, p. 185. Le même Picard écrivait au moment des faits dans son Journal clandestin : « Devant l’évolution de la situation générale, la volonté de résistance du patron s’accroît chaque jour davantage. Il redresse la tête et hausse le ton. Il n’en est pas de même malheureusement de tous les industriels français ». F. Picard, « Journal clandestin », De Renault Frères à Renault, n° 15 décembre 1977, p. 109. Le témoignage de Picard n’est pas à rejeter a priori, mais il faut le confronter à d’autres sources tout en comparant systématiquement ses propos de l’Occupation avec ses écrits postérieurs.

(3). Les huit petits-enfants de Louis Renault furent défendus à cette occasion par Maître Thierry Lévy.

(4). Le Monde magazine du 8 janvier 2011 et France 2, JT de 20h, 2 mars 2011.

(5). Contrairement au PCF, le Pôle de renaissance communiste en France « refuse toute criminalisation de l’« expérience socialiste issue d’Octobre 1917 » et défend les régimes cubain et nord-coréen dans ce qu’il appelle sa lutte contre l’impérialisme américain » (source Wikipédia). A titre d’exemple, l’historienne de sensibilité stalinienne estime que l’Union soviétique de Khrouchtchev a eu tort de réhabiliter le maréchal Toukhatchevski, victime des grandes purges de juin 1937. Conférence tenue par Annie Lacroix-Riz à l’invitation de Solidarité et Progrès, le 28 septembre 2006, en vidéo sur le site Dailymotion. Elle se situe donc dans une position idéologique antérieure au XXème congrès du P.C.U.S. de 1956.

(6). Notamment sur le site www.frontsyndical-classe.org. Quant au texte de Madame Lacroix-Riz, il a été publié pour la première fois sur le site blogs-mediapart.fr avant d’être repris par plusieurs sites militants, notamment « legrandsoir.info », « interventioncommuniste.fr », « reveilcommuniste.overblog.fr », etc.. Voir aussi l’article de Lionel Venturini « Quand les héritiers Renault effacent la collaboration » dans l’Humanité du 8 mars 2011 ainsi que les interventions de Madame Lacroix-Riz dans le Télégramme du 12 mars, le site d’Arrêt sur images le 15 mars, et France-Soir du 8 avril.

(7). La démarche de réhabilitation du patronat pendant l’Occupation émanerait, entre autres, d’historiens qu’elle ne cite pas…

(8). Dans un document intitulé « Le Parti communiste français et la Libération de la France », André Marty écrivait déjà en 1942 : « L’application du Front populaire eût fait échec au sabotage par le grand patronat, les collaborateurs d’aujourd’hui, de l’économie nationale et de la production de guerre ». Le général Petit au général de Gaulle, Moscou, 25 novembre1942. AN 171 MI 148. Voir aussi L’Humanité du 3 septembre 1940.

(9). (Conférence effectuée dans le XXème arrondissement au café-restaurant « Le lieu-dit »). Dans Etat de guerre, documentaire de Béatrice Pignède et Francesco Condemi, (2005), Annie Lacroix-Riz développe ses idées avec d’autres adeptes de la théorie du complot tels que Thierry Meyssan et Dieudonné. Evoquant la situation du monde après 1989 et citant le texte d’un diplomate daté de 1952, elle proclame que les Etats-Unis seraient en passe de réaliser « les buts de guerre allemands antérieurs (à 1945, ndr), c’est-à-dire d’une part la conquête de l’Europe centrale et orientale et même la menace directe contre la Russie ».

(10) . Le gouvernement de Front Populaire a réalisé un effort budgétaire sans précédent en faveur de la mobilisation industrielle. L’attitude munichoise du gouvernement Daladier peut être à juste titre critiquée par les historiens de sensibilité communiste. Il faut bien entendu prendre en compte l’état de l’opinion française au cours de cette période qui était majoritairement hostile à la guerre.

(11). L’historien Patrick Fridenson se fonde, à notre connaissance, sur un seul document pour affirmer que Louis Renault finançait « des groupes d’extrême droite », document de dix lignes qu’il a cité il y a 39 ans dans son ouvrage, Histoire des usines Renault, Paris, 1972, p. 322. Non seulement le nom de Renault n’apparaît même pas dans ce texte, mais il s’agit d’une simple proposition de financement effectuée par Jean-Pierre Peugeot à François Lehideux, l’un des administrateurs-délégués de l’usine, sans que nous sachions même si cette proposition fut suivie d’effet. Nous espérons que Patrick Fridenson produira à l’avenir des éléments plus sérieux pour se lancer dans de telles affirmations : Lettre de M. Jordan, directeur général de Peugeot, à F. Lehideux, (manuscrite), 4 septembre 1936. A.N. 91 AQ 16 (fond repris par Renault) : « Les industriels lyonnais (département Rhône réglé, celui Loire en cours) ont créé au capital de 50 000 F une société anonyme régulière (raison sociale S.A. pour commerce et industrie) qui en concentrant tous les budgets de subventions de la région aura de 8 à 10 M. à distribuer par an à toutes les organisations d’ordre de l’A. F. (Action Française, ndr) à Doriot pour la seule ville de Lyon et région. Cette société a pour objet officiel une partie de la publicité commerciale courante. M. J.P.P. (Jean-Pierre Peugeot) pense que cette formule serait à employer pour l’organisme nouveau différent des rues Lauriston, Madrid, Messine, Presbourg, etc. (adresses de syndicats patronaux, tel que le Comité des Forges, etc.), à pousser sous l’égide de D. (Pierre Dalbouze, qui décédera moins de trois mois plus tard, le 27 novembre 1936, ndr) ». Faute d’éléments et en se fondant sur les archives, P. Fridenson ne retient pas cependant l’hypothèse de la Cagoule. Toutes les archives du procès de l’organisation terroriste sont d’ailleurs publiques et connues depuis longtemps.

(12). Albert Thomas fut l’un des premiers rédacteurs de L’Humanité fondé par Jean Jaurès. Louis Renault avait des amis de tous les bords politiques de la droite républicaine au parti socialiste.

(13). Il fut une sorte de « libéral-social » résume avec bonheur l’historien Patrick Fridenson. Il était une fois les patrons, documentaire d’Anne Kunvari (2010).

(14). J.-C. Asselain, « La loi des quarante heures de 1936 », dans Bouvier dir., La France en mouvement 1934-1938, p. 169.

(15). D. Phan, « Productivité, emploi et salaire chez Renault autour des années 1930 », Le Mouvement social, n° 154, janvier-mars 1991.

(16). P. Fridenson, Histoire des usines Renault, T. I, Paris, 1972. Voir aussi le dossier F12 9405 des Archives Nationales ; J. Ancelin, L’Action sociale familiale et les Caisses d’allocations familiales. Un siècle d’histoire, Paris, 1997 ; le dossier 91AQ 20 des Archives Renault ; les procès-verbaux des assemblées générales de la Caisse de secours mutuelle Renault (CEDIAS).

(17). Déposition de François Lehideux devant le juge Beteille, 17 décembre 1938, et A P. Beteille, juge d’instruction, 12 mai 1938. AR 91AQ 115.

(18). Procès devant la Cour d’Assise de la Seine du « Comité Secret d’Action Révolutionnaire ». 39ème Audience – 26 novembre. Note du 27 novembre 1948. APP BA 1903. L’ingénieur Marcel Mouget est entré en 1926 chez Michelin où il est devenu sous-directeur de la fabrication en 1933. Il adhère au PSF et forme avec Gustave Vauclard – lui aussi de Michelin – et Henri Voguel, le petit comité directeur des Enfants d’Auvergne, association d’extrême droite qui va basculer dans l’activisme. D’après Philippe Bourdrel, seuls Vauclard et Voguel rejoignirent avec certitude l’OSARN. Mouget est entré chez Renault en 1937. P. Bourdrel, La Cagoule, Histoire d’une société secrète du Front populaire à la Vème République, Paris, 1970, rééd. 1992, p. 91.

(19). A P. Beteille, juge d’instruction, 12 mai 1938 et Déposition de François Lehideux devant le juge Beteille 17 décembre 1938. Archives Renault 91AQ 115. Sur les suspicions concernant Lehideux, voir son dossier au Renseignements généraux : APP L10 (ancienne cote 76 882). J’ai résumé le dossier dans Louis Renault, Paris, 2000, pp. 278-279.

(20). Suivant cette rumeur loufoque, Louis Renault aurait confié au colonel Guillaume, directeur de l’hebdomadaire de droite « Choc » qu’il ne publierait plus de publicité dans son journal, « parce qu’il faisait passer son amitié pour le colonel de La Rocque avant les affaires ». Note du 19 octobre 1937. APP BA 2136. Le colonel Maurice Guillaume fut adjoint de Lyautey au Maroc, attaché au cabinet de Raymond Poincaré et collaborateur de Léon Bailby à L’Intransigeant. Il était devenu administrateur du Quotidien, après un bref passage au Petit Journal. C’est dans l’hebdomadaire « Choc », qu’il avait créé en 1935, que fut lancée une des attaques les plus violentes contre le colonel de La Rocque sous la plume d’un ancien membre des Croix de Feu, Joseph Pozzo di Borgo. En fait d’amitié, Louis Renault ne connaissait même pas le colonel de La Rocque. Sur le colonel Guillaume voir M. Cointet-Labrousse, Vichy et le fascisme : les hommes, les structures et les pouvoirs, Paris, 1987, pp. 109-110 ; R. de Livois, Histoire de la presse française, T. II, p. 481 ; P. Machefer, « L’Action française et le PSF », Actes du quatrième colloque Maurras, Aix-en-Provence, Institut d’Etudes Politiques, 29, 30 et 31 mars 1974, p. 125 ; P.-M. Dioudonnat, « Je suis partout » : 1930-1944, Paris, 1973, p. 180.

(21). Note du 15 janvier 1943. APP BA 2136. L’appartenance à cette mouvance ne signifie d’ailleurs rien quant à l’engagement ultérieur de ses membres car on trouve aussi bien des anciens Croix de Feu dans la Résistance auprès du général de Gaulle que dans la collaboration de Vichy. Toutes les sensibilités politiques étaient représentées parmi les 34 000 membres des usines Renault au plus fort de leur effectif (juin 1940) avec une surreprésentation de l’extrême gauche et de l’extrême droite avant la drôle de guerre si on en croit un rapport de police du 15 janvier 1940, la mobilisation ayant eu pour effet de briser le dynamisme de ces deux mouvances. L’extrême droite était-elle davantage représentée au sein de la maîtrise et des dirigeants de l’entreprise qu’au sein de la population française ? Nous l’ignorons. Une note du mois d’avril évoquant le cas de sept cadres, d’une secrétaire et d’un ajusteur, ne mentionne qu’un membre du PSF parmi ces neuf principaux dirigeants du Comité de fraternité de guerre de Renault, association par ailleurs sans buts politiques. Note du 4 mars 1940. APP BA 2136.

(22). Article de Candide cité dans La Victoire du 16 octobre 1936. Voir « Avant le Congrès de Biarritz », Agence technique de la presse, 13 et 17 octobre 1936.

(23). Louis Renault à Léon Blum, 21 mai 1930 et réponse du 23 mai. SHGR. Louis Renault à Léon Blum, 22 janvier 1937. APR.

(24). C. Bouillet à Louis Renault, janvier 1938. S.H.G.R. Correspondance 1938.

(25). A. Lacroix-Riz, « Louis Renault et “la fabrication des chars pour la Wehrmacht” », relation citée. La rumeur selon laquelle Renault aurait eu des réticences vis-à-vis de la Défense nationale coïncide avec le rattachement de François Lehideux au Ministère de l’Armement.

(26). Laurent Dingli, Louis Renault, Paris, 2000, pp. 319-378.

(27). De même, pour dénigrer l’ensemble de mon travail d’historien, Annie Lacroix-Riz va jusqu’à qualifier la publication condensée de ma thèse de Doctorat en Sorbonne (Colbert de Seignelay, Paris, 1997) ainsi que mon essai sur Robespierre de « romans historiques »…

(28). Lettre du 8 novembre 1938 déjà citée par Robert Aron, puis par Gilbert Hatry. Louis Renault, patron absolu, pp. 354-355.

(29). Voir entre autres : Mission d’inspection effectuée le 1er décembre pour le compte de la commission de l’Armée par MM. Chouffet, Courson et Taittinger. S.H.A.T. 6N 20 supplément ; Rapport particulier N° 279 sur la préparation de la mobilisation industrielle des établissements Renault par le contrôleur Vidal, 6 janvier 1940. 23 pages dactyl. S.H.A.T. 8N 111-2.

(30). Note du 16 novembre 1939 à René de Peyrecave. AR 91AQ 5 ; W. J. Spielberger, Beute-Kraftfahrzeuge und-Panzer der Deutschen Wehrmacht, Stuttgart ; Tableau des commandes de mobilisation. AN AJ41 562 ; F. Marcot, « La direction de Peugeot sous l’Occupation : pétainisme, réticence, opposition et résistance », Le Mouvement Social n° 189, octobre-décembre 1999, p. 28.

(31). F. Vauvillier, M. Touraine, L’automobile sous l’uniforme 1939-1940, Paris, 1992. Les archives contemporaines, notamment celles citées supra confirment rigoureusement l’engagement de Louis Renault en faveur de la mobilisation industrielle et ce, dès avant l’automne 1939.

(32). Voir notamment Louis Renault à Pierre Cot, 19 novembre 1937 et programme cellule secret, 19 mars 1938. AR 91AQ 80 ; le général Denain à Louis Renault, 21 juin 1938. SHGR ; note du 12 janvier 1937 ; J. Hubert à Louis Renault, 21 janvier 1938. AR 91AQ 56 ; interrogatoire de René de Peyrecave du 19 décembre 1944. AN Z6 NL9 (1) projet de note, 9 juillet 1937. AR 91AQ 31.

(33). Le Journal d’Amiens et Le Progrès de la Somme, 4 avril 1939.

(34). Comité de direction des 24 janvier et 18 avril 1940. AR 91AQ 70 ; R. Dautry à M. Boutet, les 25 février et 5 mars 1940 ; R. Dautry à M. Martignon, 25 février 1940 et idem à M. Banet-Rivet. AN 307 AP 135.

(35). P. Fridenson, « Première rencontre de Louis Renault avec Hitler », Renault Histoire n°11, juin 1999, pp. 8-18.

(36). Selon un témoin oculaire, Louis Renault demande au dictateur allemand lors du salon automobile de 1938 : « – Ne pensez-vous pas, Monsieur le Chancelier, qu’une bonne entente entre l’Allemagne est indispensable à la prospérité de nos deux pays et à l’équilibre de l’Europe ». A quoi Hitler se contente de répondre : « Si on parle de guerre, et beaucoup trop, c’est la faute des journalistes français qui ont toujours ce mot au bout de leur plume » (J.-A. Grégoire, L’Aventure automobile, Paris, 1953, déjà cité par G. Hatry et P. Fridenson). Nous ne savons rien en revanche des quelques mots échangés entre Renault et Hitler pendant la visite éclair de février 1939. Lors du Salon, Louis Renault confia au journal L’Auto : « Vous connaissez mes idées, et je suis contre la guerre, source de destruction et de désordre. Deux grandes industries, comme l’allemande et la française, ont un égal intérêt à se connaître, et tous les efforts de compréhension réciproque se traduisent par des avantages de sécurité dans le monde ». Idem.

(37). V. Denain à Louis Renault, 12 mars 1935. AR 91AQ 30.

(38). Etude sur la fabrication des obus, 1935. APR ; L’Action automobile, mars 1939 ; Visite de l’usine Krupp d’Essen. AR 91AQ 25.

(39). Le dirigeant socialiste déclara au début des pourparlers : « On commettrait une grave erreur si on contrariait en quoi que ce soit cet espoir et cette joie, car ils sont en eux-mêmes une puissance de paix et une chance de paix ». Cité par I. Greilsammer, Blum, Paris, p. 411.

(40). S. Schirmann, Les relations économiques et financières franco-allemandes 1932-1939, Paris, 1995.

(41). P. Fridenson, art. cit., reprenant un article du même auteur paru dans M. Merger, D. Barjot, Les entreprises et leurs réseaux : hommes, capitaux, techniques et pouvoirs XIXème – XXème s., Paris, 1998, pp. 93 et suiv.

(42). P. Fridenson, art. cit. p. 18. Pour servir ce déterminisme, P. Fridenson évoque encore l’hostilité économique de Louis Renault à l’égard des anglo-saxons, ce qui n’a aucun sens, le constructeur ayant toujours admiré le modèle américain tout en alertant à juste titre les pouvoirs publics sur les dangers de la concurrence économique des Etats-Unis et ce, non pas depuis le milieu des années trente comme le prétend P. Fridenson, mais dès la fin de la Première Guerre mondiale et même depuis 1913. C’est d’ailleurs avant 1929 que Louis Renault se montre le plus offensif dans sa dénonciation du monopole commercial américain. Louis Renault, qui connaissait très bien les Etats-Unis où il se rendit en 1911, 1928 et 1940, était un ami de Roy Dikeman Chapin, industriel de l’automobile et Secrétaire au commerce de l’administration Hoover. L’interprétation de P. Fridenson est d’autant plus faible que, dans les documents que nous avons produits, Louis Renault évoque la menace commerciale du bloc pacifique, composé aussi bien des Etats-Unis que du Japon… Enfin, Louis Renault suggérait que l’Anglais devînt la langue officielle des Etats-Unis d’Europe. Pour la position de Louis Renault avant les années trente, voir entre autres : Comité des fabrications automobiles, séance des 16 mai et 21 juin 1916 ; E. Clémentel à Albert Thomas, 24 juin 1916 ; Renault à L. Perissé, 17 octobre 1916. AN F12 7713 ; Louis Renault à Louis Loucheur, 21 mai 1919 ; « Protection de l’industrie automobile », 22 mai 1919 ; « Protection nécessaire pour permettre à l’industrie française de lutter avec la concurrence (conversation échangée entre le commandant Exbrayat et Monsieur Renault) », 31 mai 1919 ; « Note sur la nécessité qui existe à l’heure actuelle de prendre des mesures tendant à prohiber tout au moins temporairement l’importation des véhicules américains », 10 octobre 1921 ; Edouard Michelin à Louis Renault, 8 décembre 1923 ; « L’industrie française et la concurrence américaine, décembre 1925. APR ; Louis Renault à Raymond Poincaré, le 8 décembre 1928. SHGR.

(43). Projet de note du 20 mars 1936. APR.

(44). Idem du 21 mars 1936.

(45). Pour le détail de ce partenariat du 16 avril 1936 à 1938, voir E. Mihaly, H. Robinson, Les avions Caudron Renault, Paris, 2001, p. 289 et R. de Peyrecave au général Bouscat, 30 mai 1938. 91AQ 80.

(46). « Trois réformes » (1937), APR et SHGR. Le dossier cartonné de l’époque, entièrement consacré à cette note, est conservé à la Société d’Histoire du Groupe Renault. Comme il avait coutume de le faire, Louis Renault avait envoyé son texte à différents acteurs de la vie économique et politique ce qui nous permet de le dater. Nous tenons les originaux à la disposition des chercheurs.

(47). Note du 9 février 1937. APR. En 2010, en dépit des documents publiées à cette date, P. Fridenson continue de faire de Louis Renault une sorte d’anti-américain pro-allemand afin de servir sa thèse de la collaboration active : « Louis Renault, son idée à partir du milieu des années trente, c’est que l’ennemi principal dans le monde ce sont les Etats-Unis qui sont ses plus grands concurrents et qui, au fond, peuvent l’écraser, donc il est partisan d’une entente commerciale, économique et pourquoi pas politique avec l’Allemagne, et il va rencontrer à plusieurs reprises le nouveau chancelier du Reich, Adolf Hitler, et il est partisan d’une politique de paix ; il est pétainiste, beaucoup d’entrepreneurs sont pétainistes, mais certains, de pétainistes deviennent résistants, lui va rester pétainiste, ne va pas donner d’argent à la Résistance lorsque la Résistance lui en demande et lorsque ses usines sont bombardées par l’aviation alliée, il va reconstruire » (« Il était une fois les patrons, documentaire d’Anne Kunvari (2010). Dans l’état actuel de nos connaissances, rien ne vient étayer une quelconque adhésion de Renault au régime de Vichy. On ne voit pas très bien pourquoi cet homme, qui n’a jamais eu d’engagement politique, se serait découvert une vocation tardive à 63 ans, d’autant plus qu’il avait condamné les révolutions fascistes trois ans plus tôt. Enfin, il faut se garder d’instrumentaliser la volonté de soutenir le défi américain, qui date rappelons-le de la Première Guerre mondiale, pour faire de Louis Renault une sorte de pré-vichyste pro-allemand. L’historien avait déjà affirmé, il y a quarante ans, que l’engouement qu’avait Renault pour les cités-jardins, dont le modèle était pourtant né dans l’Angleterre du XIXème siècle, correspondait à une idée « pré-vichyste »…

(48). « Rapport prononcé par Maurice Thorez », 2 septembre 1936. AR 91AQ 16.

(49). Idem.

(50). Cité par I. Greilsammer, Blum, Paris, p. 377.

(51). Christiane Renault affichait ouvertement ses sympathies d’extrême droite depuis qu’elle était la maîtresse de l’écrivain Pierre Drieu La Rochelle en 1935.

(52). Beaucoup d’historiens ont pris pour argent comptant le témoignage partial de l’ancien ministre de Vichy, notamment Patrick Fridenson et Gilbert Hatry. Mais l’historien qui s’est le plus laissé influencer par les témoignages oraux de François Lehideux reste, et de loin, Emmanuel Chadeau.

(53). « L’historien Laurent Dingli a montré, au contraire, archives en main, que le passage de Chassagne (l’un des affidés de Lehideux, ndr) à Billancourt avait été préparé par l’intervention de (Jean) Bonnefon-Craponne, lieutenant de Lehideux », venu voir le ministre Belin à Vichy pour l’alerter sur « la prétendue remise en cause des acquis sociaux » chez Renault ». P. Fridenson ajoute plus loin : « En outre, alors que j’avais écrit que Lehideux avait quitté la direction de Renault « début septembre 1940 », analyse qui a été ensuite celle d’Hervé Joly, Laurent Dingli, grâce à des archives de la famille et de la Haute Cour de Justice, montre qu’en fait François Lehideux a été limogé par Louis Renault, de même que son secrétaire Albert Armand, qu’il va nommer secrétaire général du COA ». (P. Fridenson, « Syndicalisme de l’automobile : la redistribution des cartes », Le syndicalisme dans la France occupée, Rennes, 2008, pp. 84 et 90). Jean Bonnefon-Craponne sera, après la guerre, administrateur de la Société des forges et ateliers de Commentry-Oissel présidée par François Lehideux. APP L10.

(54). L’ordonnance de non-lieu du 30 avril 1949 précisait déjà que François Lehideux avait démissionné le 27 décembre 1940. Ministère public c/Louis Renault, René de Peyrecave. AN Z6 NL9 (2) et copie dans SHGR carton 23.

(55). Notes des 9 septembre 1940, 5 juin 1942, 10 août 1943, 18 avril 1944, 14 septembre et 19 octobre 1945, 17 novembre 1952 et s. d. Dossier Lehideux. APP L10 (ancienne cote 76882).

(56). Voir notamment A. Tasca, D. Peschanski, 1940-1944 : quaderni e documenti inediti di Angelo Tasca, Milan 1986, p. 351 ; C. Pennetier et J.-P. Besse, Juin 40, la négociation secrète, Paris, 2006 et Le Monde du 9 décembre 2006.

(57). L’Humanité du 4 juillet 1940. APP communiste carton II.

(58). Id. déjà cité par G. Hatry, Louis Renault, patron absolu, 1982. Toutes les archives contemporaines confirment cette volonté. A titre d’exemples, le tract distribué aux abords des usines Hispano-Suiza à Bois-Colombes, le 26 juillet 1940, exigeait la « réouverture de l’usine pour l’ensemble du personnel » ; le tract « Formez vos comités populaires », du 30 août 1940, réclamait « la réouverture des entreprises » ; le même mois, le comité populaire de la S.E.C.M. de Colombes (Société d’Emboutissage et de Constructions Mécaniques créée par Félix Amiot, ndla) appelait à « la remise en état de marche de l’usine » et, au lieu de se féliciter de sa mise hors service demandait des comptes : « Qui a incendié l’usine ? Par ordre de qui ? Pour quels motifs ? Nous exigeons quelques explications ou nous demandons une commission d’enquête » ; le 22 août, le « comité populaire Renault » revendiquait du travail pour tous et une hausse des salaires ; quelques jours plus tôt, le « comité populaire de l’usine Morane Saulnier » exigeait la « réouverture de l’usine » et « la garantie d’embauche du personnel ». Idem à Courbevoie, le 16 août 1940 ; à la même date, l’organe de la section de Nanterre demandait la réouverture des usines et se plaignait du chômage chez SIMCA et Willème : « Dans la majorité des cas, les patrons sont défaillants. Il faut que le personnel se groupe en de puissants comités populaires d’usine… » ; mêmes demandes à Saint-Maur, début septembre. APP Parti communiste carton II.

(59). La section de Montreuil s’en prenait quant à elle aux francs-maçons et aux « jésuites cagoulards (sic) » tout en réclamant déjà « une épuration totale » (Tract « La Franc-maçonnerie à Montreuil », 18 août 1940. APP Parti communiste carton II). Six jours seulement après la grande offensive allemande du 10 mai 1940, alors que s’amorce la débâcle de l’armée française, L’Humanité titrait « Il faut mater les bandits impérialistes », ajoutant, à propos de la guerre entre l’Allemagne et les troupes franco-anglaises: « quand deux gangsters se battent entre eux, les honnêtes gens n’ont pas à soutenir l’un d’eux, sous prétexte que l’autre lui a porté un coup irrégulier ». Pour sauver notre malheureux pays, affirme encore L’Humanité du 26 mai, il faut chasser cette racaille de fauteurs de guerre et de réactionnaires et leurs valets socialistes ! ». Quelques jours plus tard, l’organe communiste dénonce les traîtres Blum, Daladier et Bonnet (L’Humanité des 16 mai, 26 mai et 18 juin 1940. APP Parti communiste carton II). L’appellation de « juif Mandel » a été utilisée dans les papiers de la militante communiste chargée de négocier au nom du Parti la reparution légale de L’Humanité. Pour autant, nous la croyons purement opportuniste, le PCF n’ayant jamais utilisé la carte du racisme. Au contraire, un tract de 1940 retrouvé au Châtelet dénonçait déjà les mouvements antisémites qui pouvaient s’épancher jusque dans les milieux ouvriers. Idem.

(60). Dont 35 000 tonnes de tubes ; cette commande soviétique fut soumise par le groupe Otto Wolf aux représentants de l’UIMM. Note de M. Lechartier, 11 mai 1941. AN AJ41 167.

(61). Voir notamment O. Dard, Le mythe de la synarchie, Paris, 1999, et pour la thèse contraire, Annie Lacroix-Riz, Le Choix de la défaite : les élites françaises dans les années 30, éd. Armand Colin, 2006.

(62). Il s’agit de Karl Zuckertort (1886-1982), responsable de la Division automobile de l’OKH à partir de 1937 (Abteilungsleiter der Kraftfahrgeräteabteilung), Generalmajor depuis le 1er mars 1940 et promu à partir du 1er juillet suivant « Leiter der Dienststelle des Heeres-Waffen-Amtes (HWA) in Paris ». (Source : lexikon der Wehrmacht).

(63). G. Hatry, Louis Renault, patron absolu, Paris, 1982 ; E. Chadeau, Louis Renault, Paris, 1998 ; L. Dingli, Louis Renault, Paris, 2000.

(64). P. Fridenson notait en 1999 que les constructeurs français avaient cessé de fabriquer des chars pendant l’Occupation. (P. Fridenson, « La modernisation de l’industrie française d’armement terrestre (1945-1960) : Un état de la question », Les ingénieurs militaires et l’émergence d’une nouvelle industrie française de l’armement, Actes de la journée d’études du 20 mai 1999. Comité d’Histoire de l’Armement, p. 20).

(65). Pierre à Laval à François Lehideux, 27 juin 1940.

(66). J’avais commis une erreur et une imprécision dans le chapitre consacré à l’affaire des chars (L. Dingli, Louis Renault, p. 414) : Premièrement, nous ignorons toujours la date exacte de la première visite de l’atelier Fiat par les Allemands, visite à laquelle fait référence une note de Louis Renault datée du 2 août : dans l’état actuel des archives, il est donc impossible de savoir si elle a été effectuée avant ou après le retour de l’industriel à Paris, le 23 juillet. Deuxième point : j’avais suggéré que ces ateliers étaient soumis à une réquisition, en me référant au statut général de l’usine, mais l’exactitude aurait nécessité d’écrire une « réquisition provisoire », la réquisition définitive n’étant prononcée que le 5 août 1940 pour les ateliers Fiat et Astra, et le 1er septembre pour le reste de l’usine.

(67). Léon Noël au maréchal Pétain, 2 août 1940. AN F60 1539. Voir aussi Léon Noël à Philippe Pétain, le 31 juillet 1940. AN F60 397 et lettre du 13 août 1940. F60 46.

(68). Paul Panhard à Léon Noël, 6 août 1940. AN F60 1539.

(69). Et non pas à Issy-les-Moulineaux comme l’écrit E. Chadeau, op. cit., p. 229, qui confond les ateliers Fiat et l’AMX.

(70). En 1941 notamment, plusieurs demandes allemandes sont rejetées (Au HKP 503 Werk Soga Aussenstadt – Usine d’Asnières, 16 décembre 1941. AR 91AQ 98). Renault refuse de réparer les chars R 35 saisis par une compagnie de Panzer à Gien, de construire des gazogènes pour la Kriegsmarine, des pièces de rechange pour char, des plaques de blindages, des douilles, des jeux de fusée, des carters d’aviation (Au Kommandierender Admiral in Frankreich, 12 novembre 1941. Au commissaire Shremmer, 17 janvier et 18 février 1941. AR 91AQ 98. Au Wehrwirtschafts Und Rüstungstab Frankreich, 9 février 1942. AR 91AQ 102. A la Panzerersatzteilkompanie – OKH, 30 novembre 1940. AR 91AQ 97 ; comptes rendus des 3 juin 1942 et 1er avril 1943. AR91AQ 96). Le 6 juin 1941 encore, une dizaine de commandes allemandes est déclinée sous divers prétextes : non-conformité technique, absence de précision, absence de fournitures… (Au commandant du Park de Neuilly-sur-Seine, 6 juin 1941. AR 91AQ 98.). L’année suivante, les autorités d’occupation exigent que des membres de l’usine se rendent en Allemagne pour y étudier des fabrications militaires. La direction de Renault s’y oppose (Au Wehrwirtschafts Und Rüstungstab Frankreich, 17 mars 1942 et au Baurat Kummer, 24 avril 1942. AR 91AQ 102). Si une demande en pièces de chars ZM dépasse exceptionnellement les demandes de Schremmer datée du 18 juin 1941 pour deux fournitures sur neuf, si encore, au mois de novembre, la réparation de moteurs FT dépasse de 8 unités celle exigée, les Allemands se plaignent le 18 octobre d’un retard sensible dans la réparation de boîtes de vitesse FT tandis que Renault ne garantit plus les délais de réparation des chars R35 dès le mois d’août. Enfin, le commissaire du gouvernement constate à la Libération que « toutes les commandes (de pièces et organes pour chars et chenillettes, ndla)) n’ont été satisfaites qu’après de très longs retards ; bon nombre n’ont pu être exécutées et durent être annulées » (Ministère public c/Louis Renault, René de Peyrecave. Ordonnance de non-lieu du 30 avril 1949. A. N. Z6 NL9).

(71). Projet de note « M. l’Ambassadeur », 2 août 1940. AN Z6NL9 (2).

(72). Nous ne connaissons que le char expérimental Citroën AMR P103. Ce projet daté des années trente resta au stade d’esquisse. Voir notamment les spécifications du prototype sur le site charsfrançais.net.

(73). Alger-Radio-France, 23 juillet 1943. AN F60 1704.

(74). Et par M.A.N (Maschinenfabrik Augsburg-Nürnberg).

(75). Les chars Renault R-35 furent utilisés aussi bien par la 100ème Panzerbrigade de la 21ème Panzer Division sur le Front de l’Est que par les 131ème et 132ème regimenti carro Armati de l’armée italienne lors de l’invasion alliée de la Sicile en 1943.

(76). « Compte rendu de la réunion chez M. Renault », 18 décembre 1941. APR.

(77). G. Hatry, « Le service du travail obligatoire (S.T.O.) 1942-1943 », R.F.R. n° 27, décembre 1983.

(78). Ministère public c/Louis Renault. Z6NL9 (2).

(79). France-Economie, 4 avril 1943. AN F60 1704.

(80). René de Peyrecave à M. Le commissaire des usines Renault, 9 mars 1943. SHGR.

(81). Les historiens savent qu’il faut confronter les invitations lancées au Ritz avec des documents attestant de la présence effective des personnes conviées. Il est connu, en effet, qu’un certain nombre d’entre elles, qui figuraient pourtant sur les listes, ne s’y sont jamais rendues. C’est le cas de Louis Renault.

(81 bis). J’ai retenu comme chiffres les plus sûrs pour l’occupation, ceux donnés par la commission consultative des dommages et des réparations de 1947 (34.270 véhicules pour Renault) et pour l’année 1939, ceux de l’ordonnance de non-lieu de 1949 (62.000 véhicules dont 17.000 camions d’octobre 1938 à octobre 1939), ce qui donne un pourcentage de 55, 27%. Ces chiffres n’ont bien entendu qu’une valeur indicative dans la mesure où les deux contextes sont très différents et que les chiffres dont nous disposons pour l’année 1939 varient suivant les sources de 58.000 véhicules à 65.000. Notons enfin que si la production a été affectée pendant l’occupation par les bombardements, les pénuries de main d’oeuvre et d’énergie, celle de 1939 a souffert d’une chute drastique de l’effectif des usines Renault qui a perdu environ la moitié de son personnel à la mobilisation.

(82). « Une ordonnance allemande du 20 novembre 1940 dévolut aux commissaires des usines des pouvoirs extrêmement étendus qui comportaient le contrôle de tous les documents et opérations, le contrôle technique de la main d’oeuvre, la surveillance de l’exécution des commandes allemandes, la détermination des possibilités de fabrication. En fait, il s’agissait d’une véritable mise en tutelle de l’entreprise. Cette mise sous tutelle fut encore aggravée, en fin 1943, quand, à la suite d’accords gouvernementaux, certaines entreprises françaises furent dotées de Patentfirma (parrainage d’une firme allemande), sic pour Patenfirma) » (Ordonnance de non-lieu du 30 avril 1949. AN Z6NL9 (2).

(83). En admettant même que l’efficacité industrielle soient moindres chez Renault – ce qui n’est pas prouvé – cela ne bouleverserait pas la tendance indiquée. Les effectifs productifs de Renault ont été de 12 000 en 1940, 11 000 en 1942 et 8 500 en 1943-1944 (le chiffre de 1941 manque). Ils dépassent donc constamment les effectifs globaux de Citroën et de Peugeot dont les moyennes plafonnent autour de 10 000 pour le premier et de 8 000 pour le second. (Ordonnance de non-lieu du 30 avril 1949. AN Z6NL9 (2). Citroën n’a fait a priori l’objet d’aucune enquête ou information pour des raisons indéterminées. P. Fridesnon, J.-F. Grevet, P. Veyret, « L’épuration dans l’industrie automobile », L’épuration économique en France à la Libération, p. 243.

(84). A titre d’exemples, sur les 387 moteurs 300 CV commandés par la Kriegsmarine le 23 février 1942, 21 moteurs étaient livrés le 15 août 1944. De même, les Allemands reçurent 73 moteurs 6 cylindres sur les 390 commandés un an et demi plus tôt, 56 groupes électrogènes sur les 145 réclamés par Siemens. La commande de pièces pour adaptation de gazogène fut ramenée de 17 000 à 5000 collections : 850 furent effectivement livrées le 15 août 1944, soit 5% du total exigé.

(85). J’ai eu tort, en 2000, de suivre sur la question précise des moteurs l’ouvrage spécialisé de A. Bodemer et R. Laugier, Les Moteurs à pistons aéronautiques français (1900-1960), Paris, qui ne faisait état que d’une centaine de moteurs livrés sans démarreur. L’ouvrage d’E. Mihaly et H. Robinson, Les avions Caudron Renault, Paris, 2001, est beaucoup plus proche de la réalité, malgré des informations parfois confuses. Le chiffre de 1290 donné par l’ordonnance de non-lieu nous semble le plus fiable.

(86). Parquet de la Cour de Justice du Département de la Seine. Information suivie contre : Asselot Eugène. Inculpé de : atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. N° 2.5.F.S.E.(8). AN Z6NL9 (1).

(87). Rapport de l’inspecteur Guy du 18 octobre 1944 AN Z6NL9 (3). Jacques Chonion était un métallo de tendance libertaire, qui avait adhéré un temps à la CGT-SR. Voir G. Da Silva, Histoire de la CGT-FO et de son union départementale de Paris : 1895-2009, Paris, 2009, pp. 136 ; M. Dreyfus, G. Gautron, J.-L. Robert, La naissance de Force ouvrière : autour de Robert Bothereau, Rennes, 2003, p. 63. L’ingénieur Fernand Picard, résistant de l’Organisation civile et militaire fut lui aussi favorable aux reconstructions.

(88). Les installations Citroën de Javel et d’Issy-les-Moulineaux furent frappées les 3 et 15 septembre 1943, celle de Levallois, le 31 décembre 1943, celles de Saint-Ouen et de Clichy, le 7 août 1944. Seule l’usine Peugeot de Bordeaux a été bombardée en septembre 1942.

(89). Bilan officiel allemand de l’activité économique en France en novembre 1943. AN F22 2027.

(90). Le P-DG des usines Renault, René de Peyrecave, a perdu deux fils et un gendre dans la lutte contre l’Allemagne nazie : les deux premiers en 1940 ; le dernier en 1945 dans les rangs de la France Libre. Les Michelin, les Peugeot et les Citroën ont payé quant à eux, à des degrés divers, un lourd tribut à la barbarie nazie. Voir notamment S. Schweitzer, André Citroën, 1878-1935, Les risques et le défi, Paris, 1992, pp. 214-217 ; F. Marcot, art. cit. et J.-L. Loubet, La Maison Peugeot, Paris, 2009.

(91). Louis Renault au Befehlshaber Sicherheits polizei und des SD im Bereich des Militärbefhlshaber Frankreich Kommandeur Paris. Ministère public c/Louis Renault, scellé n°18 AN Z6NL9 (2) ; Jean Riolfo, dans Témoignages, SHGR.

(92). Seul Peugeot accepte de saborder une partie de ses installations entre novembre 1943 et mars 1944 pour éviter, entre autres, un nouveau bombardement de Sochaux. Les historiens sont partagés sur les motivations de l’entreprise pendant l’Occupation, P. Lessmann assimilant les actes de résistance de Peugeot à une démarche tardive et plutôt opportuniste, contrairement à F. Marcot, qui détaille le rôle actif de la direction en faveur de la Résistance.

(93). Dès septembre 1944, une commande d’avion Goéland est passée par la France Libre et c’est dans un appareil Goéland qu’est effectué le premier voyage officiel des membres du Gouvernement provisoire de la République française. De même, les usines Renault furent en mesure de réparer des chars américains dès le mois de décembre 1944. Enfin, c’est grâce au travail clandestin effectué dans les usines qu’a pu s’effectuer le redémarrage (4CV et têtes électromécaniques des machines-transferts de Pierre Bézier chez Renault). Y. Broncard précise : « Au terme de 1945, Pierre Lefaucheux (premier président de la Régie nationale des usines Renault, ndlr), pouvait présenter dans son bilan annuel la production de 12 036 véhicules industriels neufs et la réparation de 2729 voitures particulières, 1310 camions, 67 chars et… de 109 automotrices ». Y. Broncard, Y. Machefert-Tassin et A. Rambaud, Autorails de France, T. II, pp. 312, 319-320.

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