Sept petits-enfants de Louis Renault contestent la nationalisation de l’entreprise en 1945.
Les héritiers Renault demandent réparation
L’attitude de Renault pendant la guerre, les accusations de collaboration avec l’Allemagne nazie, sa nationalisation-sanction en 1945: c’est un large pan de cette histoire controversée qui va s’ouvrir aujourd’hui devant la justice. Les héritiers de Louis Renault contestent en effet la confiscation de l’entreprise en janvier 1945, qui aboutira à sa transformation en Régie nationale. Ils veulent obtenir réparation et ont assigné l’État devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Une démarche dénoncée comme «une falsification de l’histoire de l’Occupation» et une «tentative de réhabilitation» par leurs adversaires.
Les sept petits-enfants de Louis Renault, fondateur avec son frère de l’entreprise de Boulogne-Billancourt en 1898, attaquent l’ordonnance prise le 16 janvier 1945 par le gouvernement provisoire de la République française. Selon leur avocat, Me Thierry Lévy, cette «nationalisation a revêtu un caractère unique et sans précédent». «Aucune autre entreprise n’a fait l’objet d’un pareil traitement, même parmi celles dont les dirigeants ont été condamnés par la justice pour des faits de collaboration», poursuit Me Levy. Arrêté en septembre 1944, Louis Renault est mort un mois plus tard en prison. Sans avoir été jugé.
Avant que le fond ne soit abordé, plusieurs questions juridiques seront examinées. Selon les héritiers Renault, la confiscation en 1945 constitue une «voie de fait» en violant le droit de la propriété, droit constitutionnel. Ils se servent donc de la possibilité offerte par la récente question prioritaire de constitutionnalité pour la contester. Le TGI de Paris choisira de transmettre ou non la question à la Cour de cassation.
Sans chiffrer son éventuel préjudice, la famille Renault dresse la liste des biens confisqués sans aucune indemnisation. Le fondateur possédait 96,8% de sa société, qui, outre «les usines dites de Billancourt et du Point-du-Jour», comprenait des terrains et bâtiments en Savoie, des «brevets, licences d’exploitation, procédés de fabrication», une succursale à Vilvorde, en Belgique, des immeubles sis aux 51 et 53 avenue des Champs-Élysées et des usines au Mans, pour ne citer que les principaux biens.
Avant même que la justice ait tranché sur la légalité de la procédure, la question du comportement de Renault sous l’Occupation agite les historiens. Déjà, en 2010, les héritiers du constructeur avaient intenté une action en justice au Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, qui présentait une photo de Louis Renault en compagnie de Hitler et Göring au Salon de l’automobile de Berlin en 1939. La photo avait été retirée de l’exposition car n’ayant pas de lien direct avec le massacre perpétré en 1944 dans cette commune du Limousin.
Un sujet abordé avec prudence
Parmi les tenants de la thèse de la collaboration volontaire et active figure la CGT-métallurgie et une fédération d’anciens déportés, ainsi qu’une historienne, professeur à Paris-VII et connue pour son engagement communiste, Annie Lacroix-Riz. Au CNRS comme à l’École des hautes études en sciences sociales, le sujet est abordé avec prudence (lire ci-dessous). Ainsi, pour Henry Rousso, directeur de recherche au CNRS, «Renault a indéniablement fait l’objet d’un traitement particulier. C’est la seule nationalisation-sanction prononcée. Les autres répondaient à des motivations économiques ou ont donné lieu à des indemnisations». Henry Rousso rappelle «la dimension fortement symbolique de Renault», avec le Front populaire, la répression des grèves de 1938 puis l’Occupation. «Renault a travaillé pour l’économie de guerre allemande. Avec quel degré d’enthousiasme ou de contrainte? Cela reste largement à étudier», estime encore l’historien. Également directeur de recherche au CNRS, Denis Peschanski note cependant que «Peugeot et Michelin ont, eux, noué des contacts avec les Alliés et la Résistance intérieure, ont mis en place un sabotage intelligent, des actions clandestines et ont aussi négocié secrètement le non-bombardement de leurs usines. Ce que n’a absolument pas fait Renault».