Accusé de collaboration, le constructeur automobile LouisRenault est mort en prison avant d’être jugé. Dans sa résidence de Crozon (29), commune d’origine de sa mère, Hélène Renault s’est lancée dans un difficile combat:réhabili- ter la mémoire de son grand-père. La polémique enfle.
Le 10juillet dernier, la cour d’appel de Limoges a rendu un arrêt peu banal. Elle a ordonné que soit retirée une photo figurant au Centre de mémoire d’Oradour-sur-Glane, village martyr (voir ci-contre). Qui voit-on sur cette photo? Hitler et Göring en compagnie de Louis Renault, le constructeur français, devant une automobile. Le cliché est accompagné d’une mention faisant référence à «la collaboration avec l’ennemi pendant la guerre» et à «la fabrication de chars pour les Allemands dans les usines Renault». Or, cette photo a été prise au salon de l’automobile de Berlin, le 17février1939, alors que le France et l’Allemagne sont encore en paix. Faute d’accord amiable avec le Centre de mémoire, la famille a obtenu de la justice que cette photo soit retirée, la cour estimant qu’il y a «une véritable dénaturation des faits» dans l’établissement d’un lien entre la Collaboration et ce cliché pris avant-guerre.
«Pas de chars pour les Allemands»
La cour d’appel ne se contente pas de cette décision de retrait. Elle aborde également l’affaire sur le fond en indiquant que «la décision du 30avril 1949 de classement de procédure (…) précise que «les usines Renault n’ont procédé pendant l’Occupation à aucune fabrication de chars ou chenillettes mais, dès le début de la période envisagée, elles ont été obligées d’effectuer des réparations de chars et de chenillettes de fabrication française, prises de guerre des Allemands». Cet arrêt a immédiatement provoqué un tollé du côté de la CGT et du PCF, l’historienne communiste Annie Lacroix-Riz n’hésitant pas à parler d’une forme de négationnisme du rôle du patronat durant la guerre.
Mort avant d’être jugé
À l’origine de la décision de justice, Louis et Hélène Renault, tous deux petits-enfants du constructeur. Lui à Paris, elle à Crozon (29), se sont lancés dans un combat difficile: faire réhabiliter la mémoire de leur grand-père. Dans ce qui est devenu le combat de sa vie, Hélène Renault a un soutien de poids: son époux, l’historien Laurent Dingli. Il a consacré un livre de 600pages à Louis Renault (Flammarion) démontant les accusations lancées. Il s’est précipité au-devant des Allemands? Faux, rétorque l’historien. Il est à Washington en mai-juin 40 et quand il revient, son usine est déjà occupée. Il a travaillé avec zèle pour l’occupant en lui fournissant des chars et des munitions? Faux, dit-il encore. «Sous la contrainte et le contrôle de l’occupant, il a fourni des camions militaires. Mais pas plus que ce que produisit Citroën à la même époque». Selon lui, Louis Renault était «un ennemi de classe» et une cible. Beaucoup voulaient sa perte. Il s’est de lui-même présenté à une convocation du juge, en 1944. «Lui qui était aphasique et souffrait d’urémie a été incarcéré et maltraité à la prison de Fresnes», assure l’historien. Il y meurt un mois plus tard. En 1949, le directeur général des usines Renault, René de Peyrecave, bénéficiera d’un non-lieu et d’une reconnaissance que l’usine n’a pas travaillé avec zèle pour l’occupant. Mais la mémoire de Louis Renault n’a jamais été réhabilitée malgré plusieurs tentatives.
«Mon père n’en a jamais parlé»
La décision de la cour d’appel de Limoges a conforté Hélène Renault. «J’ai trop souffert, durant ma scolarité, d’entendre dire que Louis Renault était un collabo. Mon père n’en a jamais parlé. Il était anéanti. C’est par ma mère que j’ai appris à aimer mon grand-père. C’est pour lui que je me bats». Ce combat, comme une plaie qu’on rouvre, a déjà valu de nombreuses réactions, parfois très hostiles, où le terme «nazi» a même fait son retour. «Nous savions à quoi nous attendre, assure Hélène Renault. Ce n’est pas cela qui nous fera reculer».