Y a-t-il des personnalités, dérangeantes, que la télévision préfère tenir loin des plateaux ?
Face à la famille Renault, France 3 écarte Annie Lacroix-Riz
Mots clés : histoire, 2ème guerre mondiale, renault, collaboration, pluralité,
Par claude Mazauric, historien.
Nous avons bien reçu votre courriel dans lequel vous exprimez votre mécontentement (…) Nous l’avons transmis à Olivier Guiton, conseiller des programmes à l’unité documentaires de France 3, et il a souhaité vous répondre : « Vous avez bien voulu attirer mon attention sur le respect du pluralisme de France Télévisions à l’occasion de la diffusion de l’émission Histoire immédiate d’un débat animé par Samuel Étienne. Avant même la diffusion de ce débat qui a été enregistré le mois dernier, je peux vous assurer que c’est bien l’esprit d’équité qui a présidé à la composition de ce débat.
Ainsi, face à Hélène Renault et à son mari Laurent Dingli, deux historiens compétents et indépendants ont participé à ce plateau. D’une part, Patrick Fridenson, cofondateur du groupe d’études et de recherches permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile, historien des usines Renault, et également auteur de The Automobile Revolution, The Impact of an Industry ; d’autre part, François Rouquet, historien de l’épuration et auteur de l’Épuration ordinaire, petits et grands collabos.
Le débat a porté sur la part prise par Renault dans la collaboration et plus largement sur la collaboration économique pendant les années noires. Et vous avez pu constater, lors de la diffusion du débat, que ces historiens, et notamment Patrick Fridenson, ont insisté sur le fait que parmi les entrepreneurs d’autres choix que celui fait par Renault de collaborer étaient possibles. Enfin, Samuel Étienne a lui aussi interpellé le couple Dingli dans ses retranchements en insistant sur la somme que les descendants de Renault pourraient empocher s’ils gagnaient le procès, montrant par là même que leur intention n’était peut-être pas seulement de réhabiliter un homme.
Nous vous remercions d’avoir pris la peine de nous faire part de votre sentiment et espérons que ces éléments de réponse vous permettront de comprendre comment cette soirée a été construite. »
Votre réponse n’en est pas une. Mon excellent collègue Fridenson est un spécialiste éminent de l’histoire de la firme Renault, mais avant la guerre, non pendant. La seule spécialiste en ce domaine est Annie Lacroix-Riz, auteure qui publie chez Armand Colin et figure dans le panel des professeurs contemporanéistes des universités, notamment parmi ceux qui sont reconnus pour être des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale : on est conduit à croire que c’est précisément en raison de cela que vous l’avez éliminée de votre plateau.
Énoncer que d’autres choix que ceux de Louis Renault étaient possibles avant 1944 n’exigeait évidemment pas de compétence particulière. Au vrai, il ne s’agissait que d’une lapalissade ! Vous oubliez ensuite de dire que Laurent Dingli, mari de l’héritière, est historien professionnel, auteur d’une « biographie » littéralement paranoïde de Maximilien de Robespierre comparé à Hitler (je dis bien !). En quoi fallait-il deux « héritiers » pour un débat à cinq si ce n’est pour introduire un nouvel historien chargé d’occuper subrepticement le banc de la défense, évidemment sans se désigner ainsi ?
Mon confrère Rouquet, tout spécialiste qu’il soit, s’est abstenu d’évoquer le fond du dossier et de produire les pièces dont disposaient assurément alors de Gaulle et les résistants parvenus aux affaires après la Libération… Et il n’a pas été incité à s’y référer par le meneur de jeu, ni même à s’interroger sur les sources désormais disponibles du dossier qui sont devenues des « archives ». Vous entendez bien : des « archives », publiques de surcroît, qu’Annie Lacroix-Riz explore officiellement : en quoi dès lors sa présence avait-elle un intérêt ?
Quant à la prétendue « indemnisation » que seraient en droit de réclamer les descendants, je vous avoue que tel n’est pas le problème qui me préoccupe, sinon comme contribuable qui a déjà été appelé à renflouer le Crédit lyonnais, Bernard Tapie, etc., donc usé et abusé, mais devenu fataliste. Comme le disait fort bien et de façon lapidaire le président Chirac : « Cela m’en touche une sans faire bouger l’autre ! »
C’est de trahison, et d’honneur, dont il devait être question dans ce débat, c’est à cela et à la simple recherche de la vérité historique qu’on aurait dû se consacrer : à quoi vous avez manqué.
Avec feu ma considération.
Par claude Mazauric, historien.