Les héritiers Renault assignent l’Etat en justice
Lundi 9 mai 2011, les huit petits-enfants de l’industriel Louis Renault ont déposé, devant le tribunal de grande instance de Paris, une assignation destinée à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation-sanction prononcée à la Libération contre le constructeur automobile, qui deviendra la Régie nationale des usines Renault.
Cette assignation est l’une des conséquences inattendues du nouveau droit ouvert par l’instauration, en mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), qui permet de contester devant le juge constitutionnel une disposition législative.
Les huit enfants du fils unique de Louis Renault, Jean-Louis, mort en 1982, font valoir que l’ordonnance du 16 janvier 1945 porte atteinte à plusieurs principes constitutionnels, dont le droit de propriété, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la personnalité des peines, la présomption d’innocence et les droits de la défense.
Au lendemain de la libération de Paris, en septembre 1944, Louis Renault avait été arrêté et emprisonné à Fresnes sous l’accusation de “collaboration avec l’ennemi”. Malade, aphasique, l’industriel était mort en détention le 24 octobre sans avoir été jugé. Moins d’un mois plus tard, le 16 novembre, le projet d’ordonnance “portant confiscation et nationalisation des usines Renault” était soumis aux membres du gouvernement provisoire de la République française.
“IRRÉGULARITÉ GROSSIÈRE”
Les contestations des héritiers de l’industriel – son épouse et son fils – devant le tribunal administratif, en 1959, puis devant le Conseil d’Etat, avaient ensuite été rejetées au motif que l’ordonnance de 1945 ayant désormais statut législatif, elle ne pouvait être remise en cause ni par le juge administratif ni par le juge judiciaire. C’est ce verrou que vient de faire sauter la QPC.
Les petits-enfants de Louis Renault appuient leur démarche sur des documents dénichés dans les archives des débats de l’Assemblée nationale. Dans une intervention en date du 19 février 1946, le garde des sceaux de l’époque, Pierre-Henri Teitgen, soulignait que “la personnalité des peines, instituée par la Révolution de 1789, s’oppose à des confiscations post mortem”. En clair, en cas de décès des personnes poursuivies à la Libération pour intelligence avec l’ennemi, “aucune mesure de confiscation ne peut, selon la légalité républicaine, leur être appliquée”.
C’est l’argumentaire que reprend aujourd’hui Me Thierry Lévy, l’avocat des héritiers Renault. Dans son assignation, il considère que la confiscation ne pouvait être prononcée qu’après un jugement de condamnation définitif. Une “irrégularité grossière”, selon l’avocat, par laquelle l’Etat s’est attribué “l’ensemble des droits et des biens ayant un lien avec l’exploitation des usines Renault”, et qui ouvre droit à réparation du préjudice matériel et moral des héritiers.
Lire l’intégralité de l’article dans l’édition Abonnés du site et dans Le Monde daté du 13 mai 2011 disponible dans les kiosques ce jeudi.
Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder