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Rapport sur la visite des usines Citroën, par Mörseburg, Gaggenau, le 15 novembre 1926 (traduction Jacky R. Ehrhardt)

Source : Archives Daimler-Benz – Dossier kissel : fremdfirmen 11.4 Citroën

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Rapport sur la visite des Usines Citroën

Suite à la médiation de Monsieur le directeur Löwel j’ai eu, à Paris, l’occasion de visiter les Usines Citroën.

La visite de cette usine se déroula, journellement, pendant la durée du salon de 2 heures à 6 heures de l’après-midi. Le nombre de participants était limité une vingtaine de personnes. La demande de cartons d’invitation était très importante et il n’était pas aisé d’en obtenir.

Citroën possède, à Paris, quatre usines ; une usine d’emboutissage et de presse pour les carrosseries et les éléments de châssis, une usine de fonderie et de forge, une usine pour les pièces détachées, la construction des essieux avant et arrière, de même qu’une usine principale pour les moteurs et la construction des boîtes de vitesses, le montage et l’assemblage des carrosseries.

Pour visiter les différentes usines, un certain nombre de véhicules Citroën quatre places avait été mis à notre disposition.

Nous avons tout d’abord visité l’usine d’emboutissage et de presse. Dans cette usine sont fabriqués les différents éléments de carrosserie et du châssis. Les pièces de carrosserie sont entièrement réalisées en acier sur des presses pouvant aller jusqu’à 1600 tonnes. Les éléments du châssis sont emboutis, redressés et ensuite, à l’aide de gabarits, percés de différents trous avant le montage.

La découpe des grandes pièces incurvées de la carrosserie s’obtient à l’aide de ciseaux courbes équipés de couteaux rotatifs.

Les presses et les ciseaux de découpe sont de fabrication américaine. Les petites pièces embouties sont fabriquées sur des presses excentriques servies par des femmes et des jeunes filles.

L’atelier de soudage comporte également beaucoup de personnel féminin.

La fabrication de ces pièces s’effectue dans deux halls spacieux et hauts. Entre ces halls, un nouveau hall a été construit, il est à l’heure actuelle en cours d’équipement.

Nous nous sommes ensuite dirigés vers la fonderie et la forge. Cette usine est entièrement neuve et est à l’heure actuelle encore en cours d’équipement.

La visite de la fonderie s’est révélée intéressante. Cette dernière répond au dernier cri en matière de modernité et de rationalité.

Même la préparation du sable est ici menée avec une attention toute particulière. Le sable est séché dans un grand four et en ressort finement moulu.

Dans un mélangeur, différentes sortes d’huiles sont ajoutées puis, le sable, par l’intermédiaire d’un système de transport à vis, abouti dans le four de fusion.

Sous la table des fondeurs est installé un creux où circule en continu le sable de fusion. La table est pourvue d’une grille permettant d’évacuer l’excédent de sable de telle sorte que l’installation reste toujours propre.

Les pièces de fusion reposent sur des cadres en fer forgé qui les transportent ensuite vers les fours de séchage.

La production des moules est réalisée selon une toute nouvelle méthode américaine.

Quatre à cinq hommes travaillent autour d’une table tournant en permanence.

Les opérations sont les suivantes :

  1. Soufflage / nettoyage de la table et des modèles. Mise en place du moule de fonderie.
  2. Remplissage du moule à l’aide d’un pistolet à air comprimé. Par cette opération, le sable est uniformément réparti dans la matrice par l’air comprimé. Cette méthode de travail remplace les anciennes méthodes consistant à presser et à secouer les moules, de plus cette opération est maintenant bien plus rapide.
  3. Enlever l’excédent de sable sur le moule
  4. Soulèvement du moule

Le moule poursuit ensuite son périple sur la chaîne et les noyaux manquants sont mis en place.

La fonderie emploie également beaucoup de femmes et de jeunes filles. Ainsi, la fabrication et la mise en place des noyaux, ne sont effectuées que par du personnel féminin.

La coulée du métal s’effectue sur la chaîne, les moules poursuivent leur circuit et sont prélevés de la chaîne pour subir ensuite les opérations habituelles.

La forge se révéla être une installation rationnelle de forgeage par des marteaux pneumatiques.

Ici, on a pu admirer la dextérité des personnels occupés à la réalisation de petites et moyennes pièces forgées.

Par l’agencement des opérations de pré et de post-forgeage dans un même hall, les ouvriers sont capables de fabriquer les pièces de façon très rationnelle.

D’une manière générale, on peut dire à propos de la fonderie et de la forge que le charbon a été abandonné et qu’il ne subsiste plus que le pétrole comme source d’énergie. Même dans les ateliers de durcissement des métaux, le pétrole a remplacé le charbon comme énergie de chauffe.

La visite qui suivit, concernant la fabrication des essieux avants et arrières, montra la déjà mainte fois évoquée méthode de travail américaine.

Dans les phases d’opérations mécaniques nous n’avons pas pu constater de nouveautés en matière d’outillages ou d’installations.

Par contre, ce qui revêtait une importance particulière c’était que la quasi-totalité des installations était constituées par des dispositifs à balancement qui ont l’avantage, bien connu, d’éviter les temps morts et ainsi d’augmenter la production.

Ces dispositifs sont montés sur des transporteurs à chaînes. La distance entre les postes de travail est de 1,25 mètres environ, quant à la durée des différentes opérations, elle est d’à peu près deux minutes.

Je me suis particulièrement intéressé à la fabrication en acier embouti de l’essieu arrière car il a des similitudes avec notre propre construction 1 tonne.

Le déroulement des opérations est : tournage et ponçage des extrémités, usinage de la partie centrale sur un tour, perçage du centrage en milieu d’axe à l’aide d’une perceuse à colonne, ponçage de surface de la partie centrale, perçage de tous les trous sur une perceuse à tête multiple.

Il a été intéressant de voir à quelle vitesse étaient serrés les vis et les écrous à l’aide de perceuses à air comprimé. Cette méthode de travail serait aussi à adopter chez nous pour rationaliser notre fabrication.

Les ensembles terminés sont suspendus à une chaîne de transport, peints en noir puis remisés dans un hall.

Dans le hall principal on nous montra tout d’abord les opérations de montage.

Les pièces détachées, toutes peintes en noir, reposent en nombre suffisant sur les différents postes de travail perpendiculairement à la chaîne de travail. Sur cette dernière seize châssis sont montés, l’opération dure trois minutes, c’est ainsi que l’on est en mesure de fabriquer environ 180 véhicules en neuf heures de travail.

Prétendument, on pourrait construire 250 véhicules mais cela ne serait possible qu’en introduisant le travail posté.

Les dispositions mises en place permettent la fabrication de 180 véhicules sachant que la production des pièces détachées correspond à la même cadence.

La dernière opération sur la chaîne concerne le remplissage du réservoir de carburant avec 5 litres.

Le moteur est mis en marche, le châssis roulant quitte la chaîne par ses propres moyens et effectue un court essai routier.

Après ce court circuit, le châssis rejoint de nouveau la chaîne pour le montage des ailes et des marchepieds. A l’issue de cette opération, le châssis rejoint la dernière chaîne pour recevoir sa carrosserie.

Intéressant fut l’ingénieux arrangement des opérations de sellerie sur la chaîne. Les équipements intérieurs sont montés, à travers des ouvertures dans le plancher, sur la chaîne de montage des châssis terminés. Dans l’usine sont montés de série quatre types différents d’équipements ;

– 2 types pour les véhicules de tourisme à quatre places, à carrosserie soit fermée, soit ouverte, – 2 types pour les véhicules utilitaires, l’un pour le véhicule de livraison fermé, l’autre pour les camions.

Ces équipements sont tous fabriqués dans l’usine principale.

Le montage de la carrosserie est également réalisé sur cette chaîne. Les pièces de carrosserie, fixés sur de grands dispositifs, sont montées.

L’atelier de durcissement des métaux est remarquable, malheureusement elle n’a été visitée que très rapidement et partiellement. J’ai pu remarqué ici que toutes les pièces qui subissaient un traitement de surface étaient préalablement traités dans un bain de cuivre. Il est à supposer que la couche de cuivre déposée sur le métal remplace les couches de protection à l’argile.

Cet atelier me fit une réelle impression de propreté et il serait recommandé et souhaitable d’effectuer des recherches sur cette méthode de durcissement.

En résumé on peut affirmer que cette visite a été très intéressante. Pour une étude approfondie, le temps de la visite s’est effectivement révélé trop court, mais on a pu avoir une bonne vue d’ensemble des usines qui permettent de faire quelques suggestions.

Nous aussi, nous devons nous efforcer de transformer nos méthodes de fabrication sur ce modèle.

Obligation nous est faite :

– Prévoir des séries plus importantes

– Séparation des fabrications des différents types de véhicules

– Fabrication soignée dans les différents ateliers de mécanique

– Construction et modernisation de notre atelier de rectification et de ponçage

Citroën oriente ses fabrications de façon à ne pas être dépendant des fournisseurs.

Les ateliers sont équipés généreusement, avec les meilleures machines.

A travers la construction de véhicules standards, l’usine est en mesure de recourir à une nombreuse main d’œuvre non qualifiée.

Gaggenau, le 15 novembre 1926

Signé : Mörseburg

Destinataires :

– Direction

– Directions de sites

– Service des ventes

– Maîtrises d’ateliers

NdT (Jacky R. Ehrhardt):

Gaggenau se trouve de part et d’autre de la rivière Murg dans la transition de la vallée du Rhin à la Forêt-Noire.

Etant un petit village jusqu’au XIXe siècle c’est avec le début de l’industrialisation que Gaggenau connaîtra une montée de sa puissance économique. En 1873 l’industriel Michael Flürscheims y créa les Gaggenauer Eisenwerke (forges de Gaggenau). Cette entreprise construisit, à partir de 1895 des voitures de chemin de fer comme celles de l’Orient Express.

En 1922, les Eisenwerke sont rachetées par l’entreprise Benz, sise à Mannheim. Celle-ci fait agrandir le site pour y construire des camions. Aujourd’hui Daimler AG est le plus grand employeur avec environ 6.000 employés (dont beaucoup d’alsaciens).