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USINES RENAULT Situation au 15 Janvier 1940

Source : Archives de la préfecture de police (APP) BA 2136

ORGANISATION

DU TRAVAIL

Les Usines Renault de Boulogne occupaient, avant la mobilisation un personnel de 33.000 ouvriers, techniciens et employés.

Au cours de la période allant du 20 août au 20 Septembre, environ 14.000 d’entre eux ont été rappelés sous les drapeaux, ce qui a ramené à 19.000 le chiffre global des effectifs de la firme.

Ces départs nombreux, conjugués avec la nécessité d’adapter la production de l’Usine aux besoins nouveaux de la Défense Nationale, ont provoqué une désorganisation des ateliers et, de ce fait, le rendement en général a très sensiblement diminué dans les premières semaines de la guerre.

Cependant, à l’heure actuelle, le travail est redevenu tout à fait normal dans les ateliers qui, avant la guerre, étaient déjà affectés à une production pour l’armée (chars de combat, automitrailleuses).

Par ailleurs, la production générale des usines Renault s’est sensiblement améliorée ; elle sera, sans doute pleinement satisfaisante dans un très court délai, lorsque sera terminé, d’une part, l’installation de l’outillage nécessaire aux nouvelles fabrications de guerre, et, d’autre part, le recrutement du personnel complémentaire.

Déjà un assez grand nombre d’éléments ont été rappelés des armées et la Direction a procédé à un certain nombre d’embauchages. A la date du 15 Janvier courant, l’effectif des Usines Renault était de 26.000 se répartissant ainsi :

– Techniciens : 2.360

– Employés : 2.250

– Ouvriers : 21.390

Le tableau ci-après donne approximativement la répartition du personnel ouvrier dans les 38 secteurs de l’usine.

N° des secteurs Désignation Effectifs moyens y compris

les absents- chiffres arrondis

Secteur 1 Forges 1000
2 Fonderies, fer et fonte 900
3 Outillage, tôlerie, produits chimiques, modelage métallique 600
4 Tôlerie 650
5 Serrures, emboutissage à chaud 650
6 Entretien, service électrique 740
7 Emboutissage à froid 140
7 bis Fabrications spéciales (chars) 320
8 Fonderies métaux fins – Etirage 400
9 Pièces de rechange, modelage bois 620
10 Usinage montage moteurs 450
11 Usinage cylindres et vilebrequins 500
12 Usinage pièces moteurs 800
13 Taillages pignons 700
14 Cémentation, taillage, boîtes de vitesses 500
15 Roulements à bille, dynastarts 600
16 Outillage central 900
17 Outillage central 900
18 Décolletage – Usinage hors-série 800
18 bis Usinage hors-série – ouate 130
19 Décolletage 1200
20 Artillerie – Usinage montage série 700
21 Artillerie 600
22 Montage carrosserie 600
23 Sellerie, confection, divers 350
23 bis Peinture 400
24 Camions, automotrices 500
25 Tôlerie, emboutissage tôlerie 400
26 Tôlerie 400
27 Service des bois 900
27 bis Carton, caoutchouc, blanchisserie 180
28 Charpente en fer, maçonnerie, gare, etc. 1000
29 Réparation M.P.R. essais, démonstrations 400
29 bis Réparations V.I. 250
29 ter Livraisons, camionnage 100
30 Carrosserie, Usine O 200
31 Divers Usine O 1000

SITUATION POLITIQUE DU

PERSONNEL OUVRIER.

L’importante concentration d’ouvriers aux Usines Renault a toujours incité les groupements politiques et corporatifs à faire des efforts considérables pour y développer respectivement leur influence. C’est qu’en effet, la métallurgie est considérée dans le mouvement ouvrier comme l’une des branches essentielles et, dans la métallurgie de la Région Parisienne, les Usines Renault de Boulogne constituent le secteur le plus important.

Avant la grève générale du 30 Novembre 1938, les communistes, régulièrement inscrits aux cellules Renault étaient au nombre de 6.500 environ. L’échec de la grève amena une baisse sensible des effectifs qui, en août 1939, étaient réduits à 3500 adhérents inscrits. Aujourd’hui, on compte, disséminés dans les ateliers, environ 1200 éléments restés fidèles à la IIIème Internationale.

Les ateliers les plus gagnés par les communistes sont les suivants. Ils comportent une proportion de 50% au maximum, à 30% de militants, et peuvent être rangés dans l’ordre décroissant suivant :

1°) – Roulement à billes,

2°) – Tôlerie,

3°) – Outillage central,

4°) – Décolletage,

5°) – Artillerie,

6°) – Entretien,

7°) – Charpente.

Il y a lieu de noter que les ateliers de nickelage et de chromage qui étaient composés presque uniquement d’éléments communistes très actifs, ont été supprimés. La Direction, pour se séparer d’ouvriers trop remuants, a confié à d’autres firmes les travaux de nickelage et de chromage.

L’influence communiste aux Usines Renault est, par rapport à l’avant-guerre, en régression certaine. Il est évident que les licenciements massifs des ouvriers qui avaient pris une part active aux incidents de Novembre 1938, le contrôle de l’embauchage et, plus récemment, la dissolution du Parti Communiste, l’arrestation d’un certain nombre de militants, en bref, l’ensemble des mesures prises contre le mouvement révolutionnaire, ont porté un coup très dur à la propagande moscoutaire.

Le Parti Socialiste (S.F.I.O.) avait, en 1936, constitué aux Usines Renault des Amicales, mais les adhésions n’avaient pas été très nombreuses. Elles pouvaient être chiffrées à 5 à 600 à la veille de la guerre. Depuis la mobilisation, aucune activité politique socialiste ne s’est manifestée.

Le Parti Populaire Français (P.P.F.) avait organisé, depuis 1935, un très gros effort de propagande dans les Usines Renault et avait créé des « groupes » réunissant un millier d’adhérents. La guerre a désorganisé ces groupes. A l’heure actuelle, on peut estimer à 200 le nombre des adhérents régulièrement inscrits. L’action très active du P.P.F. peut être considérée comme rayonnant, en outre, sur environ 1000 sympathisants.

Le Parti Social Français (P.S.F.) avait fondé, aux Usines Renault, un Syndicat Professionnel, qui avait recueilli environ 1500 adhésions. Actuellement, ce Syndicat compte environ 200 membres et peut s’appuyer, en outre, sur un millier de sympathisants.

A noter qu’un Syndicat Chrétien comptait 5 à 600 membres réduits, par suite de la guerre à 250.

En dehors de ces divers groupements, la grande masse ouvrière n’affiche, à l’heure actuelle, aucune sympathie politique.

PROPAGANDE COMMUNISTE.

C’est sur elle que les éléments ayant appartenu à l’ex-Parti Communiste et qui sont restés à l’usine tentent actuellement de porter leurs efforts de propagande. Leurs moyens d’action sont bien connus : tracts, papillons collés sur les murs, mots d’ordre transmis de bouche à oreille.

Le contenu de la propagande et de l’agitation communistes présentés (sic) vise aux objectifs suivants :

– a) discréditer le Gouvernement Daladier, le Parlement, les institutions d’Etat et les buts de guerre affirmés par le Gouvernement.

L’accent est mis sur le « caractère capitaliste » de la guerre. C’est ce qui ressort d’un examen attentif des « slogans » qui reviennent le plus souvent dans les tracts et papillons de propagande. Exemple : Daladier, Chamberlain sont les agents des gros capitalistes et des marchands de canons : « C’est à leur profit que vous faites la guerre ». « Daladier, c’est la dictature de la ploutocratie ».

Cette campagne s’accompagne du leitmotiv suivant : « Le Parti Communiste vit plus que jamais » ; « Vive la liberté et la paix immédiate ».

La lutte des communistes contre la répression qui leur porte des coups très durs, s’oriente surtout vers l’apologie de leurs chefs et de leur courage. Exemple : « Nous luttons seuls contre tous » ; « On nous arrête nos militants parce qu’ils sont vos meilleurs défenseurs et qu’ils luttent pour la paix ».

– b) Défendre l’U.R.S.S. et sa politique.

Après l’agression de la Pologne, celle de la Finlande a incontestablement porté un nouveau coup au prestige de l’U.R.S.S. parmi les ouvriers, mais ce qui touche le plus durement ces derniers, surtout ceux qui ont été influencés directement par la doctrine communiste, c’est la défaite de l’armée rouge.

Il ne faut pas oublier que les ouvriers communistes ou sympathisants étaient fermement convaincus de la force matérielle et technique de l’armée rouge qu’on leur avait tant prônée et que, d’autre part, la croyance dans la foi du soldat rouge qui devait être meilleur combattant que d’autres, parce qu’il se bat pour « son » état prolétarien, pour « son » régime socialiste, était profondément ancrée dans leur esprit. La déception et la désillusion sont très fortes.

Les communistes endurcis réagissent en proclamant que toutes les nouvelles publiées en France sur la guerre en Finlande sont fausses et qu’en plus, c’est volontairement que Staline ne veut pas avancer plus vite « car, disent-ils, l’U.R.S.S. ne veut pas envahir complètement la Finlande et l’annexer, mais l’obliger à accepter les revendications russes qui sont légitimes et modestes ».

D’autre part, les communistes tentent d’accréditer l’astuce suivante : Il n’y a pas de guerre entre l’U.R.S.S.et la Finlande. En réalité, ce sont les capitalistes de France, d’Angleterre et d’Amérique qui font la guerre contre l’U.R.S.S. par l’intermédiaire de la Finlande.

– c) réagir contre l’apathie qui caractérise l’état d’esprit des ouvriers.

Pour cela, les communistes font de gros efforts de propagande individuelle pour expliquer aux ouvriers qu’ils ne doivent pas rester passifs. Ils mettent à profit le moindre incident : retard des moyens de transport, froid, retenues sur les salaires, hausse de certains produits alimentaires pour pousser les travailleurs à protester.

Ils tentent aussi d’étendre le système à l’aide aux femmes de mobilisés, secours en nature et en espèces, etc…

– d) Discréditer tous les efforts des militants modérés qui tentent de regrouper et d’organiser les ouvriers en dehors de l’influence communiste.

Cette action des éléments communistes est surtout visible dans la campagne acharnée qu’ils mènent contre les socialistes et les syndicalistes anti-communistes. Toute une campagne de dénigration (sic) systématique, d’injures, de calomnies, est réalisée contre ces militants.

Pour la propagande auprès des femmes, on utilise surtout des éléments de leur sexe. On estime, en effet, que l’action de celles-ci est plus difficile à déceler et dans les circonstances actuelles, plus efficace que celle des hommes. Elle s’exerce surtout en dehors de l’usine, dans les magasins, les transports en commun, c’est-à-dire au cours des actes normaux de la vie journalière.

Un autre effort a été entrepris par les éléments de tendance communiste dans le cadre du Décret du 10 Novembre 1939 qui prévoit la création de délégués désignés par le syndicat le plus représentatif. Pour obtenir leur désignation aux postes de délégués, les communistes s’efforcent de prendre progressivement le contrôle de la section « Renault » du « Syndicat des Métaux de la Région Parisienne », récemment créé par la C.G.T. pour remplacer l’ancienne « Union Syndicale des Travailleurs de la Métallurgie » dissoute.

Ils espèrent que leur action de noyautage sera facilitée par l’indifférence des éléments ouvriers modérés à l’égard de la chose syndicale. Les communistes rappellent le nombre croissant des abstentions aux dernières élections de délégués chez Renault :

– 6% en Juin 1936 ;

– 13% en Juillet 1938 ;

– 27% en Décembre 1938 ;

– 33% en Juillet 1939 ;

Il est à noter à ce sujet, que l’initiative prise par la Direction de la C.G.T. de créer un Syndicat des Métaux destiné à remplacer les anciennes organisations syndicales et d’où seront exclus les dirigeants à tendance communiste, ne peut se réaliser qu’assez lentement.

Actuellement, ce nouveau groupement comporte trente sections syndicales d’usines groupant 4000 cotisants, dont 350 pour les usines Renault. C’est, évidemment, très insuffisant mais le travail de réorganisation se poursuit activement et peut, dans un délai rapproché, donner des résultats plus substantiels.

PERSPECTIVES COMMUNISTES

Regrouper leurs forces, les réorganiser, comblés les vides causés par la répression, éduquer les cadres et en réformer, tel semble être le premier groupe de préoccupations des dirigeants communistes.

La structure ancienne de la cellule étant impossible à maintenir actuellement, il s’agit de multiplier les petits groupes de travail (deux responsables et un agent de liaison) qui peuvent plus facilement échapper à la répression.

Les militants de base qui peuvent encore faire à l’usine un certain travail clandestin, ont reçu du secrétariat de l’Internationale, l’ordre de se « camoufler » davantage. La consigne, le mot d’ordre, est de durer et tout en entretenant une certaine agitation de surface, de préserver les éléments indispensables au Parti, pour faire face à des événements plus décisifs, à un mécontentement éventuel plus grand dans les masses populaires.

La conjugaison des événements militaires sur le front (offensive allemande ou en tout cas, plus grande activité militaire) avec un travail de désagrégation intérieur du moral, telles sont les perspectives que se fixent les dirigeants communistes.

Pratiquement, les éléments avertis de l’activité communiste s’attendent à une tentative préparée de longue haleine pour le 1er Mai 1940. Quelle forme revêtira cet objectif d’action ? Rien n’est encore arrêté à ce sujet mais il paraît probable que l’Internationale s’attachera à connaître ce jour-là, le degré de cristallisation du mécontentement qu’elle s’applique à susciter dans les usines.

Déjà, le Syndicat des Métaux de la Région Parisienne, qui vient de se reconstituer sur une base anticommuniste, a perçu dans certaines usines et notamment chez Renault des signes de cette préparation. Ses dirigeants qui gardent encore là-dessus le secret le plus rigoureux pour laisser les communistes se démasquer le plus possible, suivent avec vigilance les efforts des moscoutaires sur ce point particulier, de manière à déterminer en temps opportun les mesures de riposte nécessaire.

Pour l’instant, la portée de la propagande faite aux Usines Renault par les éléments de tendance communiste est assez limitée. Nombreux sont les éléments qui hésitent à s’y associer, par crainte des mesures de répression. Mais il n’est pas douteux que les efforts déployés par les éléments moscoutaires dans l’exploitation, pour leur propagande, des moindres sujets de mécontentement, sont susceptibles de leur donner des résultats et, à la faveur des circonstances favorables, l’influence communiste peut, de nouveau, se faire sentir très sensiblement dans un avenir prochain.

ATTITUDE DE LA DIRECTION

Cette situation a retenu toute l’attention de la Direction des Usines Renault qui voudrait éviter de fournir aux éléments communistes des motifs d’agitation. Elle entend accentuer ses relations avec son personnel et réaliser les améliorations d’hygiène et des conditions de travail jugées nécessaires.

C’est dans cet état d’esprit qu’elle fait un effort financier en faveur de ses ouvriers mobilisés, et qu’elle s’efforce d’employer à l’usine, les femmes de ses derniers.

Il y a lieu de souligner que, depuis le début de la guerre, le travail dans différents ateliers de l’usine Renault, n’a été troublé par aucune manifestation ou initiative de caractère politique ou revendicatif. La Direction estime que la baisse du rendement qu’elle a pu constater dans plusieurs cas, n’est nullement imputable à une mauvaise volonté quelconque de la part des ouvriers, mais qu’elle est rigoureusement le résultat de la réorganisation de l’Usine.

Elle indique que si tous les ouvriers font 60 heures, jusqu’à présent un certain nombre n’avaient ni l’ouvrage, ni les pièces nécessaires pour travailler normalement durant ce temps.

Mais les mesures de réorganisation commencent à porter leurs fruits et dès que l’approvisionnement de l’usine en matières premières sera régulier, ce qui paraît imminent, la Direction pense que le rendement normal sera atteint.