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L’Aube Nouvelle, 14 mai 1970

BOULOGNE-BILLANCOURT

RUE NATIONALE OU RUE LOUIS RENAULT – Un lecteur nous écrit :

Nous avons reçu d’un lecteur de notre journal une lettre à propos de la décision de la Municipalité de changer le nom de la rue « Nationale » et de le remplacer par celui de « Louis Renault ».

Nous publions pour nos lecteurs la lettre de notre lecteur ainsi que la réponse de notre camarade E. Clet.

UN LECTEUR

Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal dont je suis un lecteur attentionné, un article de protestation parce que la Municipalité de Boulogne avait décidé d’appeler la rue Nationale, la « rue Louis Renault ». Je dois dire que bien que je sois jeune pour avoir connu l’époque de la guerre, qui pour moi fait partie de l’Histoire de France. Je dirai donc que votre protestation m’a fait sauter en l’air et je ne suis absolument pas d’accord avec vous et que même j’applaudis la décision de donner le nom d’une rue à Boulogne-Billancourt de « Louis Renault ». S’il est exact que ce dernier ne s’est pas comporté comme un Français digne de ce nom durant la guerre, il a été assez puni par le fait que ses usines deviennent nationales, ne dit-on pas chez les vieux travailleurs de la Régie qu’il a été assassiné en prison, ou qu’il est mort de chagrin.

C’est Louis Renault qui a créé le magnifique outil de production qui peut donner la vie à des milliers de familles, c’est grâce à Louis Renault qu’aujourd’hui la France peut exporter des milliers de véhicules et ainsi montrer les capacités industrielles de notre pays, Vous me répondrez que tout n’est pas pour le mieux, c’est exact, je connais très bien le problème des chaînes dans l’Ile Seguin et ailleurs, et des conditions de travail.

S’il n’y avait pas eu Louis Renault, il n’y aurait jamais eu d’usines à Boulogne-Billancourt et ça il ne faut surtout pas l’oublier malgré les reproches que vous lui adressez pour sa conduite pendant la guerre.

Si nous avions eu des hommes en France de la même valeur que Louis Renault en plus grand nombre, , le niveau de vie serait nettement plus élevé par notre puissance industrielle et les avantages que toutes les personnes y travaillant en tireraient.

Vous êtes trop rancunier, et je pense qu’il y a des problèmes beaucoup plus importants à Boulogne que de se quereller avec la Municipalité en première page de journal pour un nom de rue à donner ou non.

En tous les cas, j’estime et j’approuve que Louis Renault mérite bien qu’on baptise une rue de son nom, c’est bien le moins que l’on puisse faire.

Recevez, Monsieur…

  1. CLET :

Monsieur,

Le Comité de rédaction de « L’Aube Nouvelle – L’Etincelle » vous remercie de votre lettre concernant l’appréciation publiée dans notre journal vis-à-vis de la décision du Conseil municipal de changer le nom de la rue Nationale pour l’appeler « Louis Renault ».

Vous déclarez avoir sauté en l’air en lisant cette information, et vous exprimez votre désaccord avec cette appréciation, et vous manifestez par applaudissements à la décision du Conseil municipal.

Nous vous remercions encore une fois de cette franchise avec laquelle vous nous faites connaître votre point de vue.

Précisons que la prise de position que nous avons publiée est celle des sections de Boulogne et de Renault du Parti Communiste Français ; depuis, d’autres organisations ont pris également position dans ce sens.

Le Comité de rédaction du journal partage cette appréciation car, en effet, vouloir réhabiliter Louis Renault, c’est réhabiliter ce qui a fait le jeu du nazisme et le malheur de la France.

Votre jeunesse ne nous paraît pas seulement l’explication de votre ignorance de la gravité des conséquences de la collaboration de Louis Renault avec l’ennemi. Vous développez dans votre lettre des conceptions philosophiques que vous avez bien le droit d’avoir, bien entendu, mais qui vous engagent dans un irréalisme assez burlesque.

Quand vous dites que « c’est Louis Renault qui a créé le magnifique outil de production qui fait donner la vie à des milliers de familles, que c’est grâce à Louis Renault qu’aujourd’hui la France peut exporter des millions de véhicules et ainsi montrer la capacité industrielle de notre pays… »

L’empire de Louis Renault a été créé et a été développé grâce au travail d’un nombre grandissant d’hommes et de femmes exploités sans merci par le « saigneur de Billancourt » comme l’appelaient les salariés les plus conscients, ou comme le « seigneur de Billancourt » comme l’appelaient les bourgeois, ses amis.

Nous pensons, contrairement à vous, que la production massive de véhicules automobiles, la preuve en est faite depuis que Louis Renault a été dépossédé, ne résulte pas d’un patron ou d’un homme, mais au travail social mensuel et intellectuel des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui font aujourd’hui la véritable force de la Régie Nationale des Usines Renault, et qui contribuent – avec des milliers d’autres – à ce que notre pays soit une grande puissance industrielle.

Votre prise de position nous confirme dans notre opinion que la décision de la majorité du Conseil municipal a bien été prise pour manifester une conception politique réactionnaire que voudrions bien voir disparaître, surtout lorsque cette politique essaie de réhabiliter les crimes fascistes et ceux qui les  ont favorisés.

Notre journal continuera donc, par le contenu de son information, de soutenir le combat de classe des exploités qui luttent contre cette tare du régime capitaliste que constitue l’exploitation de l’homme par l’homme ; il continuera de soutenir tous ceux qui luttent contre la renaissance des idées nazies ou autres résurgences du fascisme ; nous continuerons de soutenir ceux qui veulent s’opposer  à une rue Louis-Renault à Boulogne-Billancourt, avec la certitude que nous y parviendrons.

Nous sommes d’accord avec vous qu’il y a d’autres problèmes plus importants à Boulogne, mais les petits problèmes ne sauraient être négligés.

Il est normal que, parmi nos milliers de lecteurs, se trouvent des gens qui ne partagent pas toutes nos conceptions. Puisse cet échange de correspondance aider les uns et les autres à définir les meilleures positions au service des travailleurs et des démocrates dans l’intérêt de notre pays.

En vous remerciant de la confiance que vous portez à notre journal, nous vous adressons nos sentiments démocrates et dévoués.

Pour le Comité de rédaction

Le directeur de la rubrique de Boulogne

E. CLET