Le char Renault et la formation d’une élite américaine

Par Laurent Dingli

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George S. Patton au Virginia Military Institute – VMI Museum – public domain

La plupart des Français ignorent que, pendant la Grande Guerre, le char Renault servit à l’entraînement de deux personnalités qui allaient marquer l’histoire : George S. Patton et le futur président des Etats-Unis, Dwight D. Einsenhower[1].

George Smith Patton, est né le 11 novembre 1885 à San Gabriel, en Californie. Il était issu d’une famille aisée qui possédait une forte tradition militaire : son grand-père, George Smith Patton, avait commandé le 22ème régiment d’infanterie de Virginie pendant la guerre de Sécession ; son grand-oncle, Waller Tazewell Patton, était mort à la bataille de Gettysburg, et l’un de ses ancêtres, Hugh Mercer, à celle de Princeton, au cours de la guerre d’Indépendance. C’est donc assez logiquement que George Patton intégra l’académie militaire de West Point (1904-1909) après avoir effectué ses études à la Stephen Clark’s School for Boys de Passadena, puis à l’institut militaire de Virginie ; sa détermination lui permit de surmonter tant bien que mal les difficultés qu’il avait rencontrées très tôt dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Il sortit de West Point et devint sous-lieutenant de cavalerie, le 11 juin 1909.

Passionné par l’histoire militaire et les hauts faits de César, Jeanne d’Arc, Napoléon…, le jeune homme était par ailleurs un excellent escrimeur, un brillant sabreur et un cavalier émérite. Très sportif, il se distingua lors des jeux olympiques de 1912 tout en poursuivant sa carrière. Patton était avant tout un homme d’action. Il joua de ses relations pour participer à la campagne menée au Mexique contre Pancho Villa en sollicitant le général John Pershing dont il devint l’aide de camp. Le 14 mai 1916, il participa à ce qui fut la première bataille motorisée de l’histoire américaine, en fait, une escarmouche exécutée avec des automobiles Dodge, au cours de laquelle furent tués trois éclaireurs de Villa dont son commandant en second, Julio Cardena.

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George S. Patton – (AP Photo)

Avec la même ardeur, George Patton demanda à rejoindre l’état-major du général Pershing, après l’entrée en guerre des Etats-Unis contre les empires centraux en avril 1917. Alors qu’il était affecté au commandement du quartier-général de la base de Chaumont, en Haute-Marne, il s’intéressa pour la première fois au matériel révolutionnaire qui était apparu sur le champ de bataille l’année précédente : le char d’assaut.

Sollicité par le colonel Jean-Baptiste Estienne près de deux ans plus tôt, Louis Renault avait mis au point un char léger de 7 tonnes, capable de manœuvrer dans les terrains bouleversés et de passer les tranchées contrairement aux chars lourds britanniques, aux modèles de Schneider, et, plus encore, aux mastodontes créés par la Compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et d’Homécourt (Saint-Chamond). Dès le mois de juillet 1917, le comité consultatif de l’artillerie d’assaut suggéra des plans pour la fabrication de chars légers aux Etats-Unis afin de délester l’industrie française. Dans le même temps, le colonel Jouguet invitait Louis Renault à prendre contact avec des industriels américains. Le gouvernement de Washington était d’ailleurs très favorable à cette coopération à laquelle il avait tout à gagner sur le plan technique. Lors d’essais effectués dans le camp d’entraînement de l’artillerie d’assaut à Champlieu, dans l’Oise, des officiers américains apprécièrent particulièrement la valeur militaire du char Renault. Mais, la mise en fabrication des chars Renault aux Etats-Unis nécessitant d’importants délais, le nouveau ministre de l’Armement, Louis Loucheur, préféra transférer la commande à l’industrie nationale.

Louis Renault faisant visiter son usine à un officier américain (Patton ?) en 1917 © APR/SHGR

Louis Renault faisant visiter son usine à un officier américain (Patton ?) en 1917 © APR/SHGR

Le 10 novembre 1917, George Patton fut chargé d’établir l’école des blindés légers de la force expéditionnaire américaine. Il quitta Paris et rejoignit le camp de Champlieu, en forêt de Compiègne, où il conduisit un char léger Renault et fit des essais de tir. On dit que Patton fut tellement intéressé par le char Renault qu’il demanda aux instructeurs de lui trouver un mécanicien capable de répondre à ses questions ; il écrivit alors à sa femme Béatrice : « le char léger est une invention nouvelle et pourrait ne pas fonctionner du tout. Si elle ne fonctionne pas, je pourrai toujours rejoindre un bataillon d’infanterie et j’aurai seulement perdu mon temps… si elle fonctionne, j’aurai fait l’un des plus grands coups de ma vie… ». Patton visita ensuite les usines de Billancourt afin d’y observer les méthodes de fabrications, sans doute en compagnie du fondateur de l’entreprise lui-même. Le 23 mars 1918, il reçut les dix premiers chars destinés à son école, à Langres. Comme il était le seul soldat capable de manœuvrer ces engins, il descendit personnellement sept chars du train. A partir de cette date, Patton se fit l’ardent défenseur de l’utilisation des chars d’assaut, affrontant oppositions et scepticisme, comme l’avaient fait avant lui le colonel Estienne (depuis lors général) et Louis Renault avec les autorités civiles et militaires françaises. Promu lieutenant-colonel le 3 avril 1918, Patton participa à la grande contre-offensive du mois d’août et commanda plus particulièrement le bataillon américain des chars Renault FT à la bataille de Saint-Mihiel. Il s’illustra encore au mois de septembre, marchant crânement à l’avant des blindés qu’il dirigeait.

Le lieutenant-colonel George S. Patton devant un char Renault FT, sur le territoire français, à l'été 1918 - World War I Signal Corps Photograph Collection

Le lieutenant-colonel George S. Patton devant un char Renault FT, sur le territoire français, à l’été 1918 – World War I Signal Corps Photograph Collection

Dwight D. Einsenhower, alors cadet à West Point - photo 64-173-2 U.S. Army - public domain

Dwight D. Einsenhower, alors cadet à West Point – photo 64-173-2 U.S. Army – public domain

Contrairement à George Patton, Dwight David Eisenhower était issu d’un milieu modeste. Né au Texas le 14 octobre 1890, il était le troisième des sept enfants de David Jacob et de Ida Elizabeth Eisenhower, une famille d’origine allemande et de confession mennonite, assez proche des témoins de Jéhovah. Dwight fit ses études à Abilene dans le Kansas où les siens avaient déménagé. A 19 ans, en 1909, il obtint son diplôme de fin d’études secondaires mais, en raison des faibles revenus de sa famille, il dut travailler dans une laiterie. Il put toutefois intégrer l’université de Kansas city où il obtint brillamment ses examens, ce qui lui ouvrit les portes de West Point, en 1911. Il fut promu capitaine en 1917.

Après avoir suivi le cours à la première école de char d’assaut des Etats-Unis, créée à Fort Leavenworth, dans le Kansas, il organisa à Camp Mead, dans le Maryland, ce qui allait devenir le 301ème Bataillon de chars d’assaut. Il aurait souhaité rejoindre l’Europe et y obtenir un commandement, mais il fut envoyé à Camp Colt, près de Gettysburg, où il reçut le commandement du Tank Corps. L’Armistice du 11 novembre fut signée avant qu’il ne pût s’embarquer pour la France. En 1919, il accompagna en tant qu’observateur de char le premier Transcontinental Motor Convoy qui traversa les Etats-Unis, de Washington à San Francisco. C’est lors de son retour à Camp Mead (futur Fort Mead), que Dwight Eisenhower rencontra pour la première fois George S. Patton. Les deux hommes créèrent ensemble la Infantry Tank school dont ils furent eux-mêmes les élèves et les instructeurs. Patton, qui avait commandé les chars Renault sous le feu des mitrailleuses allemandes, avait bien entendu l’avantage de l’expérience. De passage à Washington, il participa à un comité destiné à rédiger un manuel sur les opérations blindées. Très clairvoyant, il défendit alors, sans succès, l’idée que l’arme blindée ne devait pas être employée comme un simple support de l’infanterie, mais comme une force à part entière ; il devançait ainsi d’une quinzaine d’années les écrits du général de Gaulle sur le sujet.

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Dwight D. Einsenhower debout devant un char Renault FT à Camp Mead (Maryland) © Eisenhower Presidential Library

Tragique ironie de l’Histoire, c’est aux Etats-Unis, en mai-juin 1940, en pleine débâcle de l’armée française, que Louis Renault, créateur du char léger sur lequel s’étaient initiés Patton et Eisenhower, vint chercher de l’aide, rencontrant le président Franklin D. Roosevelt, ainsi que des industriels et officiers supérieurs américains. Mais le 11 juin, alors qu’il s’entretenait à la Maison Blanche avec le président des Etats-Unis, les divisions allemandes avaient lancé l’assaut final.

Pour toute référence à ce texte, merci de préciser: Laurent Dingli, “Le char Renault et la formation d’une élite américaine”, louisrenault.com, juin 2014.

[1]. Pour en savoir plus, le lecteur pourra se référer à différents sites : les pages en anglais de l’encyclopédie en ligne Wikipedia consacrées à Eisenhower et Patton sont assez bien documentées (traduites dans la version française) ; pour Patton on trouvera une foule de renseignements sur le site qui lui est consacré (en anglais) : generalpatton.org Eisenhower, on se reportera utilement au site du Dwight D. Eisenhower Presidential Library & Museum. Pour Louis Renault et les chars d’assaut, voir L. Dingli, Louis Renault, Paris, Flammarion, 2000 et A. Estienne Mondet, Le général J.B.E Estienne “père des chars” Des chenilles et des ailes, Paris, L’Harmattan, 2010. Au sujet de la rencontre entre Patton et Eisenhower, on peut lire une mise au point essentielle sur le blog des National Archives de Washington.

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