Gazoline, novembre 2000

Louis Renault n’a jamais bénéficié de la présomption d’innocence. Accusé d’avoir bâti sa fortune sur le rang des poilus de la première guerre mondiale et, surtout, d’avoir été un collaborateur zélé du régime de Vichy et d’avoir aboyé de concert avec les nazis, il est, aujourd’hui encore, couvert d’une opprobre si opaque qu’il est bien difficile de dénouer les fils d’une vie aussi pleine. C’est pourtant le pari qu’a relevé Laurent Dingli, historien qui avoue humblement s’être intéressé au personnage sans d’abord rien connaître du personnage qui se cachait derrière le nom. Il a donc abordé cette biographie avec “un regard neuf”, et surtout sans préjugés. Dans un style qui revendique le droit à l’engagement et au jugement, il brosse le portrait d’un homme tout à la fois “rigide en 1906, conciliant en 1912, ferme en 1913, presque visionnaire en 1917, traumatisé en 1919, partagé entre l’inquiétude et l’espoir en 1936, fatigué et absent en 1938”, et lâché par tous en 1944. Louis Renault était-il donc ce collabo que le parti communiste s’est empressé de lyncher, aux travers des colonnes de L’Humanité ? Celui que son neveu par alliance, François Lehideux (rencontré par Laurent Dingli) accusé à mots couverts d’avoir accepté ce que lui aurait refusé (à l’époque, Lehideux est le bras droit de Louis Renault), c’est-à-dire participer à l’effort de guerre allemand ? La vérité est toute autre, affirme sans ambiguïtés l’auteur, s’appuyant sur les faits et pas sur les “on-dit”. Car, malgré sa maladie (Louis Renault est frappé d’aphasie, ce qui lui interdit de prononcer de longues phrases), le patron de Billancourt s’est d’abord battu avec diplomatie pour retarder l’inévitable, gagnant du temps là où Panhard ou la Somua (filiale de Schneider) acceptaient sans discuter l’ultimatum du général Zuckertort (réparation de chars) avant de se raidir, suivant l’exemple donné par Louis Renault. Avant de limoger Lehideux (qui dirigera ensuite le Comité d’organisation de l’automobile) et de laisser les rênes de son entreprise à René de Peyrecave, son homme de confiance. Jamais abattu luttant becs et ongles pour que son personnel évite le STO (Service du Travail Obligatoire), multipliant les initiatives pour ralentir les cadences. Résistant, Louis Renault ? A sa manière, c’est une évidence. Tout comme le fut René de Peyrecave. Et comme le furent, après l’entrée en guerre de la Russie contre l’Allemagne nazie, les militants communistes de la CGT. Alors comment expliquer l’arrestation de Louis Renault, le 23 septembre 1944, son inculpation pour “commerce avec l’ennemi” et sa mort, dans des conditions inadmissibles, dans une prison qu’il n’aurait jamais dû fréquenter ? Pour Louis (sic) Dingli, les faits sont impitoyables. La France d’après-guerre avait besoin d’un exemple fort et les communistes de nationalisations emblématiques qui ne coûteraient pas un sou à l’Etat. Renault était un candidat idéal, le caractère de cet homme ne lui ayant pas attiré la sympathie des foules. Le décès de Louis Renault, le 24 octobre 1944, arrangeant tout le monde. Pas de procès, donc pas de défense. Billancourt peut rejoindre le giron de l’Etat pour “laver l’honneur du pays”. Et peu importe que les attendus de cette nationalisation soient entachés de “mensonges par omission” ou de “contre-vérités”. Peu importe également que la production de l’usine ait été en chute libre pendant les années d’occupation (comparativement au nombre de salariés, elle est même la plus faible de tous les constructeurs français pendant cette période). Peu importe, enfin, que la mémoire d’un homme soit bafouée. La justice de cette époque n’a que faire de la vérité. 56 ans après, la cicatrice n’est toujours pas refermée. Et Laurent Dingli balaye d’emblée les accusations de “révisionnisme” qu’on ne manquera pas de lui opposer. Les faits sont impitoyables dans leur froideur. Quel choc !

 

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