«Il faut appliquer la partie du programme qui prévoit la confiscation des biens des traîtres et faire fonctionner les entreprises comme établissements de l’Etat avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens »,
nous déclare Benoît FRACHON
Secrétaire de la C.G.T.
à propos de la réquisition des usines Renault et du
Groupement national des Houillères
Dans sa récente réunion, le gouvernement a pris deux décisions, dont les suites peuvent avoir de grandes conséquences réquisition les usines Renault et Groupement national des Houillères. Nous avons voulu connaître l’opinion des milieux de la C.G.T. sur ces mesures. Nous sommes allés interviewer Benoît Frachon, secrétaire de la C.G.T.
Tout d’abord, nous l’interrogeons sur la réquisition des usines Renault.
– Que signifie la réquisition ?
– La réquisition est une première mesure d’ordre juridique qui vise à substituer la gestion de l’Etat à la gestion patronale dans une entreprise donnée. Pour Renault, la mesure s’imposait d’urgence. Les dirigeants de l’entreprise, Lehideux et Renault, ayant été emprisonnés pour crime de trahison, l’usine Renault, qui peut fournir une importante quantité de matériel de guerre et des camions, doit être remise en route au plus tôt. La réquisition permettra cette reprise sous la direction et la responsabilité du gouvernement; Dans la région parisienne, ainsi que dans tout le pays, il est de nombreuses entreprises dont les directions ont été indignes où cette mesure s’imposera.
– La réquisition ne signifie donc pas la confiscation ?
– Mais pas du tout. C’est une première mesure qui peut être suivie ou non de la confiscation. Nous espérons que, pour Renault, la confiscation ne tardera guère.
– Selon toi, s’agit-il de confiscation pure et simple ou d’une nationalisation avec indemnité ?
– Le cas Renault est assez clair pour qu’il n’y ait aucune hésitation à lui appliquer la partie du programme du C.N.R. qui prévoit la confiscation des biens des traîtres. Je pense d’ailleurs qu’il ne faudra pas se contenter de confisquer l’usine, mais aussi les fonds dont Renault dispose, ainsi que toutes les filiales de l’entreprise.
– Dansle cas de confiscation, comment, à ton avis, devrait fonctionner l’entreprise ?
– Mais comme établissement de l’Etat, avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens.
– Que penses-tu de la décision gouvernementale de constituer un Groupement national des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?
– Pour le, moment, je n’en puis rien penser. Cette notion d’un groupement national est trop vague pour qu’on puisse déceler les intentions du gouvernement.
Dans les syndicats, nous aimons les formules claires. Quand elles ne le sont pas, nous réservons notre jugement.
– Tu as cependant une opinion sur ce qu’il conviendrait de faire dans les mines ?
– Bien entendu, d’abord, ne pas permettre que se développe la campagne intéressée sûr le patriotisme des gens du Comité des houillères.
La fédération du sous-sol a eu raison de riposter comme elle l’a fait aux communiqués de presse tendant à accréditer ce mensonge.
Les mineurs de tous les bassins de France ont mené de dures grèves durant l’occupation. Ils se sont ingéniés à organiser le sabotage. Tu peux aller partout et tous te diront qu’ils se sont heurtés dans leur lutte patriotique non seulement à la Gestapo, mais aux consignes des directions qui poussaient sans cesse à la surproduction. (Suite en 2ème page)
Dans ce combat de quatre ans, les mineurs ont eu des milliers de fusillés, d’emprisonnés et de déportés. Tu auras du mal à trouver un administrateur qui ait payé de sa personne. D’autre part, l’histoire de la mise en exploitation depuis juin 1940 des veines à grande production qui avaient été délaissées après 1936, est assez connue pour que je n’y insiste pas.
– En somme, tu penses que la confiscation s’impose comme pour l’usine Renault ?
– C’est mon avis et celui de l’ensemble des mineurs. Comme pour l’usine Renault, j’estime que la réquisition devrait précéder la confiscation au profit de l’Etat.
– Que deviendraient alors les intérêts de certains actionnaires qui n’ont aucune part de responsabilité dans la politique de collaboration des grands actionnaires et administrateurs ?
– Rien n’empêche l’Etat d’envisager leur indemnisation. Dans les propositions que nous faisons, il n’est pas question de socialisation, mais de confiscation des biens des traîtres et des collaborateurs.
L’organisation de la direction
– Dans le cas de réquisition, ou de confiscation, comment, à ton avis, devrait être organisée la direction ?
– Avec des directeurs et administrateurs désignés par l’Etat et des comités de gestion où participeraient, en plus de ces représentants du Gouvernement, des représentants des techniciens et des ouvriers.
– N’est-ce vas ce qui avait été fait pour les usines d’aviation avant la guerre ?
– Dans la forme, c’était quelque chose d’approchant dans le fond, c’était absolument différent. On avait choisi, pour diriger les usines nationalisées, les anciens patrons ou leurs créatures. Ils ne pensaient qu’à une chose saboter la marche des entreprises pour démontrer que la nationalisation était impossible.
Ils y sont parvenus en privant la France de l’aviation dont elle aurait eu besoin, parce qu’on n’a pas écouté les réclamations multiples des ouvriers et de leurs syndicats.
Calculs à déjouer
– N’est-ce pas ce qui est à craindre avec ce qu’on prépare pour les houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?
– Je le redoute d’autant plus que, sans cela, je n’arriverais pas comprendre l’intention de ceux qui donnent aux représentants du Comité clés houillères un brevet de patriotisme si peu mérité.
En poussant à la production pour l’ennemi, ils ont mis les mines dans un état de délabrement dangereux. L’entretien et les réparations ont été négligés. Il faudra procéder aux réparations nécessaires. La production s’en ressentira pendant un certain temps. Ils mettraient cela sur le dos de là nouvelle forme d’exploitation. Etant à la direction, ils mettraient au premier plan de leurs préoccupations ces réparations, comme ils ont mis au premier plan l’extraction quand les hitlériens étaient là. S’il y avait du déficit, ils s’arrangeraient pour que l’Etat le prenne à son compte. Ainsi les bénéfices de la période d’occupation resteraient intacts: Puis ils démontreraient que l’expérience étant négative et onéreuse, il faut revenir à l’ancien état de choses et leur rendre toutes leurs prérogatives. Les mines étant alors en mesure de produire à plein rendement, ils iraient allégrement vers une nouvelle période de profits substantiels.
– De toute façon, même si on réquisitionne et que l’on écarte les anciens administrateurs da la direction, il faudra faire ces réparations. L’Etat devra-t-il les prendre à sa charge ?
– Mais pas du tout ! Il faut les faire aux dépens des profits réalisés par les compagnies houillères. Et pas seulement des profits avoués, mais des profits camouflés, tels que les hausses sur les actions, les distributions d’actions gratuites, les réserves, etc..
– En somme, à la formule annoncée tu préfères la réquisition pure et simple d’abord et la confiscation après démonstration de la collaboration des gens du Comité des houillères ?
– C’est, à mon avis, la seule mesure de justice et la seule méthode efficace dans ce cas précis.