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Combat, 21 octobre 1944

combat_1Le premier avion français construit depuis

la libération a décollé hier

C’est un « Goeland » que les ouvriers ont sorti eux-mêmes après avoir chassé des usines une direction « collaboratrice »

C’est un banal événement qu’un avion qui décolle. Chaque jour, des milliers de moteurs tournent, des milliers d’appareils s’envolent. Mais l’aventure émeut davantage lorsqu’il s’agit du premier Caudron sorti de nos ateliers depuis la libération.

Dès le 28 août, quelques ouvriers occupaient les usines et se mettaient au travail. Ils se sont organisés eux-mêmes, obéissant à des directeurs qu’ils ont choisis. Un administrateur a été nommé par le ministère, mais les ouvriers se gouvernent eux-mêmes, et CELA MARCHE. C’est un grand exemple en France que celui de cette usine dirigée par un comité exécutif, élu parmi les membres du personnel.

En 1940, les administrateurs du champ d’aviation interdisaient la destruction des appareils au sol et les bloquaient pour les livrer à ceux avec lesquels ils comptaient s’enrichir. Les ouvriers leur ont répondu d’abord en faisant leur devoir, ensuite en imposant la justice. Ils ont saboté le travail pendant l’occupation au point de ne plus sortir que quatre appareils par mois. Ensuite ils ont mis leurs dirigeants à la porte. Maintenant ils poussent la production autant qu’il est possible.

Le premier envol

La récompense de leurs efforts est enfin là sous nos yeux. Un « Goëland » bimoteur va s’envoler ; ce sera son premier vol au-dessus de Paris.

Il pleut, il y a du vent. Les deux moteurs de 220 chevaux chassent l’air. Des chefs d’atelier nous racontent l’aventure qu’ils vivent depuis septembre : le matériel qu’ils avaient caché, les avions qu’ils détériorèrent et qu’ils réparent aujourd’hui, ce bonheur qu’ils ont a travaillé pour quelque chose où peut s’accrocher enfin leur amour.

Mais on a ôté les cales de l’appareil. Le « Goëland » roule lentement vers l’extrémité du champ. C’est un bel avion, qui peut transporter huit passagers, dont la moyenne horaire est de 250 kilomètres, sur une distance de 2.000 kilomètres. Il s’approche maintenant sous la pluie et décolle devant nous. Le vent est fort et dévie l’appareil, mais Javion, le pilote, est un as de l’acrobatie, et il s’adonne sur nos têtes, à d’impressionnants rase-mottes. Soudain, il fonce dans le brouillard et disparaît. Sur la carlingue, la croix de Lorraine est peinte.

– D’ici la fin octobre, nous aurons sorti six appareils. Et, plus tard, notre production sera de 10 « Goëland » chaque mois.

Les ouvriers sont contents. Ils nous font visiter leurs ateliers. Ils disent :

– Vous voyez que nous nous débrouillons bien tout seuls. Il paraît que nous sommes l’avant-garde…

Ils disent aussi :

– Mais ce qu’on peut nous mettre des bâtons dans les roues…

Franc-Tireur, 28 octobre 1944

Les usines Renault à la France

franc_tireurLOUIS RENAULT EST MORT. L’action de la justice est éteinte. La Cour de justice ne sera pas saisie du cas Louis Renault, collaborateur des nazis et traître à la France. Mais il y a toujours une affaire Renault.

Les usines Renault sont sous séquestre. Elles seraient restées sous séquestre jusqu’au jugement du seigneur de Billancourt. Comme il est à supposer que Louis Renault aurait été condamné, ses biens se seraient trouvés confisqués au profit de l’Etat. Mais Louis Renault est mort dans son lit. Sa succession est ouverte ; ses héritiers font valoir leurs droits, réclament la mainlevée du séquestre.

Quels héritiers ? Par sa femme, Louis Renault était allié à la famille Boullaire. Roger Boullaire était son représentant dans toutes les filiales de la société Renault : la « Société des moteurs Renault pour l’aviation », la « Société pièces, réparations, accessoires Renault », la « Société des transports automobiles industriels et commerciaux », la « Société des avions Caudron » et la « Société des aciers fins de l’Est ».

Voilà d’un seul coup le trust Renault remis d’aplomb, plus puissant que jamais. Louis Renault est mort, vive M. Roger Boullaire !

Eh bien ! non ! Cela est impossible, la France ne peut pas le tolérer.

Quelle que soit l’étonnante carrière de cet habile capitaine d’industrie, débutant en 1897 avec un petit atelier de boulons, pour aboutir à l’usine géante de Billancourt, on ne peut considérer l’énorme fortune accumulée par Louis Renault pendant ces quarante-sept années autrement que comme le produit d’une spoliation capitaliste poussée à son degré le plus parfait.

Mais l’heure est enfin venue où la France brise toutes ses chaînes ; où la collectivité reprend ses droits, récupère ses biens ; l’heure est enfin venue où la France marche vers de nouveau destins et s’engage hardiment dans des voies nouvelles.

En posant parmi ses premières revendications le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des banques et des compagnies d’assurances, la charte de la Résistance a défini un programme de grandes réformes sociales dont la France exige la réalisation.

Le gouvernement ne peut pas méconnaître cette volonté profonde du pays ; il doit lui donner une satisfaction immédiate. L’usine Renault a trop longtemps travaillé contre la France. Il faut maintenant qu’elle serve la France.

Une simple ordonnance suffit : « Article unique… La Société Renault est acquise, sans aucune indemnité, à la nation ». Et ce sera justice.

L’Humanité, 2 octobre 1944

huma_2_10_44_extrait«Il faut appliquer la partie du programme qui prévoit la confiscation des biens des traîtres et faire fonctionner les entreprises comme établissements de l’Etat avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens »,

nous déclare Benoît FRACHON
Secrétaire de la C.G.T.
à propos de la réquisition des usines Renault et du
Groupement national des Houillères

Dans sa récente réunion, le gouvernement a pris deux décisions, dont les suites peuvent avoir de grandes conséquences réquisition les usines Renault et Groupement national des Houillères. Nous avons voulu connaître l’opinion des milieux de la C.G.T. sur ces mesures. Nous sommes allés interviewer Benoît Frachon, secrétaire de la C.G.T.

Tout d’abord, nous l’interrogeons sur la réquisition des usines Renault.

– Que signifie la réquisition ?

– La réquisition est une première mesure d’ordre juridique qui vise à substituer la gestion de l’Etat à la gestion patronale dans une entreprise donnée. Pour Renault, la mesure s’imposait d’urgence. Les dirigeants de l’entreprise, Lehideux et Renault, ayant été emprisonnés pour crime de trahison, l’usine Renault, qui peut fournir une importante quantité de matériel de guerre et des camions, doit être remise en route au plus tôt. La réquisition permettra cette reprise sous la direction et la responsabilité du gouvernement; Dans la région parisienne, ainsi que dans tout le pays, il est de nombreuses entreprises dont les directions ont été indignes où cette mesure s’imposera.

huma_2_10_44_photo– La réquisition ne signifie donc pas la confiscation ?

– Mais pas du tout. C’est une première mesure qui peut être suivie ou non de la confiscation. Nous espérons que, pour Renault, la confiscation ne tardera guère.

– Selon toi, s’agit-il de confiscation pure et simple ou d’une nationalisation avec indemnité ?

– Le cas Renault est assez clair pour qu’il n’y ait aucune hésitation à lui appliquer la partie du programme du C.N.R. qui prévoit la confiscation des biens des traîtres. Je pense d’ailleurs qu’il ne faudra pas se contenter de confisquer l’usine, mais aussi les fonds dont Renault dispose, ainsi que toutes les filiales de l’entreprise.

– Dansle cas de confiscation, comment, à ton avis, devrait fonctionner  l’entreprise ?

– Mais comme établissement de l’Etat, avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens.

– Que penses-tu de la décision gouvernementale de constituer un Groupement national des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?

– Pour le, moment, je n’en puis rien penser. Cette notion d’un groupement national est trop vague pour qu’on puisse déceler les intentions du gouvernement.
Dans les syndicats, nous aimons les formules claires. Quand elles ne le sont pas, nous réservons notre jugement.

– Tu as cependant une opinion sur ce qu’il conviendrait de faire dans les mines ?

– Bien entendu, d’abord, ne pas permettre que se développe  la campagne intéressée sûr le patriotisme des gens du Comité des houillères.
La fédération du sous-sol a eu raison de riposter comme elle l’a fait aux communiqués de presse tendant à accréditer ce mensonge.

Les mineurs de tous les bassins de France ont mené de dures grèves durant l’occupation. Ils se sont ingéniés à organiser le sabotage. Tu peux aller partout et tous te diront qu’ils se sont heurtés dans leur lutte patriotique non seulement à la Gestapo, mais aux consignes des directions qui poussaient sans cesse à la surproduction. (Suite en 2ème page)

Dans ce combat de quatre ans, les mineurs ont eu des milliers de fusillés, d’emprisonnés et de déportés. Tu auras du mal à trouver un administrateur qui ait payé de sa personne. D’autre part, l’histoire de la mise en exploitation depuis juin 1940 des veines à grande production qui avaient été délaissées après 1936, est assez connue pour que je n’y insiste pas.

– En somme, tu penses que la confiscation s’impose comme pour l’usine Renault ?

– C’est mon avis et celui de l’ensemble des mineurs. Comme pour l’usine Renault, j’estime que la réquisition devrait précéder la confiscation au profit de l’Etat.

– Que deviendraient alors les intérêts de certains actionnaires qui n’ont aucune part de responsabilité dans la politique de collaboration des grands actionnaires et administrateurs ?

– Rien n’empêche l’Etat d’envisager leur indemnisation. Dans les propositions que nous faisons, il n’est pas question de socialisation, mais de confiscation des biens des traîtres et des collaborateurs.

L’organisation de la direction

– Dans le cas de réquisition, ou de confiscation, comment, à ton avis, devrait être organisée la direction ?

– Avec des directeurs et administrateurs désignés par l’Etat et des comités de gestion où participeraient, en plus de ces représentants du Gouvernement, des représentants des techniciens et des ouvriers.

– N’est-ce vas ce qui avait été fait pour les usines d’aviation avant la guerre ?

– Dans la forme, c’était quelque chose d’approchant dans le fond, c’était absolument différent. On avait choisi, pour diriger les usines nationalisées, les anciens patrons ou leurs créatures. Ils ne pensaient qu’à une chose saboter la marche des entreprises pour démontrer que la nationalisation était impossible.

Ils y sont parvenus en privant la France de l’aviation dont elle aurait eu besoin, parce qu’on n’a pas écouté les réclamations multiples des ouvriers et de leurs syndicats.

Calculs à déjouer

– N’est-ce pas ce qui est à craindre avec ce qu’on prépare pour les houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?

– Je le redoute d’autant plus que, sans cela, je n’arriverais pas comprendre l’intention de ceux qui donnent aux représentants du Comité clés houillères un brevet de patriotisme si peu mérité.

En poussant à la production pour l’ennemi, ils ont mis les mines dans un état de délabrement dangereux. L’entretien et les réparations ont été négligés. Il faudra procéder aux réparations nécessaires. La production s’en ressentira pendant un certain temps. Ils mettraient cela sur le dos de là nouvelle forme d’exploitation. Etant à la direction, ils mettraient au premier plan de leurs préoccupations ces réparations, comme ils ont mis au premier plan l’extraction quand les hitlériens étaient là. S’il y avait du déficit, ils s’arrangeraient pour que l’Etat le prenne à son compte. Ainsi les bénéfices de la période d’occupation resteraient intacts: Puis ils démontreraient que l’expérience étant négative et onéreuse, il faut revenir à l’ancien état de choses et leur rendre toutes leurs prérogatives. Les mines étant alors en mesure de produire à plein rendement, ils iraient allégrement vers une nouvelle période de profits substantiels.

– De toute façon, même si on réquisitionne et que l’on écarte les anciens administrateurs da la direction, il faudra faire ces réparations. L’Etat devra-t-il les prendre à sa charge ?

– Mais pas du tout ! Il faut les faire aux dépens des profits réalisés par les compagnies houillères. Et pas seulement des profits avoués, mais des profits camouflés, tels que les hausses sur les actions, les distributions d’actions gratuites, les réserves, etc..

– En somme, à la formule annoncée tu préfères la réquisition pure et simple d’abord et la confiscation après démonstration de la collaboration des gens du Comité des houillères ?

– C’est, à mon avis, la seule mesure de justice et la seule méthode efficace dans ce cas précis.

L’Humanité, 22 août 1944

huma_22_8_44JUSTICE
contre les traîtres et les profiteurs de la trahison

huma_22_8_44_extraitDe la France martyrisée s’élève maintenant un appel irrésistible la punition des responsables de la défaite. Notre, grand journal continue le combat qu’il n’a cessé de mener contre les hommes des trusts. Il sera l’interprète de la France entière qui porte accusation contre eux.

Elle les accuse de haute trahison parce que, maîtres de l’économie nationale depuis plus de 50 ans, ils ont, par soif du profit, provoqué progressivement d’affaiblissement économique, démographique, politique et militaire de notre peuple. Elle les accuse de haute trahison parce que de 1933 à 1940 ils l’ont trahie par haine des travailleurs, parce qu’ils ont saboté, les fabrications de guerre par opposition aux lois sociales, subventionné la cinquième colonne hitlérienne pour abattre la démocratie et ruiner nos alliances.

L’Humanité du 22 août 1944 © BNF

Elle les accuse de haute trahison parce que depuis 1940 ils ont partagé avec l’ennemi ses dépouilles, livré toutes ses richesses, déporté ses enfants, converti en fleuve d’or les larmes et le sang des meilleurs des Français désignés par eux aux exécuteurs.  Elle les accuse de haute trahison  parce qu’ils ne songent qu’à constituer des groupes de guerre civile, essayant de s’introduire par ruse dans les organisations de résistance, tout en subventionnant les milices fascistes.

Nous prendrons un par un les groupements de la haute industrie et de la haute finance qui ont collaboré avec l’ennemi et nous les démasquerons publiquement. Aujourd’hui, bornons-nous à citer le cas des usines Renault dont l’ignominie mérite une mention particulière.

Tous les travailleurs connaissent ce grand bagne industriel. Avant la crise de 1929 les usines Renault recrutaient des travailleurs étrangers et nord-africains pour tenter de les dresser contre les travailleurs français, elles faisaient traquer, moucharder les ouvriers organisés. Après le sabotage des lois sociales du Front Populaire, et la politique néfaste qui devait ruiner la sécurité collective et le pacte franco-soviétique seule garantie de paix pour notre pays, les usines Renault se mirent en grève. La répression s’abattit férocement sur des centaines de grévistes arrêtés et condamnés en bloc, en violation de la loi par une justice déjà tombée sous l’influence de la cinquième colonne hitlérienne.

C’était là la tentative de division et de désarmement moral. Les mêmes trusts vont jeter la France sans armes dans la guerre qu’ils n’ont rien fait pour préparer.

Renault était l’un des plus importants centres de chars et de moteurs d’avions. La France entrera en guerre sans chars et sans avions.

Mais Renault s’offre, dès 1940, à fabriquer au profit de l’ennemi. Lorsque les bombardements, de l’aviation anglo-saxonne eurent causé à cette maison une perte de 3 milliards, Vichy refusa de l’indemniser pour le motif suivant : les usines Renault ne pouvaient invoquer la force majeure ; elles n’avaient pas été réquisitionnées par l’occupant, elles s’étaient mises spontanément à la disposition des Allemands, dès  l’armistice. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’Etat vichyssois lui-même !

Les dirigeants de l’usine Renault devront payer pour les soldats des Nations Unies tués, à cause de leur empressement volontaire à équiper l’ennemi; ils devront payer pour les centaines d’innocents tués dans les bombardements que leur trahison avait rendus nécessaires; ils devront payer pour les ouvriers livrés aux bourreaux.

Beaucoup des actes de trahison des trusts sont encore inconnus. C’est la tâche sacrée des patriotes, qui peuvent percer le mystère savamment entretenu, de dire la vérité au pays.

Les employés de banque et le personnel de tous les établissements recevant des dépôts d’espèces devront signaler les prête-noms des hommes des trusts, car  beaucoup ont fait ouvrir des comptes par des hommes de paille pour diminuer l’importance de leur Avoir et signaler également les augmentations de soldes créditeurs depuis juin 1940. Dans chaque secrétariat de grosse firme des renseignements, ont pu être recueillis; le personnel de ces bureaux, les ingénieurs, les fonctionnaires des Comités d’organisation et de tous les offices de répartition des matières premières apporteront eux aussi une aide précieuse au pays.

Qu’ils nous signalent les faits qu’ils connaissent. Qu’ils démasquent les comédies que ne manqueront pas de jouer les hommes des trusts qui ont misé sur deux tableaux. Qu’ils écrivent à notre grand journal.

Le Devoir, Montréal, mardi 5 décembre 1944

Paris, libéré il y a trois mois, a, par certains côtés, l’apparence d’une ville revenue à la vie normale, mais un correspondant de « l’Associated Press », M. Gladwin Hill, signale aujourd’hui que cette apparence est trompeuse et que, sous ce masque, Paris reste une ville ébranlée jusque dans ses fondements par les rigueurs de la guerre.

Les élégantes toilettes féminines sont revenues sur les boulevards, mais ces toilettes sont en matériel d’été parce que les tissus d’hiver plus chauds sont très rares. Le champagne coule aux réceptions diplomatiques, mais beaucoup de Parisiens n’ont que la moitié des calories nécessaires, parce que les approvisionnements de vivres sont insuffisants. Si quelques hôtels sont le théâtre d’une grande activité, comme le « Ritz » qui héberge les dignitaires militaires et civils de passage, le « Crillon » qui abrite le personnel diplomatique et celui de la propagande, par contre la plupart des édifices de la ville ne sont pas chauffés et ne le seront probablement pas de l’hiver.

Paris a seize journaux quotidiens, mais ils sont limités à une seule feuille. Le métro fonctionne, mais il n’y a pratiquement pas de service de transport de surface et pas de taxis ; même les médecins ne peuvent avoir d’essence pour leurs autos. Les visiteurs vont au Louvre, mais ils n’y voient que des expositions spéciales, car les principaux trésors sont encore dans leurs abris de guerre. Les cinémas sont remplis, mais on montre des films qui étaient déjà vieux quand la guerre a commencé. La ration de viande est d’une demi-livre par semaine. Il n’y a pas de poisson, faute de moyens de transport. Les volailles vont vers le marché noir et reparaissent en dîners de $20 dans les clubs de nuit, dont les journaux demandent la fermeture pour la durée de la guerre.

Environ 10.000 Parisiens sont en prison sous des accusations de collaboration avec les Allemands pendant l’occupation. Il n’y a eu jusqu’ici que vingt accusés qui ont subi leur procès, et dans les corridors du Palais de Justice, les avocats causent de la lenteur de ces procès. En réponse à la menace formulée par les autorités allemandes d’exercer des représailles si le gouvernement français n’interrompait pas les procès pour collaboration, la radio de Paris a riposté aujourd’hui que le gouvernement français ne permettra à quiconque d’intervenir de l’extérieur dans l’administration de la justice en France et que si les Allemands veulent intervenir les autorités françaises prendront toutes les mesures qu’elles jugeront nécessaires. Cet avertissement allemand, selon un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Berlin, aurait été transmis au gouvernement français par la Croix-Rouge internationale.

Dans la banlieue de Billancourt, les usines Renault travaillent pour les forces alliées sous la direction du gouvernement qui a saisi toute cette industrie après la mort de Louis Renault, décédé pendant qu’il attendait son procès pour collaboration, parce que ses usines ont travaillé pour les Allemands pendant l’occupation. Dans un article récent au « Saturday Evening Post », M. Demaree Bess a exposé le point de vue des directeurs des usines Renault. Quand les Allemands ont occupé Paris, cette industrie de l’automobile s’est trouvée dans l’alternative de fermer ses usines et de congédier ses 12.000 ouvriers, ou de fabriquer des véhicules de transport pour les Allemands. Les autorités allemandes ont averti les dirigeants de ces usines que s’ils fermaient leurs portes tous les ouvriers seraient conscrits et envoyés au travail dans des usines allemandes. Après avoir consulté leurs ouvriers les directeurs ont décidé de poursuivre le travail. A deux reprises, les usines furent fortement endommagées par les bombardements alliés ; chaque fois les dirigeants ont obtenu des Allemands des matériaux pour remettre leurs usines en marche, et ils ont pu employer leurs ouvriers à ces travaux de réparations qui ont duré des mois et pendant ce temps la production était interrompue. Ainsi les Allemands, selon les directeurs des usines, ont eu moins de production de la part de ces ouvriers que si ces derniers avaient été envoyés en Allemagne après la fermeture de l’usine.  Les Allemands ont aidé à remettre les usines en état de production, de sorte qu’elles donnent actuellement leur plein rendement et que leurs ouvriers peuvent travailler pour les Alliés, tandis qu’autrement ils seraient encore en Allemagne et devraient travailler pour l’ennemi.

Ces explications ne satisfont pas les communistes qui réclament la confiscation des usines. M. Bess dit d’ailleurs que les communistes veulent utiliser les procès de collaboration pour promouvoir leur lutte contre le capitalisme : « Ils réclament, écrit M. Bess, que la purge soit utilisée, à la destruction permanente du pouvoir économique et politique des prétendues « 200 familles » de France, et pour la dépossession et la punition de tous les industriels et banquiers qui ont traité avec les Allemands pour leur profit personnel. Par la purge, disent les communistes, la banque et l’industrie lourde de France peuvent être rapidement nationalisées ».

C’est une politique économique et sociale plutôt discutable que de travailler à la nationalisation industrielle et financière au moyen de procès politiques pour collaboration. Ce serait assez cocasse, si ce n’était pas tragique ; car c’est à la suite de la campagne du journal communiste « l’Humanité » que Louis Renault a été arrêté.

Cela n’est pas particulier aux communistes français. Il semble que ce soit une politique générale des communistes dans tous les pays qui ont été occupés par l’Allemagne. Une dépêche de la « Canadian Press », du 24 novembre, rapportait une déclaration de M. Andrija Hebrang, minsitre suppléant du Commerce et de l’Industrie dans le gouvernement pro-soviétique du maréchal Tito, à l’effet que le gouvernement yougoslave confisquerait les usines des industriels qui seraient trouvés coupables de collaboration criminelle avec les Allemands ; il ajoutait que les autres industries demeureraient des entreprises privées.

Il n’est peut-être pas exagéré de penser que c’est une tactique communiste internationale que d’accuser de collaboration les industriels dont on veut confisquer les biens, méthode aussi radicale qu’audacieuse de promouvoir le collectivisme.

M. Hill note encore dans sa dépêche de ce matin au sujet de Paris que l’Assemblée consultative française se donne des airs de législature, mais que comme le gouvernement de Gaulle prend toutes les décisions, l’Assemblée n’est donc qu’un forum en attendant le retour des Français qui sont détenus en Allemagne dans les camps de prisonniers ou dans les usines. M. Hill conclut par cette phrase qui donne le même son que l’article de M. Bess et qui indique bien l’acuité du danger communiste en France : « Presque tout le monde loue de Gaulle, mais plusieurs frissonnent simultanément à la mention du communisme, tandis que les communistes de leur côté se lamentent continuellement sur le règne des trusts ».