En 1945, les usines de Louis Renault ont été nationalisées, à tort, selon sa petite-fille Hélène, qui demeure à Crozon (ci-contre, présentant la photo de son père et, au second plan, le buste de son grand-père). Une nouvelle loi permet à la famille Renault d’attaquer l’Etat. La bataille est engagée.
Renault. La nationalisation remise en cause
La nationalisation des usines Renault, en 1945, était-elle illégale? De sa maison de Crozon (29), Hélène, la petite-fille du constructeur, entame une bataille judiciaire. En se fondant sur une nouvelle loi, évoquée récemment lors du procès Chirac.
Devant les caméras installées dans sa maison de Crozon, commune natale de sa mère, Hélène Renault l’a annoncé il y a quelques jours en exclusivité sur Tébéo, la chaîne du Télégramme: sa famille assigne l’État contre la nationalisation-sanction des usines Renault, en 1945. Cette décision du gouvernement provisoire, dirigé par le Général De Gaulle, est intervenue peu de temps après le décès en prison de LouisRenault, sans qu’un procès ait pu confirmer les accusations de collaboration lancées à son encontre, principalement par le Parti communiste français. Sur Tébéo, ce jour-là, la petite-fille du constructeur a créé la surprise mais n’a pas voulu en dire plus sur la procédure employée par elle et sa famille pour attaquer une ordonnance de nationalisation, vieille de plus de soixante ans.
«Ni décision de justice ni indemnisation»
Le voile vient d’être levé avec le dépôt d’une assignation, lundi, à Paris, par l’avocat MeThierryLévy. Hélène Renault et sa famille se fondent sur la nouvelle loi de 2010 déjà évoquée lors du procès Chirac: la question préalable de constitutionnalité qui permet de contester des lois, même promulguées avant la Constitution de 1958. Objectif: prouver que cette nationalisation n’était pas conforme car elle constitue «une voie de fait qui a bafoué les droits fondamentaux» et qu’elle ne peut constituer ni une confiscation, puisqu’il n’y a pas eu de décision de justice, ni une nationalisation, puisqu’elle n’a donné lieu à aucune indemnisation.
Un cliché retiré
Au côté de son époux, l’historien Laurent Dingli, auteur d’une volumineuse biographie de LouisRenault, la petite-fille du constructeur est à la pointe du combat lancé par sa famille. Comme nous l’avons déjà précisé (Le Télégramme du 12mars 2011), c’est une photo exposée au mémorial d’Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne) qui a déclenché cette contre-offensive familiale. On y voyait Louis Renault au côté de Hitler et le cliché était accompagné d’une mention sur la collaboration du patronat, pendant la guerre. Il y manquait juste un détail: cette photo a été prise à Berlin, avant-guerre, lors d’un salon automobile. Donc en temps de paix. La Justice a non seulement demandé le retrait de cette photo mais a aussi indiqué que les éléments établis après-guerre ne permettaient pas de relever des faits formels de collaboration active à l’encontre des usines Renault. Un commentaire de justice qui a provoqué un tollé du côté du PCF et de la CGT. Depuis, la famille a entamé une action groupée pour une réhabilitation de la mémoire du constructeur automobile, passant maintenant par cette assignation de l’État.
Rejet en 1959
Tout le paradoxe, dans cette affaire, c’est que les petits-enfants du constructeur ont aujourd’hui un arsenal juridique dont ne disposait pas le fils de Louis Renault, Jean-Louis, père d’Hélène, lorsqu’il a introduit une instance en 1959. Le tribunal administratif et le Conseil d’État lui avaient répondu que l’ordonnance de 1945 avait force de loi, qu’elle était couverte par l’immunité législative et qu’aucun juge administratif ou judiciaire ne pouvait la remettre en cause. Depuis, non seulement la Nation s’est dotée d’un Conseil constitutionnel-qui n’existait pas après-guerre-mais la loi de mars2010 a ouvert une voie dans laquelle s’est déjà engouffré l’un des avocats de l’affaire Chirac. Avec cette question préalable de constitutionnalité, le législateur a voulu épurer l’arsenal législatif en vigueur pour écarter les lois non conformes à la Constitution, même si elles sont antérieures à celle de 1958. C’est sur cette possibilité de faire un grand saut judiciaire dans le passé que Me Lévy fonde toute la stratégie de son assignation, mettant en avant le non-respect des droits fondamentaux les plus élémentaires.
Préjudice moral
Du côté de la famille, on se garde de toute considération sur les conséquences financières de cette action pour ne mettre en avant que la réhabilitation de Louis Renault (*). Il n’empêche. Quand on détaille tous les biens et participations en lien avec les usines, confisquées en 1945 sans la moindre contrepartie, on imagine le montant éventuel des indemnisations, si la procédure aboutit un jour. Le seul préjudice moral pourrait, à lui seul, peser très lourd quand on sait que BernardTapie, dans une affaire qui fait du bruit, a obtenu plus de 40millions d’euros au titre du seul préjudice moral…
* Hier soir, la famille précisait qu’en cas d’indemnisations, une fondation Louis-Renault serait créée.