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Sans titre, par André Maurois, 1936

Un homme d’action Louis Renault

Par André Maurois

M. Louis Renault vient d’être élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur ; nous avons demandé à M. André Maurois, qui fut le biographe de Lyautey et le romancier de Bernard Quesnay, d’esquisser un portrait de ce grand homme d’action.

La réussite de Louis Renault est à la fois une des histoires les plus romanesques et une des plus simples de notre temps. En 1877, dans une vieille et solide famille de négociants parisiens, naît un fils, cadet de cinq enfants, qui, dès ses premières années, montre une sauvage indépendance et des goûts déterminés. Rien au monde ne l’intéresse que la mécanique. A huit ans, ayant pénétré dans la gare Saint-Lazare, il se cache dans le tender d’une locomotive et ne se montre qu’après le départ, de sorte que le mécanicien se voit contraint d’emmener cet enfant jusqu’à Rouen. Dans sa chambre d’adolescent où il a installé un vieux tour acheté à la ferraille et des piles électriques perfectionnées par lui, il bricole, tourne, soude, monte, ajuste. A Billancourt, dans le jardin de ses parents, il installe sous un hangar monté de ses mains une machine à vapeur délabrée qu’il a payée de ses économies : 250 francs. C’est là qu’il construit d’abord un bateau, puis, à vingt ans, avec un camarade rencontré à l’école Diderot, sa première voiturette.

Depuis la carrosserie jusqu’aux réservoirs ces deux garçons ont tout fait eux-mêmes. Louis Renault ne possédant qu’un moteur de trois quarts de cheval enlevé à son tricycle, il lui faut éviter les pertes de puissance. D’où l’idée de remplacer la chaîne de transmission par l’attaque directe des roues. Pignons d’angle, changements de vitesse, prise directe, cette voiturette a déjà quelques-uns des traits essentiels de la voiture moderne. Elle est assez rapide puisqu’elle va de Paris à Rambouillet, et retour, en deux heures quarante minutes. Elle monte toutes les côtes.

Ici commence le conte des Mille et une Nuits. La voiturette née sous le hangar du potager de Billancourt plaît si fort à tous ceux qui la voient qu’ils supplient Louis Renault de leur en construire une semblable. Bientôt les commandes affluent. Enfin la famille, touchée par l’enthousiasme du jeune constructeur et de ses amis, mais prudente, décide la formation entre les trois frères Fernand, Marcel et Louis d’une société au capital de 60.000 francs, société qui, par la mort de Marcel et la retraite de Fernand, sera plus tard la propriété du seul Louis Renault. 60.000 francs, c’est de cette petite somme initiale, sans un appel au public, sans un crédit de banque, que sortira en moins de trente ans l’usine de 1936 qui occupe trente-cinq mille ouvriers, fait vivre cent cinquante mille hommes et couvre une superficie égale à celle de la ville de Chartres.

De ce miracle quel fut le secret ? Il est le même que le secret du Maroc : le caractère d’un homme. Plus je vois de ces grands bâtisseurs d’empires et d’industries, plus je suis frappé par leurs traits communs. Traversant avec Louis Renault ses ateliers géants, je ne pouvais m’empêcher d’évoquer à chaque instant Lyautey sur le port de Casablanca. Même volonté farouche, même attention passionnée à l’action présente, même besoin de modeler les actions des autres. Depuis l’adolescence Louis Renault ne s’est intéressé qu’à cette usine. Il a grandi avec elle ; il fait corps avec elle ; si vaste qu’elle soit devenue, elle demeure pour lui un outil familier, soumis. Ce qu’il lui a demandé, ce n’est pas la fortune. (Ce type d’homme se soucie peu de l’argent. Renault remet chaque année dans son affaire, en machines, en constructions neuves, les bénéfices qu’elle peut donner.) Ce n’est pas le prestige. (Louis Renault, hors de l’action, est un timide, qui fuit le monde, et n’est heureux qu’avec quelques amis dans ses bois d’Herqueville ou dans l’ermitage qu’il s’est construit en l’une des îles de l’archipel de Chausey.) Non, ce qu’il a cherché toute sa vie, c’est, comme Lyautey, la joie de l’action bien faite ; c’est la satisfaction d’un impérieux besoin d’ordre et de simplicité.

Un esprit simple. Qu’il s’agisse d’artistes, de généraux, d’hommes d’Etat ou d’industriels, voilà encore un trait commun à tous ceux qui ont fait de grandes choses.

Foch disait : « De quoi s’agit-il ? »

Renault, à vingt ans, construit une voiture pratique parce qu’il construit une voiture simple ; à cinquante ans, une usine viable, parce que c’est une usine simple. Pendant la guerre, la fabrication des obus, des chars posent des problèmes qui semblent complexes ; il leur donne des solutions simples. S’accrochant solidement au réel, il n’est pas et ne veut pas être un « administrateur ». Il ne regarde jamais une comptabilité : « Qu’a-t-on payé ? Qu’a-t-on vendu ? Que reste-t-il ? » C’est tout ce qu’il veut savoir.

Autour de lui point de secrétariat, car il veut régner sur un monde réel d’hommes, de machines, de tôles, d’engrenages, non sur un monde de papier. Les artifices de crédit l’effraient. Ne jamais rien devoir à personne, telle est sa seule politique financière.

Cet homme exigeant se fait aimer. Louis Renault, grand patron dur pour les autres comme pour lui-même, a conservé depuis le début les mêmes collaborateurs. Le chef de ses bureaux d’études est celui qui lui a vendu ses premiers engrenages. Le camarade de travail de 1898, Edouard Rochet (1) dirige encore après la guerre les usines provinciales. Entre Louis Renault et ses chefs de service, il y a parfois des séances orageuses, mais, comme écrit l’un d’eux : « La main tournée, il perd de son terrible et il ignore complètement la rancune ». J’ai eu jadis pour camarade de régiment un monteur de chez Renault, un peu anarchiste. Il estimait son patron : « M. Louis, disait-il, c’est un type !… Le premier mécanicien de l’usine ! »

Souvent il a conquis, par un commun amour du métier, des ouvriers d’abord hostiles et il en a fait des chefs. Dans ses écoles d’apprentis il forme des mécaniciens selon son cœur, épris de l’ouvrage bien fait.

Son usine n’est pas seulement une machine parfaite ; c’est un corps vivant, et conscient de son unité.

Le mot grec poiêtès, qui est notre mot poète, voulait dire « celui qui fait ». On a souvent remarqué la ressemblance de nature qui existe entre l’homme d’action et le poète. Le visage de Louis Renault, sillonné par les luttes, mais souvent éclairé par l’enthousiasme, est un visage de poète. Parfois les yeux se ferment ; il cherche une pensée ; une main nerveuse passe sur le front ; puis les yeux se rouvrent, brillants, convaincus. La guerre, dit-il… Dans le monde moderne, elle est devenue trop bête… Elle est monstrueuse… Moi je suis un constructeur ; j’ai horreur de tout ce qui détruit. »

Là encore je reconnais une phrase de Lyautey. Et c’est naturel, car les deux hommes sont du meilleur modèle français : éclairs poétiques sur fond de sagesse bourgeoise, esprits clairs et volontés tenaces.

André Maurois

(1) Il s’agit en fait d’Edward Richet.

The New-York Times, Wednesday, June 12, 1940

Roosevelt Talks to Renault

WASHINGTON. June 11 (UP) – Louis Renault, French auto manufacturer conferred on war material production with President Roosevelt today. Mr. Renault, whose factories are turning out war supplies, said he was interested chiefly in mass production of tanks, and his discussion with Mr. Roosevelt preceded conferences to be held in the next few days with American industrialists. He said he probably would see Mr. William S. Knudsen and Henry Ford.

 

Voltaire, 11 juillet 1936

Source : APR

Le général Niessel nous écrit…

… On vient de m’envoyer des coupures de votre journal en date du 27 juin et du 4 juillet 1936. Vous y dites dans la première :

« Le bureau des Commandes des chars de guerre est dirigé par un capitaine. La maison Renault utilise comme démarcheur le général Niessel.

« Est-ce que le capitaine peut discuter, d’égal à égal avec celui qui, hier encore, était son chef direct ?

« Si le général Niessel n’a pas une compréhension suffisante du rôle imparti à un officier – même en retraite – espérons qu’Edouard Daladier saura le rappeler au devoir. »

Dans la seconde vous faites allusion à la même allégation.

J’en suis d’autant plus étonné qu’à la suite d’un article paru chez vous le 15 juin 1935 et comportant la même allégation je vous ai envoyé une première rectification. Je vous serais obligé d’en reproduire le passage suivant :

« Au moment où je suis passé au cadre de réserve, M. Renault m’a demandé d’entrer à titre de conseiller technique, pour l’étude des questions relatives aux engins blindés dont j’avais étudié à titre personnel l’emploi dans les armées étrangères.

« Avant d’accepter j’ai demandé l’avis de M. Le général Weygand, alors inspecteur général de l’armée, et de M. le maréchal Pétain. Tous deux, estimant que cela permettrait de hâter la réalisation de projets à concrétiser, m’ont conseillé d’assumer ce rôle.

J’ai mis ainsi au service de l’armée, plus que de la maison Renault, mes connaissances tactiques d’emploi de matériels techniques encore à créer chez nous. J’ai pu activer notamment l’établissement de matériels jugés nécessaires et permettre leur mise en essai devant les commissions compétentes, qui les ont examinés avec toute la conscience et la sévérité voulues.

« Ainsi qu’il avait été spécifié d’avance par moi, je n’ai eu à me mêler en rien de la passation des marchés relatifs à la commande de ces matériels ».

Depuis que les types de ces matériels ont été définitivement arrêtés, ma collaboration avec la maison Renault a pris fin.

Veuillez agréer, Monsieur le Rédacteur en chef, l’assurance de mes sentiments distingués.

Général NIESSEL