Archives de catégorie : 2007-2011

L’Humanité, par Christophe Deroubaix, 24 mai 2011

Capture d’écran 2015-12-28 à 10.23.09Histoire Collaboration

Louis Renault: la négation de l’histoire ne passe pas

Les descendants du collaborateur demandent une indemnisation pour préjudice moral et matériel. Le député communiste André Gerin organise ce soir une rencontre à l’Assemblée nationale «contre la falsification de l’histoire de l’Occupation».

L’opération de réhabilitation de Louis Renault a pris une autre dimension ces dernières semaines. Le 9 mai, ses huit petits-enfants ont en effet déposé, devant le tribunal de grande instance de Paris, une assignation destinée à réhabiliter l’industriel et à obtenir l’indemnisation du préjudice matériel et moral causé par la nationalisation intervenue à la Libération. Leur demande a été rendue possible par l’instauration, en mars 2010, de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui permet de contester, devant le juge constitutionnel, une disposition législative. Le juge est donc sollicité pour réécrire l’histoire, ce qui ne saurait en aucun cas être son rôle.

 Photo de l’industriel interdite d’exposition

Dans ce dossier, de plus, la lumière a été faite depuis bien longtemps. Dès l’été 1940, les usines Renault réparent les chars allemands. Pendant toute la période de la guerre, la quasi-totalité de la production est destinée au Reich. Arrêté en septembre 1944 pour collaboration avec l’occupant nazi et incarcéré à la prison de Fresnes, Louis Renault y décède en octobre de la même année. Le 1er janvier 1945, une ordonnance du gouvernement provisoire de la République française, présidé par le général de Gaulle, prononce la dissolution de la société Renault et sa nationalisation sous le nom de Régie nationale des usines Renault (Rnur). Dans cette ordonnance, on peut lire : « Alors que les livraisons fournies par la société Renault à l’armée française s’étaient montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont précédé la guerre, les prestations à l’armée allemande ont, durant l’Occupation, été particulièrement importantes et ne se sont trouvées freinées que par les bombardements de l’aviation alliée des usines du Mans et de Billancourt.»

La famille Renault n’accepta jamais la mesure. C’est une chose. Le plus inquiétant est qu’elle a récemment trouvé des points d’appui. Ainsi, le 13 juillet 2010, la cour d’appel de Limoges, saisie par deux petits-enfants, a condamné le Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane à retirer de l’exposition permanente une photo de l’industriel, entouré d’Hitler et de Göring, avec une légende mentionnant : « Louis Renault fabriqua des chars pour la Wehrmacht. »

Outrage aux patriotes morts pour la France

C’est pour faire pièce à cette réécriture de l’histoire que le député communiste du Rhône, André Gerin, a pris l’initiative avec des syndicalistes de Renault, des résistants, des historiens, d’une rencontre à l’Assemblée nationale, ce mardi 24 mai intitulée : Contre la falsification de l’histoire de l’Occupation (lire ci-dessous). Cette opération constitue, pour André Gerin, « un outrage à la mémoire de tous les patriotes morts pour la France, de tous les salariés de Renault arrêtés, torturés, fusillés pour faits de résistance à l’intérieur comme à l’extérieur. L’engagement de Louis Renault avant la guerre aux côtés des ligues factieuses antirépublicaines repose sur des faits établis, de même que sa collaboration avec l’Allemagne nazie sous l’Occupation », dénonce-t-il. L’élu ajoute : « L’entreprise négationniste en cours qui vise à remettre en cause les choix du général de Gaulle, du Conseil national de la Résistance et du gouvernement provisoire ne saurait rester sans riposte appropriée. »

Dans un communiqué publié le 13 mai, le PCF avait prévenu qu’il « s’opposera à toute tentative de réhabilitation de Louis Renault. Le détour par la guérilla juridique qui se double d’une tentative d’extorsion de fonds de l’État n’y changera rien ».

Conférence, ce soir, à l’assemblée nationale

Le 9 mai, les petits-enfants de l’industriel déposaient une assignation destinée à réhabiliter leur grand-père et à obtenir l’indemnisation du préjudice causé par la nationalisation de Renault prononcée à la Libération, s’appuyant sur une « question prioritaire de constitutionnalité ». « Nous sommes face à une tentative inacceptable de réécriture de l’histoire », estime André Gerin, député PCF du Rhône, à l’initiative d’une rencontre à l’Assemblée nationale ce soir (1). « La tache sur le patronat français demeure et elle est indélébile », écrit de son côté le PCF. Car face à cette entreprise de réhabilitation, estime Jean-Jacques Candelier, député PCF du Nord, « il est urgent de restaurer l’autorité de l’État et le sens de l’intérêt général, de lutter contre l’égoïsme et la vérité historique ».

(1) À 17 heures, entrée 126, rue de l’Université, salle 6403. Se munir d’une pièce d’identité. Avec Michel Certano, 
ex-CGT Renault, et l’historienne Annie Lacroix-Riz.

Christophe Deroubaix

Histoire Collaboration

Annie Lacroix-Riz « L’épuration économique a été sabotée »

historienne.

« On dispose d’énormément de sources sur la nature de la collaboration de Louis Renault, si on ne se limite pas, comme le font ses héritiers, aux seuls éléments à décharge d’une décision de justice de classement. On a des comptes rendus trouvés dans les scellés du Comité d’organisation de l’automobile dirigé par un proche, François Lehideux. Et une énorme documentation du BCRA, le service de renseignement de De Gaulle. Laquelle a servi alors à justifier les bombardements alliés des usines Renault, pour freiner l’armement allemand. Renault n’a pas été réquisitionné contre son gré ; dès août 1940, Lehideux demande aux Allemands d’assurer la direction des ateliers, pour soustraire Renault à sa responsabilité juridique écrasante d’avoir accepté la réparation de chars saisis par les Allemands. Fabriquer des pièces de chars ou fabriquer des chars a la même signification ; en 1941, Renault vante la réalisation intégrale dans ses ateliers plutôt que l’assemblage de sous-traitants pratiqué outre-Rhin. Pourquoi Renault, seulement, quand toute l’automobile quasiment a collaboré ? Les héritiers mettent l’accent sur une réalité : chez Renault, les forces résistantes et communistes furent intenses, au point qu’il était impossible de reprendre la production après guerre sans sanction de la direction. Il s’est fait une sorte de compromis pour frapper fort, et ça ne pouvait être que Renault. Ce fut pareil pour la banque d’affaires, dont une seule a été sanctionnée. L’épuration économique a été sabotée. Il y a chez l’historien Laurent Dingli, qui conteste mes thèses, deux silences éclairants. D’abord, l’orientation de Renault, dès 1933, vers la nécessité d’entrer dans un cartel essentiellement franco-allemand, qui le fait entrer dans la collaboration de second niveau, de long terme. L’autre silence, ce sont les usines souterraines projetées en région parisienne en 1944, où Renault est en pointe. Il serait curieux qu’une cour de justice donne satisfaction à un historien (époux de l’une des héritières Renault – NDLR) qui a un intérêt financier direct à ce que Louis Renault, une fois réhabilité, fasse l’objet d’une indemnisation. Les petits-enfants de Renault violent ainsi un accord de 1947 passé avec la Régie, où toute la fortune personnelle leur a été restituée, et alors que toute une série de dettes a été effacée. »

Annie Lacroix-Riz

L’Humanité du 16 décembre 2011, “Quand France 3 collabore à la réhabilitation de Renault”, par Stéphane Guérard

Capture d’écran 2015-12-28 à 10.23.09C’est un scandale!

Quand France 3 collabore à la réhabilitation de Renault

Mercredi soir, l’émission Histoire immédiate 
a offert une tribune 
de premier choix 
aux héritiers de l’industriel collabo.

Mercredi soir, en regardant France 3, on a pleuré dans les chaumières. Non pas de tristesse à l’écoute de la petite fille de Louis Renault, qui a tenté de réhabiliter son grand-père au lourd passé collaborationniste. Mais de colère de voir une chaîne du service public se prêter à la vaste entreprise de réécriture de l’histoire menée par voies médiatique et judiciaire par les ayants droit de Louis Renault, avec dédommagements sonnants et trébuchants ­escomptés. On peut se tromper une fois. 
Mais quand il s’agit de la troisième ­invitation du genre depuis janvier sur France ­Télévisions, on n’est plus très loin du plan de communication.D’autant plus quand on étudie les personnes ­invitées sur le plateau de l’émission Histoire immédiate. Là encore, c’était à pleurer. Au côté de deux éminents historiens qui ont passé leur temps à répliquer : « On n’a pas tous les éléments suffisants pour répondre » ou « La question paraît simple mais la réponse est très compliquée », Hélène Renault-Dingli, petite-fille de Louis, et Laurent Dingli, mari de celle-ci et historien forcément objectif car « astreint à avoir plus… enfin, autant de rigueur que les autres historiens », jouaient sur du velours. La première trouve que, « à la relecture de l’histoire », les faits de collaboration reprochés à son grand-père « sont plus nuancés que ce que l’on a voulu dire depuis des années ». Le second s’emporte lorsque l’on oppose l’attitude de Jean-Pierre Peugeot à celle de Louis Renault : « Sans limiter les mérites de la famille Peugeot, il faut juste rappeler que Peugeot était pétainiste militant et qu’il est entré en résistance qu’en 1943. »

Face à ce duo donc, aucun débatteur contradictoire. Et surtout pas l’historienne spécialiste de la collaboration économique Annie Lacroix-Riz, qui a mis notamment en lumière que « l’orientation de Renault, dès 1933, vers la nécessité d’entrer dans un cartel essentiellement franco-allemand », qui l’a conduit « dans la collaboration de long terme ». On a juste eu le droit à un présentateur sirupeux avec la petite fille Renault (« Vous avez souffert pendant votre enfance ? », « Qu’est-ce qui explique un tel acharnement ? ») qui affirme, au détour d’une question, « qu’on pourrait imaginer qu’un non-lieu pourrait être rendu » si procès de Louis Renault il y avait. Désastreux.

Stéphane Guérard

Lien vers l’article de L’Humanité

 

L’Humanité du 23 décembre 2011, “Face à la famille Renault, France 3 écarte Annie Lacroix-Riz”, par Claude Mazauric

Capture d’écran 2015-12-28 à 10.23.09Y a-t-il des personnalités, dérangeantes, que la télévision préfère tenir loin des plateaux ?

Face à la famille Renault, France 3 écarte Annie Lacroix-Riz

Mots clés : histoire, 2ème guerre mondiale, renault, collaboration, pluralité,

Par claude Mazauric, historien.

Nous avons bien reçu votre courriel dans lequel vous exprimez votre mécontentement (…) Nous l’avons transmis à Olivier Guiton, conseiller des programmes à l’unité documentaires de France 3, et il a souhaité vous répondre : « Vous avez bien voulu attirer mon attention sur le respect du pluralisme de France Télévisions à l’occasion de la diffusion de l’émission Histoire immédiate d’un débat animé par Samuel Étienne. Avant même la diffusion de ce débat qui a été enregistré le mois dernier, je peux vous assurer que c’est bien l’esprit d’équité qui a présidé à la composition de ce débat.

Ainsi, face à Hélène Renault et à son mari Laurent Dingli, deux historiens compétents et indépendants ont participé à ce plateau. D’une part, Patrick Fridenson, cofondateur du groupe d’études et de recherches permanent sur l’industrie et les salariés de l’automobile, historien des usines Renault, et également auteur de The Automobile Revolution, The Impact of an Industry ; d’autre part, François Rouquet, historien de l’épuration et auteur de l’Épuration ordinaire, petits et grands collabos.

Le débat a porté sur la part prise par Renault dans la collaboration et plus largement sur la collaboration économique pendant les années noires. Et vous avez pu constater, lors de la diffusion du débat, que ces historiens, et notamment Patrick Fridenson, ont insisté sur le fait que parmi les entrepreneurs d’autres choix que celui fait par Renault de collaborer étaient possibles. Enfin, Samuel Étienne a lui aussi interpellé le couple Dingli dans ses retranchements en insistant sur la somme que les descendants de Renault pourraient empocher s’ils gagnaient le procès, montrant par là même que leur intention n’était peut-être pas seulement de réhabiliter un homme.

Nous vous remercions d’avoir pris la peine de nous faire part de votre sentiment et espérons que ces éléments de réponse vous permettront de comprendre comment cette soirée a été construite. »

Votre réponse n’en est pas une. Mon excellent collègue Fridenson est un spécialiste éminent de l’histoire de la firme Renault, mais avant la guerre, non pendant. La seule spécialiste en ce domaine est Annie Lacroix-Riz, auteure qui publie chez Armand Colin et figure dans le panel des professeurs contemporanéistes des universités, notamment parmi ceux qui sont reconnus pour être des spécialistes de la Seconde Guerre mondiale : on est conduit à croire que c’est précisément en raison de cela que vous l’avez éliminée de votre plateau.

Énoncer que d’autres choix que ceux de Louis Renault étaient possibles avant 1944 n’exigeait évidemment pas de compétence particulière. Au vrai, il ne s’agissait que d’une lapalissade ! Vous oubliez ensuite de dire que Laurent Dingli, mari de l’héritière, est historien professionnel, auteur d’une « biographie » littéralement paranoïde de Maximilien de Robespierre comparé à Hitler (je dis bien !). En quoi fallait-il deux « héritiers » pour un débat à cinq si ce n’est pour introduire un nouvel historien chargé d’occuper subrepticement le banc de la défense, évidemment sans se désigner ainsi ?

Mon confrère Rouquet, tout spécialiste qu’il soit, s’est abstenu d’évoquer le fond du dossier et de produire les pièces dont disposaient assurément alors de Gaulle et les résistants parvenus aux affaires après la Libération… Et il n’a pas été incité à s’y référer par le meneur de jeu, ni même à s’interroger sur les sources désormais disponibles du dossier qui sont devenues des « archives ». Vous entendez bien : des « archives », publiques de surcroît, qu’Annie Lacroix-Riz explore officiellement : en quoi dès lors sa présence avait-elle un intérêt ?

Quant à la prétendue « indemnisation » que seraient en droit de réclamer les descendants, je vous avoue que tel n’est pas le problème qui me préoccupe, sinon comme contribuable qui a déjà été appelé à renflouer le Crédit lyonnais, Bernard Tapie, etc., donc usé et abusé, mais devenu fataliste. Comme le disait fort bien et de façon lapidaire le président Chirac : « Cela m’en touche une sans faire bouger l’autre ! »

C’est de trahison, et d’honneur, dont il devait être question dans ce débat, c’est à cela et à la simple recherche de la vérité historique qu’on aurait dû se consacrer : à quoi vous avez manqué.

Avec feu ma considération.

Par claude Mazauric, historien.

L’Humanité, par Lionel Venturini, 26 mai 2011

Collaboration

Louis Renault : l’offensive porte loin

Les ordonnances de 1945 se trouvent directement attaquées par les héritiers Renault.

Jean-Paul Teissonnière, avocat, était présent à l’Assemblée mardi, à l’invitation d’André Gerin et de Guy Fischer, à la suite du procès en réhabilitation qu’intentent les héritiers Renault. Outre le principe d’une délégation au premier ministre porteuse de pétitions, l’avocat souligne l’urgence d’une implication des organisations de la Résistance, dans un procès dont la portée dépasse le seul cas de l’industriel collaborationniste.

 L’offensive se déploie sur 
un terrain judiciaire calculé, estimez-vous ?

Jean-Paul Teissonnière. C’est une entreprise à tiroirs. Derrière l’assignation pour voie de fait, il y a la saisine du Conseil constitutionnel. Car devant un tribunal 
de grande instance, l’État 
ne peut être représenté 
que par l’agent judiciaire du Trésor. Croit-on que, dans ce débat, le représentant des de Gaulle, Mendès France, Lacoste, Parodi, Pleven, qui ont pris ces ordonnances, puisse être cet agent ?

 Mais, dites-vous, il y a plusieurs manières de le faire.

Jean-Paul Teissonnière. Et des manières d’en provoquer la perte. Au-delà des pressions et pétitions lancées, il faut qu’interviennent volontairement dans la procédure les organisations 
de Résistance, des partis s’ils le souhaitent, la CGT et toutes celles qui, comme on disait jusqu’en 2008, eurent « une attitude patriotique durant la Résistance ». Si nous laissons à l’État le soin de défendre seul le programme du CNR, nous risquons 
des réveils douloureux.

Entretien réalisé par 
Lionel Venturini

L’Humanité, 8 mars 2011, par Lionel Venturini

Les petits-enfants du fondateur des usines Renault, arrêté à la Libération, veulent obtenir la réhabilitation de l’industriel, en s’appuyant sur une décision de justice contestable.

Depuis la Libération, et la nationalisation par de Gaulle de l’entreprise Renault, les tentatives pour réhabiliter Louis Renault, arrêté pour collaboration en septembre 1944 et mort la même année en détention à Fresnes, furent régulières. C’est parce que la dernière en date trouve un soudain écho médiatique et le refus d’un droit de réponse que trois anciens responsables CGT de Renault (Aimé Halbeher, Roger Sylvain et Michel Certano) entendent rappeler quelques faits irréfutables, établis par le travail de l’historienne Annie Lacroix-Riz (lire ci-contre).

Le 13 juillet 2010, la cour d’appel de Limoges, saisie par deux petits-enfants de Louis Renault (sur huit), a condamné le Centre de la mémoire ­d’Oradour-sur-Glane à retirer de l’exposition permanente une photo de l’industriel, entouré d’Hitler et de Göring, avec une légende mentionnant : « Louis Renault fabriqua des chars pour la Wehrmacht.?» Le Monde Magazine du 8 janvier 2011 s’en fait l’écho dans un dossier intitulé : «Renault. La justice révise les années noires?», avant que France 2, à son tour, reprenne le sujet dans un JT.

La part active que Louis Renault prit dans l’effort de guerre allemand est pourtant indiscutable selon l’historienne spécialiste de la collaboration économique du patronat. Dès l’été 1940, il est acquis que les usines travailleront à réparer les chars allemands, puis à les moderniser ou à les construire. Pendant la guerre, 85 % de la production automobile va à l’Allemagne, et l’essentiel des 15 % restants sera réquisitionné par les nazis. Lorsque le 3 mars 1942 un bombardement fait 450 morts et rase l’usine, Renault et les Allemands mettent tout en œuvre pour que la production reparte, aux frais du contribuable français, en vertu d’un accord entre Pétain et les Allemands. En trois semaines, le travail reprend, en trois mois, la productivité revient à son niveau antérieur. En 1945, de Gaulle, sans illusion sur un patronat qui l’avait combattu, ferme les yeux sur la collaboration économique. Sauf pour Renault, « instrument entre les mains de l’ennemi », selon l’exposé des motifs de l’ordonnance de nationalisation. Dès 1955, dans une biographie commandée à l’ancien de la Waffen SS française Saint-Loup, la veuve de Renault tentera la réhabilitation morale. Alors pourquoi les héritiers Renault, bénéficiaires à deux reprises de décisions de justice secrètes visant à les indemniser, veulent revenir dessus aujourd’hui ? Leur action en tout cas s’inscrit dans un courant actuel. En Belgique, l’extrême droite flamande soutenue par les libéraux propose une loi d’amnistie des faits de collaboration, instituant une commission chargée d’indemniser victimes ou descendants pour le préjudice financier.

60 ans de tentatives avortées

Il n’existe pas de rue Louis-Renault à Boulogne-Billancourt, pourtant siège historique de la marque. Pas plus qu’il n’y a de portrait au siège social. La raison en est simple, à chaque tentative, la CGT s’est opposée à toute réhabilitation posthume, et a fourni dans une brochure, en 1995, alors que le cinquantième anniversaire de la firme était prétexte à une énième réhabilitation, chiffres, documents et photos. Et entend veiller à ce que le futur institut d’histoire de Renault respecte la vérité.

Lionel Venturini

Point de vue

Annie Lacroix-Riz « Ce n’est pas aux juges de dire l’histoire »

professeur émérite d’histoire contemporaine à l’université Paris-VII Denis Diderot.

Camions, tanks, moteurs d’avion, avions, bombes incendiaires, canons antichars, roulements à billes, etc., toutes les pièces possibles de l’armement allemand furent construites par Renault pour le Reich. Pour oser réduire la production de guerre à celle des tanks ou pour prétendre que Renault – comme le reste de l’industrie française – avait, en 1940, subi la torture des «réquisitions» allemandes, il faut avoir, au fil des décennies, travesti le sens des archives, d’origine française et allemande, qui accablaient les fournisseurs français de la Wehrmacht, ou il faut s’être dispensé de dépouiller les montagnes d’archives consultables.

Tout servit à la guerre contre l’Est, qui, mentionnons-le au-delà de l’objet réduit de cette mise au point, provoqua l’enthousiasme des classes dirigeantes françaises, à l’avant-garde depuis 1918 dans la croisade contre les bolcheviques. Les dossiers de Louis Renault dans la somptueuse demeure de l’avenue Foch ont pu disparaître, il reste pourtant trace de cette durable passion : les pièces françaises détruites sont parfois compensées par des sources allemandes. Peut-être Renault, que ses biographes nous décrivent mourant ?ou gâteux depuis 1938, fut-il moins intensément associé au collaborationnisme mondain que ses proches collaborateurs, Lehideux et Peyrecave. Le mourant présumé participa néanmoins, comme sa garde rapprochée, aux mondanités de l’hôtel Ritz en septembre 1941.

Faut-il réhabiliter Renault parce que tous ses pairs ou presque se virent épargner le châtiment non pas de la seule «collaboration avec l’ennemi», mais aussi d’«intelligence avec l’ennemi» ou de «haute trahison» ? Quand furent transférées en masse à Paris, à la Libération, les copies de la correspondance entre le ministère allemand des Affaires étrangères et ses services en France, ces milliers de pièces complétèrent une instruction française déjà explicite et balayèrent définitivement les «mémoires de défense» et témoignages à décharge, et aggravèrent tous les cas concernés.

Les représentants de la justice d’aujourd’hui doivent admettre qu’ils ne sont pas habilités à dire ou décréter l’histoire, ni à interdire aux historiens de la faire ?et aux associations de résistance de la diffuser.

Ce qui s’impose n’est pas la réhabilitation d’un Louis Renault qui n’aurait pas «fabriqué de chars pour la Wehrmacht», c’est seulement le retour aux règles méthodologiques de la recherche historique indépendante et la mise à l’écart de la justice et du parlement d’une sphère d’intervention qui n’est pas la leur.

 

International Herald Tribune – The New -York Times, by David Jolly & Matthew Saltmarsh, 19 & 20 May 2011

Capture d’écran 2015-12-28 à 10.19.10To Restore Reputation of a Renault Founder, Family Goes to Court

helene_iht

Hélène Renault-Dingli with a portrait of her father, Jean-Louis Renault, and a bust of Louis Renault in the background, is one of seven family members seeking to overturn the nationalization of the car company © Laurent Dingli

By DAVID JOLLY and MATTHEW SALTMARSH

Published: May 19, 2011

PARIS — Nearly 70 years after the pioneering automaker Louis Renault died in a French prison, accused of collaborating with the Nazis, his grandchildren are seeking to restore his reputation — and gain compensation for what they say was the illegal confiscation of his car company by the state.

Keystone/Getty Images

Louis Renault helped found the French automaker Renault in 1899. It was nationalized in 1945.

Family members, whose efforts at legal redress had been stymied since the de Gaulle provisional government nationalized Renault on Jan. 16, 1945, have seized on a new law that allows individuals to challenge the constitutionality of government actions in the courts. If they win, they could receive well over 100 million euros, or $143 million, from the state, their lawyer said.

The family insists, however, that cash is not the motivating factor.

“It’s not my priority to monetize this,” said Hélène Renault-Dingli, one of the seven grandchildren seeking to overturn the nationalization. “We’re fighting to win back his place, but no amount of compensation could make up for this violence that has been experienced by our family.”

No one disputes that Renault worked for the Germans; virtually all of France’s big industrial groups did. What has been contested since the liberation of the country is whether what happened to the company soon afterward was legal.

Renault, like the other major French automakers — Citroën, Peugeot and the truck maker Berliet — produced vehicles for the Third Reich. Renault’s tank unit was directly controlled by the Germans, while its auto and aircraft units, as with the other companies, were under French management, supervised by executives from Daimler-Benz.

Yet Citroën and Peugeot were not nationalized after the war; their owners were deemed to have been patriots, and Berliet eventually won back its private status.

Mr. Renault died in prison on Oct. 24, 1944, before he could face trial. He had aphasia, and the official report lists uremia as the cause of death. His family contends that he was murdered, although they have no proof.

The case illustrates the continued sensitivity here about the German occupation, in which Hitler imposed his will on the French nation from 1940 to 1944, turning the country into an appendage of the Nazi war machine. The Germans depended in large measure on the willingness of the French police, industrialists and managers to carry out their bidding.

On a more fundamental basis, millions of people faced regular choices about whether or how far to compromise with the occupiers to survive. That makes black-and-white assessments of many actions difficult.

“It’s extremely difficult to say to what extent Louis Renault should be considered a collaborator,” said Patrick Fridenson, a professor of business history at the École des Hautes Études en Sciences Sociales in Paris and the author of a book on Renault.

Mr. Renault, he said, “ran the risk of complete dispossession if he resisted the Germans.”

Monika Ostler Riess, a German scholar who investigated French and German sources while researching a book on Renault’s history during the occupation, said she had found no evidence that Mr. Renault collaborated any more than his peers.

“He just tried to save what he had, what he had built,” she said. The alternative to cooperating with the occupiers was to see the Germans take over his company, she added.

Mr. Renault, along with two brothers, founded the auto company in 1899. After traveling to the United States and seeing the revolutionary production techniques of Henry Ford, he introduced American management methods in France. During World War I, he led the development of battle tanks, including the Renault FT17, the first tank to employ a rotating turret, and was lauded as a patriot afterward.

By the time World War II began in Europe in 1939, Renault was a highly diversified conglomerate, the biggest industrial group in France, employing about 40,000 people. Mr. Renault held 96 percent of the capital, with family members and top managers holding the rest.

While no one has produced evidence that he was sympathetic to the Third Reich’s ideological goals, there is no evidence that he ever aided the resistance or de Gaulle’s forces, either. (Mr. Fridenson said more research was needed into related archives, especially in Germany.)

Mr. Renault also created ill will on the left in France, firing 2,000 union members in a 1938 labor dispute.

Such actions left him without political allies in the first hectic days of the liberation, as the United States and British armies began driving the Germans out of France and the Gaullists and Communists were taking control.

Several photos of Mr. Renault with Hitler, including one at the Berlin Auto Show before the war broke out, also helped to cement his image in France as a Nazi tool.

Of all the companies nationalized from 1944 to 1948, only Renault was not indemnified, although the minority shareholders were eventually compensated.

Mr. Fridenson said the nationalization policy of de Gaulle’s government was partly a means of speeding the modernization of the French economy after the war.

As a result, “the Renault nationalization wasn’t a pure sanction,” he said. “About half of the argument made by the government at the time hinges on modernization. One rationale was that Renault wasn’t making ‘people’s cars’ like Germany and the United States.”

Twice before, the family has sought to overturn the ruling and obtain compensation. In 1954, Mr. Renault’s son and wife were told by a judge that he could not examine the validity of the ruling by the de Gaulle government. The State Council, the country’s highest administrative court, reached the same conclusion in a 1961 appeal.

The descendants’ current legal case against the state was made possible by a groundbreaking law enacted in March 2010 that allows citizens to challenge the conformity of legislation with the French Constitution.

Supported by President Nicolas Sarkozy as a means of modernizing the French legal system, the law has had several unintended consequences, not least of which has been a flood of cases in the appeals courts. It has already been employed in hundreds of cases, including the trial of Jacques Chirac, the former French president, who is charged with creating fictitious jobs as mayor of Paris.

Thierry Lévy, a lawyer representing the Renault family, filed the case with a high-level civil court in Paris last week. He estimated the family could receive compensation of more than 100 million euros if the courts find the 1945 nationalization order illegal. The legal question, he said, is not whether Mr. Renault was a collaborator but how his heirs were treated.

“If the government decides to confiscate someone’s property,” Mr. Lévy said, “this person must be judged and declared guilty of something. Otherwise, the confiscation is illegal.”

Renault has a market value of about 11.7 billion euros, and the French state maintains a 15.01 percent stake. The company has not discussed the case with the family, said Caroline de Gezelle, a Renault spokeswoman. She declined to comment further.

Mrs. Renault-Dingli said the family had no designs on the company but was saddened that her grandfather appeared to have been discredited by a “small but active minority” inside the company. Despite the confiscation of Mr. Renault’s company, she said, the family has lived comfortably on its inheritance of Mr. Renault’s personal fortune.

The family won a small victory last July when it used the courts to force a historical museum — the Memorial Center of Oradour — to remove from display a photograph of Mr. Renault with Hitler at the Berlin Auto Show in the late 1930s. The photograph had been exhibited alongside a caption that said Renault had built tanks for the German Army.

Regardless of how the larger case turns out, the family’s campaign is already reopening old political wounds.

The French Communist Party issued a statement on May 13 accusing the grandchildren of seeking to “rewrite history” and “extort funds from the state.”

A version of this article appeared in print on May 20, 2011, on page B4 of the New York edition with the headline: To Restore Reputation Of a Renault Founder, Family Goes to Court

L’Humanité, 13 mars 2011

Capture d’écran 2015-12-28 à 10.23.09Le PCF s’opposera à toute tentative de réhabilitation de Louis Renault

Les héritiers de Renault ont déposé une assignation devant le tribunal de grande Instance de Paris afin de contester la légalité de la nationalisation de Renault en 1945 et d’obtenir des indemnités.

Les petits-enfants du collaborateur ne manquent pas de souffle !

Profiter du nouveau droit ouvert par l’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour tenter de réécrire l’Histoire n’est pas très glorieux.

La grande bourgeoisie de l’époque n’a jamais digéré la nationalisation de l’industriel par le gouvernement d’union national dirigé par le Général De Gaulle, issu du Conseil national de la résistance (CNR). Et pour cause, Louis Renault n’est pas le seul à avoir frayé avec l’occupant allemand. La tâche sur le patronat français demeure et elle est indélébile. Le détour par la guérilla juridique qui se double d’une tentative d’extorsion de fond de l’État n’y changera rien. Elle n’honore pas ceux qui s’y adonne.

Le PCF s’opposera à toute tentative de réhabilitation de Louis Renault.

Parti communiste français
Paris, le 13 mai 2011

France-Info, 12 mai 2011

66 ans après, les héritiers de Renault contestent la nationalisation

Ils sont huit. Les petits-enfants de Louis Renault, fondateur de l’entreprise qui porte son nom, ont déposé devant le tribunal de grande instance de Paris une assignation contre l’Etat. Ils affirment que la nationalisation de Renault, en 1945, était illégale.

Cette nationalisation, intervenue en janvier 1945 par une simple ordonnance, n’était pas une décision économique : c’était une sanction du comportement de Louis Renault pendant l’Occupation allemande.

Son entreprise, placée en 1940 sous contrôle allemand, avait fabriqué du matériel pour la Wehrmacht : Louis Renault sera arrêté à la Libération, pour collaboration. Et son entreprise, transformée en Régie nationale.

C’est cette ordonnance de janvier 1945 que contestent les petits-enfants de Louis Renault, 66 ans après : leur avocat, Thierry Lévy, explique que “la confiscation des biens est contraire aux principes fondamentaux du droit de la propriété”… Et il rappelle que ce droit de la propriété est inclus dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

L’avocat a donc déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contester l’ordonnance de nationalisation. Si le Conseil Constitutionnel lui donne raison, le tribunal pourra dire que la nationalisation constituait une “voie de fait” : ce qui permettra aux héritiers de demander une indemnisation de leur préjudice, matériel et moral.

France-Info du 23 novembre 2011, “Dossier du jour. Louis Renault peut-il être réhabilité ?”

Dossier du jour

Louis Renault peut-il être réhabilité ?

le Mercredi 23 Novembre 2011 à 17:15

Louis Renault est le fondateur emblématique de l’industrie automobile française avec l’empire industriel Renault. Mais en 1945, il est condamné pour “collaboration avec l’ennemi”. Le gouvernement de l’époque nomme alors un directeur à la tête de la Régie.

Louis Renault (au centre) en compagnie d’Adolf Hitler, lors du Salon de l’Auto de Berlin, en 1937 (sic, pour février 1939, ndlr) © AFP

L’ordonnance de nationalisation du 16 janvier 1945 est votée par l’Assemblée nationale provisoire et l’ordonnance signée par le Général de Gaulle.  C’est donc la nationalisation, ainsi que la confiscation des biens et participations de Louis Renault.

65 ans plus tard, en mai dernier, sept héritiers de Renault ont porté plainte devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, afin de contester cette ordonnance. Mais l’Institut d’histoire sociale de la CGT lance un appel contre ce qu’il juge être une tentative de réhabilitation de Louis Renault.

France-Soir, 8 avril 2011, par Philippe Peter

Pionnier de l’automobile et figure du patronat français, Louis Renault (1877-1944) a créé une marque célèbre dans le monde entier. Mais son rôle trouble durant la Seconde Guerre mondiale lui a valu d’être poursuivi à la Libération pour collaboration avec l’occupant allemand. Pour prix de cette trahison supposée, son entreprise a été nationalisée (voir encadré). Près de 70 ans après les faits, ses héritiers réfutent ces accusations et veulent réhabiliter sa mémoire. « J’ai toujours eu la conviction que tout cela était faux », assure Hélène Renault-Dingli, petite-fille du constructeur. « Les travaux de plusieurs historiens ont confirmé ce sentiment : mon grand-père n’a pas collaboré. »

Deux tentatives de réhabilitation de l’industriel ont déjà eu lieu par le passé. Elles se sont toutes soldées par un même cuisant échec. Ses petits-enfants ne se sont toutefois jamais laissés abattre et ont lancé l’été dernier une nouvelle offensive visant à contester les thèses officielles. Lorsqu’ils apprennent qu’une photo représentant Louis Renault entouré d’Adolf Hitler et d’Hermann Göring est exposée au Centre de la mémoire d’Oradour-sur-Glane, ils demandent son retrait pur et simple. “Cette photo n’avait pas sa place dans ce musée consacré à un drame horrible”, explique Laurent Dingli, docteur en histoire et auteur d’une biographie intitulée Louis Renault (éd. Flammarion). “Elle est anachronique et très tendancieuse.” Le cliché a en effet été pris en février 1939, au Salon automobile de Berlin, soit près d’un an et demi avant l’armistice de juin 1940 et les prémices de la collaboration. Il a de plus été mal légendé, faisant remonter la scène à l’année 1938.

“Renault n’a pas produit d’armes”

Un accord à l’amiable n’ayant pu être trouvé, la famille Renault porte l’affaire devant la justice. La cour d’appel de Limoges lui donne raison le 1er juillet 2010 et condamne le musée à retirer la photo incriminée et à verser aux héritiers la somme de 2.000 €. Dans son arrêt, la cour met en cause “un commentaire attribuant aux usines Renault une inexacte activité de fabrication de chars pour l’Allemagne, tout cela dans un contexte de préparation du visiteur à la découverte brutale des atrocités commises” dans le village limousin. Richard Jezierski, directeur du centre, se défend: “Nous avons certainement commis une erreur sur la forme, mais pas sur le fond”, assure-t-il. “A aucun moment nous n’avons établi un lien entre la collaboration de Louis Renault et le massacre d’Oradour.”

Cette décision de justice conforte les positions défendues par la famille Renault : “Environ 30.000 camions ont été produits durant la guerre, ainsi que des pièces détachées, notamment des mailles de chenillettes. Des chars français capturés ont également été réparés” pour le compte de la Wehrmacht, précise Laurent Dingli. Son épouse insiste : “Mais Renault n’a pas produit d’armes et n’a pas été plus zélé que Citroën ou Peugeot.”

Personnage clé de la collaboration

L’arrêt de la cour d’appel provoque l’ire de la Ligue des droits de l’homme qui considère qu’”il ne revient pas à la justice d’écrire l’histoire”. Elle qualifie la décision de “choquante”, ajoutant qu’elle est “révélatrice d’une tendance actuelle à chercher à passer sous silence ou à minimiser les responsabilités des collaborateurs des nazis durant l’Occupation”. Certains historiens partagent cet avis et reprochent à la justice de se mêler de ce qui ne la regarde pas. “Un ensemble de magistrats décrète ce qu’est l’histoire en s’appuyant sur des décisions d’après-guerre qui sont le fruit d’un sabotage de l’instruction”, s’insurge Annie Lacroix-Riz, évoquant une décision de justice du 30 avril 1949 qui a classé la procédure dans laquelle Louis Renault était poursuivi pour atteinte à la Sûreté de l’Etat. Spécialiste des élites économiques françaises et auteure d’Industriels et banquiers français sous l’Occupation: la collaboration économique avec le Reich et Vichy (éd. Armand Colin), cette ancienne professeure d’histoire contemporaine à l’université Paris-VII, aujourd’hui à la retraite, est formelle : “Renault a construit des camions, des tanks, des bombes incendiaires et des moteurs d’avions pour l’armée allemande. Ce sont des faits indiscutables.” Et de préciser qu’elle dispose d’une “abondante documentation” pour le prouver. “Louis Renault est l’un des personnages clé de la collaboration économique avec l’Allemagne.” L’historienne va encore plus loin. Pour elle, l’entrepreneur a été “le bailleur de fonds du fascisme français” dans les années 1930, finançant notamment les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque, un mouvement nationaliste d’anciens combattants. Il aurait prôné l’entente franco-allemande et “joué un rôle énorme dans la liquidation de la IIIè République”.

Pour certains anciens syndicalistes des usines Renault, la manœuvre des petits-enfants du constructeur vise non seulement à remettre en cause son passé collaborationniste, mais également à revenir sur la nationalisation de l’entreprise. Ce qui pourrait impliquer le versement par l’Etat français de plusieurs centaines de millions d’euros de dommages et intérêts aux héritiers si la justice leur donnait raison. Une hypothèse hautement improbable que n’écarte toutefois pas Me Thierry Lévy, avocat de la famille Renault. “Il y a un débat de fond entre historiens afin de savoir si Louis Renault a collaboré ou non”, explique l’avocat. Avec cette question sous-jacente: qu’entend-on par collaboration ? “Si c’est travailler pour les Allemands en leur vendant des biens, tout le monde l’a fait. Si c’est aller au-devant des demandes de l’occupant, c’est un autre problème.”

Selon certaines rumeurs, une “loi” aurait par ailleurs déjà indemnisé la famille Renault en 1967, mais impossible d’en trouver la moindre trace. “Elle a été votée dans la plus grande discrétion”, commente sans convaincre Annie Lacroix-Riz.

Collabo ou bouc émissaire ?

Coupable idéal, Renault a peut-être été victime d’un climat politique tendu.

Accusé de collaboration, Louis Renault est arrêté le 23 septembre 1944 et emprisonné à la prison de Fresnes où il décède un mois plus tard, le 24 octobre, sans avoir été jugé. Souffrant d’aphasie, une pathologie du système nerveux, il était alors très affaibli. Des troubles urinaires et une hypertension artérielle seraient la cause de son décès, mais des conditions de détention précaires, de même que des mauvais traitements à répétition auraient fortement aggravé son état de santé.

Quatre mois plus tard, le gouvernement provisoire de la République française, présidé par le général de Gaulle, nationalise la Société anonyme des usines Renault par l’ordonnance n°45-68 du 16 janvier 1945. “La totalité de l’actif et du passif” de l’entreprise est confisquée par l’Etat “car les usines Renault ont constitué un instrument entre les mains de l’ennemi”. Le comité juridique avait considéré dans un premier rapport que cette décision était “exorbitante du droit commun”, mais s’était ravisé en indiquant que la confiscation des instruments d’un crime était légale même si leur propriétaire était étranger à l’auteur du crime. Un tour de passe-passe juridique qu’il faut replacer dans son contexte. Alors que l’épuration bat son plein, de Gaulle doit relancer au plus vite l’économie française tout en négociant âprement avec les communistes qui souhaitent abattre l’un des derniers grands symboles du capitalisme industriel (l’autre, les houillères du Nord-Pas-de-Calais, sera lui aussi nationalisé). Coupable ou non, Renault a très certainement payé le prix de ce climat social et politique tendu qui a débouché sur une décision litigieuse qui arrangeait finalement tout le monde.

Si les rares autres actionnaires de l’entreprise sont indemnisés, les héritiers de l’entrepreneur – qui détenait 97 % du capital – perdent leurs parts, ainsi que l’héritage industriel, technique et commercial de l’entreprise. Une page de l’histoire industrielle française se tourne alors. Celle de la Régie Renault ne fait que commencer.

Philippe Peter

Chronologie

15 février 1877 (1). Naissance de Louis Renault à Paris. Il est le quatrième enfant d’une famille de cinq.

1898. Il invente sa première voiturette, la Renault Type A.

25 février 1899. Création de la société Renault Frères à Boulogne-Billancourt.

1914-1918. Les usines Renault participent à l’effort de guerre, produisant notamment le char de combat FT17.

Juillet 1940. Les usines de l’île Seguin sont réquisitionnées par la Wehrmacht et bombardées le 3 mars 1942.

23 septembre 1944. Louis Renault est arrêté et emprisonné à Fresnes. Il décède un mois plus tard avant d’avoir été jugé.

1956. Sa femme, Christiane, porte plainte contre X pour assassinat, mais n’obtient qu’un non-lieu

2010. Les petits-enfants Renault veulent faire réhabiliter leur grand-père

(1) Louis Renault est né en réalité le 12 février, ndr.