L’Humanité, par Hénavent, 12 août 1930

huma_12_8_30L’histoire d’un bagne

Les débuts d’une firme géante :

L’usine Renault de 1898 à 1906

L’histoire des usines Renault, c’est une page de l’histoire de l’automobile et de sa conquête des foules en France.

Le temps n’est pas si éloigné où l’on regardait comme des bêtes bizarres et mystérieuses ces engins qui faisaient bravement 25 à 30 kilomètres à l’heure.

Aujourd’hui, sur toutes les routes nationales, départementales ou vicinales roulent les véhicules automobiles ultra-rapides.

Au 1er janvier 1929, il y avait en France 785.000 voitures de tourisme, 311.700 camions, 12.000 autobus.

Les usines Renault, à elles seules, sortirent, en 1928, 67.500 voitures. Nous sommes loin des débuts des frères Renault, en 1898 (1).

Billancourt était, en 1898, un coin charmant où régnaient des parcs ombragés. Dans cette banlieue du grand Paris les travailleurs allaient le dimanche se reposer des fatigues de la semaine.

Les débuts des féodaux modernes

C’ets dans cette calme cité, aujourd’hui transfigurée, que vinrent s’installer les frères Renault, Louis et Marcel.

Fils d’un riche marchand drapier, avide de pratiquer un sport alors nouveau : l’automobile, désireux de participer aux courses et d’y briller, ils firent construire, à Billancourt, un atelier bien modeste. Sa surface, avec les dépendances, ne dépassait pas 300 mètres carrés !

Les Renault recrutèrent quelques compagnons bien choisis et la première voiture sortit.

Les succès remportés aux courses d’automobiles leur amenèrent de la clientèle. De producteur « amateurs » ils se mirent à produire pour la vente.

Leur père préleva sur les bénéfices qu’il tirait de l’exploitation des prolétaires du textile, les sommes nécessaires à l’aménagement et l’agrandissement de leurs ateliers (*).

Les Etablissements Renault faisaient ainsi leurs premiers pas dans le monde capitaliste.

L’usine grandit vite.

En 1899, elle occupait 60 ouvriers ; en 1902, c’était 150 prolétaires qui travaillaient dans les différents ateliers.

Une haute cheminée avait surgi du sol, s’élevant au-dessus des cimes des arbres environnants.

Les conditions de travail des ouvriers étaient alors, disons-le, les meilleures de la région parisienne, les salaires les plus élevés. Les relations entre patron et ouvriers étaient assez « cordiales » : c’était l’époque idyllique où patrons et ouvriers « travaillaient ensemble ».

Cette idylle, on s’en doute, fut de courte durée.

En 1902, Marcel et Louis Renault participèrent à la course Paris-Vienne (Autriche), ils y prennent les deux premières places.

Pour la première fois, ils se servaient de moteurs sortis de leur usine. Aussi cette course leur apporta une commande de 1800 moteurs.

La création de ce moteur n’était d’ailleurs pas l’œuvre des Renault, mais celle d’un contremaître de l’usine de Dion-Bouton, un nommé Viet.

A la suite de cette course, Viet fut embauché à l’usine Renault comme directeur ; il garda cette fonction jusqu’à la fin de la guerre 1914-1918.

Il apporta à l’entreprise non seulement ses connaissances de mécanique, mais aussi sa conception féroce de la discipline. Les conditions de travail devinrent plus dures, on rogna les salaires (**).

En 1903, se déroula la course Paris-Madrid, appelée communément « la course à la mort » – en raison des multiples accidents qui se produisirent. Le parcours dut être réduit à Paris-Bordeaux, la distance Bordeaux-Madrid supprimée.

C’est Louis Renault qui arriva le premier à Bordeaux et fut classé en tête de la course. Son frère, Marcel, se tua pendant le parcours.

Mais les clients vinrent plus nombreux ; les carnets de commandes se remplirent plus vite ; chaque course publicitaire faisait connaître la marque, et la production augmenta à nouveau.

Renault fit de nouvelles acquisitions de terrains, les arbres des parcs voisins furent rapidement abattus, des murs s’élevèrent.

Une nouvelle offensive contre les ouvriers se déclancha (sic). A part quelques-uns qui devinrent contremaîtres, les ouvriers expérimentés du début furent licenciés, petit à petit, et remplacés par une main-d’œuvre acceptant des salaires moins élevés.

Le curé devint alors le grand embaucheur du personnel. Il licencie les ouvriers tourneurs ;le certificat de baptême et le billet de confession remplaçaient la valeur professionnelle et le certificat de travail ! (***) Signe précurseur des temps actuels, le mouchardage s’intensifia, il poursuivit les militants jusqu’à leur domicile.

Peu avant la grève générale de mai 1906, Renault attaque encore son personnel. Il licencie les ouvriers tourneurs, embauche du personnel nouveau. C’est aussi cette année-là, disons-le en passant, qu’on vit l’introduction de la main-d’œuvre féminine dans le décolletage.

Le manche tenu par la ceinture de cuir, les femmes doivent tirer toute la journée sur l’outil. Il faut produire, produire, sans cesse plus et sans cesse meilleur marché.

C’est à partir de 1906 que Renault employa la méthode du « nettoyage » en masse du personnel. Tous les ans, à l’époque de l’inventaire, il licenciait une partie de ses ouvriers pour en embaucher de nouveaux plusieurs jours après.

Il se garantissait ainsi (du moins le croyait-il) de la contagion révolutionnaire.

On verra combien sa méthode s’avéra comme mauvaise.

On n’extirpe pas ainsi des cerveaux ouvriers l’esprit de la lutte quand les conditions de vie et de travail démontrent chaque jour qu’il est nécessaire de se grouper et de s’organiser pour sauvegarder son salaire et pour améliorer ses conditions de vie.

Le « bagne » de Billancourt, nous le verrons, devait être le théâtre de vaste lutte prolétariennes.

(A suivre).

Hénavent

(1) J’emprunterai beaucoup, pour cette partie de l’historique des usines Renault à l’étude de notre camarade Couergou, parue en février et mars 1927, dans le Métallurgiste, journal de la Fédération des Métaux (note de l’auteur)

(*) En fait, Alfred Renault mourut six ans plus tôt, alors que Louis Renault n’avait que quatorze ans (note du rédacteur, et suiv.).

(**) Ce qui est absolument inexact puisque les salaires furent plusieurs fois rehaussés pendant la Grande Guerre.

(***) Cette fable idéologique ne manque pas de sel quand on connaît le désintérêt total de Louis Renault pour les questions religieuses.

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