“Spécial investigation” : Le Mystère Renault sous l’occupation
Le constructeur d’automobiles Louis Renault a-t-il été accusé à tort de collaboration active avec les Allemands ? Plus de soixante ans après, ses petits-enfants en sont persuadés. Fin 2011, ils attaquaient l’Etat pour contester la légalité de la nationalisation-sanction de l’entreprise Renault, en 1945, pour faits de collaboration avec l’ennemi. Des opposants à cette procédure, parmi lesquels la CGT métallurgie et une fédération de déportés, s’étaient portés partie civile. La cour d’appel de Paris s’étant déclarée incompétente, la famille a été déboutée de sa demande d’indemnisation. L’affaire devrait aller en cassation. Si les héritiers du fondateur de la marque au losange obtiennent un jour gain de cause, l’Etat devra leur verser une somme colossale. Les Renault ont déjà un bel héritage. Derrière cette bataille juridique se cache donc un autre combat : la réhabilitation de l’aïeul devenu le symbole du patron collabo.
La thèse de la coopération zélée Arrêté au lendemain de la Libération de Paris, celui-ci est jeté en prison pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Il y meurt, deux mois plus tard, sans avoir été jugé. Fondateur avec son frère de l’entreprise de Boulogne Billancourt, en 1898, Louis Renault l’avait tellement développée que, dans les années 1930, l’usine employait 30 000 ouvriers. En 1940, Renault, comme toute entreprise industrielle, est contrainte à travailler pour les Allemands. Avec l’interdiction de Vichy de produire du matériel de guerre offensif. Le constructeur doit se limiter à fabriquer des pièces détachées et à réparer les véhicules de la Wehrmacht.
En tête des farouches partisans de la thèse de la coopération zélée de Louis Renault avec les nazis se trouve une historienne, Annie Lacroix-Riz, spécialiste de la collaboration économique durant la Seconde Guerre mondiale, et membre du parti communiste. Celle-ci affirme que Renault construisait des tanks neufs pour l’occupant… d’où les bombardements massifs par les avions britanniques, en 1942 et 1943, de l’usine de Billancourt. Madame Lacroix-Riz produit par ailleurs des photographies du constructeur avec Hitler, attestant, d’après elle, la proximité des deux hommes. L’une date de 1936 et d’un entretien commun dans la capitale allemande, l’autre a été prise en 1939, soit également avant le début du conflit, lors d’une visite protocolaire du Führer au stand Renault du Salon automobile de Berlin.
Rien de vraiment probant. Pas plus que les documents des archives de la Préfecture de police de Paris détaillant les arrestations par la Gestapo d’ouvriers communistes travaillant chez Renault. Pour l’historienne, ces hommes ont été dénoncés par l’entreprise. Aucune trace d’une quelconque délation n’a pourtant été découverte.
Le regard des historiens L’historien Laurent Dingly est lui aussi partie prenante dans cette affaire puisqu’il a épousé Hélène Renault, l’une des petites-filles de Louis. Il est l’auteur d’une biographie très honnête du constructeur automobile. Selon lui, Renault n’a jamais fabriqué de matériel de guerre. Certes, des réparations de véhicules étaient bien effectuées à Billancourt. Mais dans des bâtiments réquisitionnés par les nazis, et placés sous la tutelle du constructeur allemand Daimler-Benz.
Dans ce passionnant document, diffusé après un sujet sur les trains français de la mort, un ouvrier de Renault, au temps de la guerre, confirme que le constructeur ne produisait pas de chars d’assaut. Les chaînes de montage des voitures Renault n’étant pas équipées pour ce type de véhicule.
D’autres historiens et non des moindres, tel Henry Rousso, directeur de recherches au CNRS, s’étonnent, comme l’avocat de la famille Renault, Thierry Lévy, que le constructeur automobile ait été le seul patron à subir, à la Libération, une si grave sanction. « Aucune autre entreprise n’a fait l’objet d’un tel traitement, même parmi celles dont les dirigeants ont été condamnés par la justice pour des faits de collaboration », a plaidé Me Lévy.
Alors pourquoi cet hallali ? La raison remonte peut-être aux années 1930, théâtre de violents affrontements entre ouvriers et grands patrons. En première ligne des revendicateurs : les syndicalistes communistes de la CGT. Chez Renault, ils affrontent un patron implacable. En 1936, deux tiers de ses salariés sont syndiqués. L’entreprise devient le bastion du parti communiste. Au cours des grandes grèves de la fin 1938, Louis Renault prend sa revanche. Il licencie 1 800 personnes dont tous les délégués et les cadres de la CGT. En 1944, lorsque le général de Gaulle forme le gouvernement provisoire de la République française, les communistes figurent en bonne place. Et si l’arrestation et la spoliation du constructeur tenaient, tout simplement, à une vengeance ?
Sylvie Véran
Voir l’article sur le site du TéléObs.