Renault L’Automobile de France
Histoire Renault – L’automobile de France par Boulogne-Billancourt
13ème législature
Question N° : 124687 | de M. Roland Muzeau ( Gauche démocrate et républicaine – Hauts-de-Seine ) | Question écrite |
Ministère interrogé > Budget, comptes publics et réforme de l’État | Ministère attributaire > Budget, comptes publics et réforme de l’État |
Rubrique > finances publiques | Tête d’analyse > budget de l’État | Analyse > héritiers de Louis Renault. demandes de réparation. conséquences |
Question publiée au JO le : 20/12/2011 page : 13183 |
Texte de la question
Automobiles et cycles
(Renault – nom de Louis Renault conféré à une unité de travail)
Source : lettre aimablement communiquée par Mme de Belloy, fille de Robert de Longcamp (résistant, membre de l’O.C.M.)
Monsieur le Ministre,
Je vous ai adressé il y a trois mois une lettre qui, sans doute, été égarée, car vos services ne m’en ont pas accusé réception.
La cause que je souhaite porter à votre connaissance est juste. Il est de mon devoir d’insister sans me lasser pour la défendre.
La dernière photo de Louis Renault vivant, avec le résistant Robert de Longcamp, en septembre 1944 © APR/SHGR
C’est pourquoi je vous communique ci-après copie de cette lettre :
Le 24 octobre 1944, Louis Renault mourait à Saint-Jean-de-Dieu à l’âge de soixante-sept ans,
Il y avait été hospitalisé lorsque, à l’infirmerie de la prison de Fresnes, son état avait été jugé très grave.
Il ne convient pas de rappeler ici ce que fut sa vie ni son œuvre.
Je veux seulement témoigner que, très atteint physiquement, bâillonné par l’aphasie, il n’était de toute évidence pas en état de supporter un emprisonnement, ce qu’il redoutait à l’égal d’une condamnation à mort.
J’affirme également qu’il a refusé de tenter de fuir à l’étranger.
Il a voulu faire confiance à la justice dont il estimait n’avoir rien à redouter et c’est de son plein gré qu’il s’est présenté par deux fois chez le juge d’instruction. La deuxième convocation, également sur mandat d’amener, le samedi 23 septembre, a été transformée en incarcération.
A sa mort, j’ai accueilli la nomination de l’administrateur provisoire puis la nationalisation avec soulagement ; j’ai même fait partager mon opinion à mes subordonnés, tant je craignais le pire, comme de passer sous le contrôle d’un groupe financier inconnu, voire étranger, de perdre notre identité, notre nom, pour devenir Ford ou Chrysler.
De plus, j’avais déjà rencontré Pierre Lefaucheux, diplômé comme moi de l’Ecole centrale. Je le jugeais parfaitement capable d’assumer la lourde tâche dont il était investi. Il disposait d’atouts politiques, syndicaux et financiers importants.
Enfin, les intérêts du fils de Louis Renault, qui héritait d’une énorme fortune, ne paraissaient pas gravement compromis par la nationalisation qu’il semblait, d’ailleurs, avoir lui-même acceptée.
Ses droits à la gestion de l’entreprise dont dépendait le sort de quarante mille salariés ne paraissaient pas plus évidents que sa capacité à bien remplir une telle mission.
Le transfert pur et simple des avoirs et des capitaux de la SAUR à l’Etat ne posait donc aucun problème.
Il est incompréhensible dans ces conditions que le Conseil des ministres du gouvernement provisoire de la République ait cru devoir se transformer en juridiction d’exception et prononcer sans preuves, sans témoignages, sans débats, sans plaidoiries, la condamnation posthume de Louis Renault et celle de ceux « qui le secondaient directement », ainsi qu’elle figure dans l’exposé des motifs de l’ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945.
Ce texte précise : « Alors que les livraisons (des usines Renault) à l’armée française s’étaient montrées notoirement insuffisantes pendant les années qui ont précédé la guerre, ses prestations à l’armée allemande ont, durant l’Occupation, été particulièrement importantes ».
Plus loin, il est affirmé : « Dès juin 1940, M. Renault, qui se trouvait en mission en Amérique, s’est empressé de regagner la France afin de mettre ses usines à la disposition de la puissance occupante ».
Il n’est évidemment pas nécessaire d’être avocat pour démontrer la fausseté, l’absurdité et même le ridicule de telles allégations. Mais ce qui les rend suspectes, c’est le fait que « ceux qui le secondaient directement » n’ont jamais été inquiétés à l’exception de René de Peyrecave qui l’a accompagné en prison, mais a rapidement bénéficié d’un non-lieu.
Tous les autres, à commencer par Jean Louis, le directeur général, sont restés à leur poste et ont continué à remplir à la RNUR les fonctions qu’ils avaient à la SAUR et à œuvrer pour sa prospérité.
Quant à moi, j’ai été « pendant toutes les années qui ont précédé la guerre » directeur de l’usine du Mans, travaillant directement pour l’Armement. Pendant l’Occupation, j’avais à Billancourt la responsabilité de la fabrication des moteurs. Si l’activité de Louis Renault a été au cours de ces deux périodes préjudiciable à notre pays comme l’affirme l’ordonnance, j’en suis complice, et M. Pierre Dreyfus n’aurait pas dû me remettre la Légion d’honneur en 1965.
Comme les précédents, mais pour d’autres raisons, le trente-septième anniversaire de sa mort tombe à un mauvais moment pour que sa dignité soit rendue au grand-croix de la Légion d’honneur dont le nom est connu dans le monde entier.
Les récents changements politiques, le fait que la garde des Sceaux a été confiée à l’éminent et courageux avocat que vous êtes, laissent cependant espérer que l’ordonnance signée Charles de Gaulle pourrait être réformée dans l’exposé des motifs.
Cela n’aura pas manqué, au surplus, d’avoir, me semble-t-il, d’heureuses conséquences :
– Affirmer la totale indépendance de la justice vis-à-vis du pouvoir syndical comme du pouvoir politique.
– Renforcer par son autocritique la position rigoureuse prise par le gouvernement concernant les droits de l’homme et du citoyen qui ont été méconnus en 1944.
– Démontrer que la nationalisation de la SAUR était la meilleure façon de poursuivre l’œuvre de Louis Renault.
– Enfin redonner à la régie la fierté de son long passé et la possibilité de se réclamer du génial pionnier de l’automobile qu’a été son fondateur.
Je vous prie, monsieur le ministre, d’agréer l’expression de ma très haute considération.
Robert de Longcamp
Source : Archives privées Renault
Monsieur le Baron Petiet, Président de la chambre syndicale de l’automobile : [photographie de presse] / Agence Meurisse – 1919 © BNF
Le 16 octobre 1950, au cours d’un banquet officiel auquel assistaient le président de la République et ses ministres, le baron Petiet eut la folle hardiesse de rendre hommage à Louis Renault pour le rôle que ce dernier avait joué pendant la Grande Guerre. Le premier P-DG des usines Renault nationalisées, Pierre Lefaucheux, réagit très vivement à cet hommage, écrivant une lettre de protestation au baron Petiet et faisant retirer la Régie nationale des Usines Renault de la Chambre syndicale des constructeurs d’automobiles. La réaction, disproportionnée, montre à quel point la mémoire de Louis Renault restait un point très sensible. C’est à cette lettre de protestation que s’empressa de répondre le constructeur automobile, Emile Claveau, le 7 Novembre 1950. Le lecteur trouvera les autres pièces du dossier dans la rubrique Archives 1945-1981 et les sous-rubriques Archives de la CSCA et Archives privées Renault.
Source : APR
Francis Goudard Monsieur Monory
Ancien Ministre Sénateur de l’Allier
Palais du Luxembourg 75006 Paris
Monsieur le Ministre,
Suivant l’autre soir le débat télévisé sur les nationalisations, j’ai été aussi surpris que peiné de vous entendre dire que Renault avait été nationalisé (en vérité confisqué sans indemnité) parce que Louis Renault avait collaboré.
J’ai touché de près Louis Renault ainsi que ses directeurs généraux de Peyrecave et Asselot, responsables respectivement de l’automobile et de l’aviation. Ils ont été, comme Louis Renault, arrêtés puis inculpés rigoureusement des mêmes chefs.
Mais Louis Renault, malade et maltraité en prison, n’a pas survécu, plongeant le gouvernement dans un grand embarras et l’obligeant à prendre une ordonnance princière pour dépouiller un mort.
Les deux autres furent jugés et acquittés. Les chefs d’inculpation étant strictement les mêmes, il est ainsi prouvé que Louis Renault eût été acquitté s’il avait vécu… Le gouvernement s’est abaissé à punir un mort innocent.
Je vous écris pour honorer la mémoire de ces trois grands capitaines d’industrie, en rappelant que René de Peyrecave, aviateur de 14-18, a perdu ses deux fils aînés et son gendre à la guerre de 40.
Jean, mon ami et camarade de Centrale, avait rejoint à travers l’Espagne l’escadrille Lafayette comme pilote de chasse, pour mourir le 3 mai 1945 au retour d’une mission en Allemagne.
Il m’avait transmis, avec des risques énormes, les photos prises par un contremaître, des dégâts occasionnés par le premier bombardement de Renault en mars 42 par les Anglais, pour qu’elles parviennent à Londres.
Les chars allemands étaient réparés dans des ateliers de Renault réquisitionnés par la Wehrmacht, par des ouvriers français embauchés librement et dont beaucoup provenaient précisément de chez Renault.
Où est la collaboration dans tout ça ?
Le peu de pièces fabriquées pour les Allemands par l’industrie française en général, permettait de servir de prétexte pour éviter les peignages du personnel destiné à être transféré en Allemagne.
Une résistance subtile des patrons permettait ainsi, avec l’appui des commissaires allemands qui cherchaient avant tout à justifier leur présence en France, de profiter de l’opposition entre Speer qui voulait conserver la main-d’œuvre en France, et Sauckel qui voulait la déporter.
Le premier devoir d’un patron était d’éviter à son personnel d’être déporté, sans pour autant aider l’effort de guerre allemand. Ma marge de manœuvre était très, très étroite et dangereuse.
J’espère avoir pu changer l’opinion que vous aviez sur le comportement du plus grand patron de France de l’époque, et vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.
Francis Goudard