Source : Archives privées Renault
Source : A.N. Z6 NL9 (2)
23 octobre 1945
Affaire contre Renault Louis, de Peyrecave René
(Société anonyme des Usines Renault)
Rapport de MM. Caujolle et Fougeray – Experts comptables
Monsieur le Juge d’Instruction,
A la date du 4 septembre 1944 et vu la procédure suivie contre Louis Renault, du chef d’atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat (art. 75 et suivants du Code pénal), vous avez bien voulu nous désigner en qualité d’experts (…)
Le capital social a été successivement porté :
– en janvier 1929 à frs 120.000.000 par l’émission de 80.000 actions de numéraire privilégiées, série B, de frs 500, avec prime de frs 277 par action, actions qui ont été souscrites en totalité par M. L. Renault.
– en octobre 1940, à frs 240.000.000 par l’émission de 240.000 actions nouvelles privilégiées, série C, libérées par incorporation de réserves et attribuées gratuitement aux actionnaires, à raison d’une action nouvelle pour une action ancienne privilégiée ou ordinaire (…) M. Louis Renault était propriétaire à fin 1940 de 463.490, et lors de la libération de 464.850 des 484.000 actions composant le capital social ( …)
Le dernier exposé relatif à la situation générale de la Société dont il soit fait mention au registre des P.V. du Conseil est du 5 novembre 1943… Il y est mentionné notamment… que les bombardements successifs de 1942 et 1943 avaient atteint 4900 machines dont 1300 avaient été totalement détruites… et que les pertes atteignaient, à dire d’experts, environ 500 millions pour Mars 1942, 325 millions pour avril 1943, 200 millions pour septembre 1943 auxquels s’ajoutaient 200 millions pour l’usine du Mans…
Les résultats accusés par les bilans des exercices 1937 à 1942, tels qu’ils ont été approuvés par les Assemblées générales, sont les suivants :
Exercice 1937 | Perte | 6.664.167,12 |
Exercice 1938 | Bénéfice | 11.558.148,73 |
Exercice 1939 | Bénéfice | 25.898.455,79 |
Exercice 1940 | Bénéfice | 62.376.885,82 |
Exercice 1941 | Bénéfice | 18.631.379,46 |
Exercice 1942 | Sans bénéfice ni perte |
(…) La mise en application de la loi du 16 Novembre 1940, qui a provoqué les démissions de MM. Boullaire et Serre a conduit à apporter des modifications à l’administration de la Société, M. Renault ayant manifesté son intention de ne pas remplir personnellement les fonctions de Directeur général qui lui revenaient de droit, celles-ci ont été le 27 décembre 1940 confiées à M. de Peyrecave.
(…) De la copie d’une lettre adressée à M. Dautry par M. Renault le 6 juin 1941 (scellé 37), il résulte que celui-ci se trouvait en juin 1940 aux Etats-Unis (…) qu’il quitta New-York le 22 juin, qu’il rentra en France par Port-Bou le 3 juillet et qu’après avoir rendu compte de sa mission à Vichy, il réintégra Paris le 25 juillet [i](…)
Des déclarations qui ont été faites à l’instruction par M. de Peyrecave (audition des 18 septembre et 6 octobre 1944) il résulte d’autre part que M. Lehideux et lui-même qui assuraient par délégation la direction des usines en l’absence de M. Renault, reçurent le 13 juin l’ordre du Général Hering de procéder à l’évacuation du personnel ; qu’après avoir assuré cette évacuation ils quittèrent Paris la soirée du même jour et que seuls 60 gardiens volontaires restèrent sur place (…) M. Dalodier, directeur de l’entretien, qui selon rapport de M. Le Commissaire aux délégations judiciaires, Perez y Jorba, du 18 octobre 1944 « est rentré à l’usine un des premiers le 26 juin, pour y assurer le service de sécurité » a en effet déclaré qu’il s’était vu refuser l’entrée de celle-ci par les gardiens et qu’il avait été dirigé sur les commissaires allemands qui déjeunaient dans un restaurant de la ville et lui manifestèrent le désir d’entrer le plus vite possible en relation « avec quelqu’un de la direction ».
Des déclarations faites par M. de Peyrecave à l’instruction, il résulte que ces commissaires (MM. Schippert, directeur de la Société Daimler Benz, Von Urach, ingénieur de la même firme, et un autre technicien, lui déclarèrent qu’ils avaient tous pouvoirs et lui demandèrent si la Direction acceptaient de rouvrir, faute de quoi ils feraient eux-mêmes rouvrir les ateliers ; il leur répondit qu’il prenait acte de leur demande, mais qu’il ne pouvait qu’en référer à son Gouvernement et ce d’autant plus qu’il ne faisait que passer à Paris, se rendant à Wiesbaden. Il envoya un de ses collaborateurs à Vichy où le Gouvernement devait s’installer, pour y porter un rapport et demanda des instructions pour M. Lehideux qui devait prendre la direction de la Société ; il remit lui-même, ajoute-t-il, une copie de ce rapport au Général Hutzinger à Wiesbaden, estimant qu’il s’agissait d’une question de principe à trancher par le Gouvernement, lequel décida finalement que la direction Renault devait reprendre ses fonctions.
L’essentiel de ces déclarations se trouve confirmé par trois documents qui figurent au scellé n° 1.
L’un d’entre eux comporte le texte d’un message téléphoné N° 25/BSA du 30/6, adressé sous la signature du Général Koeltz pour le Général Weygand… à M. de Peyrecave (…) Le Général Hutzinger répondait à cette lettre le 5 juillet, sous la signature de M. Lacaille (sous-commission des industries de guerre) ; (…) A cela nous ajouterons :
– que l’ordonnance allemande du 20 Mai… prévoyait que toutes les entreprises industrielles devaient continuer à travailler… que les chefs responsables devraient obligatoirement administrer leurs affaires, et qu’en cas d’absence des personnes « autorisées » les groupes d’armées ou autorités désignées par eux pourraient installer des administrateurs provisoires.
– qu’entendu le 30 Novembre 1944, M. Le Général d’armée Koeltz a déclaré notamment que le Gouvernement avait décidé la reprise du travail pour les besoins civils dans les usines d’automobiles de Paris, en considérant qu’il fallait éviter la mainmise allemande sur ces entreprises… et qu’il importait de procurer du travail et des moyens d’existence aux nombreux ouvriers qu’occupaient ces industries (…)
Mais il semble qu’en dépit des dires du commissaire Von Baumbach et de la position prise sur le plan général par la Commission allemande d’armistice… les autorités allemandes aient à cette époque cherché à rassurer les constructeurs, en leur laissant entendre que leur production serait destinée à la satisfaction des besoins civils ; sur l’initiative du colonel Thoenissen, elles convoquèrent en effet les dits constructeurs à une réunion à la Chambre des Députés le 16 juillet 1940, réunion au sujet de la laquelle le baron Petiet, Président de la Chambre Syndicale des Constructeurs d’automobiles, nous a remis une note dans laquelle il s’exprime comme suit : « Le Président de la Chambre Syndicale des Constructeurs d’automobiles, après avoir demandé des instructions à M. Noël, s’y est rendu, sous condition que la réunion se bornerait à un exposé et ne serait pas suivie de discussion : il en fut ainsi. L’exposé d’ailleurs, avait pour objet d’indiquer ce que le Gouvernement allemand avait fait pour galvaniser son industrie automobile et obtenir d’elle l’effort de guerre qui était à la base du succès de son armée. Opposant cette politique allemande de l’automobile à ce qui avait été fait en France, le colonel Thoenissen demandait aux constructeurs d’automobiles d’adopter une politique semblable pour être à même de satisfaire les besoins civils de la période d’armistice et de la période d’après-guerre.
« Le Colonel ayant retenu le Président de la C.S.C.A, après cette conférence, lui déclara d’ailleurs que la mise sous séquestre des usines et la nomination des commissaires allemands avaient eu lieu en vue de protéger les usines françaises contre le pillage et la détérioration du matériel, le Gouvernement allemand considérant qu’il était de la plus haute importance de faire participer l’industrie automobile à la remise en marche de l’économie du pays. Il envisageait de rendre la gestion des entreprises aux directeurs français et il proposait de prendre le matériel militaire en cours de fabrication pour permettre aux usines de passer à d’autres activités et de s’adapter à un travail de paix, tout en s’assurant les capitaux nécessaires.
« Il ajouta que ces fabrications destinées aux besoins civils devaient être réparties au mieux des intérêts en cause pour éviter des accaparements, et pria le Président de la C.S.C.A. d’élaborer un programme de fabrications de l’automobile française pour le temps de paix en précisant que ces fabrications de paix devaient rester au domaine de l’industrie française.
« Dans la situation du moment, il n’y avait rien à relever sur un semblable programme qui, porté à la connaissance du représentant du Gouvernement, eut son entière approbation. Il est certain d’ailleurs, que le point de vue des Allemands a évolué… au fur et à mesure de l’évolution non prévue par eux de la guerre » (…)
Si l’on se reporte au scellé n°4, on y trouve en effet copie d’une lettre du 16 juillet 1940 adressée au commissaire Schippert de laquelle il résulte que la première commande dont la Société a envisagé la réalisation est une commande de 1000 camions émanant du Préfet de la Seine agissant pour compte de l’Etat (le marché définitif correspondant porte la date du 8 août) (…) On peut noter dans le même sens que dans un projet de note du 23 août (scellé n°22) M. Renault mentionnait que « malgré les commandes passées par les Pouvoirs publics et la clientèle libre les programmes étaient très réduits » (…)
Dans une lettre adressée le 27 août par la Société sous la signature de M. Hugé au Ministre de la Production Industrielle, il résulte encore qu’elle se préoccupait à l’époque de s’assurer, dans le cadre français, un débouché pour les fabrications de véhicules. Elle signalait en effet dans cette lettre (copie scellé n°4) qu’elle était titulaire de lettre de commandes ou de marchés passés par l’Etat antérieurement à Juin 1940 et afférents à la production de véhicules pour lesquels le principe de la continuation des fabrications avait été admis ; qu’il lui restait de ce chef à livrer 7563 camions, camionnettes ou châssis de divers types ; elle demandait l’autorisation de poursuivre jusqu’à achèvement la fabrication de ces matériels, en insistant sur « l’intérêt primordial d’une prompte solution »… et elle faisait valoir notamment que sauf exception les véhicules commandés pourraient être équipés avec des gazogènes ; qu’ainsi… ils contribueraient d’une façon sensible au redressement de la vie économique du pays ; que l’ampleur de ce programme permettrait l’embauchage d’un contingent nouveau d’ouvriers ; enfin que les stocks et les machines-outils retrouvant leur destination, et leur emploi normaux, seraient ainsi soustraits à d’éventuelles réquisitions (…)
On voit (par les lettres de Von Urach à la direction de Renault des 10 et 14 août 1940, ndr) qu’il n’était ainsi question à l’époque de subordonner les fabrications de la Société à un programme d’ensemble qu’à partir du 1er Janvier 1941 et que les commissaires allemands paraissaient ne s’intéresser aux programmes arrêtés par la Société elle-même que dans la mesure où leur exécution nécessitait des attributions de matière (…) On peut cependant remarquer que bien que l’ingérence des Allemands ne se traduisit pas encore par la signification de décisions impératives, ceux-ci tendaient déjà restreindre les livraisons à la clientèle française (note de service de Grandjean du 29 août – scellé n°4, ndr). (…)
Il apparaît d’autre part que, sans la concrétiser encore, les Allemands avaient, au moins vers la fin d’août, manifesté l’intention de se faire livrer des camions et demandé la fourniture de certains matériels. Traitant dans une note du 21 août de l’usine du Mans dans laquelle un officier allemand représentant du plan de 4 ans, avait donné ordre de cesser tout travail jusqu’à nouvel avis, M. Renault indiquait en effet (scellé n°22) : « A l’heure actuelle il semble que l’Allemagne veut coûte que coûte, prendre tous les camions qu’elle va pouvoir trouver ; elle veut réquisitionner tous les camions qui se trouvent sur place et désire prendre même les camions destinés à la Chine, terminés, et qui sont actuellement en caisse ».
« Il a été dit qu’on ne tolérerait pas que nous fassions autre chose que des camions ou des fabrications qui ne leur soient pas strictement réservées, dont il n’a pas été indiqué exactement l’usage ».
Par ailleurs, dans une autre note du 22 août, M. Renault mentionnait au nombre des matériels qui devaient être fabriqués en France les camions du fait qu’on en réclame même en Allemagne » et indiquait : « Enfin, on nous demande même pour l’Allemagne des pièces de chemin de fer, des groupes électrogènes ».
Il semble toutefois que les intentions allemandes étaient, aux yeux des dirigeants de la Société, assez mal définies puisqu’aussi bien M. Renault exprimait dans la même note ses craintes de voir enlever et envoyer en Allemagne le stock de matières premières destinées à la fabrication des matériels qui devaient être fabriqués en France (…)
Dans la 1ère de ces notes, du 14 août (Louis Renault) indiquait : «… Nous pouvons embaucher plus de personnel mais à condition d’être aidé, c’est-à-dire qu’il nous soit passé des marchés et qu’on défende notre stock de matières premières que les autorités d’occupation voudraient prendre pour leurs propres fabrications.
« Il ne faut pas oublier que le Reich a déjà fait savoir que toutes les Usines lorraines ne travailleront désormais que pour l’économie allemande ; l’économie française ne disposerait que de la production des aciéries du bassin de Longwy.
« Il y a donc à défendre les stocks qui sont actuellement dans les usines et seul le Gouvernement peut faire quelque chose car les autorités allemandes viennent et réquisitionnent le métal.
« Un fait frappant ; nous avions pour la fabrication de nos radiateurs un certain stock d’étain, sur lequel il vient de nous être pris 45 tonnes. La valeur du stock réquisitionné représente ainsi près de 3 millions de francs.
« Des péniches chargées d’aciers fabriqués pour nous par notre aciérie de Lorraine ont été arrêtées pour être dirigées vraisemblablement vers l’Allemagne.
« De plus on parle de nous prendre tous nos métaux fins : cuivre, aluminium, ainsi que le caoutchouc ainsi qu’une péniche de 300 T. de nickel. Si une entente n’intervient pas, si des négociations ne sont pas engagées, nous risquons de voir partir tout notre stock.
« Nous n’aurons plus alors la possibilité de conserver les ouvriers que nous employons actuellement : nos machines ne tourneront plus ; elles seront prises par les autorités d’occupation ou la direction de nos usines sera confiée à des firmes allemandes qui seront alimentées par les aciéries lorraines.
« Voilà l’exposé de la situation.
« Il semble que parallèlement aux gros efforts que font les industriels et notamment les usines Renault pour réembaucher le plus grand nombre possible d’ouvriers et collaborateurs, la décentralisation de la main d’œuvre devrait être envisagée de toute urgence par le Gouvernement.
« Dans les divers centres d’hébergement de nos ouvriers repliés en province, nous avons fait une propagande très active pour les engager le plus possible à s’embaucher sur place et à s’aiguiller sur divers travaux possibles en province. Mais nous avons rencontré chez tous les ouvriers parisiens un désir réel de retourner à Paris.
« Il est malheureusement très à craindre qu’ils ne puissent pas avant longtemps y retrouver tous du travail.
« La banlieue parisienne est déjà encombrée d’un grand nombre d’Algériens et d’ouvriers d’origines diverses. Ne serait-il pas possible d’essayer de regrouper toute cette main d’œuvre en Afrique du Nord ? Cela décongestionnerait déjà cette région dans une certaine mesure.
« Il faut d’ailleurs bien se rendre compte que, même en supposant que nous ayons plus de commandes et plus de matières premières, nous ne pourrons pas arriver à réembaucher tous les ouvriers que nous avions pendant la guerre, où nous travaillions à 2 ou 3 équipes par 24 heures » (…)
[i]. En fait, le 23 juillet 1940.
Source : A.N. Z 6NL 3
Extrait d’un P.V. d’interrogatoire figurant au dossier de l’information contre
De L’Epine et Lehideux (Comité d’Organisation de l’Automobile).
Cour de Justice
Du département de la Seine
Procès-verbal d’interrogatoire et de confrontation
(Le 10 octobre 1945) Déférant à notre mandat d’extraction, après avoir été extrait de la Maison d’arrêt de Fresnes.
Devant nous Marcel Martin… a été amené en notre cabinet, à Paris, le nommé Lehideux François Marie (déjà interrogé) Me Lenard et Me Toulouse… conseils de l’inculpé…
Demande :
Je vous donne connaissance de la note déposée par l’Expert Caujolle. Avez-vous quelques observations à présenter ?
Réponse :
Je n’ai pu prendre connaissance intégralement de cette note, à laquelle j’aurais certainement des objections à présenter. Je ne puis donc m’expliquer complètement aujourd’hui à son sujet.
Toutefois, d’ores et déjà, je tiens à protester contre certaines des allégations ou insinuations de l’Expert contenues dans deux des chapitres de la note : celui qui a trait à la réparation des chars Renault et à mon départ des Usines Renault et celui qui a trait à la main d’œuvre.
Dans le chapitre qui a trait à la réparation des chars, M. Caujolle insinue que c’est moi qui ait provoqué l’envoi en mission aux Etats-Unis de M. Renault Louis et que, au retour de celui-ci, j’ai dû, sur l’injonction de M. Renault, quitter l’usine comme un malpropre. Je m’élève absolument contre cela et je serais fort étonné que M. Armand et M. Gascoin lui aient tenu pareils propos (1).
Je vous ai déjà expliqué quelle avait été ma politique aux Usines Renault avant-guerre, politique qui n’était pas tout à fait celle de M. Renault, mais qui avait l’approbation du personnel et des chefs de service. Je vous ai aussi dit dans quelles conditions qu’après avoir demandé à rejoindre mon corps aux Armées à la mobilisation, j’ai été rappelé par M. Dautry, dans le but de pousser la production de guerre aux usines Renault ; j’ajoute que la plupart des chefs de service m’avaient écrit aux Armées pour me demander de revenir dans l’intérêt de la production et de la Défense nationale (2). Je n’avais voulu faire aucune démarche, bien au contraire, et c’est contre mon gré que M. Dautry me désigna comme adjoint à M. Rochette, Ancien Directeur de chez Skoda, que le ministre nommait Contrôleur de la production automobile, mais en fait, plus spécialement chargé des Usines Renault. A partir de ce moment, je me suis consacré au développement de la production de guerre chez Renault et je crois pouvoir dire que j’y ai réussi, puisque l’usine a été citée à l’ordre de la Défense Nationale, au mois de mai 1940 (3), par M. Paul Reynaud. M. Dautry se rendit compte des heurts qu’il pouvait y avoir entre le contrôle qu’il avait institué aux Usines Renault et M. Renault. C’est alors qu’il prit de lui-même la décision d’envoyer M. Renault au Canada et aux Etats-Unis pour y organiser la production de chars français. Je n’ai été pour rien dans cette décision (4).
Au retour d’exode, je trouvais les usines Renault gardées par un piquet militaire allemand et des Commissaires installés à l’usine. Je fus l’objet de démarches des Autorités allemandes pour entreprendre la réparation des chars Renault. Je refusai très nettement et les Allemands n’insistèrent pas ; ils s’étaient arrêtés à la solution de réquisitionner un atelier en dehors des usines de Billancourt et d’y faire entreprendre eux-mêmes, sous leur direction, la réparation des dits chars. Sur ces entrefaites, rentra M. Renault. Je ne sais ce qui se passa exactement entre lui et les Allemands, avec lesquels il eut divers contacts. Aussi, ne puis-je en parler en connaissance de cause. Mais cependant, il est certain que M. Renault finalement accepta de faire dans les usines du Mans les réparations que j’avais précédemment refusé d’effectuer. Je fis prévenir la personne que je croyais la plus qualifiée pour s’opposer à cette décision, M. Noël, délégué général du Gouvernement pour les Régions occupées. M. Noël convoqua M. Renault. Je ne sais pas ce qui se passa entre eux, car M. Noël ne me dit entrer qu’à la fin de leur conversation, mais il avait décidé M. Renault à revenir sur l’engagement que celui-ci avait pris vis-à-vis des Allemands. M. Noël me demanda de reprendre les négociations en accord avec la Chambre Syndicale et c’est ainsi qu’eut lieu au Majestic le 4 août 1940 l’entrevue que j’eus avec les Allemands et que vous connaissez. Les Allemands envoyèrent chercher M. Renault, qui s’excusa et me donna tous pouvoirs pour traiter avec les Allemands (5). Vous savez que j’obtins que les Allemands fissent faire eux-mêmes les réparations dans les ateliers réquisitionnés par eux.
A la suite de ce nouvel incident et de certaines divergences de vues qui se manifestèrent entre M. Renault et moi au point de vue social, j’estimai préférable de quitter les Usines Renault (6). Je le déclarai d’ailleurs à M. Renault qui me proposa de me mettre en congé. Je préférai m’en aller complètement et je donnai ma démission. A la suite de cela, M. Armand, qui était mon Secrétaire, et M. Bonnefon-Craponne durent cesser également leurs fonctions, contre l’avis de M. de Peyrecave.
Telle est très exactement l’histoire de mon départ de chez Renault. J’ajoute que c’est justement cette situation qui m’a fait hésiter, entre autres motifs, à accepter la Direction du C.O.A., car je ne voulais pas avoir l’air de prendre ce que M. Caujolle appelle ma revanche sur Renault et j’ai souvent été gêné par cette situation.
Extrait certifié conforme à l’original figurant au dossier de l’information contre De L’Epine et Lehideux (Comité d’Organisation de l’Automobile).
Le Greffier signature illisible
(1) C’est bien pourtant ce qu’a affirmé Armand, le propre secrétaire de François Lehideux.
(2) Personne n’a jamais vu ces prétendues lettres.
(3) En fait, le 3 juin 1940. On voit que François Lehideux s’approprie un peu rapidement tous les mérites de la citation des usines Renault à l’ordre de la Nation.
(4) Rien ne le prouve en effet, et Louis Renault l’a peut-être cru à tort.
(5) Dans l’état actuel de la documentation, aucune archive contemporaine ne l’atteste.
(6) En vérité, François Lehideux fut congédié par Louis Renault ainsi que je l’ai prouvé dans Louis Renault, Paris, 2000. La suite de la déposition relève de la fable.
Source : document aimablement communiqué par M. Christian Mory
LEFAUCHEUX intitule son exposé « Cas LOUIS RENAULT ».
Il parle des éloges en public adressés à Louis Renault. Il ne considère pas que ces éloges constituent une attaque personnelle contre lui. Il prétend n’être pour rien dans la nationalisation de Billancourt.
Si ces éloges n’atteignent pas LEFAUCHEUX sur le plan personnel, il voit ces éloges prendre une forme de critique contre la Régie, que ses auteurs n’ont probablement pas voulue.
La nationalisation de RENAULT s’est faite avec un exposé des motifs disant que c’était l’attitude de L. R. qui avait servi de base à la nationalisation.
Si donc on loue L. RENAULT, on effectue une attaque contre le principe même des nationalisations. S’il est ainsi LEFAUCHEUX serait obligé de prendre position en attaquant L. R. Il ne voudrait pas le faire. Et il serait d’ailleurs gêné de le faire, car la plupart de ses anciens collaborateurs ont gardé du respect et de l’affection pour L. R.
LEFAUCHEUX n’a jamais attaqué sa mémoire. Il y a le RENAULT jeune devant lequel tout le monde s’incline. Puis il y a eu l’homme malade et vieilli qui a pu commettre les erreurs qu’on lui reproche. La foudre est tombée sur cet homme qui a été frappé seul. D’autres ont commis les mêmes fautes et sont restés indemnes.
Si on en revient à rouvrir le procès, le critère sera de comparer la production Renault à celle des autres constructeurs et on arrivera à quelque chose de très fâcheux pour tout le monde.
En fait, LEFAUCHEUX estime que pendant l’occupation chacun a travaillé selon son tempérament.
S’il y a des questions qu’il faut laisser dans le silence c’est bien celle-là. LEFAUCHEUX n’a jamais fait la moindre attaque contre L. R.
Il serait forcé d’intervenir si on met la nationalisation en cause.
Il propose qu’on ne parle pas de cet homme pendant quelques années. Plus tard, on pourra rendre hommage à sa mémoire et on verra ce qui est critiquable ou non.
Source : Archives de la CSCA, document aimablement communiqué par M. Christian Mory
CP/DP/5.219
PERSONNELLE
Mon cher Ami,
Je n’ai pris connaissance qu’à mon retour d’Hagondange de votre lettre du 8 juin et m’empresse de vous faire connaître que je suis et reste d’accord sur le premier paragraphe et la première moitié du second.
Quant à la seconde partie de ce paragraphe, je ne connaissais sur la question que ce que j’avais lu dans le compte-rendu de ce voyage que mes services m’avaient remis à leur retour, à savoir :
« A cette occasion, les journalistes posent quelques questions d’ordre général sur :
« – les exportations françaises,
« – la 2 CV Citroën,
« – la nationalisation de l’industrie automobile,
« auxquelles monsieur Panhard répond avec bonhomie et sans précision ».
Je me suis fait représenter les quelques lignes de l’Autocar du 1er juin qui ont attiré votre attention et ai demandé à Langlois s’il se rappelait quelque chose de spécial à ce sujet. Il me répond :
« La question posée par le journaliste était : Est-ce que les nationalisations doivent s’étendre dans l’industrie automobile ? Est-ce que Citroën, par exemple, sera nationalisé ? C’est à cela que monsieur Panhard a répondu que le courant n’était pas dans ce sens, au contraire. Il s’agit d’une simple fin de phrase, sans aucun commentaire, dans un ensemble de conversation d’un bon quart d’heure et le rédacteur de Autocar lui donne une importance relative qu’elle n’a pas eue en réalité ».
Je ne crois pas utile d’en parler à l’intéressé, car, à tort ou à raison, je considère que la seule conclusion qu’on puisse en tirer, c’est qu’il faut essayer de ne pas parler là où il y a des journalistes, et, comme c’est difficile, il vaut mieux ne pas lire, ou au moins ne pas s’émouvoir de ce qu’ils écrivent ; si on se mettait, en effet, à fouiller tout ce qui passe dans les journaux, il y aurait de quoi se dresser les uns contre les autres, ce qui, en tout état de cause, est à éviter.
Croyez, mon cher Ami, à mes meilleurs sentiments.
Source : Archives de la CSCA, document aimablement communiqué par M. Christian Mory
REGIE NATIONALE DES USINES Monsieur le Baron Petiet
RENAULT Président de la Chambre
BILLANCOURT (Seine) Syndicale de l’Automobile
Le 8 Juin 1951 2, rue de Presbourg
LE PRESIDENT DIRECTEUR GENERAL PARIS
Mon cher Président,
Depuis que la Régie Renault a démissionné de la Chambre Syndicale, vous m’avez fait valoir à plusieurs reprises les inconvénients qui pouvaient résulter de la situation ainsi créée, aussi bien pour la Régie Renault, que pour l’ensemble de la profession, et vous avez amicalement insisté auprès de moi pour que notre entreprise reprenne sa place au sein de la Chambre Syndicale.
Lorsque je vous avais répondu que ces inconvénients ne m’avaient pas échappé, mais que les incidents qui avaient provoqué ma démission m’avaient semblé correspondre à l’expression d’un sentiment d’hostilité éprouvé par certains membres de la Chambre Syndicale contre notre entreprise nationalisée, vous m’avez indiqué qu’il n’en était rien à votre avis, et que je pouvais compter sur une collaboration confiante avec tous nos collègues. Quelle n’a donc pas été ma surprise en lisant dans la presse anglaise la reproduction d’une communication faite par M. Paul PANHARD, Vice Président de la Chambre Syndicale, à des journalistes anglais lors d’une récente visite à Londres. M. PANHARD n’a pas hésité, en effet, à déclarer que « la dénationalisation des Usines Renault lui paraissait comme probable ».
Je n’ai certes pas l’intention d’ouvrir une polémique sur les chances qu’a M. PANHARD de voir se réaliser l’espoir ainsi manifesté par lui, mais je tiens à vous marquer que de semblables écarts de langages ne sont certainement pas de nature à me faire modifier la position que j’ai adoptée en Octobre dernier.
Veuillez agréer, Mon cher Président, l’assurance de mes sentiments les meilleurs.
P. Lefaucheux
Source : Archives de la CSCA, document aimablement communiqué par M. Christian Mory
REGIE NATIONALE DES USINES
RENAULT
BILLANCOURT (Seine)
Le 22 Décembre 1953
LE PRESIDENT DIRECTEUR GENERAL Monsieur le Baron Petiet
CHAMBRE SYNDICALE de l’Automobile
2, rue de Presbourg
PARIS
Mon cher Président,
Lors d’une récente conversation, vous m’avez appris qu’à la suite de dissentiments qui se sont élevés entre vous-même et certains membres de la CHAMBRE SYNDICALE de l’AUTOMOBILE, vous aviez décidé, tout en conservant la présidence de la FEDERATION et du COMITE du SALON, de donner votre démission de la présidence de la CHAMBRE SYNDICALE.
J’en ai pris acte.
Vous m’avez dit, à ce propos, combien vous déploriez que le plus important constructeur d’automobiles français restait (sic) en dehors de la CHAMBRE SYNDICALE et vous m’avez fait part de votre vif désir de voir cesser le plus rapidement possible une situation aussi anormale. Vous m’avez fait connaître que ce sentiment était partagé par la majorité de vos collègues et c’est en leur nom, comme au vôtre, que vous avez insisté auprès de moi pour que je revienne sur la position que j’avais prise en Octobre 1950.
J’ai le plaisir de vous dire combien j’ai été sensible à cette démarche, et que j’accepterai volontiers, au cas où cette position serait confirmée par un vote du Conseil de la Chambre Syndicale, que la REGIE NATIONALE des USINES RENAULT compte à nouveau parmi ses membres.
Veuillez agréer, mon cher Président, l’assurance de mes sentiments les meilleurs et les plus distingués.
P. LEFAUCHEUX
Cité par Robert Aron, Histoire de l’épuration, T.III 1, 1974
Mon Général,
Un récent communiqué du Conseil des ministres annonçait que le gouvernement avait décidé de confisquer “les biens appartenant à la société des usines Renault”. La raison en était, d’après un commentaire officieux, que, si la mort de Louis Renault avait atteint l’action publique, il n’en était pas moins vrai que – lui vivant – ses biens auraient été normalement confisqués à la suite de la condamnation que lui auraient infligée la cour de justice.
La décision du gouvernement et la décision annoncée jugent donc définitivement un procès dont l’instruction n’est pas terminée et dont les éléments déjà recueillis ne peuvent qu’inspirer une prudente réserve à l’accusation.
Outre que la mémoire de Louis Renault n’a rien à redouter d’un débat public et complet, pour être lavée de l’inculpation infamante de trahison envers la patrie, il est grave qu’une pareille décision gouvernementale porte atteinte à la défense du directeur général de la société anonyme des usines Renault, M. De Peyrecave, inculpé lui aussi et détenu à Fresnes.
Si l’attitude des dirigeants de la société est ainsi, avant la lettre, stigmatisée publiquement par l’exécutif, si les sanction d’ordre financier sont annoncées à grand fracas, quelle sera l’indépendance des juges dont il faut plaindre le destin ?
Déjà, en octobre 1941, dans le procès de M. le président Daladier devant la Cour suprême de justice, la voix du chef du pseudo-gouvernement de l’Etat français avait annoncé par radio, au peuple français étonné, qu’il avait décidé, avant même le commencement des débats, de condamner l’ancien chef du gouvernement de la République que je défendais à la détention perpétuelle au fort du Portalet. Cette sentence inimaginable m’avait déterminé à adresser au maréchal Pétain une lettre de protestation d’où j’extrais ce passage essentiel:
“Je pense fermement que votre décision a méconnu des vérités premières et des principes immuables qui sont l’honneur de toutes les sociétés civilisées.
“Il n’est pas inutile de vous les rappeler :
“1) Un accusé de peut être condamné sans avoir été appelé à se défendre.
“2) Un accusé ne peut être condamné à une peine quelconque avant d’être jugé par les magistrats spécialement délégués à cet effet.
“Ces principes éternels et élémentaires ont été toujours respectés dans tous les temps et sous tous les régimes dès lors qu’on prétend rester sur le terrain de la justice. C’est servir la France que de les défendre, et il est bon, quand par une erreur certainement passagère ils ont été momentanément oubliés, qu’une voix s’élève, sereine et calme, pour les rappeler (…) Vous aviez besoin, monsieur le maréchal, qu’on ne vous laissât pas ignorer tout cela.”
De son côté, le bâtonnier de l’ordre des avocats à la cour d’appel de Paris, maître Jacques Charpentier, joignait sa protestation à la mienne. Il disait au maréchal :
“Si l’examen du dossier et les débats amènent les juges à des décisions contraires aux vôtres, devront-ils désavouer la décision du chef ? Devront-ils, au contraire, refouler la voix de leur conscience et condamner des hommes qu’ils estimeraient innocents ? Si telle était la sentence qui se prépare, elle serait dès maintenant frappée d’un irrésistible discrédit.
“C’est sans doute la première fois qu’au cours de l’histoire des juridictions les directives du pouvoir sont données tout haut et que la voix du chef de l’Etat se fait entendre avant celle des juges”.
N’est-il pas surprenant, mon Général, que la décision de votre gouvernement justifie ces protestations qui ne vous étaient pas destinées ?
Nous avons lutté pendant quatre ans, publiquement et non sans risque, contre la violation des principes sacrés par un pseudo-gouvernement de dictateurs improvisés ; pendant quatre ans, nous avons attendu avec ferveur le retour de Celui qui n’a jamais désespéré et qui, dans ses messages admirables de confiance imperturbable, nous assurait le rétablisement de la légalité républicaine.
Cette espérance n’a pas été trompée: dans la hâte des décisions, une erreur peut cependant avoir été commise : il est de mon devoir de vous le signaler respectueusement.
Les ministres compétents qui ont soumis à l’agrément du gouvernement cette mesure de confiscation comme corollaire d’une culpabilité qui reste à démontrer sont évidemment d’une bonne foi entière. Mais que savent-ils d’une instruction qui est en cours et qui, jusqu’au jour de la décision du parquet, doit rester secrète ?
Je crains qu’ils n’aient écouté avec complaisance les échos d’une certaine partie de l’opinion dont l’impartialité ne semble pas la première vertu.
C’est pourquoi, mon Général, je vous demande avec confiance de reconsidérer cette situation anormale, d’assurer à vos juges la pleine indépendance de leur décision, et de ne pas statuer par un moyen oblique sur une culpabilité préalable que seuls le parquet et la cour de justice sont en mesure d’apprécier…
Maurice Ribet
* Maurice Ribet était l’avocat de Louis Renault. Il avait défendu Edouard Daladier lors du procès de Riom organisé par le gouvernement de Vichy.
Source : National Archives UK – WP (42) 399
In the present year the small proportion of our Air power employed offensively against Germany has destroyed Rostock, Lubeck and a large part of Cologne. It has done considerable damage to submarine resources at Hamburg, Kiel, Augsburg, Deutz, Emden and Oberhausen. It destroyed the Renault works equivalent to the fighting vehicles and transport of five Panzer Divisions. It has hit hard at Gennevilliers and the Heinkel works. It has taken very heavy toll of enemy shipping.
Source : National Archives UK – WP (43) 182
France.
Billancourt.—The U.S.A.A.F. attack on the Renault Works achieved considerable success and it is at present estimated that three months will elapse before anything approaching normal production will be possible. The turning-shop received two direct hits. Two-thirds of the lathes were rendered unserviceable and the remainder need repair. The transmission belting was cut and the roofing collapsed. The shop for finished lorries received six direct hits, resulting in 25 per cent, of the lorries being rendered useless, 25 per cent, being damaged but repairable, the remainder being serviceable. The joinery shop was completely wrecked by four direct hits. The spare parts store and the workmen’s rest room a n d canteen were destroyed.