Franc-Tireur, 28 octobre 1944

Les usines Renault à la France

franc_tireurLOUIS RENAULT EST MORT. L’action de la justice est éteinte. La Cour de justice ne sera pas saisie du cas Louis Renault, collaborateur des nazis et traître à la France. Mais il y a toujours une affaire Renault.

Les usines Renault sont sous séquestre. Elles seraient restées sous séquestre jusqu’au jugement du seigneur de Billancourt. Comme il est à supposer que Louis Renault aurait été condamné, ses biens se seraient trouvés confisqués au profit de l’Etat. Mais Louis Renault est mort dans son lit. Sa succession est ouverte ; ses héritiers font valoir leurs droits, réclament la mainlevée du séquestre.

Quels héritiers ? Par sa femme, Louis Renault était allié à la famille Boullaire. Roger Boullaire était son représentant dans toutes les filiales de la société Renault : la « Société des moteurs Renault pour l’aviation », la « Société pièces, réparations, accessoires Renault », la « Société des transports automobiles industriels et commerciaux », la « Société des avions Caudron » et la « Société des aciers fins de l’Est ».

Voilà d’un seul coup le trust Renault remis d’aplomb, plus puissant que jamais. Louis Renault est mort, vive M. Roger Boullaire !

Eh bien ! non ! Cela est impossible, la France ne peut pas le tolérer.

Quelle que soit l’étonnante carrière de cet habile capitaine d’industrie, débutant en 1897 avec un petit atelier de boulons, pour aboutir à l’usine géante de Billancourt, on ne peut considérer l’énorme fortune accumulée par Louis Renault pendant ces quarante-sept années autrement que comme le produit d’une spoliation capitaliste poussée à son degré le plus parfait.

Mais l’heure est enfin venue où la France brise toutes ses chaînes ; où la collectivité reprend ses droits, récupère ses biens ; l’heure est enfin venue où la France marche vers de nouveau destins et s’engage hardiment dans des voies nouvelles.

En posant parmi ses premières revendications le retour à la nation des grands moyens de production monopolisés, fruit du travail commun, des sources d’énergie, des richesses du sous-sol, des banques et des compagnies d’assurances, la charte de la Résistance a défini un programme de grandes réformes sociales dont la France exige la réalisation.

Le gouvernement ne peut pas méconnaître cette volonté profonde du pays ; il doit lui donner une satisfaction immédiate. L’usine Renault a trop longtemps travaillé contre la France. Il faut maintenant qu’elle serve la France.

Une simple ordonnance suffit : « Article unique… La Société Renault est acquise, sans aucune indemnité, à la nation ». Et ce sera justice.

L’Humanité, 2 octobre 1944

huma_2_10_44_extrait«Il faut appliquer la partie du programme qui prévoit la confiscation des biens des traîtres et faire fonctionner les entreprises comme établissements de l’Etat avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens »,

nous déclare Benoît FRACHON
Secrétaire de la C.G.T.
à propos de la réquisition des usines Renault et du
Groupement national des Houillères

Dans sa récente réunion, le gouvernement a pris deux décisions, dont les suites peuvent avoir de grandes conséquences réquisition les usines Renault et Groupement national des Houillères. Nous avons voulu connaître l’opinion des milieux de la C.G.T. sur ces mesures. Nous sommes allés interviewer Benoît Frachon, secrétaire de la C.G.T.

Tout d’abord, nous l’interrogeons sur la réquisition des usines Renault.

– Que signifie la réquisition ?

– La réquisition est une première mesure d’ordre juridique qui vise à substituer la gestion de l’Etat à la gestion patronale dans une entreprise donnée. Pour Renault, la mesure s’imposait d’urgence. Les dirigeants de l’entreprise, Lehideux et Renault, ayant été emprisonnés pour crime de trahison, l’usine Renault, qui peut fournir une importante quantité de matériel de guerre et des camions, doit être remise en route au plus tôt. La réquisition permettra cette reprise sous la direction et la responsabilité du gouvernement; Dans la région parisienne, ainsi que dans tout le pays, il est de nombreuses entreprises dont les directions ont été indignes où cette mesure s’imposera.

huma_2_10_44_photo– La réquisition ne signifie donc pas la confiscation ?

– Mais pas du tout. C’est une première mesure qui peut être suivie ou non de la confiscation. Nous espérons que, pour Renault, la confiscation ne tardera guère.

– Selon toi, s’agit-il de confiscation pure et simple ou d’une nationalisation avec indemnité ?

– Le cas Renault est assez clair pour qu’il n’y ait aucune hésitation à lui appliquer la partie du programme du C.N.R. qui prévoit la confiscation des biens des traîtres. Je pense d’ailleurs qu’il ne faudra pas se contenter de confisquer l’usine, mais aussi les fonds dont Renault dispose, ainsi que toutes les filiales de l’entreprise.

– Dansle cas de confiscation, comment, à ton avis, devrait fonctionner  l’entreprise ?

– Mais comme établissement de l’Etat, avec participation à la direction des ouvriers et des techniciens.

– Que penses-tu de la décision gouvernementale de constituer un Groupement national des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?

– Pour le, moment, je n’en puis rien penser. Cette notion d’un groupement national est trop vague pour qu’on puisse déceler les intentions du gouvernement.
Dans les syndicats, nous aimons les formules claires. Quand elles ne le sont pas, nous réservons notre jugement.

– Tu as cependant une opinion sur ce qu’il conviendrait de faire dans les mines ?

– Bien entendu, d’abord, ne pas permettre que se développe  la campagne intéressée sûr le patriotisme des gens du Comité des houillères.
La fédération du sous-sol a eu raison de riposter comme elle l’a fait aux communiqués de presse tendant à accréditer ce mensonge.

Les mineurs de tous les bassins de France ont mené de dures grèves durant l’occupation. Ils se sont ingéniés à organiser le sabotage. Tu peux aller partout et tous te diront qu’ils se sont heurtés dans leur lutte patriotique non seulement à la Gestapo, mais aux consignes des directions qui poussaient sans cesse à la surproduction. (Suite en 2ème page)

Dans ce combat de quatre ans, les mineurs ont eu des milliers de fusillés, d’emprisonnés et de déportés. Tu auras du mal à trouver un administrateur qui ait payé de sa personne. D’autre part, l’histoire de la mise en exploitation depuis juin 1940 des veines à grande production qui avaient été délaissées après 1936, est assez connue pour que je n’y insiste pas.

– En somme, tu penses que la confiscation s’impose comme pour l’usine Renault ?

– C’est mon avis et celui de l’ensemble des mineurs. Comme pour l’usine Renault, j’estime que la réquisition devrait précéder la confiscation au profit de l’Etat.

– Que deviendraient alors les intérêts de certains actionnaires qui n’ont aucune part de responsabilité dans la politique de collaboration des grands actionnaires et administrateurs ?

– Rien n’empêche l’Etat d’envisager leur indemnisation. Dans les propositions que nous faisons, il n’est pas question de socialisation, mais de confiscation des biens des traîtres et des collaborateurs.

L’organisation de la direction

– Dans le cas de réquisition, ou de confiscation, comment, à ton avis, devrait être organisée la direction ?

– Avec des directeurs et administrateurs désignés par l’Etat et des comités de gestion où participeraient, en plus de ces représentants du Gouvernement, des représentants des techniciens et des ouvriers.

– N’est-ce vas ce qui avait été fait pour les usines d’aviation avant la guerre ?

– Dans la forme, c’était quelque chose d’approchant dans le fond, c’était absolument différent. On avait choisi, pour diriger les usines nationalisées, les anciens patrons ou leurs créatures. Ils ne pensaient qu’à une chose saboter la marche des entreprises pour démontrer que la nationalisation était impossible.

Ils y sont parvenus en privant la France de l’aviation dont elle aurait eu besoin, parce qu’on n’a pas écouté les réclamations multiples des ouvriers et de leurs syndicats.

Calculs à déjouer

– N’est-ce pas ce qui est à craindre avec ce qu’on prépare pour les houillères du Nord et du Pas-de-Calais ?

– Je le redoute d’autant plus que, sans cela, je n’arriverais pas comprendre l’intention de ceux qui donnent aux représentants du Comité clés houillères un brevet de patriotisme si peu mérité.

En poussant à la production pour l’ennemi, ils ont mis les mines dans un état de délabrement dangereux. L’entretien et les réparations ont été négligés. Il faudra procéder aux réparations nécessaires. La production s’en ressentira pendant un certain temps. Ils mettraient cela sur le dos de là nouvelle forme d’exploitation. Etant à la direction, ils mettraient au premier plan de leurs préoccupations ces réparations, comme ils ont mis au premier plan l’extraction quand les hitlériens étaient là. S’il y avait du déficit, ils s’arrangeraient pour que l’Etat le prenne à son compte. Ainsi les bénéfices de la période d’occupation resteraient intacts: Puis ils démontreraient que l’expérience étant négative et onéreuse, il faut revenir à l’ancien état de choses et leur rendre toutes leurs prérogatives. Les mines étant alors en mesure de produire à plein rendement, ils iraient allégrement vers une nouvelle période de profits substantiels.

– De toute façon, même si on réquisitionne et que l’on écarte les anciens administrateurs da la direction, il faudra faire ces réparations. L’Etat devra-t-il les prendre à sa charge ?

– Mais pas du tout ! Il faut les faire aux dépens des profits réalisés par les compagnies houillères. Et pas seulement des profits avoués, mais des profits camouflés, tels que les hausses sur les actions, les distributions d’actions gratuites, les réserves, etc..

– En somme, à la formule annoncée tu préfères la réquisition pure et simple d’abord et la confiscation après démonstration de la collaboration des gens du Comité des houillères ?

– C’est, à mon avis, la seule mesure de justice et la seule méthode efficace dans ce cas précis.

L’Humanité, 22 août 1944

huma_22_8_44JUSTICE
contre les traîtres et les profiteurs de la trahison

huma_22_8_44_extraitDe la France martyrisée s’élève maintenant un appel irrésistible la punition des responsables de la défaite. Notre, grand journal continue le combat qu’il n’a cessé de mener contre les hommes des trusts. Il sera l’interprète de la France entière qui porte accusation contre eux.

Elle les accuse de haute trahison parce que, maîtres de l’économie nationale depuis plus de 50 ans, ils ont, par soif du profit, provoqué progressivement d’affaiblissement économique, démographique, politique et militaire de notre peuple. Elle les accuse de haute trahison parce que de 1933 à 1940 ils l’ont trahie par haine des travailleurs, parce qu’ils ont saboté, les fabrications de guerre par opposition aux lois sociales, subventionné la cinquième colonne hitlérienne pour abattre la démocratie et ruiner nos alliances.

L’Humanité du 22 août 1944 © BNF

Elle les accuse de haute trahison parce que depuis 1940 ils ont partagé avec l’ennemi ses dépouilles, livré toutes ses richesses, déporté ses enfants, converti en fleuve d’or les larmes et le sang des meilleurs des Français désignés par eux aux exécuteurs.  Elle les accuse de haute trahison  parce qu’ils ne songent qu’à constituer des groupes de guerre civile, essayant de s’introduire par ruse dans les organisations de résistance, tout en subventionnant les milices fascistes.

Nous prendrons un par un les groupements de la haute industrie et de la haute finance qui ont collaboré avec l’ennemi et nous les démasquerons publiquement. Aujourd’hui, bornons-nous à citer le cas des usines Renault dont l’ignominie mérite une mention particulière.

Tous les travailleurs connaissent ce grand bagne industriel. Avant la crise de 1929 les usines Renault recrutaient des travailleurs étrangers et nord-africains pour tenter de les dresser contre les travailleurs français, elles faisaient traquer, moucharder les ouvriers organisés. Après le sabotage des lois sociales du Front Populaire, et la politique néfaste qui devait ruiner la sécurité collective et le pacte franco-soviétique seule garantie de paix pour notre pays, les usines Renault se mirent en grève. La répression s’abattit férocement sur des centaines de grévistes arrêtés et condamnés en bloc, en violation de la loi par une justice déjà tombée sous l’influence de la cinquième colonne hitlérienne.

C’était là la tentative de division et de désarmement moral. Les mêmes trusts vont jeter la France sans armes dans la guerre qu’ils n’ont rien fait pour préparer.

Renault était l’un des plus importants centres de chars et de moteurs d’avions. La France entrera en guerre sans chars et sans avions.

Mais Renault s’offre, dès 1940, à fabriquer au profit de l’ennemi. Lorsque les bombardements, de l’aviation anglo-saxonne eurent causé à cette maison une perte de 3 milliards, Vichy refusa de l’indemniser pour le motif suivant : les usines Renault ne pouvaient invoquer la force majeure ; elles n’avaient pas été réquisitionnées par l’occupant, elles s’étaient mises spontanément à la disposition des Allemands, dès  l’armistice. Ce n’est pas nous qui le disons, c’est l’Etat vichyssois lui-même !

Les dirigeants de l’usine Renault devront payer pour les soldats des Nations Unies tués, à cause de leur empressement volontaire à équiper l’ennemi; ils devront payer pour les centaines d’innocents tués dans les bombardements que leur trahison avait rendus nécessaires; ils devront payer pour les ouvriers livrés aux bourreaux.

Beaucoup des actes de trahison des trusts sont encore inconnus. C’est la tâche sacrée des patriotes, qui peuvent percer le mystère savamment entretenu, de dire la vérité au pays.

Les employés de banque et le personnel de tous les établissements recevant des dépôts d’espèces devront signaler les prête-noms des hommes des trusts, car  beaucoup ont fait ouvrir des comptes par des hommes de paille pour diminuer l’importance de leur Avoir et signaler également les augmentations de soldes créditeurs depuis juin 1940. Dans chaque secrétariat de grosse firme des renseignements, ont pu être recueillis; le personnel de ces bureaux, les ingénieurs, les fonctionnaires des Comités d’organisation et de tous les offices de répartition des matières premières apporteront eux aussi une aide précieuse au pays.

Qu’ils nous signalent les faits qu’ils connaissent. Qu’ils démasquent les comédies que ne manqueront pas de jouer les hommes des trusts qui ont misé sur deux tableaux. Qu’ils écrivent à notre grand journal.

Le Devoir, Montréal, mardi 5 décembre 1944

Paris, libéré il y a trois mois, a, par certains côtés, l’apparence d’une ville revenue à la vie normale, mais un correspondant de « l’Associated Press », M. Gladwin Hill, signale aujourd’hui que cette apparence est trompeuse et que, sous ce masque, Paris reste une ville ébranlée jusque dans ses fondements par les rigueurs de la guerre.

Les élégantes toilettes féminines sont revenues sur les boulevards, mais ces toilettes sont en matériel d’été parce que les tissus d’hiver plus chauds sont très rares. Le champagne coule aux réceptions diplomatiques, mais beaucoup de Parisiens n’ont que la moitié des calories nécessaires, parce que les approvisionnements de vivres sont insuffisants. Si quelques hôtels sont le théâtre d’une grande activité, comme le « Ritz » qui héberge les dignitaires militaires et civils de passage, le « Crillon » qui abrite le personnel diplomatique et celui de la propagande, par contre la plupart des édifices de la ville ne sont pas chauffés et ne le seront probablement pas de l’hiver.

Paris a seize journaux quotidiens, mais ils sont limités à une seule feuille. Le métro fonctionne, mais il n’y a pratiquement pas de service de transport de surface et pas de taxis ; même les médecins ne peuvent avoir d’essence pour leurs autos. Les visiteurs vont au Louvre, mais ils n’y voient que des expositions spéciales, car les principaux trésors sont encore dans leurs abris de guerre. Les cinémas sont remplis, mais on montre des films qui étaient déjà vieux quand la guerre a commencé. La ration de viande est d’une demi-livre par semaine. Il n’y a pas de poisson, faute de moyens de transport. Les volailles vont vers le marché noir et reparaissent en dîners de $20 dans les clubs de nuit, dont les journaux demandent la fermeture pour la durée de la guerre.

Environ 10.000 Parisiens sont en prison sous des accusations de collaboration avec les Allemands pendant l’occupation. Il n’y a eu jusqu’ici que vingt accusés qui ont subi leur procès, et dans les corridors du Palais de Justice, les avocats causent de la lenteur de ces procès. En réponse à la menace formulée par les autorités allemandes d’exercer des représailles si le gouvernement français n’interrompait pas les procès pour collaboration, la radio de Paris a riposté aujourd’hui que le gouvernement français ne permettra à quiconque d’intervenir de l’extérieur dans l’administration de la justice en France et que si les Allemands veulent intervenir les autorités françaises prendront toutes les mesures qu’elles jugeront nécessaires. Cet avertissement allemand, selon un porte-parole du ministère des Affaires étrangères de Berlin, aurait été transmis au gouvernement français par la Croix-Rouge internationale.

Dans la banlieue de Billancourt, les usines Renault travaillent pour les forces alliées sous la direction du gouvernement qui a saisi toute cette industrie après la mort de Louis Renault, décédé pendant qu’il attendait son procès pour collaboration, parce que ses usines ont travaillé pour les Allemands pendant l’occupation. Dans un article récent au « Saturday Evening Post », M. Demaree Bess a exposé le point de vue des directeurs des usines Renault. Quand les Allemands ont occupé Paris, cette industrie de l’automobile s’est trouvée dans l’alternative de fermer ses usines et de congédier ses 12.000 ouvriers, ou de fabriquer des véhicules de transport pour les Allemands. Les autorités allemandes ont averti les dirigeants de ces usines que s’ils fermaient leurs portes tous les ouvriers seraient conscrits et envoyés au travail dans des usines allemandes. Après avoir consulté leurs ouvriers les directeurs ont décidé de poursuivre le travail. A deux reprises, les usines furent fortement endommagées par les bombardements alliés ; chaque fois les dirigeants ont obtenu des Allemands des matériaux pour remettre leurs usines en marche, et ils ont pu employer leurs ouvriers à ces travaux de réparations qui ont duré des mois et pendant ce temps la production était interrompue. Ainsi les Allemands, selon les directeurs des usines, ont eu moins de production de la part de ces ouvriers que si ces derniers avaient été envoyés en Allemagne après la fermeture de l’usine.  Les Allemands ont aidé à remettre les usines en état de production, de sorte qu’elles donnent actuellement leur plein rendement et que leurs ouvriers peuvent travailler pour les Alliés, tandis qu’autrement ils seraient encore en Allemagne et devraient travailler pour l’ennemi.

Ces explications ne satisfont pas les communistes qui réclament la confiscation des usines. M. Bess dit d’ailleurs que les communistes veulent utiliser les procès de collaboration pour promouvoir leur lutte contre le capitalisme : « Ils réclament, écrit M. Bess, que la purge soit utilisée, à la destruction permanente du pouvoir économique et politique des prétendues « 200 familles » de France, et pour la dépossession et la punition de tous les industriels et banquiers qui ont traité avec les Allemands pour leur profit personnel. Par la purge, disent les communistes, la banque et l’industrie lourde de France peuvent être rapidement nationalisées ».

C’est une politique économique et sociale plutôt discutable que de travailler à la nationalisation industrielle et financière au moyen de procès politiques pour collaboration. Ce serait assez cocasse, si ce n’était pas tragique ; car c’est à la suite de la campagne du journal communiste « l’Humanité » que Louis Renault a été arrêté.

Cela n’est pas particulier aux communistes français. Il semble que ce soit une politique générale des communistes dans tous les pays qui ont été occupés par l’Allemagne. Une dépêche de la « Canadian Press », du 24 novembre, rapportait une déclaration de M. Andrija Hebrang, minsitre suppléant du Commerce et de l’Industrie dans le gouvernement pro-soviétique du maréchal Tito, à l’effet que le gouvernement yougoslave confisquerait les usines des industriels qui seraient trouvés coupables de collaboration criminelle avec les Allemands ; il ajoutait que les autres industries demeureraient des entreprises privées.

Il n’est peut-être pas exagéré de penser que c’est une tactique communiste internationale que d’accuser de collaboration les industriels dont on veut confisquer les biens, méthode aussi radicale qu’audacieuse de promouvoir le collectivisme.

M. Hill note encore dans sa dépêche de ce matin au sujet de Paris que l’Assemblée consultative française se donne des airs de législature, mais que comme le gouvernement de Gaulle prend toutes les décisions, l’Assemblée n’est donc qu’un forum en attendant le retour des Français qui sont détenus en Allemagne dans les camps de prisonniers ou dans les usines. M. Hill conclut par cette phrase qui donne le même son que l’article de M. Bess et qui indique bien l’acuité du danger communiste en France : « Presque tout le monde loue de Gaulle, mais plusieurs frissonnent simultanément à la mention du communisme, tandis que les communistes de leur côté se lamentent continuellement sur le règne des trusts ».

Automobilisme ardennais, mai 1936

Vers des temps nouveaux – L’organisation du travail, du confort et des loisirs.

Au cours d’une réception en l’honneur de M. Louis Renault promu Grand’Croix de la Légion d’Honneur, le grand industriel aborda, en un intéressant discours, les graves questions du chômage, des loisirs et leurs rapports avec l’industrie automobile. « L’argus » résume ainsi les vues de Louis Renault :

J’ai été aidé dans l’œuvre accomplie par tous les collaborateurs de l’usine, tous les ouvriers, car sans eux nous ne pourrions rien. Mais il y a vous également, les agents, car c’est vous qui avez semé la marque dans tout notre pays, dans tout ce beau pays de France, qui était si propice au développement de l’automobile.

Je me souviens de l’époque où tous les ouvriers faisaient treize heures ; de plus ils travaillaient souvent le dimanche matin. Malgré cela, la production n’arrivait pas à satisfaire la demande.

Le plus grand progrès que nous ait apporté la civilisation nouvelle n’est-il pas celui qui permet à tous les hommes de pouvoir vivre en ayant des loisirs ?

Dans toute chose nouvelle on oublie quelque chose. On a oublié de se préoccuper de l’organisation des loisirs. C’ets peut-être de là que vient cette présence des chômeurs dans le monde.

L’organisation des loisirs peut se concevoir avec des cités-jardins, loin des villes. Chacun y aura son enclos, vivra au grand air, s’y reposera pendant les journées où il n’aura pas besoin de travailler. On ne comprend pas pourquoi nous sommes si en retard alors que dans d’autres pays on s’est rendu compte de la nécessité d’organiser les loisirs depuis longtemps.

Il faudrait que ce désir d’organiser les loisirs gagnât la masse, car il y a là un immense édifice à créer. La création de cet édifice permet d’entrevoir la possibilité d’occuper les chômeurs.

L’automobile est vraiment un des instruments, un des outils les plus capable de rendre les loisirs agréables. Je voudrais qu’au lieu de décourager les êtres on leur dise : « Continuez à travailler » afin que chaque ouvrier ait sa voiture.

C’est à vous, agents, qu’il appartiendra de vendre et d’entretenir tous ces véhicules, et de le faire, dans les meilleures conditions, de façon que l’automobile soit à la portée d’un nombre toujours plus grand de personnes.

Beaucoup craignent que dans quelques années la situation deviennent très difficile à cause du chômage ; non, ne craignez rien. Grâce à une meilleure répartition du travail qui se fera sûrement dans le temps – qui a déjà commencé à se faire – les heures de travail diminueront ; les loisirs augmenteront et l’équilibre se réalisera.

Il faut continuer, avoir confiance en l’automobile, car elle est un complément indispensable de la vie moderne.

Il n’y a qu’une chose qui compte dans la vie, c’est de réaliser et non de détruire. Tous ceux qui se combattent sans raison, sans même savoir pourquoi, découragent le pays. Ayez du courage, de la confiance et souvenez-vous que la France a toujours été une des nations calmes qui a conduit le monde. Aujourd’hui encore, si elle joue son rôle, elle doit pouvoir imposer la paix à l’Europe et au monde.

Il ne faut pas revivre 1914 ; un 1914 qui serait plus épountable encore, car avec les progrès, la destruction humaine serait plus grande, plus effroyable.

Ayons foi en notre pays, en nous-mêmes et tâchons de créer le bien-être autour de nous.

Journal d’Amiens, 4 avril 1939

M. Guy La Chambre étudie à Londres un plan de collaboration

pour la production des avions.

Versailles, 3 avril.

M. Guy La Chambre, ministre de l’Air, a quitté Vilacoublay cet après-midi, à destination de Londres.

Le ministre de l’Air a pris place à bord d’un avion Potez, piloté par le commandant Rossi. Il était accompagné du général Ceccaldi et de M. Hoppenot, conseiller technique au ministère de l’Air.

Il était 15h45, lorsque l’avion ministériel décolla du terrain de Villacoublay et prit la direction de Londres.

Au départ, le ministre fut salué par les généraux Vuillemin et Bouscat, par un attaché du ministère de l’Air anglais et par M. Jouany, directeur du cabinet du ministre.

L’avion ministériel était suivi d’un autre appareil dans lequel avaient pris place plusieurs officiers du ministère de l’air et les constructeurs, MM. Potez et Renault. Ce second appareil était piloté par le lieutenant Croccati.

L’avion de M. La Chambre fait un atterrissage forcé

Londres, 3 avril

L’avion de M. Guy La Chambre a été obligé d’atterrir à Woking dans le Surrey à quelques kilomètres de Londres, personne n’a été blessé, M. Guy La Chambre a continué son voyage en auto.

Le sujet des conversations qu’aura  à Londres M. Guy La Chambre avec Sir Kingsley Wood

Londres, 3 avril.

Le but du Voyage de M. Guy La Chambre, ministre français de l’Air, est de rencontrer son collègue anglais, Sir Kingsley Wood.

Les deux ministres discuteront les questions relatives à la production des appareils et à l’unité de commandement. Ils auront à tenir compte du fait que l’annexion de la Tchécoslovaquie a permis au Reich d’augmenter d’un seul coup son aviation d’un millier d’appareils et surtout de développer considérablement sa capacité de production.

L’Aéro, par Pierre Farges, 9 octobre 1936

Les jours passent…

De Louis Renault à Ettore Bugatti

Lorsque le Président de la République, lors de sa visite au Salon, s’arrêta au stand de Bugatti, il félicita textuellement le constructeur de Molsheim en ces termes : « Bravo ! Monsieur Bugatti, vous avez encore vaillamment défendu nos couleurs cette année ; de plus, vous n’avez pas hésité à envoyer vos voitures au Grand Prix d’Amérique, c’est fort bien et je vous en remercie » Puis, le chef de l’Etat, décidemment très averti, ajouta : « On va finir par croire, Monsieur Bugatti, que vous êtes subventionné par le gouvernement ».

C’est alors que le baron Petiet, président de la Chambre syndicale de l’Automobile, qui accompagnait le chef de l’Etat dans sa visite, intervint fort habilement :

– C’est bien dommage, monsieur le Président, qu’on ne puisse que le croire ; ne ferait-on pas mieux d’aider monsieur Bugatti à seule fin de permettre à la France de reprendre sa place dans les courses d’automobiles ?

Tout ceci s’est passé, ou plutôt s’est dit en quatre minutes exactement, puis le cortège officiel s’en est allé vers d’autres stands et le président de la République, de retour à l’Elysée, oubliera M. Bugatti jusqu’au Salon de 1937.

A l’encontre des constructeurs étrangers subventionnés copieusement pour la course, Bugatti comme Renault en aviation, seul avec ses propres moyens et à ses seuls risques, va de l’avant.

Il a, on le sait, glané cette année toutes les victoires françaises, entretenant à grands frais un dévorant bureau d’études et le plus brillant « team » de coureurs.

Cette bagatelle a grevé son budget de trois millions, quatre peut-être. C’est lourd par les temps que nous traversons, mais il a réussi : c’était son but.

Cet homme étonnant, jusqu’à son dernier souffle, produira, perfectionnera, faisant d’un quelconque écrou une pièce précieuse.

Bugatti aime de toute sa foi la mécanique. Il aime plus profondément la France, sa terre d’adoption qui s’enorgueillit de l’avoir accueilli.

Ce qu’il vient de faire sans bruit, sans histoire, pour montrer à l’Amérique que la France veut défendre sa place, mérite du pays autant de gratitude qu’on en doit à Louis Renault pour avoir, lui aussi, seul et à ses frais, permit à Détroyat de rehausser à Los Angeles le prestige des ailes françaises.

L’Illustration, 14 novembre 1936

La poste française par la voie des airsillustration_1L’idée la plus importante qui se soit dégagée depuis 1934 en matière d’aéronautique marchande est celle de l’acheminement systématique du courrier postal par la voie des airs. Aucune mesure, en effet, n’est mieux susceptible de mettre à la disposition du transport aérien les masses de fret cher qui abaisseront les prix de revient ; et rien n’est mieux fait pour transformer l’aéronautique marchande, partout subventionnée par tous les contribuables, de service de luxe en service public.

Sur cette voie de l’utilité générale, on est naturellement conduit au transport aérien de la poster sans surtaxe, sauf exception. C’est le principe que la Grande-Bretagne, dès 1937, va en fait appliquer à tout son massif courrier d’empire ; c’est celui que plusieurs pays d’Europe, en particulier les pays scandinaves et la Hollande, ont appliqué depuis un an et plus aux liaisons aériennes postales européennes pour lesquelles le gain de temps obtenu correspond à un accroissement – bien dans l’esprit de la fonction postale – du service rendu.

illustration_4En France, depuis juillet 1935, à l’initiative du groupe privé qui créa la compagnie « Air Bleu » et sut y intéresser les ministères des P.T.T. et de l’Air, il s’est déroulé une intéressante expérience qui aura duré un an et qui aura constitué – par ses principes d’exploitation, par son organisation sérieuse et même par son échec – la plus utile démonstration.

En effet, le principe appliqué dès l’origine par « Air Bleu » était celui de l’échange diurne de correspondance, entre Paris et les terminus provinciaux, de lettres taxées à 3 francs. Ce système ne tenait pas compte du fait essentiel, qui est qu’un service public d’accélération postale surtaxée doit d’abord obéir aux habitudes et conditions de travail des milieux d’affaires qui seront son principal client. Malgré un effort bientôt tenté pour modifier le système au profit des terminus, les quantités postales et donc les recettes demeurèrent insignifiantes. Comme l’Etat n’avait consenti au profit de ce service aucun effort financier direct, le capital de l’entreprise ne pouvait pas résister longtemps aux frais de 5000 ou 6000 kilomètres quotidiens sans contrepartie appréciable.

illustration_3Or, dans ces conditions désastreuses et avec un capital initial modeste, l’expérience postale dura plus d’un an parce qu’une autre expérience – d’organisation et de technique – avait parallèlement réussi : c’était, pour la première fois en France, la mise en œuvre des avions économiques dont nos pionniers du « travail aérien sans subvention », en particulier la Compagnie aérienne française, avaient vainement tenté de provoquer la création.

illustration_5A ce titre, la mise en œuvre des petits avions Simoun de Caudron-Renault aura été une précieuse expérience. Sans doute, des constructeurs anglais – et, le premier, de Haviland, avaient mis sur le marché et vendu en séries importantes des avions qui, dès 1932, transportaient 4 ou 5 passagers à 160 km/h à un prix de revient kilométrique voisin de 3 francs et ils avaient réussi depuis lors à garder ce coût de 0 fr. 60 par passager-kilomètre pour des avions dont la vitesse de croisière dépasse 230 km/h. Mais, en France, nous ne suivions pas, et c’est un fait que Renault a  rattrapé et peut-être pris la tête par une technique pour laquelle la coupe Deutsch fut une école précieuse. Un autre résultat fut acquis par l’organisation simplifiée du trafic – il est vrai, dans un cas facile – et par la mise au point d’éléments de sécurité comme les radiophares S.F.R. dont « Air Bleu » fit systématiquement l’essai.

Nous pensons qu’il faudrait au plus tôt tirer parti de l’expérience acquise pour reprendre l’œuvre sur une base plus large et tendre à l’institution d’un service public de poste aérienne auquel l’administration des P.T.T. est acquise.

illustration_2Quelques principes semblent ici indiscutables. Le premier est l’exploitation de nuit, assurant ce résultat que, dans un pays comme le nôtre (tout petit à l’échelle des vitesses aériennes), toute lettre postée le soir en une ville de France doit être distribuée au premier courrier du lendemain en n’importe quelle ville de France (en commençant par les grandes). Un effort spécial devrait incorporer postalement – et mieux lier politiquement – l’Afrique du Nord à la France métropolitaine ; du même coup l’aviation marchande française pourrait mettre en œuvre, pour la première fois, des quantités postales assez massives pour en recevoir un stimulant décisif.

illustration_6Enfin il faudrait, dans l’établissement du service français aéropostal, avoir le souci des liaisons européennes et penser que toute l’Europe du Nord-Ouest n’est plus qu’un canton où la poste relève de l’aviation de nuit. Les Allemands l’ont compris avant nous ; aujourd’hui ce sont leurs avions postaux qui, hiver comme été, assurent de nuit la liaison postale entre toutes les plus grandes villes du Reich, mais encore avec Amsterdam et Londres, Bruxelles et Paris, Copenhague et Stockholm, Bâle et Genève. Ce quasi-monopole (les Scandinaves y ont seuls quelque part) doit d’ailleurs nous faire réfléchir en plus d’un sens.

H.B.

L’Intransigeant, par R. Peyronnet de Torres, 17 février 1939

Piloté par Delmotte

Un avion français s’attaquera bientôt

au record du monde de vitesse

La construction de l’appareil et du moteur sera terminée au mois d’avril

intransigeant_17_2_39L’industrie aéronautique française consacre toute son activité à la construction d’avions et de moteurs pour notre armée de l’Air. Cependant le ministre de l’Air, M. Guy La Chambre, entend ne pas négliger totalement l’aviation de records, l’aviation de prestige : il a donné les moyens à l’ingénieur Riffard pour réaliser son projet d’avion de grande vitesse, tandis que l’Angleterre propose deux appareils et l’Allemagne attend pour rentrer en lice.

Le 29 avril 1937, à Istres, Delmotte dut se lancer en parachute : il se préparait à s’attaquer au record de vitesse ; l’Américain Howard Hugues lui avait ravi, le 13 septembre 1935, son record de 505 kilomètres/heure 848 (25 décembre 1934) en atteignant 567 kilomètres/heure 115. La rupture du plan de stabilisation avait contraint le vaillant pilote à abandonner sa machine en vol et à utiliser sa « bouée de sauvetage ».

Delmotte se prépare à effectuer un vol avec un de ses anciens avions de record.

L’ingénieur Riffard établit aussitôt un nouveau projet, qu’il nous exposa peu après le saut de Delmotte. Un avion identique, comportant quelques modifications et équipé d’un moteur d’une puissance de l’ordre de 800 C.V., paraissant capable de dépasser le record de vitesse des avions – 610 Kilomètres/heure 550 par l’Allemand Wurster – et aussi le record de vitesse des hydravions – 709 kilomètres/heure 209, par l’Italien Agello – ainsi que nous l’avons rappelé le 8 juillet 1938.

Et cet avion se lancera peut-être à l’assaut du record de vitesse sur cent kilomètres : 634 kilomètres/heure 320 par le général allemand Udet.

L’avion, un Caudron dérivé des appareils de la Coupe Deutsch de la Meurthe et du Caudron C-712 qui se brisa au sol le 29 avril 1937, et le moteur, un Renault de 19 litres de cylindrée, sont en cours de construction. Ils seront achevés pour le mois d’avril.

Le chef pilote Delmotte se rendra à Istres pour tenter de ramener en France le record du monde de vitesse.