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Le Point, “Renault-Citroën, un duo de visionnaires”, par Clive Lamming, jeudi 15 août 2013

point_15_8_2013_couvMoteurs. Ils ont ouvert la voie à l’industrie française.

Louis Renault, c’est l’inventeur solitaire. L’ingénieur passionné, mécanicien dans l’âme, vainqueur de courses dangereuses, qui connaît tout de l’automobile, les outils, les outillages, les métaux, les copeaux et l’huile de coude, et qui va la décliner sous toutes ses formes.

André Citroën, c’est l’innovateur. Le détecteur, l’homme du marketing, des fascinantes expéditions en Afrique et en Chine, le personnage mondain et raffiné, celui des “planches” de Deauville, qui donnait une voiture (réelle) comme pourboire aux maîtres d’hôtel, l’inventeur du marketing qui fit briller son nom sur la tour Eiffel. C’est aussi l’homme des magnifiques jouets Citroën, maquettes précises à l’échelle I/10, fabriquées pour que les premiers mots des enfants des années 20 soient “papa”, “maman” et “Citroën”, au nom d’un taylorisme à la Pavlov et à l’américaine.

Couverture du magazine "Vu" du 30 janvier 1935

Couverture du magazine “Vu” du 30 janvier 1935

Mais au lendemain de la Première Guerre mondiale, quand il s’agit de s’imposer dans un marché national dont la demande est sans précédent dans l’histoire de l’automobile, Renault et Citroën, les deux hommes comme leurs armées et leurs empires, sont face à face. Ennemis ? Non. Concurrents, oui. L’admiration, la crainte, le respect ne les unissent pas mais les séparent. Ils s’observent du coin de l’oeil. D’ailleurs, André Citroën utilisera bien des briques fournies sans rancune par Renault pour construire, en 1916, sa nouvelle usine – d’abord consacrée aux munitions – du quai de Javel.

Tout les sépare. André Citroën est le tard venu. Louis Renault a démarré dès les premières années 1900. Il a, de ses mains, fabriqué des automobiles à l’âge de 14 ans, par pure passion, dans un petit atelier au fond du jardin familial de Billancourt. Né dans une famille de commerçants très aisés, il prépare le concours de l’Ecole centrale. L’échec à ce concours en 1896 lui est très cruel. Il revient à sa passion automobile pour créer, avec ses deux frères, l’entreprise Renault frères. Il est “authentique“, “c’est un vrai“, “un bon“.

Trust. En 1911, Louis Renault, déjà établi, effectue un voyage aux Etats-Unis pour étudier les méthodes de Ford et revient avec l’idée d’appliquer, en 1913, le chronométrage pour augmenter la productivité (le taylorisme). Cela lui vaut des grèves immédiates. On le décrit comme autoritaire et colérique, et pourtant il accepte le principe de la délégation ouvrière dès 1912. Mais c’est un solitaire: dans le secret de son bureau d’études, il invente la boîte de vitesse avec prise directe, mondialement utilisée, ou les bougies démontables. De son entreprise il fait un trust industriel avec une forte intégration en amont: il fabriquera tout, des tissus au caoutchouc, du carton au papier, des équipements électriques aux bougies, cultivant même des arbres pour en avoir le bois, et fabrique son électricité dans ses propres centrales électriques.

Mais Renault s’intéresse aussi à tout ce qui a des roues et un moteur: voitures particulières, camions (dont il est le promoteur, bien avant les marques spécialisées), autobus (il fournira ceux de Paris, les fameux TN et TH à l’immortelle plate-forme). Il devient même le premier fabricant mondial d’autorails pour les réseaux ferrés français, sans oublier de faire des moteurs d’avion ou de marine, concevant sans doute les meilleurs moteurs Diesel du monde. Jamais André Citroën n’aura une telle “envergure” dans la diversité !

Lui aussi fils de bonne famille, Citroën, après Polytechnique, se lance dans l’aventure automobile, mais comme un grand gestionnaire, un manager innovant. C’est un “moderne”… Sa propre firme a démarré plus tardivement, en 1919, après qu’il a fait sa fortune et ses preuves dans la livraison d’obus. Il popularise le fameux emblème en double chevrons qui représente la denture d’un engrenage dont Citroën a racheté le brevet à un ingénieur polonais lors d’un voyage dans le pays de ses ancêtres. Car il n’est pas inventeur: il sait découvrir des inventions, détecter les talents et s’en entourer, les combiner, les utiliser, les vendre. Il produira plus rentablement que Renault, appliquant avec succès les méthodes de Ford. En 1919, il livre la première voiture fabriquée en série, initie le client aux véhicules clés en main – quand il allait auparavant rassembler diverses pièces. Sa vente “sociale” repose sur la “propagande”, terme d’époque: il invente le réseau des concessionnaires, le crédit à la consommation, généreux et interminable. Produisant plus pour moins cher, Citroën fait de l’ombre à Renault et l’agace. Citroën innove et mène le jeu, allant jusqu’à le devancer sur son propre terrain, les taxis, que Renault fabriquait en série avant la guerre et qui serviront pour la Marne.

Tragédies. Au-delà de toutes leurs différences, ils connaîtront deux fins tragiques. Lâché par les banques, Citroën est ruiné par la crise des années 30. Pendant l’hiver 1935, seul, malade, il vient faire ses derniers pas dans son usine du quai de Javel vide et silencieuse. Trop longue à mettre au point, la fantastique Traction a épuisé ses dernières ressources financières. Dans le grand hall noire, peut-être voit-il déjà les formes incongrues et géniales de la 2 cv ou celles, fascinantes et futuristes, de la DS 19 ? Il meurt, ruiné et oublié, mais nullement déshonoré. Il a, tout simpement, fait une erreur professionnelle.

Louis Renault, l’homme qui a construit les chars de Verdun et contribué à la victoire de 1918, ne voit que son travail et son entreprise, il n’est pas du genre à trahir son pays. Mais il a suffi que les usines Renault travaillent pour l’occupant, comme d’autres en France. Jeté en prison dès 1944 dans un climat de règlements de compte, abandonné, maltraité, Louis Renault est transporté mourant à la clinique Saint-Jean-de-Dieu, à Paris, , où il succombe après avoir murmuré à son épouse: “Et l’usine ?” Il n’a pas fait d’erreur professionnelle, au contraire: il a excellé jusqu’au bout, et l’Etat, en nationalisant les usines Renault, fait une bonne affaire. Dans ces deux histoires, la fin ne fait pas partie de l’Histoire et on ne reconaît pas le héros.

Clive Lamming, historien, auteur de “Transports urbains”, éditions Atlas.

Lire le dossier dans le magazine Le Point.

Le Point, “La famille Renault, la nationalisation en 1945 et les syndicats”, 21 novembre 2012

Capture d’écran 2015-12-28 à 20.16.04La famille Renault, la nationalisation en 1945 et les syndicats

La cour ayant confirmé la décision prononcée en janvier en première instance, “nous allons très probablement déposer un pourvoi en cassation”, déclaraient cette après-midi Mes Louis-Marie de Roux et Laurent Schrameck, associés de Me Thierry Lévy, avocat des petits-enfants de l’industriel qui avait été accusé à la Libération de collaboration avec l’Allemagne nazie. Les petits-enfants de Louis Renault auraient souhaité que la cour transmette au Conseil constitutionnel une “question prioritaire de constitutionnalité” (QPC) contestant la validité de l’ordonnance de confiscation du 16 janvier 1945 ayant transformé Renault en régie nationale.

Bataille judiciaire

À l’audience, le 18 septembre dernier, Me Lévy avait estimé que cette confiscation sans indemnisation avait constitué une “voie de fait”, relevant donc des juridictions judiciaires et non administratives. C’est “une théorie totalement impossible”, avait répliqué l’avocat de l’État, affirmant que l’ordonnance concernée avait “valeur législative” et que le législateur ne pouvait juridiquement pas commettre une “voie de fait”. La cour lui a donné raison et a estimé que cette “notion de voie de fait invoquée par les consorts Renault à l’appui de leur demande” ne pouvait être retenue. Et puisque “les juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent connaître de l’action engagée” par les héritiers Renault, “il n’y a pas lieu de statuer sur (leur) demande de transmission de la QPC”, a-t-elle ajouté.

La mémoire des résistants et des ouvriers

De la même manière, la cour ne s’est pas prononcée sur la recevabilité des “intervenants volontaires”, qui était contestée par les petits-enfants Renault. Les avocats de ces associations avaient mis en avant à l’audience la “collaboration notoire” pendant la guerre de la direction des usines Renault, dont “la quasi-totalité de la production” était destinée à l’Allemagne.La CGT-Métallurgie est “intervenante volontaire” dans le dossier, de même que la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (FNDIRP) et une association constituée pour s’opposer à l’action des héritiers Renault, baptisée Esprit de Résistance. “Les véritables victimes étaient les ouvriers de Renault, y compris ceux qui ont été fusillés par les nazis au mont Valérien”, a appuyé Marc Lacroix, président de cette association.

Quant à se demander si les “métallos” avaient leur mot à dire dans la procédure, Me Jean-Paul Teissonnière, avocat de la CGT, avait rappelé que “la reddition du commandant allemand de la place de Paris, le général Von Choltitz”, avait été “remise entre les mains du général Leclerc et du résistant Henri Tanguy, dit Rol-Tanguy, qui était ouvrier métallurgiste chez Renault”. Pour en savoir plus, nous vous recommandons la lecture, contradictoire, du dossier de l’historienne Annie Lacroix-Riz, professeur à Paris VII-Denis Diderot, ainsi que de l’article de nos confrères du Monde, Pascale Robert-Diard et Thomas Wieder, paru le 12 mai 2012. À compléter par les articles d’Historia sur Louis Renault.

Lire l’article sur le site du Point.fr

 

Le Point, Nationalisation-sanction de Renault: la cour d’appel se prononce mercredi (avec AFP)

Capture d’écran 2015-12-28 à 20.16.04Nationalisation-sanction de Renault: la cour d’appel se prononce mercredi

La cour d’appel de Paris doit dire mercredi si elle donne suite à une action engagée contre l’Etat par les héritiers du constructeur automobile Louis Renault, qui demandent réparation pour la nationalisation-sanction de la firme en 1945.

La cour dira si elle s’estime compétente pour trancher cet épineux dossier, sur lequel le TGI avait refusé en janvier de se prononcer. Elle décidera, le cas échéant, de transmettre ou non au Conseil constitutionnel une “question prioritaire de constitutionnalité” (QPC) déposée par les héritiers de l’industriel.

Par cette procédure, les petits-enfants de Louis Renault (1877-1944) veulent contester la validité de l’ordonnance de confiscation du 16 janvier 1945 ayant transformé Renault en régie nationale, alors que le constructeur était accusé de collaboration avec l’Allemagne nazie.

A l’audience, le 18 septembre, l’avocat des héritiers Renault, Me Thierry Lévy, avait estimé que cette confiscation sans indemnisation avait constitué une “voie de fait”, relevant donc des juridictions judiciaires et non administratives.

C’est “une théorie totalement impossible”, avait répliqué l’avocat de l’Etat, Me Xavier Normand-Bodard, affirmant que l’ordonnance concernée avait “valeur législative” et que le législateur ne pouvait juridiquement pas commettre une “voie de fait”.

Me Lévy avait par ailleurs contesté la recevabilité de trois associations “intervenantes volontaires” dans la procédure: la CGT-Métallurgie, la Fédération nationale des déportés, internés, résistants et patriotes (FNDIRP) ainsi qu’une association constituée pour s’opposer à l’action en justice des héritiers Renault et à toute “réhabilitation” de l’industriel.

Les avocats de ces associations avaient mis en avant la “collaboration notoire” pendant la guerre de la direction des usines Renault.

L’article sur le site du Point.fr (avec AFP).